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La démonstration de l'existence de Dieu chez saint Thomas (Etude complète : BCTC et De l'être à Dieu) PDF

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Qjulleliti du CERCLE THOMISTE cSaLnt~c/l/LC(da& de Caen SOMMAIRE N° 79 Nouvelle Série Pages 1. M.-D. PHILIPPE. La démonstration de l’existence de Dieu dans les premières œuvres de saint Thomas . 1 2. R. de GOURMONT. La fin dernière de l’Homme obtenue par Jésus-Christ .............................. 17 3. P. de LAUBIER. La loi naturelle................................. 29 4. J.-J. LECHARTIER. Un étrange catholicisme............. 32 5. Bibliographie ..................................................................... 37 Trimestriel SEPTEMBRE 1977 La démonstration de l’existence de Dieu dans les premières œuvres de saint Thomas A la suite des Pères de l’Eglise et des théologiens qui le pré­ cèdent, saint Thomas, à travers ses diverses œuvres, revient sou­ vent sur ce problème fondamental pour le théologien : quel lien y a-t-il entre le mystère de Dieu et l’homme, sa volonté, son intelli­ gence ? La volonté humaine est-elle par elle-même immédiatement ordonnée à Dieu ? Dieu est-il la béatitude naturelle de l’homme ? L’intelligence humaine peut-elle par elle-même, selon sa capacité naturelle, découvrir l’existence de l’Etre premier que nous appe­ lons Dieu ? Comment peut-elle la découvrir ? Peut-elle atteindre l'essence de Dieu, sa nature ? Peut-elle la contempler ? Peut-elle saisir le mystère de la création ? Saint Thomas, suivant en cela toute la tradition des Pères, a toujours déclaré très nettement que l’intelligence humaine, parce qu’elle participe à la lumière du Verbe — « tous les hommes ‘ venant en ce monde ’ sensible sont illuminés de la lumière de la connaissance naturelle par· leur participation à cette c vraie Lumière ’ dont dérive toute lumière de connaissance naturelle participée par les hommes » (1) — est, à la fois capable de remonter jusqu’à sa source et incapable d’atteindre l’essence de Dieu. Celle-ci « demeure ignorée de la créature, elle transcende (excedit) non seulement les * Nous publions ici, avec la permission de l’auteur, une réflexion sur les premiers moments de la pensée théologique de saint Thomas concer­ nant la démonstration de l’existence de Dieu. Ces pages représentent le début d’une étude complète sur la démonstration de l’existence de Dieu chez saint Thomas, étude qui sera publiée dans le fascicule II de la Topique historique accompagnant l’ouvrage du Père Philippe intitulé De l'être à Dieu. (1) Commentaire de l’Evangile de Saint Jean, I, leç. 5, n° 129. L’illu­ mination par le Verbe peut s’entendre en effet « de la lumière de la connaissance naturelle (...) et de la lumière de la grâce » (loc. cit., n° 128). C’est pourquoi saint Thomas, en théologien, affirme que l’intelligence humaine est naturellement « capable de Dieu », capax Dei (cf. Comm. du Psaume VIII, 5 ; Summa III, q. 9, a. 2, ad. 3 ; I, q. 93, a. 4, etc.). 1 sens, mais toute raison humaine, tout esprit angélique, quant à la puissance naturelle de la raison et de l’esprit » (2). Cependant nous pouvons, à partir de la connaissance des réa­ lités visibles, remonter jusqu’à cette Réalité invisible, première, que nous appelons Dieu (là encore saint Thomas suit la tradition des Pères et se réfère à la grande affirmation de VEpître aux Romains, I, 20) (3). A cette Réalité invisible, des « voies » nous conduisent ; ces voies, il faut les découvrir. Saint Thomas ne se contente pas de faire une synthèse des voies qui avaient été exposées avant lui. S’il reprend certaines d’entre elles, nous verrons qu’il les transforme en les élevant à un niveau proprement métaphysique. Et nous verrons qu’il ne retient que les arguments à partir des effets visibles, lais­ sant délibérément de côté les voies