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La diminution dans l'Harmonie Universelle de Marin Mersenne PDF

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La diminution dans L’HARMONIE UNIVERSELLE de Marin MersenneParis 1636 Textes regroupés et commentés par William Dongois Projet de recherche HEM de Genève Les textes qui suivent ont été conçus pour être lus séparément. Ils forment néanmoins un tout cohérent. Mise en ligne prochaine sur le site de la HEM : « projet Mersenne » https://www.hesge.ch/hem/recherche-developpement/liste/termine Index des textes. INTRODUCTION à la diminution LA DIMINUTION DANS L’HARMONIE UNIVERSELLE DE L’IMPORTANCE DE LA DIMINUTION À QUI EST DESTINÉE LA DIMINUTION LE GESTE ORNEMENTAL SELON MERSENNE LA DIMINUTION VOCALE LA DIMINUTION ET LES INSTRUMENTS LA HAUTE VIRTUOSITE CHEZ MERSENNE LE VOCABULAIRE DE DIMINUTION TRANSMIS PAR MARIN MERSENNE CONCLUSION & Index des noms et ouvrages cités et bibliographie LA DIMINUTION DANS L’HARMONIE UNIVERSELLE Avertissement : le projet de la HEM et du CMBV visant à interroger l’Harmonie Universelle de Marin Mersenne a mis en avant le fait que Marin Mersenne est avant tout un compilateur. Il rassemble des données et tente de les intégrer à une vision apologétique : image de l’union des sciences et d’une (nouvelle) vision chrétienne du monde. Mathématicien, théologien, ami de Descartes, Marin Mersenne n’est pas musicien. Souvent il ne donne même pas l’impression d’adhérer aux indications qu’il nous livre. Aussi trouve-t-on dans l’Harmonie universelle ça et là des contradictions. Ainsi ne saurons nous jamais ce qu’il apprécie vraiment en musique. Il donne rarement son avis. Il apprécie le style ancien notamment celui d’Eustache Du Caurroy. Il se plaint également que les luthistes ne jouent pas assez pour la gloire de Dieu. Pour le reste, son apparente neutralité en général nous permet alors de traiter ce qu’il nous rapporte de manière neutre, comme une sorte de matière première. Nous devons alors intégrer ces données à un point de vue général sur les pratiques de cette époque. Praticien, questionnant l’Harmonie Universelle et les données transmises par Marin Mersenne, j’ai été surpris par l’importance accordée à la question des ornements et au geste instrumental et vocal. Ces allusions fréquentes à la pratique de l’exécutant qui parsèment l’ouvrage m’ont incité à proposer une compilation en la mettant en perspective avec les autres sources traitant de ce sujet. Je me suis donc engagé à essayer de faire parler cette somme d’informations en offrant au lecteur un large panorama de ce que Mersenne nous livre dans l’Harmonie Universelle, panorama que le lecteur devra intégrer à sa vision de la musique des années 1630 en France, si ce n’est à sa vision des musiques anciennes tant la question de l’ornementation et de la diminution se pose pour tout répertoire ancien dont nous ne disposons pas d’enregistrement : dès l’instant que la musique est écrite se pose la question : quel monde sonore et musical ressort du rapport son/notation impliqué par la notation de la musique occidentale ? Quel son se cache derrière le signe ? Depuis des années, l'héritage de mes professeurs et la confrontation à la pratique m'a amené à penser que nous n'accordions pas à la diminution et l'ornementation leur juste place, particulièrement en ce qui concerne la musique avant 1650. Et qu'il en résultait une image de la musique historique probablement fausse. Le survol de L'Harmonie Universelle me conforte dans cette idée. Le lecteur pourra recontextualiser les citations présentes dans les textes présentés ici (liste non exhaustive, loin sans faut!) issues de quelques 1500 pages de l'ouvrage et, de cette autre lecture, relativiser mon point de vue. Mais il était important de mettre en valeur ces mentions de la pratique musicale transmises par Marin Mersenne tout en les contextualisant. Quand Mersenne parle de musique il parle « des chants », des « sons ». Ces mots, surtout le premier, recouvrent chez lui un champ sémantique