BENOIST SIMMAT VINCENT CAUT De André Citroën à Steve jobs, les grands entrepreneurs en BD DAR GAUD BENOIST SIMMAT VINCENT CAUT LA LIGUE DES CAPITALISTES EXTRAORDINAIRES DAR GAUD PARIS BARCELONE BRUXELLES HONG KONG LAUSANNE LONDRES MONTREAL NEW YO~t< SHANGHAI \ TABlt DtS MATitRtS PREMIÈRE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE XIX' Le temps des pépères fondateurs 11 Thomas Cook 35 Richard Arkwright 13 Alfred Krupp 39 Matthew Boulton 17 Phineas Taylor Barnum 41 Éleuthère du Pont de Nemours 23 Aristide Boucicaut 45 James de Rothschild 27 Jay Gould 49 Cornelius Vanderbilt 31 Gustave Eiffel 53 DEUXIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE XX' Les contremaÎtres du monde 59 Walt Disney 93 Andrew Carnegie 61 Gabrielle« Coco » Chanel 97 André Citroën 65 Howard Hughes 101 John D. Rockefeller 69 Anita Roddick 105 Thomas Edison 75 Ingvar Kamprad ____ ____ 109 François de Wendel 79 Warren Buffett 113 Henry Ford 83 Bernard Arnault 117 Helena Rubinstein 89 TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE XXI' Les winners de l'e-économie 125 Bill Gates 153 T. J. Watson Junior 127 Jean-Marie Messier 159 Akio Morita 131 Larry Page 165 Hiroshi Yamauchi 133 Mark Zuckerberg 169 Richard Branson 137 Elon Musk ___ 173 Rupert Murdoch 141 Jack Ma 175 Lee Kun-hee 145 Xavier Niel 179 Steve Jobs 147 lES GRANDS CAPITAliSTES NAQUIRENT ICI ... DANS LES ANNtES 1770, il existait à Birmingham, grande cité fourmillante du centre du royaume de Grande-Bretagne, un club de gentlemen pour le moins extraordinaires. Cette organisation réunissait parmi les plus brillants intellectuels de l'époque et se faisait appeler « Lunar Society ,, le « club de la Lune "· Une dénomination choisie par ses membres parce qu'ils avaient l'habitude de se rencontrer les nuits de pleine lune afin de retrouver plus facilement leur chemin de retour dans l'obscurité-à l'époque, en effet, l'éclairage public restait à inventer. Ces << Lunar Men , n'étaient ni des hurluberlus ni des savants désœuvrés puisqu'ils figurent aujourd'hui au panthéon des grands hommes de l'Angleterre prévictorienne. Dans nos contrées, le plus connu est James Watt, ingénieur qui, en améliorant considéra blement la technologie de la vapeur, a jeté les bases de la première révolution industrielle. Le véritable instigateur du club, un peu moins célèbre chez nous, était Erasmus Darwin, poète, botaniste et inventeur; une sorte de Lavoisier anglais dont les travaux allaient, un siècle plus tard, ouvrir la voie à ceux de son célébrissime petit-fils, Charles Darwin. Adam Smith, le philosophe et économiste écossais, faisait aussi partie de la bande, ainsi que l'Américain Benjamin Franklin, diplomate international, mais également inventeur et naruraliste. Venaient ensuite des figures plus << britanniques ,, comme le physicien Joseph Black, le sidérurgiste John Wilkinson, le chimiste John Roebuck, le pionnier des usines textiles Richard Arkwright ... Tous ces gentlemen étaient à la fois des savants, des inventeurs, des commerçants, des ingénieurs, des philosophes, parfois des« médecins »1 souvent des professeurs, et ils exerçaient des fonctions diplomatiques ou politiques au profit de la Couronne. Mais il semble peu probable qu'ils aient entretenu des relations approfondies car, au Parlement ou sur les marchés naissants, ils étaient avant tout concurrents .. Et pourtant, ils se sont réunis tous les mois pendant de longues années, car ils parta geaient une conviction : une révolution extraordinaire était en marche, une révolution des modes de fabrication, des énergies utilisées, des transports ; bref, une mutation majeure que l'on nommerait bien plus tard la « révolution industrielle >>. De fait, ce bouleversement de l'économie traditionnelle héritée du Moyen Âge - une économie agricole de subsistance assaisonnée de quelques activités manufacturières stagnantes -, cette « nouvelle économie »,occupait toutes leurs discussions. Transportons-nous d'ailleurs quelques instants auprès de ces