d’intériorité développées par saint Augustin, ainsi que l’argument de saint Anselme. Pour saint Thomas, en effet, c’est seulement par l’esse concret des réalités exis­ tantes de notre univers (esse atteint dans une expérience sensible impliquant un jugement d’existence) que l’intelligence humaine est capable de découvrir, grâce au principe de causalité, YEsse premier. Il faudrait pouvoir analyser ici les diverses manières dont saint Thomas, au cours de sa carrière de théologien, a lui-même précisé cette recherche. Une telle analyse révélerait, de manière très particulière, la pénétration toujours plus grande de la pensée méta­ physique de saint Thomas au service de la Doctrina sacra, puisque les voies d’accès à la découverte de l’Etre premier représentent l’ultime effort de l’intelligence créée, l’ultime moment de l’enquête métaphysique. N’est-ce pas précisément à l’égard de ce qu’il y a d’ultime que se dévoile le mieux l’originalité d’une pensée méta­ physique ? C’est donc, sans aucun doute, à propos du problème des « voies » que nous pourrions le mieux déceler le progrès incessant (2) Commentaire des Noms divins, VII, leç. 4, n" 279. Comparée à celle de Dieu, notre connaissance est en quelque sorte « inverse » : « car Dieu connaît les créatures par sa nature, tandis que nous connaissons Dieu par les créatures » (ibid.). On pourra même dire que c’est « par notre ignorance » que nous connaissons Dieu, en ce sens que, pour nous, « c’est connaître Dieu que de savoir que nous ignorons ce que Dieu est » (loc. cit., n° 731). Cf. le Commentaire de l’Epitre aux Romains, I, leç. 6, n" 114 : « il y a, concernant Dieu, quelque chose qui est totalement ignoré de l’homme en cette vie : c’est ce qu’est Dieu — d’où vient que Paul trouva à Athènes un autel portant l’inscription ' Au Dieu inconnu ’ (cf. Actes XVII, 23) — ; et cela parce que la connaissance de l’homme commence par les [réalités] qui lui sont connaturelles, c’est-à-dire par les créatures sen­ sibles, qui ne sont pas en mesure de représenter l’essence divine (non sunt proportionatae ad repraesentandam divinam essentiam).» (3) Saint Thomas la cite notamment en sed contra à l’égard de ceux qui nient la possibilité de démontrer que Dieu existe : voir C.G. I, ch. 12 ; Summa I, q. 2, a. 2 ; ou à l’égard de ceux qui jugent toute démonstration inutile, sous prétexte que l’existence de Dieu est évidente (De veritate, q. 10, a. 12). Il la cite à diverses reprises pour souligner que « Dieu et les autres substances séparées ne peuvent en aucune manière être saisies en premier lieu par l’intelligence, mais sont saisies à partir d’autres [réa­ lités] » (Comm. De Trin., q. 1, a. 3 ; cf. Summa I, q. 88, a. 3). Saint 2 de la pensée métaphysique de saint Thomas et son originalité : com­ ment, se dégageant de plus en plus de l’influence d’Avicenne, il découvre la véritable pensée d’Aristote, sa métaphysique de l’acte et de la puissance, et comment il s’en sert, en théologien, d’une manière toute nouvelle. Nous ne pouvons pas examiner ici en détail ce progrès de la pensée de saint Thomas ; nous devrons nous borner à en relever les moments principaux (4). Le Commentaire des Sentences Lorsqu’il commente les Sentences de Pierre Lombard, saint Thomas suit évidemment l’ordre des questions traitées par le « Maître ». C’est ce qui explique que nous le voyions ici traiter la Thomas cite également Rom. I, 20, pour montrer que toute créature devient « témoin de Dieu » (voir Commentaire de Saint Jean, I, leç. 4, n° 116) ; pour montrer aussi que la « similitude » du Verbe resplendit dans son œuvre, le monde (op. cit., I, leç. 5, n" 136 ; saint Thomas cite également ici Sag. XIII, 5 ; de même plus loin : I, leç. 11, n° 211). Voir encore le Commentaire du Psaume XVIII, verset 2, où il s’agit de distinguer la connaissance « commune » que tous les hommes peuvent