assez large. Aujourd'hui, nous pensons plus volontiers en terme de « notes ». Il ne faut pas oublier que note vient de « noter » et « notation » et que cela nous renvoie à notre figuration graphique du son. Rapportée au son, la note n’existe pas : le geste musical produit des notes dotées d’un mouvement, d’un mode d’attaque, de tenue et de lâcher et le cas échéant, d’un ou plusieurs ornements rarement notés à cette époque. Dans d'autres traditions quand existe un système de notation musicale celui-ci indique souvent plus le mouvement sonore que des hauteurs et des rythmes. C'était le cas en Occident pour les premières notations de plaint-chant en neumes. Pour finir je voudrais inviter le lecteur à penser autrement et lui dire que un son est une note habillée et, en ce qui concerne la phrase musicale, lui rappeler le mot de Silvestro Ganassi : « La diminution est l'ornement du contrepoint » (La Fontegara, chap. 13, Venise, 1535). WD ! 1! INTRODUCTION Les occurrences concernant la diminution et l'ornementation issues de l'Harmonie Universelle sont nombreuses et dispersées tout au long de l'ouvrage avec des points de concentration notamment dans les livres concernant la voix, le violon, le luth, l'orgue. Dans l'Harmonie Universelle, comme dans nombre de sources concernant la musique en général, la diminution est traitée comme un élément parmi d'autres. Mais la quantité d'occurrences nous permet de mesurer son importance dans le dispositif musical général de la culture décrite. Dans le cas de l'Harmonie Universelle, les passages concernant ornementation et diminution sont donc très nombreux et présents quelquefois même dans des chapitres n'ayant aucun rapport avec ce sujet. J'ai voulu aussi mettre les informations transmises par Marin Mersenne en relation avec les autres sources que nous connaissons, car Mersenne est très bien informé des pratiques en cours en Italie. Il cite à plusieurs reprises les différents ouvrages du virtuose Silvestro Ganassi et notamment l’ouvrage La Fontegara (paru en 1535, ouvrage antérieur de 101 ans à la parution de l'Harmonie Universelle). Il cite également Giulio Caccini (qu’il appelle Jules Caccin !) et Ignatio Donati, Pietro Cerone. Pour une comparaison plus approfondie avec les sources italiennes concernant l'art de la diminution le lecteur pourra consulter avec intérêt la compilation importante de sources (majoritairement) italiennes traduites par Christian Pointet dans l'ouvrage édité chez DROZ en 2014 par la HEM de Genève : Semplice ou passeggiato. https://www.droz.org/eur/fr/. Les possibilités de parallèles, les analogies, extrêmement nombreuses, entre l’Harmonie universelle et de nombreuses autres sources incitent à penser que les pratiques de diminution et d'ornementation, en Europe, en dépit de différences nationales ou régionales, reposent sur un socle commun. Deux sources françaises sur l'art du chant, postérieures à l'Harmonie Universelle nous montrent la continuité de cet art décrit dans le traité. Il s'agit de La belle méthode ou l'art de bien chanter, de Jean Millet (Lyon, 1666) et des « Remarques curieuses sur l’art de bien chanter », de Bénigne de Bacilly, (Paris, 1668). Marin Mersenne nous livre sur l'air de cour des informations qui portent sur le langage de la musique française des années 1630. Mais il parle également de la diminution telle qu'elle est décrite à la Renaissance. L'Harmonie Universelle permet ainsi d'envisager l'évolution des ornements et des diminutions. Mersenne ne mentionne les différences entre la France et l'Italie qu'en termes de « manières » (la « manière » est liée étymologiquement à la main, donc au geste, quand le style, lui, est relié à l’écrit, au stylet l’outil de l’écriture) et ne les oppose pas aussi nettement qu'on ne le fera ultérieurement. Ce sont, selon ses propres mots les mêmes ornements, qui sont simplement exécutés en Italie « avec plus de vigueur » et en France avec plus de « mignardises ». Un de ces passages mérite d'être cité presque en entier puisqu'il résume assez bien