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La fabrique de la traduction: Du topos du livre source à la traduction empêchée PDF

202 Pages·2016·2.007 MB·French
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LA FABRIQUE DE LA TRADUCTION DU TOPOS DU LIVRE SOURCE À LA T RADUCTION EMPÊCHÉE BIBLIOTHÈQUE DE TRANSMÉDIE sous la direction de Claudio Galderisi et Pierre Nobel Volume 3 La fabrique de la traduction Du topos du livre source à la traduction empêchée Études réunies par Claudio Galderisi et Jean-Jacques Vincensini H F Cet ouvrage a été publié avec le concours de l’Action de recherches collaboratives (ARC) des universités de Poitiers et Tours : Linguae : Lingua gallica ad Europam. “Histoire des traductions françaises dans les langues de l’Europe médiévale” La journée d’étude dont ce volume est issu a bénéficié du soutien de l’ARC LINGUAE, de la Fédération des Études supérieures du Moyen Âge et de la Renaissance – FESMAR (FR 3482), de l’Université de Poitiers, du CESCM (UMR 7302) et du CESR (UMR 7323) Les deux demi-journées ont été animées et présidées par Catalina Gîrbea et Pierre-Marie Joris. Les Index ont été établis avec la collaboration de Jérôme Devard. © 2016, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-56726-6 D/2016/0095/95 eISBN 978-2-503-56727-3 DOI 10.1484/M.BITAM-EB.5.109500 Printed on acid-free paper LE LIVRE ABSENT ET SON SIMULACRE ESSAI DE DÉFINITION Claudio Galderisi LE MIROIR DE LA SOURCE ET LES SEUILS DE LA TRADUCTION MÉDIÉVALE Nulla cosa per legame musaico armonizzata si può de la sua loquela in altra trasmutare, senza rompere tutta la sua dol- cezza e armonia. E questa è la cagione per che Omero non si mutò in greco e latino, come l’altre scritture che avemo da loro. (Dante, Convivio, I, vii.) « Une histoire du traduire est aussi une histoire des lettres qui n’ont pas été translatées, sans qu’elles aient été pour autant ignorées ou absentes dans la formation et l’élaboration de cultures et de savoirs nouveaux », écrivais-je dans le chapitre consacré à la traduction empêchée paru dans le volume 1 de Transmédie1. Les lettres médiévales sont en effet façonnées autant par la monumen- tale « entreprise de traduction », dont a parlé Michel Zink dans sa préface du même ouvrage, que par la moins visible, et sans doute moins perceptible pour les laïcs, œuvre de tri et de filtrage qui est à la fois le signe de choix subjectifs et le seuil commun d’une culture médiévale vernaculaire. En face de ce que j’ai appelé la « traduction empêchée » il y a ce que j’appellerai désormais, toujours en paraphrasant Ricœur – mais sans adopter la position sociologisante que sa vision d’un pouvoir tout puissant implique au détriment de la subjectivité auctoriale –, la « traduction manipulée », qui concerne également 1 Claudio Galderisi, « Silence et fantômes de la translatio studii. La traduc- tion empêchée », dans Translations médiévales. Cinq siècles de traduction en fran- çais (xie-xve). Étude et Répertoire, dir. Claudio Galderisi, Turnhout, Brepols, vol. 1, 2011, p. 433-457, ici p. 433. La fabrique de la traduction. Du topos du livre source à la traduction empêchée, éd. par Claudio Galderisi et Jean-Jacques Vincensini, Turnhout, Brepols, 2016 (BITAM 3), p. 7-24 © F H G 10.1484/M.BITAM-EB. 5.110575 8 CLAUDIO GALDERISI l’emprise de l’idéologie sur la mémoire, et qui dénote tout autant que la première une relation artificielle de toute une clergie avec le passé reculé ou récent. On sait que Paul Ricœur distingue dans son essai sur la mémoire2 entre la « mémoire empêchée », qu’il inter- prète sur la base des théories psychanalytiques comme la difficulté à se souvenir d’un traumatisme3, et la « mémoire manipulée », dont il identifie les ressorts dans la volonté du pouvoir de mettre le souvenir du passé « au service de la quête, de la reconquête ou de la revendication d’identité »4. Dans un cas comme dans l’autre, c’est la dimension idéologique et je dirais même civilisationnelle, qui est au cœur de ces deux processus. Car pour Ricœur ces deux mémoires mettent en cause en même temps le choix subjectif et l’encyclopédie idéologique collective. Mutatis mutandis, la « traduction empêchée » est le symp- tôme d’une impossibilité pour l’individu de se souvenir, elle révèle, en même temps, à l’échelle de la conscience collective la « blessure de l’amour propre national »5. De l’autre côté, la « tra- duction manipulée » est souvent l’artefact d’un auteur mû par des enjeux idéologiques (les siens, ceux du groupe social auquel il appartient ou ceux du commanditaire ou/et destinataire, réels ou transcendants, au(x)quel(s) il offre son ouvrage) ; elle témoigne cependant de l’ambition d’une partie de la clergie à légitimer à tra- vers la falsification du souvenir l’autorité du pouvoir temporel ou religieux, dont elle à la fois l’expression et la conscience, l’emprise du présent sur le passé, mais aussi l’idéalisation de ce même passé. Une idéalisation qui est d’autant plus forte que le passé apparaît comme lointain. On se souvient qu’en s’appuyant sur le mythe de Theuth et la condamnation de l’écriture, Platon montre dans Phèdre comment l’oubli procède de l’oubli de l’ambivalence, à tel point qu’oubli et ambivalence finissent par être une même entité. On pourrait affirmer la même chose de la traduction empêchée et de la traduction manipulée. 