aimables pionniers, réunis ce soir de septembre 1776 dans de fabuleux locaux élevés dans les faubourgs de Birmingham par un des cofondateurs de la Lunar Society, Matthew Boulton, un spécialiste de la fonte des métaux précieux et des pièces de monnaie. Grand et sec, le regard perçant et une allure de patricien bien né, Boulton lève une fois de plus son verre de vin de Champagne à cette année faste qui a vu, au printemps, un des membres du club, Adam Smith, publier un ouvrage dont on parle déjà jusqu'en Russie : Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations. Pour les« Lunaticks »-autre surnom que ces haut perchés se donnaient-, l'événement est plus important que le choc géopolitique mondial qui vient de se produire à peine deux mois plus tôt : la déclaration d'indépendance des colonies américaines. Car les écrits du philosophe Smith vont diffuser auprès de l'élite mondiale les réalisations concrètes et les convictions viscérales des membres de la Lunar Society. Et particulièrement celle-ci : en améliorant les conditions de production manufacturière grâce au progrès et aux découvertes scientifiques, il est désormais possible de produire mieux, c'est-à-dire de produire pour moins cher - aujourd'hui, nous parlerions de « gain de productivité ». Il reste toutefois bien du chemin à parcourir, ne serait-ce qu'en termes d'organisation du travail, notamment dans les premières« usines ». Les discussions entre Lunar Men ne sont pas des conférences, chacun, à sa guise, se lance dans une discussion avec un ou plusieurs membres. On se côtoie entre patriciens du nouveau « business ». On ricane un peu, avec un zeste de commisération. Qyelques idées brillantes fusent, des considérations politiques s'insinuent dans le débat, on parle social, mais surtout pour préserver ses intérêts .. Nous avons là un bel échantillon de ce que deviendra une assemblée de « grands patrons » quand l'expression passera dans le langage courant, après la Seconde Guerre mondiale. Une fois les toasts-de rigueur-portés à la reine et à Adam Smith (qui rougit de plaisir), Matthew Boulton se dirige vers un personnage encore plus acharné que lui à réaliser les promesses du progrès. Plus petit et court sur pattes que le métallurgiste, Josiah Wedgwood (né en 1730) est le plus grand céramiste du royaume. Son meilleur client est la famille royale, et il règne sur un petit empire de plusieurs centaines de salariés, ce qui est considérable pour l'époque. S'isolant quelques dizaines de minutes pour discuter passionnément, les deux pionniers de l'industrie ont une conversation qui pourrait ressembler à ceci 1 : « Le lord lieutenant' parle d'ouvrir un nouveau canal [fluvial] entre Birmingham et Gloucester, cela vous paraît-il envisageable ? demande Boulton. -C'est un signe de l'effervescence du moment. Ce que je dis, c'est que tout projet est bon à prendre. I.Jouverture du canal Birmingham-Wolverhampton m'a déjà fait diminuer de 80 % mes frais de transport, dans un sens comme dans l'autre ! répond Wedgwood. -Écoutez, la prochaine étape doit être encore et toujours plus ambitieuse. N'est-ce pas ce que nous avons toujours dit au sein de notre société ? Chaque jour, je sors de cette manufacture trois Boulton-Watt [machines à vapeur]. Pourquoi ne pas imaginer en installer une sur un bateau ? En augmentant la vitesse du navire, vos coûts baisseraient encore, n'est-ce pas ? -Tout à fait. Mais j'ai une autre idée en tête ... -Tiens ? Laquelle ? -Je pense aux conditions de travail ; je pense à la manière dont mes hommes modèlent mes argiles et mes émaux. -Vous voulez encore améliorer leur bien-être ? Nous avons fait sortir des milliers de sujets de la misère des campagnes, pour un travail garanti et une paie chaque jour que Dieu fait. -Non, je pense plutôt à l'amélioration des méthodes de production. Voilà, j'ai 278 ma nœuvres dans ma seule manufacture d'Etruria3• À l'exception de cinq d'entre eux, tous ont une tâche précise à effectuer, une tâche que nous avons pensée pour