l'ensemble du sujet : « ADVERTISSEMENT, Pour les Maistres qui enseignent à chanter: où il est parlé des Airs Italiens « Car bien que tout ce qu’ils font ne soit peut-estre pas à approuver, neantmoins il est certain qu’ils ont quelque chose d’exellent dans leurs récits, qu’ils animent bien plus puissament que ne font nos Chantres, qui les surpassent en mignardise, mais non en vigueur ». Harmonie Universelle, Livre Sixiesme des Chants, p. 356. « Quant aux Italiens, ils observent plusieurs choses dans leurs récits, dont les nôtres sont privés, parce qu’ils représentent tant qu’ils peuvent les passions et les affections de l’âme & de l’esprit; par exemple, la cholère, la fureur, le dépit, la rage, les défaillances de cœur, & plusieurs autres passions, avec une violence si estrange, que l’on iugeroit quasi qu’ils sont touchez des mesmes affections qu’ils representent en chantant; au lieu que nos François se contentent de flatter l’oreille, & qu’ils ! 1! usent d’une douceur perpetuelle dans leur chants; ce qui en empesche l’energie ». Harmonie Universelle, Livre Sixiesme des Chants, p. 356. [….] Or l'vne des choses qui manquent aux magisters ordinaires vient de ce qu'ils n'ont pas eux mesmes de bonnes voix propres pour réciter, & pour exécuter les beautez qui embellissent les airs, & qu'ils ne prononcent pas assez bien chaque syllabe pour faire exécuter les mesmes choses à leurs écoliers ; de sorte qu'ils sont semblables à ceux qui voudraient enseigner à bien escrire, avant de savoir bien escrire eux mesmes. Loint ils devroient avoir voyagé és pays estrangers, & particulierement en Italie, où ils se piquent de bien chanter, & de sçavoir la musique mieux que les François. Car bien que tout ce qu’ils font ne soit peut-estre pas à approuver, neantmoins il est certain qu’ils ont quelque chose d’excellent dans leurs récits, qu’ils animent bien plus puissamment que ne font nos Chantres, qui les surpassent en mignardise, mais non en vigueur. Ceux qui n’ont pas la commodité de voyager, peuvent du moins lire Jules Caccin, appellé le ROMAIN, qui feit imprimer vn liure de l’Art de bien chanter, à Florence en l’an 1621, dans lequel il distingue les passages propres aux instrumens d’avec ceux qui servent à la voix, et diuise les principales beautez des Chants en augmentation & affoiblissement de la voix, ce qui s’appelle crecere, scemare della voce, en exclamation, & en deux sortes de passages, qu’ils nomment trillo & gruppi, lesquels respondent à nos passages, fredons, tremblemens, & batemens de gorge. Il ajoûte qu'il faut seulement faire les passages & les roulemens de la voix sur les syllabes qui sont longues, & que la voix doit estre affaiblie, ou renforcée sur de certaines syllabes pour exprimer la passion du sujet ; ce que l'on fait naturellement sans l'avoir appris, pour peu de jugement que l'on ait. [...] Mais nos Chantres s’imaginent que les exclamations & les accents dont les Italiens vsent en chantant tiennent trop de la Tragédie, ou de la Comédie, c’est pourquoi ils ne veulent pas les faire, quoy qu’ils deussent imiter ce qu’ils ont de bon & d’excellent, car il est aisé de temperer les exclamations, & de les accomoder à la douceur française, afin d’ajoûter ce qu’ils ont de plus pathetique à la beauté, à la netteté, & à l’adoucissement des cadences, que nos musiciens font avec bonne grace lors qu'ayant vne bonne voix ils ont appris la méthode de bien chanter des bons magisters. Ledit Jules ioignoit son Chitaron à sa voix, afin de faire vne basse perpétuelle, comme ils font encore maintenant en Italie, où ils ont toujours vn petit Orgue, ou vn Teorbe dans les récits qu'ils font sur le theatre, lors qu'ils représentent quelque Comedie, ou quelque celebre action. [...] « Ie reviens aux cadences & exclamations, que l'on peut faire en vne infinité de manières, n'y ayant rien de tellement reglé en ce qui dépend de l'opinion & de la fantaisie des hommes, que l'on n'y puisse toujours ajoûter. Or ceux qui ayment la multitude des passages & des diminutions, peuuent lire ceux