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La Guinée-Bissau: D'Amilcar Cabral à la reconstruction nationale PDF

213 Pages·1978·5.359 MB·French
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JEAN-CLAUDE ANDREINI ET MARIE-CLAUDE LAMBERT LA GUINÉE-BISSAU D'Amilcar Cabral à la reconstruction nationale Librairie- Editions l'Harmattan 18, rue des Quatre-Vents 75006 Paris <D0 0 CI)~'lU 'lU (,!)c:t ~-J N'""58c:o..<= 0 IS B N 2 0N -8580 DI::wA.:::»ca 0:::»W ' 2-037 'ù "oE -X (.;):::» zw~W ca CI)CI)c(~ ~ ? ~ ~ Q (,!):::> ~'lULu ~ ~ài....,~~011) ~ ~~ :J ...~E Q .. <D0 0 _ Introduction Amilcar Cabral, P.A.I.G.C. (1), ces deux noms à jamais liés à l'Afrique révolutionnaire ont fait sortir de l'ombre la Guinée-Bissau. Ce pays de la côte occidentale africaine, si- tué entre le Sénégal de Senghor et la Guinée de Sékou Touré, est désormais connu pour avoir mené, contre le co- lonialisme portugais, une lutte de libération exemplaire, ri- che en expériences révolutionnaires. Le début de la colonisation en Guinée-Bissau date de 1446, époque des fameuses {( grandes découvertes». Les portugais installèrent sur le littoral des comptoirs où les po- pulations venaient échanger leurs produits contre des mar- chandises de faible valeur (( pacotilles»). Puis commença le commerce des esclaves qu'on arracha à leur terre pour les envoyer dans les plantations d'Amérique. En 1885, date à laquelle le Traité de Berlin lui attribua la Guinée-Bissau, le Portugal ne contrôlait pas l'intérieur du pays; les expédi- tions armées qui suivirent, auxquelles on donna le nom de «pacification », rencontrèrent de la part des populations une forte résistance. C'est seulement après l'arrivée de Sala- zar au Portugal (1926) que l'exploitation coloniale fut sys- tématisée sur le plan économique: les compagnies portugai- ses s'imposèrent, favorisées par un système douanier préfé- rentiel, et installèrent sur tout le territoire de petits maga- sins où les paysans venaient troquer leur récolte contre les ccbons» qui leur permettaient d'acquérir les denrées couran- tes. Soumis à l'arbitraire des commerçants, les paysans étaient contraints d'augmenter la production des denrées (1)P.A.I.G.C. : Parti africain pour l'Indépendance de la Guinée-Bissau et des Desdu Cap-Vert. 5 tropicales (arachide, palmiste...) privilégiées dans les échan- ges commerciaux, au détriment de la production vivrière. Ce processus aboutit à une situation économique carica- turale où l'on trouvait d'une part une quasi-monoproduction de riz destinée à la subsistance des populations, et d'autre part une production d'oléagineux exportés sans aucune transformation vers la métropole. Le paysan quant à lui res- tait en dehors des circuits monétaires, dépendant exclusive- ment du magasin local. Pour maintenir leur autorité sur le pays, qu'ils n'ont d'ailleurs que très peu peuplé ou mis en valeur eux- mêmes (2), les portugais ont installé une administration ré- pressive en utilisant comme « relais» les chefferies tradi- tionnelles de certaines ethnies et en suscitant des discrimi- nations sociales entre «assimilés» et «indigènes », et entre Guinéens et Cap-Verdiens. Les formes de résistance à l'op- pression varièrent selon les endroits et les époques, mais cette résistance à la colonisation peut être considérée com- me une donnée permanente (3). En 1956 Amilcar Cabral et cinq compagnons (4) créè- rent le P.A.I.G.C. qu'ils organisèrent clandestinement dans les villes, et en particulier à Bissau. En 1959, à la suite du massacre des grévistes du port de Bissau par la troupe por- tugaise, le P.A.I.G.c. décida d'organiser la lutte armée à partir des campagnes. Le Parti commença par former ses cadres (5) et entreprit parallèlement une longue et difficile mobilisation des paysans. (2)On estime que la colonie portugaise de Guinée-Bissau n'a jamais dépassé 4000 civils. Il ne s'agissait donc pas d'une colonie de peuplement, et les Portu- gais n'ont que très partiellement développé les potentialités agricoles du pays. (3)Sur les diverses formes de résistance à la colonisation en Guinée, cf. Basil DAVIDSON, Révolution en Afrique. l11libération de to Guinée portugaise (Préfa- ce d'Amilcar Cabral), Paris, Seuil, 1969, (<<Combats »), pp.24 s. (4)Aristides Pereira, Luiz Cabral, Fernando Fortes, Elizeu Turpin, Inacio Se- medo primeiro, selon Oleg YGNATIEV, Amilcar Cabral,filho de Africa, Lisbon- ne, Prelo, 1975, p.83. Lars RUDEBECK, in Guinea-Bissau. A study of political mobilization (Uppsa- la, Scandinavian Institute of African Studies, 1974), p.56, précise que Ie P.A.I.G.C. fut précédé par le Mouvement pour l'Indépendance nationale de la Guinée portugaise, créé en 1954; peu actif, ce mouvement n'a pas laissé beau- coup de traces. (5)Les responsables chargés de la mobilisation devaient jouer devant Amilcar Cabral leur rencontre avec les paysans et élaboraient ainsi leur argumentation. 