chacun. -Certes, c'est formidable. Comme l'a expliqué Smith, en divisant le travail en tranches, vous augmentez plus que proportionnellement la production née de ce travail. -Eh bien, je crois que pour augmenter encore cette proportion, il faut non seulement diviser le travail, mais le cadencer et l'encadrer. -Comment? Avec un tambour battant, comme sur une galère ? -Ha, ha, ha, non! Il s'agirait plutôt de fixer des heures d'arrivée et de départ, de déterminer des moments de repos et de repas, et d'employer des maîtres pour surveiller la marche de ce bel ensemble. - Méfiez-vous, monsieur, bientôt les gens comme nous aurons aussi des horaires et des consignes strictes à respecter ! 01I'en sera-t-il alors de notre créativité ? » Ce dialogue, aussi passionné que crédible, se sera sans doute poursuivi fort tard, grâce au renfort de quelques bouteilles champenoises et au concours lumineux de l'astre lunaire. 1. Toutes les références figurent en fin d·ouvrage. 2. Sone de gouverneur représemant la Couronne. 3. Entre Manchester et Birmingham. Il est surtout très représentatif de ce qu'est en train de devenir cette cohorte d'innovateurs aussi forcenés qu'intransigeants :des« capitalistes», ou plutôt des« grands capitalistes» des « grands patrons >>, dirions-nous aujourd'hui. Grands? Non pas au regard de leur éthique professionnelle, que l'on sent déjà valser au gré des circonstances, mais plutôt à l'aune des responsabilités qui sont les leurs vis-à-vis des troupes qu'ils vont désormais diriger. Car le temps où des ordres dits « naturels », l'Église ou les princes, régentaient la vie des populations est révolu. Un nouveau système va s'y substituer. Il se nomme« le capitalisme», mais cela, personne ne le sait encore. C'est dans des organisations comme la Lunar Society-il y en eut d'autres-que non seulement naquit l'idée du système capitaliste, mais que se forma aussi cette catégorie si particulière des« patrons>>. Des acteurs clés de cette nouvelle économie, l'économie capi taliste, qui allait se préparer à régenter le monde, à créer ses propres systèmes concurrents -le communisme fut le premier-, puis, finalement, à être le moteur de la globalisation actuelle tout en continuant à soutenir l'effort de mutation vers un système dématérialisé. Boulton, Wedgwood, Watt, Arkwright ... Ils sont les pionniers du capitalisme moderne, les premiers capitalistes, véritablement extraordinaires au regard de leur existence, de leurs intuitions, de leurs errements, de leurs excès, aussi, mais surtout de leur instinct. Oui, car ils ont tous saisi cette idée clé : une entreprise - le mot « manufacture >> va rapidement disparaître - ne peut survivre dans le nouveau système qu'en croissant et, donc, doit générer du profit pour sans cesse réinvestir afin de s'adapter aux conditions sans cesse changeantes. Le capitalisme est un système désespérant : ce ne sont pas seulement les plus forts qui subsistent, mais aussi les mieux adaptés. Sans aucun doute, Charles Darwin, pour forger sa théorie de l'évolution des espèces, s'inspira-t-il en partie des observations de son grand-père Erasmus Darwin, et même de Josiah Wedgwood dont il épousa la petite fille, Emma. Le capitalisme est né avec la Boulton-Watt et La Richesse des nations. Deux cent quarante ans plus tard, son aventure se poursuit dans l'économie numérique. Les rouages obsessionnels de cette mécanique pétaradante ne sont pas seulement la machine-outil ou le microprocesseur. Ce sont les millions de patrons, petits ou grands, qui ont fait avancer (parfois reculer) le système. Dans ces légions, une élite de« bizarres», dont quelques-uns de nos Lunar Men, émergent. Ils sont une quarantaine de grands capitalistes, parfois géniaux, parfois consternants, à former une ligue d'extraordinaires dont les carrières surpassent les créations techniques et les bilans financiers. Leurs biographies insolentes forment la partie immergée de l'iceberg capitaliste. Les voici.
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