d’Ignace Donat ; les 156. passages ou glosados de Cerone, au 5. chap. de son 8. livre, ceux du Fontegara de Silvestro di Ganassi, qui remplit 120 pages de ces passages accomodez aux fleutes, et plusieurs autres, et particulierement Le Nuove Musiche di Giulio Caccini, dont i’ai parlé cy-dessus mais il suffit de considerer les exemples que nous donnerons à la fin de ce livre, parce qu’ils peuuent servir d’idée à la postérité, pour faire voir la manière d’orner & d’embellir les Airs, car l’on n’y a, ce semble, jamais procedé avec tant d’adresse & de politesse, comme l’on fait maintenant ». (Harmonie Universelle, Livre sixiesme, Seconde partie, p. 358) Dans ce long passage et tout au long des citations qui suivent, le ton ordinaire employé par Mersenne pour évoquer selon ses propres mots, diminutions, passages, fredons, embellissements, ! 2! accents et cadences nous laisse penser qu’ornements, diminutions et cadences ne sont ni un ajout superfétatoire ni une option de mode d'exécution, gratuite ou facultative, mais une pratique courante et un constituant essentiel de l'exécution musicale. Mersenne nous dit même que la diminution est « la quintessence de la musique » (Harmonie universelle, Livre second des chants, p. 40). En ce qui concerne la musique chantée, la diminution et les ornements sont qualifiés « d'embellissements ». Le terme, récurrent correspond au vocabulaire italien, où on parle de « rehausser l'esprit des compositions » (Voir les textes de Zacconi ou Bottrigari dans l'ouvrage déjà cité Semplice ou passeggiato. Sauf mention contraire toutes les citations et mentions d'auteurs qui suivront sont tirées de cet ouvrage). Pendant plusieurs siècles, en Europe, quelle que soit la langue, ce sont aussi les mots « grâces » (« grace » en Anglais, « grazia » en Italien) qui sont souvent utilisés pour qualifier les ornements. Silvestro Ganassi pour sa part parle de galanterie. La diminution et les ornements sont indissociables de « l'œuvre musicale » (qui ne se réduit en rien à la partition), quand bien même elles ne sont pas écrites. Il faut ici préciser que « l’œuvre musicale » est, selon l’expression consacrée la « mise en en œuvre » d’une composition écrite ou d’une composition improvisée : composer, selon le sens étymologique, c’est assembler des éléments. Un bouquet de fleurs est une composition florale. Ce sens du terme composer se retrouve dans de nombreuses sources musicales où il ne désigne visiblement pas seulement la partition (voir dans « Semplice… » le texte de Zenobi). Dans le texte qui suit l’importance de la diminution et des ornements sera exprimée de manière graduée. ! ! 3! INTRODUCTION Les occurrences concernant la diminution et l'ornementation issues de l'Harmonie Universelle sont nombreuses et dispersées tout au long de l'ouvrage avec des points de concentration notamment dans les livres concernant la voix, le violon, le luth, l'orgue. Dans l'Harmonie Universelle, comme dans nombre de sources concernant la musique en général, la diminution est traitée comme un élément parmi d'autres. Mais la quantité d'occurrences nous permet de mesurer son importance dans le dispositif musical général de la culture décrite. Dans le cas de l'Harmonie Universelle, les passages concernant ornementation et diminution sont donc très nombreux et présents quelquefois même dans des chapitres n'ayant aucun rapport avec ce sujet. J'ai voulu aussi mettre les informations transmises par Marin Mersenne en relation avec les autres sources que nous connaissons, car Mersenne est très bien informé des pratiques en cours en Italie. Il cite à plusieurs reprises les différents ouvrages du virtuose Silvestro Ganassi et notamment l’ouvrage La Fontegara (paru en 1535, ouvrage antérieur de 101 ans à la parution de l'Harmonie Universelle). Il cite également Giulio Caccini (qu’il appelle Jules Caccin !) et Ignatio Donati, Pietro Cerone. Pour une comparaison plus approfondie avec les sources italiennes concernant l'art de la diminution le lecteur pourra consulter avec intérêt la