avoir de Dieu, par le moyen de ses œuvres, de la connaissance « spéciale » réservée aux croyants ; le Commentaire du Psaume VIII, 2-3, où saint Thomas note que l’étonnement (suscité par la vue d’un effet dont on ignore la cause) peut être double : soit qu’on ignore totalement la cause, soit que l’effet ne la manifeste pas parfaitement (ce qui est le cas de Dieu). — Dans son Com­ mentaire de l'Epître aux Romains, saint Thomas, à propos de ce même verset, relève et développe la double interprétation possible de l’expres­ sion a creatura mundi, qui pour certains désigne la créature, c’est-à-dire l’homme, et pour d’autres la création du monde : voir Com. Rom. I, leç. 6, n° 117. (4) Rappelons ici les dates (au moins approximatives) des ouvrages que nous citons [dans l’ensemble de cette étude — n. d. 1. r.l : Commentaire des Sentences, I, dist. III : 1252 ; De ente et essentia : 1253 ; De veritate : 1256-1259 ; Commentaire du De Trinitate de Boèce : 1257-1258 ; Contra Gentiles : 1258-1264 ; Commentaire des Noms divins » du livre de Job : 1261-1264 ; De potentia : 1265-1267 ; Commentaire de la Métaphysique : 1265-1272 (ou même dès 1261, selon Glorieux) ; Commentaire de la Physique : 1268 ; Somme théologique, Prima pars : 1266-1268 ; Commentaire des Météorologiques e i?rq » de l’Epître aux Romains ' ’ Commentaire de l’Evangile de Saint Jean . 1269-1272 · » des Seconds Analytiques Commentaire du De causis : 1270-1272 (ou même seulement 1272) ; De substantiis separatis Commentaire des Psaumes : 1272-1273 ; Commentaire du De caelo : 1273 ; Commentaire du Symbole des Apôtres : 1273 ; Quant au Compendium theologiae, que l’on date généralement de 1271· 1273, il pourrait ê.tre bien antérieur et dater de 1260-1266 (selon Glorieux). 3 question de l’unicité de Dieu avant celle de son existence —■ ce qu’il ne fera plus, évidemment, dans aucun des ouvrages ultérieurs. Mais parce que Pierre Lombard, dans la distinction II, traite « du mystère de la Trinité et de l’unité » (avant d’aborder, dans la distinction III, la manière dont « le Créateur a pu être connu par le moyen des choses créées»), saint Thomas lui-même commence par s’interroger sur « l’unité de l’essence divine », ce qui l’amène en premier lieu à se poser la question : « Nexiste-t-il qu'un seul Dieu?» (5). Après avoir démontré qu’il « doit y avoir un Etre premier unique, absolu­ ment parfait, de qui tous les êtres tiennent l’esse » (6), saint Thomas montre, de trois manières successives, qu’il est impossible qu’il y ait plusieurs dieux ; puis il affirme, en se référant à Denys, que. puis­ que toute multiplicité procède d’une certaine unité, la multiplicité des êtres doit se ramener à « un unique premier Principe de tous les êtres » — ce que « la foi suppose et que la raison démontre » (7). Sans nous attarder à cette question de l’unicité de Dieu (saint Thomas, encore une fois, ne fait ici que suivre l’ordre des Sentences qu’il commente ; dans ses œuvres ultérieures, l’unicité de Dieu sera affirmée comme une sorte de conclusion exigée par nos diverses manières de saisir le quomodo de Dieu), relevons cependant, deux des raisonnements utilisés pour prouver qu’ « il n’existe qu’un seul Dieu ». Le premier se prend de l’ordre d’antériorité et de postério­ rité selon lequel une « nature », dit saint Thomas, « l’entité », se trouve réalisée : Toute nature qui se trouve en plusieurs [réalités] selon [un ordre] d’antériorité et de postériorité (secundum· prius et posterius) doit descendre d'un Pre­ mier unique, en lequel elle soit possédée parfaitement. L’unité du principié, en effet, atteste l’unité du prin­ cipe. Mais l’entité se trouve en plusieurs [réalités] selon [un ordre] d’antériorité et de postériorité. Il faut donc qu’existe un Etre premier unique absolument par­ fait (unum primum eus perfectissimum), de qui tous les êtres tiennent l’esse ; et