2 Paul Ricœur, La Mémoire, l’histoire, l’oubli, Paris, Éditions du Seuil, “Points Seuil, Essais”, 2000. 3 Ibid., p. 82. 4 Ibid., p. 94. 5 Ibid., p. 96. LE MIROIR DE LA SOURCE ET LES SEUILS DE LA TRADUCTION MÉDIÉVALE 9 L’activité de sélection, de philtre, de mystification, de dissimu- lation est donc à la fois le résultat d’un acte individuel et d’une stratégie plurielle, presque d’une nécessité anthropologique. Elle ne se manifeste pas seulement à travers l’oubli plus ou moins vo- lontaire, plus ou moins conscient, de pans entiers de la culture, des sciences, des lettres composées dans d’autres langues et qui ne franchissent pas le seuil de leur langue d’origine, y compris parce que le latin est à la fois une littera morta pour les laïcs européens et le patrius sermo des traducteurs médiévaux. Elle est aussi à l’ori- gine, sous une autre forme, d’un certain nombre d’ouvrages qui, dans quelques cas, passent d’une langue à l’autre, que cette traduc- tion soit verticale, horizontale ou intralinguale, alors que les tra- ducteurs choisissent délibérément de ne pas se réclamer de leur(s) source(s) (l’Eneas en est sans doute l’exemple le plus connu6), qui, dans d’autres cas, revendiquent une filiation littérale apparaissant aujourd’hui à nos yeux comme fantaisiste ou fictive. C’est ce der- nier processus qui a été défini topos du livre source. Dans les trois cas, ce qui paraît le plus frappant est que ce rap- port à la source, réelle ou fictive, n’a pas fait l’objet au Moyen Âge de réserves ou de remarques critiques, alors même que les clercs sont souvent conscients de leurs manipulations ou de celles des sources qu’ils translatent7. C’est aussi cette complicité diffuse qui nous autorise aujourd’hui à analyser le rapport problématique des clercs médiévaux à la source comme un phénomène collec- tif, comme une pensée commune. Elle nous révèle le seuil d’une culture sinon d’une civilisation médiévale pour laquelle le « droit à la continuité », qu’Ortega y Gasset considérait comme « le droit fondamental de l’homme, si fondamental qu’il est la définition 6 Cf. infra la contribution d’Anna Maria Babbi. 7 Dans le cas de l’Eneas, dont les deux principales familles de manuscrits at- testent pourtant d’une variance importante – à tel point que pour les mss A et D, si différents dans leur conception du médiateur d’amour, on pourrait parler de deux auteurs, plutôt que de deux scribes, distincts –, le fait qu’aucun copiste/auteur n’ait pensé à ajouter au début ou dans l’explicit du texte un couplet de vers expliquant que ce récit était une translation ou une mise en roman de l’Énéide illustre parfaite- ment cette culture collective de la manipulation. La source païenne est une « belle captive » dont le clerc chrétien peut disposer à son gré. 10 CLAUDIO GALDERISI même de sa substance », est aussi un droit à l’oubli, à la manipula- tion8, voire à l’ignorance de la supercherie. La non-traduction Les différents sujets de notre journée d’étude et du présent ouvrage collectif, apparemment si distants entre eux, voire si op- posés – quoi de plus éloigné, en effet, que des textes-source qui ne trouvent pas leurs traducteurs et des soi-disant traductions qui n’ont pas leurs sources ? – révèlent tous un rapport problématique à la mémoire, je dirais même à la littera en tant que imago du passé et sème premier de la lettre vernaculaire. Piégé dans une altérité alimentée à courant alterné par la conviction d’une supériorité re- ligieuse et par la conscience d’une décadence culturelle et linguis- tique, le traducteur médiéval est dans une relation de subsidiarité par rapport aux lettres antiques. La métaphore des nains juchés sur les épaules des géants ne traduit alors que trompeusement, du moins pour nous, cette soumission du translateur médiéval, qui est aussi une forme d’émancipation. Trompeusement, parce que l’humilité qui la sous-tend est moins la trace de ce que les médiévistes ont interprété comme une infériorité culturelle que la preuve d’une supériorité religieuse ainsi revendiquée ; trompeu- sement aussi, car elle tend à mettre en évidence la posture de la continuité, et je dirais même de la contiguïté physique, alors que ce qu’il faudrait retenir d’abord est que le « nain » médiéval ne regarde pas vers le passé mais il peut, ainsi juché, scruter, et donc imaginer, un autre temps, qu’il soit séculier et/ou eschatologique ; trompeusement, enfin, puisque ces géants désignés collectivement s’identifient désormais moins à des auctoritates qu’à une civilisa- tion statufiée, idéalisée pour être mieux récupérée ou oubliée. Les géants sont moins des auteurs et des œuvres bien identifiés qu’une source unique, à laquelle il est impératif pour les clercs médiévaux de se ressourcer, y compris fictivement, mais dont il ne paraît pas 8 José Ortega y Gasset, La Révolte des masses, traduit de l’espagnol par Louis Parrot, avec une préface de l’auteur, Paris, Les Belles Lettres, 2010, p. 77.

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