compilation importante de sources (majoritairement) italiennes traduites par Christian Pointet dans l'ouvrage édité chez DROZ en 2014 par la HEM de Genève : Semplice ou passeggiato. https://www.droz.org/eur/fr/. Les possibilités de parallèles, les analogies, extrêmement nombreuses, entre l’Harmonie universelle et de nombreuses autres sources incitent à penser que les pratiques de diminution et d'ornementation, en Europe, en dépit de différences nationales ou régionales, reposent sur un socle commun. Deux sources françaises sur l'art du chant, postérieures à l'Harmonie Universelle nous montrent la continuité de cet art décrit dans le traité. Il s'agit de La belle méthode ou l'art de bien chanter, de Jean Millet (Lyon, 1666) et des « Remarques curieuses sur l’art de bien chanter », de Bénigne de Bacilly, (Paris, 1668). Marin Mersenne nous livre sur l'air de cour des informations qui portent sur le langage de la musique française des années 1630. Mais il parle également de la diminution telle qu'elle est décrite à la Renaissance. L'Harmonie Universelle permet ainsi d'envisager l'évolution des ornements et des diminutions. Mersenne ne mentionne les différences entre la France et l'Italie qu'en termes de « manières » (la « manière » est liée étymologiquement à la main, donc au geste, quand le style, lui, est relié à l’écrit, au stylet l’outil de l’écriture) et ne les oppose pas aussi nettement qu'on ne le fera ultérieurement. Ce sont, selon ses propres mots les mêmes ornements, qui sont simplement exécutés en Italie « avec plus de vigueur » et en France avec plus de « mignardises ». Un de ces passages mérite d'être cité presque en entier puisqu'il résume assez bien l'ensemble du sujet : « ADVERTISSEMENT, Pour les Maistres qui enseignent à chanter: où il est parlé des Airs Italiens « Car bien que tout ce qu’ils font ne soit peut-estre pas à approuver, neantmoins il est certain qu’ils ont quelque chose d’exellent dans leurs récits, qu’ils animent bien plus puissament que ne font nos Chantres, qui les surpassent en mignardise, mais non en vigueur ». Harmonie Universelle, Livre Sixiesme des Chants, p. 356. « Quant aux Italiens, ils observent plusieurs choses dans leurs récits, dont les nôtres sont privés, parce qu’ils représentent tant qu’ils peuvent les passions et les affections de l’âme & de l’esprit; par exemple, la cholère, la fureur, le dépit, la rage, les défaillances de cœur, & plusieurs autres passions, avec une violence si estrange, que l’on iugeroit quasi qu’ils sont touchez des mesmes affections qu’ils representent en chantant; au lieu que nos François se contentent de flatter l’oreille, & qu’ils ! 1! usent d’une douceur perpetuelle dans leur chants; ce qui en empesche l’energie ». Harmonie Universelle, Livre Sixiesme des Chants, p. 356. [….] Or l'vne des choses qui manquent aux magisters ordinaires vient de ce qu'ils n'ont pas eux mesmes de bonnes voix propres pour réciter, & pour exécuter les beautez qui embellissent les airs, & qu'ils ne prononcent pas assez bien chaque syllabe pour faire exécuter les mesmes choses à leurs écoliers ; de sorte qu'ils sont semblables à ceux qui voudraient enseigner à bien escrire, avant de savoir bien escrire eux mesmes. Loint ils devroient avoir voyagé és pays estrangers, & particulierement en Italie, où ils se piquent de bien chanter, & de sçavoir la musique mieux que les François. Car bien que tout ce qu’ils font ne soit peut-estre pas à approuver, neantmoins il est certain qu’ils ont quelque chose d’excellent dans leurs récits, qu’ils animent bien plus puissamment que ne font nos Chantres, qui les surpassent en mignardise, mais non en vigueur. Ceux qui n’ont pas la commodité de voyager, peuvent du moins lire Jules Caccin, appellé le ROMAIN, qui feit imprimer vn liure de l’Art de bien chanter, à Florence en l’an 1621, dans lequel il distingue les passages propres aux instrumens d’avec ceux qui servent à la voix, et diuise les principales beautez des Chants en augmentation & affoiblissement de la voix, ce qui s’appelle