6 La guérilla commença véritablement en 1963 et très vi- te de vastes régions furent libérées. A mesure que s'élargis- saient les territoires qu'il contrôlait, le P.A.I.G.C. développa un certain nombre d'expériences révolutionnaires, malgré une violente réaction de l'armée portugaise (bombardements des villages, attaques héliportées, regroupements de popula- tions, destruction des récoltes...). Les réalisations du P.A.I.G.C. dans des domaines aussi variés que l'éducation, la santé, la justice, l'économie, permirent d'accentuer la mobilisation paysanne et aboutirent à la création d'un véri- table Etat autonome. Dans les zones libérées les nouvelles institutions créées par le P.A.I.G.C. fonctionnaient démocra- tiquement avec la participation de la population; les fameux «comités de tabanca (6») formés de cinq membres, hommes et femmes, élus par les habitants du village, constituent l'exemple type des structures de gestion mises en place par le P.A.I.G.c. L'indépendance fut proclamée après l'élection de l'As- semblée nationale populaire, le 24 septembre 1973, dans un pays où les grands centres urbains étaient encore occu- pés par les troupes portugaises. Le 25 avril 1974, qui vit la chute du régime fasciste au Portugal, fut le point de départ du processus de décolo- nisation; l'entrée du P.A.I.G.c. à Bissau, en octobre 1974, se fit sans heurts, dans une capitale vidée de tout ce que les portugais avaient pu emmener. Depuis lors le pays s'est engagé dans une nouvelle éta- pe de son histoire, la Reconstruction nationale, en établis- sant de nouvelles structures et en poursuivant les expérien- ces mises au point pendant la lutte de libération dans les zones libérées. L'agriculture, qui occupe 90 % de la popu- lation a été choisie comme base du développement économi- que et retient tout l'intérêt des dirigeants. Mais l'entreprise de Reconstruction nationale se heurte au lourd héritage de la guerre et de la colonisation; elle se déroule dans des conditions économiques particulièrement (6)«Tabanca »: mot créole signifiant village; le créole est la langue nationa- le de la Guinée-Bissau. 7 difficiles: la balance commerciale est fortement déséquili- brée, la situation financière est précaire. Dans ces conditions la réussite économique et politique dépendra de la réalisation du programme agricole, de la ca- pacité du Parti à mobiliser les masses urbaines qu'il contrô- le depuis peu, et à préciser ses propres structures et ses principes maintenant que l'indépendance est acquise sur le plan juridique. L'expérience de la Guinée-Bissau est d'un grand intérêt pour tous ceux qui suivent les tentatives révolutionnaires en Afrique. Le présent travail se veut un document rassem- blant les données de base et décrivant les grands domaines d'activités socio-économiques et politiques. TIrésulte d'une recherche menée tout au long des 18 mois de notre présen- ce en Guinée-Bissau. Les emplois occupés, dans l'Etat, no- tre participation à de nombreuses activités, nos déplace- ments à l'intérieur du pays, nous O1itpermis de mesurer les résultats obtenus à la lumière des difficultés rencontrées. Les discussions que nous avons eues avec nos amis gui- néens et avec ceux de l'extérieur nous ont beaucoup aidé; parmi ces amis nous voulons remercier tout particulière- ment les membres du gouvernement guinéen qui nous ont accordé leur confiance, et aussi JooP de Jong, Rob Buijten- huijs, Wladimir Brito et SofiaPinto dos Santos. 8 I LE P.A.I.G.C. DE LA GUERRE A L'APRES-GUERRE 1 La lutte de libération nationale Amilcar Cabral Créateur et Secrétaire général du P.A.I.G.c., Amilcar Cabral a exercé une influence prépondérante sur le déroule- ment de la lutte de libération nationale. La mobilisation po- litique et la lutte armée se sont appuyées sur son analyse des structures économiques et sociales de la Guinée-Bissau. Il reste le grand théoricien du Parti. Né le 12 septembre 1924 à Bafatà, il fait ses études se- condaires au lycée de Sao Vicente au Cap-Vert, puis à l'Institut supérieur d'Agronomie de Lisbonne. Il est à cette époque l'un des 14 guinéens qui ont réussi à accéder à l'enseignement supérieur au cours des 5 siècles de colonisa- tion. Déjà pendant ses études secondaires, A. Cabral avait manifesté son désaccord avec la politique assimilationniste pratiquée par le gouvernement portugais. A partir de 1945 les études et les discussions entre les étudiants africains ori- ginaires des colonies portugaises vont se multiplier. Ils vont chercher à définir des moyens de lutte contre le colonialis- me. En 1951 ils créent le