cet [Etre] est Dieu. Il existe donc un seul Dieu (8). Saint Thomas donne ensuite deux arguments par mode d’impos­ sibilité (montrant qu’il ne peut pas y avoir plusieurs dieux), puis un dernier raisonnement qui se prend des conditions de la participa­ tion : Ce en quoi l’esse ne diffère pas de la quiddité ne peut pas être participé quant à sa quiddité ou son essence, sans que son esse aussi soit participé. Mais chaque fois que l’essence d’une [réalité] est divisée par participa­ tion, la même essence est participée selon la ratio, (51 I Sent., dist. II, q. 1, a. 1. (6) Loc. cit., sed contra 1. (7) Ibid,., sol. Cf. Dbnys, Noms divins, ch. XIII, § 2. (8) I Sent., loc. cit., sed contra 1. 4 mais non selon le même esse. Il est donc impossible que, pour ce en quoi l’essence ne diffère pas de l’esse, une participation essentielle soit divisée ou multipliée. Or tel est Dieu : autrement, son esse serait acquis [à partir] d’un autre. Il est donc impossible que la divinité soit multipliée ou divisée : et ainsi il ne peut y avoir qu’un seul Dieu (et ita, erit unus tantum Deus) (9). On voit sans peine le manque de précision de ces arguments, surtout si on les compare à la pensée ultérieure de saint Thomas. En exposant le texte de la distinction III de Pierre Lombard, saint Thomas explique que la diversité des quatre rationes propo­ sées par le Maître des Sentences en vue de démontrer « l’unité de l’essence divine » a son origine dans la diversité même des « voies par lesquelles on remonte des créatures à Dieu» (10), voies qui sont exposées par Denys au chapitre 7 des Noms divins (11). Denys dit en effet que nous remontons des créatures à Dieu de trois manières : par la causalité, par la rémotion et par l’éminence. Et la raison en est que l’esse de la créature est par un autre (ab attero). Nous sommes donc par là conduits à la cause par laquelle [cet esse] est. Or cela peut se faire de deux manières : soit que Ton regarde ce qui est reçu, et ainsi nous sommes conduits par mode de causalité ; soit que l’on regarde la manière de recevoir (modum recipiendi), parce que [l’esse] est reçu imparfaitement, et nous avons là deux modes : ou bien l’on écarte de Dieu l’imperfection (secundum remotionem imperfectionis a Deo), ou bien (9) Loc. cit., sed contra 4. (10) I Sent., dist. III, divisio primae partis textus. (11) Saint Thomas présente ces trois « voies » dans un ordre qui n’est plus celui de Denys. Le soulignant, certains en ont conclu que saint Thomas transformait la doctrine de Denys (voir J. Vannbste, Le mystère de Dieu. Essai sur la structure rationnelle de la doctrine mystique du Pseudo-Denys l’Aréopagite, p. 113, note 1 ; M.-D. Chenu, Introduction à l’étude 'de Saint Thomas d'Aquin, p. 195, note 1). Est-ce exact, étant donné que Denys parle de ces trois modes de connaissance en fonction non pas de la découverte de l’existence de Dieu, mais de la connaissance que nous avons de la Déité, et que saint Thomas, ici, regarde la découverte de l’existence de Dieu par le moyen de l’esse reçu ? Lorsqu’il parle de la connaissance de l’essence de Dieu, Saint Thomas reconnaît, en se référant à Denys, que ce qu’il y a d’ultime, c’est bien la négation (cf. ci-dessous, note 12), celle-ci impliquant du reste le mode d’éminence. Un passage du De veritate est à cet égard particulièrement net : « ce qu’est Dieu Lui- même (quid est ipsius Dei) nous demeure toujours caché ; et la connais­ sance la plus élevée que nous puissions avoir de Lui dans l’état de la vie présente consiste à connaître que Dieu est au-dessus de ce que nous pen­ sons de Lui, comme le montre Denys, de manière très manifeste, au cha­ pitre I de sa Théologie mystique·» (De ver., q. 2, a. 1, ad 9). Voir aussi Contra Gentiles I, ch. 5 : « Alors seulement nous connaissons vraiment Dieu, quand nous croyons qu’il est au-dessus de tout ce qu’il est possible à l’homme de penser de Dieu, puisque la substance divine transcende (excedit) la connaissance naturelle de l’homme... ». 