crecere, scemare della voce, en exclamation, & en deux sortes de passages, qu’ils nomment trillo & gruppi, lesquels respondent à nos passages, fredons, tremblemens, & batemens de gorge. Il ajoûte qu'il faut seulement faire les passages & les roulemens de la voix sur les syllabes qui sont longues, & que la voix doit estre affaiblie, ou renforcée sur de certaines syllabes pour exprimer la passion du sujet ; ce que l'on fait naturellement sans l'avoir appris, pour peu de jugement que l'on ait. [...] Mais nos Chantres s’imaginent que les exclamations & les accents dont les Italiens vsent en chantant tiennent trop de la Tragédie, ou de la Comédie, c’est pourquoi ils ne veulent pas les faire, quoy qu’ils deussent imiter ce qu’ils ont de bon & d’excellent, car il est aisé de temperer les exclamations, & de les accomoder à la douceur française, afin d’ajoûter ce qu’ils ont de plus pathetique à la beauté, à la netteté, & à l’adoucissement des cadences, que nos musiciens font avec bonne grace lors qu'ayant vne bonne voix ils ont appris la méthode de bien chanter des bons magisters. Ledit Jules ioignoit son Chitaron à sa voix, afin de faire vne basse perpétuelle, comme ils font encore maintenant en Italie, où ils ont toujours vn petit Orgue, ou vn Teorbe dans les récits qu'ils font sur le theatre, lors qu'ils représentent quelque Comedie, ou quelque celebre action. [...] « Ie reviens aux cadences & exclamations, que l'on peut faire en vne infinité de manières, n'y ayant rien de tellement reglé en ce qui dépend de l'opinion & de la fantaisie des hommes, que l'on n'y puisse toujours ajoûter. Or ceux qui ayment la multitude des passages & des diminutions, peuuent lire ceux d’Ignace Donat ; les 156. passages ou glosados de Cerone, au 5. chap. de son 8. livre, ceux du Fontegara de Silvestro di Ganassi, qui remplit 120 pages de ces passages accomodez aux fleutes, et plusieurs autres, et particulierement Le Nuove Musiche di Giulio Caccini, dont i’ai parlé cy-dessus mais il suffit de considerer les exemples que nous donnerons à la fin de ce livre, parce qu’ils peuuent servir d’idée à la postérité, pour faire voir la manière d’orner & d’embellir les Airs, car l’on n’y a, ce semble, jamais procedé avec tant d’adresse & de politesse, comme l’on fait maintenant ». (Harmonie Universelle, Livre sixiesme, Seconde partie, p. 358) Dans ce long passage et tout au long des citations qui suivent, le ton ordinaire employé par Mersenne pour évoquer selon ses propres mots, diminutions, passages, fredons, embellissements, ! 2! accents et cadences nous laisse penser qu’ornements, diminutions et cadences ne sont ni un ajout superfétatoire ni une option de mode d'exécution, gratuite ou facultative, mais une pratique courante et un constituant essentiel de l'exécution musicale. Mersenne nous dit même que la diminution est « la quintessence de la musique » (Harmonie universelle, Livre second des chants, p. 40). En ce qui concerne la musique chantée, la diminution et les ornements sont qualifiés « d'embellissements ». Le terme, récurrent correspond au vocabulaire italien, où on parle de « rehausser l'esprit des compositions » (Voir les textes de Zacconi ou Bottrigari dans l'ouvrage déjà cité Semplice ou passeggiato. Sauf mention contraire toutes les citations et mentions d'auteurs qui suivront sont tirées de cet ouvrage). Pendant plusieurs siècles, en Europe, quelle que soit la langue, ce sont aussi les mots « grâces » (« grace » en Anglais, « grazia » en Italien) qui sont souvent utilisés pour qualifier les ornements. Silvestro Ganassi pour sa part parle de galanterie. La diminution et les ornements sont indissociables de « l'œuvre musicale » (qui ne se réduit en rien à la partition), quand bien même elles ne sont pas écrites. Il faut ici préciser que « l’œuvre musicale » est, selon l’expression consacrée la « mise en en œuvre » d’une composition écrite ou d’une composition improvisée : composer, selon le sens étymologique, c’est assembler des éléments. Un bouquet de fleurs est une composition florale. Ce sens du terme composer se retrouve dans de nombreuses sources musicales où il ne désigne visiblement pas seulement la partition (voir dans « Semplice… » le texte de Zenobi). Dans le texte qui suit l’importance de la diminution et des ornements sera exprimée de manière graduée. ! ! 