Centre d'Etudes africain qui se donne pour but la «réafricanisationdes esprits)}. Dans un texte publié en 1953 Amilcar Cabral écrit: (( Puisque nous savons que toute la politique colonialiste repose essentiellement sur le déracinement du natif, l'étu- diant africain doit, à une certaine étape de son évolution in- 11 tellectuelle, se retourner le plus possible vers son âme trans figurée. Voilà à notre avis la Première condition de l'au- thencité: se sentir Africain et s'exprimer comme tel (1). » Il précisera plus tard, dans son analyse de la culture na- tionale et de ses rapports avec la lutte de libération que la réafricanisation ne peut s'opérer que dans cette lutte, et au contact des masses populaires (2). Après avoir terminé ses études d'agronomie Amilcar Cabral travailla à la Station agronomique de Lisbonne pour procéder au recensement agricole en Guinée. Ceci lui per- mit de retourner dans son pays, d'approfondir ses connais- sances sur la situation des populations, et d'analyser les réalités de leur vie quotidienne. C'est à cette époque qu'il essaye de créer, en toute lé- galité, un Club sportif à Bissau, bientôt interdit par un gou- verneur qu'on disait libéral. Sur le conseil de ce dernier, Amilcar Cabral quitte la Guinée, et va réaliser, en Angola, une étude agronomique sur la culture du coton et de la canne à sucre. Il participe alors à l'éclosion du mouvement nationaliste en Angola et élargit ainsi son expérience con- crète de lutte contre la domination coloniale. En septembre 1956 il retourne en Guinée et, au cours d'un meeting clandestin, il fonde le P.A.I.G.c. Son histoire se confond ensuite avec celle du mouvement de libération dont il fut le leader et le théroricien. En 1960 il participe à la Conférence des Peuples afri- cains, à Tunis. Au cours oe la même année il donne une conférence de presse à Londres et publie, sous le pseudony- me d'Abel Djassi, le premier texte décrivant «la situation des colonies africaines du Portugal». En 1961 il participe à Dakar à la Conférence des Organisations nationalistes de la Guinée et des Iles du Cap-Veft et présente un texte très important sur l'analyse de la lutte, les caractéristiques et les tares du colonialisme portugais: «Rapport général sur la lutte de libération nationale». (1)Amilcar CABRAL, Unité et lutte: Tome IL'arme de la théorie; Tome II La pratique révolutionnaire, Paris, Maspero, 1975 (<<Cahiers libres »), tomel, p.36. (2) Amilcar CABRAL, ibid., tome I, p. 324. 12 L'année suivante, une analyse et une critique du colo- nialisme portugais est présentée aux Nations Unies. C'était la première intervention du dirigeant du Parti pour la dé- fense des intérêts du peuple de Guinée-Bissau. En 1964, après le premier congrès du P.A.I.G.C. à Cassaca, Amilcar Cabral participe à un séminaire organisé à Milan par le Centre Frantz-Fanon. Au cours de son inter- vention il produit une brillante analyse de la structure so- ciale de la Guinée. Le texte de cette intervention suscitera un grand intérêt dans le monde entier et sera largement dif- fusé. En 1965 il fait paraître les « Mots d'Ordre du Parti » qui constitue l'un des plus importants documents du P.A.I.G.c. Il continue à participer aux différentes réunions ou conférences internationales chaque fois qu'il peut expo- ser la situation des colonies portugaises et faire connaître la lutte du peuple guinéen: à Cuba en 1966, lors de la créa- tion de l'Organisation de solidarité des Peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, en 1968 devant la Com- mission des Droits de l'Homme à l'O.N.U... Au cours d'un important Séminaire de Cadres qui s'est déroulé à Conakry en 1969, Amilcar Cabral exposera lon- guement les Principes du Parti et les problèmes fondamen- taux de la lutte. Ces textes forment un ensemble d'environ 500 pages et abordent de façon détaillée tous les problèmes de la guerre et de l'organisation des régions libérées. En 1970, invité au premier mémorial organisé par l'Université de Syracuse en l'honneur du Docteur Eduardo Mondlane, président du FRELIMO assassiné en 1963, Amilcar Cabral prononce un discours important sur le thè- me général de la conférence: « Libérationnationale et Cul- ture ». Il y développe différents thèmes, notamment l'impor- tance de la résistance culturelle à l'oppresseur, la définition de la lutte de libération comme fait culturel et aussi facteur de culture. Au mois de février 1972, prenant la parole à la session du Conseil de Sécurité de l'O.N.V., Cabral demanda l'envoi d'une délégation de cet organisme pour étudier les réalités de la lutte. A la suite de cette demande une Commission spéciale des Nations Unies composée de cinq membres visita 13

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