3! De l’importance de la diminution » PREMIER TEMPS : DIMINUTIONS ET ORNEMENTS CONSTITUENT L'ORDINAIRE DE LA PRATIQUE La diminution est omniprésente, dans tous les pays, dans toutes les tessitures vocales ou instrumentales : elle est un élément constitutif normal de la pratique musicale, c’est ce qu’incite à penser la citation qui suit. C'est aussi grâce à une lecture globale de l'Harmonie Universelle qu'on peut se rendre compte, par, d’une part le nombre d'occurrences concernant la diminution, mais d’autre part grâce au fait que Mersenne en parle souvent là où nous ne nous y attendons pas, que la diminution est un élément non noté à adjoindre le plus naturellement possible à la partition pour exécuter la musique. « PROPOSITION XXXIV. A sçavoir si la methode dont usent les François en chantant est la meilleure de toutes les possibles. [….] En troisiesme lieu, nostre climat n'est pas le plus temperé du monde, et l'air de nostre France ne surpasse pas la bonté de celuy dont ioüissent les autres Royaumes; car celuy de la Grece et de plusieurs autres pays Orientaux est beaucoup plus pur que le nostre, et consequemment il est ce semble plus propre pour les voix. Ce qui a peut estre fait que les Grecs ont produit les effets de la Musique dont parlent les Autheurs, à raison de leurs excellentes voix, qui avoient plus de force sur les passions, tant parce qu'elles estoient plus fortes et plus nettes, que parce qu'elles estoient plus iustes, et qu'elles faisoient des passages et des fredons plus ravissans et mieux marquez que les nostres. Or si l'on doit iuger de la methode de chanter par la raison, il faut confesser que celle qui a plus de puissance sur les auditeurs est la meilleure, car cette delicatesse de passages que les meilleurs Maistres enseignent n'ont point d'autre plus grand effet qu'un certain chatoüillement d'oreille, qui semble passer iusques à l'esprit et au coeur, particulierement quand ils sont soustenus, et qu'ils durent long-temps. [C'est moi qui souligne] Il faut neantmoins advoüer que de tous ceux que l'on a oüy chanter dans les terres de nos voisins, comme dans l'Espagne, dans l'Allemagne tant haute que basse, et dans l'Italie, que l'on n'en rencontre point qui chantent si agreablement que les François, dautant que les autres ne font pas les passages si delicatement; et bien qu'ils ayent la voix plus forte, plus claire, plus nette, et plus sonore, ils ne l'ont pourtant pas si douce, ny si charmante, quoy qu'il s'en puisse rencontrer dans toutes les nations qui égalent les François, ou qui les surmontent, car la nature produit quelquefois des individus extraordinaires, tantost en un Royaume, et d'autrefois dans un autre, qui surpassent tous leurs semblables. Mais ie parle icy de ce qui est ordinaire [ Je souligne de nouveau], et veux laisser la comparaison des voix de toutes les nations, et de leurs chants, à ceux qui pourront oüir les meilleures voix et les meilleurs chants de l'Italie, de la France, et des autres Provinces. Toutefois si l'on veut iuger quelle est la meilleure methode de chanter, et en quoy consiste la bonté de la voix, il faut establir des regles qui soient receuës de tous les Chantres, et prouvees par la raison; et celuy qui les executera le mieux en chantant surpassera toutes les autres voix, dont il sera la regle et l'exemplaire, et celuy qui en approchera de plus pres chantera le mieux: mais nous parlerons de ces regles dans le traité des Chants, et ailleurs. Et parce que ces regles n'ont pas encore esté bien establies iusques à present, l'on n'a pas ce semble encore chanté avec toute la perfection possible, quoy que les voix ayent pû avoir la meilleure methode, et qu'elles se soient portees 1

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