6 [l’on considère] que ce qui est reçu dans la créature est dans le Créateur d’une manière plus parfaite et plus noble : et tel est le mode d’éminence (12). Le premier raisonnement de Pierre Lombard, nous dit saint Thomas, procède « par voie de causalité » : Tout ce qui a l’esse à partir de rien (ex nihilo) doit être par quelqu’un (ab aliquo) par qui ait été produit (12) I Sent., loc. cit. Voir le Commentaire des Noms divins, VII, leç. 4, n" 729 : « Nous ne connaissons pas Dieu en voyant son essence, mais nous Le connaissons à partir de l’ordre de tout l’univers. Car l’universalité des créatures nous est ' proposée ’ par Dieu afin que par elle nous connais­ sions Dieu, en tant que l’univers ordonné a [en lui] ‘ certaines images et ressemblances ’ imparfaites des ' choses divines ’, lesquelles se rapportent à elles [aux ressemblances] comme les exemplaires-principes (principalia exemplaria) aux images. Ainsi donc, à partir de l’ordre de l’univers, comme par une certaine ‘ voie et un ordre ’, nous nous élevons par l’intel­ ligence, "selon notre capacité’ (virtutem), vers Dieu qui est “au-dessus de toutes choses ’, et cela de trois manières : en premier lieu et principa­ lement ' en écartant de Lui toutes choses ’ (in omnium ablatione) (...) ; en second lieu par éminence (per excessum) (...) ; en troisième lieu selon la causalité de toutes choses, en considérant que tout ce qui est dans les créatures procède de Dieu comme de sa Cause. » Ainsi, dit encore saint Thomas, Denys dit « en premier lieu que, parce que nous nous élevons des créatures à Dieu ' par la négation et le dépassement de tout et par son universelle causalité ’, Dieu est, à cause de cela, connu ' en toutes choses ’ comme dans ses effets et ‘ hors de toutes choses ’, comme étant retiré de toutes et les surpassant toutes (ab omnibus remotus et omnia excedens). Et à cause de cela 1 Dieu est connu à la fois par notre connaissance ’, parce que tout ce qui tombe en notre connaissance, nous le recevons comme provenant de Lui, ' et par notre inconnaissance ’ (per ignorantiam nos­ tram) , en ce sens que c’est connaître Dieu, pour nous, que de savoir que nous ignorons ce qu’il est » (loc. cit., n° 731). — En commentant VEpître aux Romains (I, 20), saint Thomas note que « l’homme peut, à partir des créatures [sensibles], connaître Dieu d’une triple manière, comme le dit Denys ». Et il souligne que ce que l’on connaît de Dieu par la causalité, c’est qu’/Z existe (grâce au raisonnement suivant : les créatures sensibles sont défectueuses et soumises au changement [defectibiles et mutabiles) : il est donc nécessaire de les ramener à un certain principe immobile et parfait) ; alors que, par la voie d’éminence (per viam excellentiae), on sait de Dieu qu’il est au-dessus de tout (les créatures ne se ramènent pas à un premier principe comme à une cause propre et univoque) ; et que, par la voie de négation, on peut affirmer que Dieu est immobile, infini... autrement dit, que rien de ce qui est dans les créatures ne peut Lui conve­ nir (Comm. Rom., I, leç. 6., n° 115). Cf. C. G. I, ch. 30, fin : « Le mode de suréminence selon lequel se trouvent en Dieu les perfections susdites, ne peut être signifié par les noms que nous donnons, si ce n’est par le moyen d’une négation, comme lorsque nous disons que Dieu est éternel ou infini, ou encore par le moyen d’une relation entre Lui et les autres, comme lorsqu’on Le dit Cause première ou Souverain Bien. Car nous ne pouvons pas saisir de Dieu ce qu’il est, mais ce qu’il n’est pas, et de quelle manière (qualiter) les autres se rapportent à Lui.» — Notons encore qu’en com­ mentant Rom. I, 20, saint Thomas établit, entre l’affirmation de saint Paul et les trois modes de connaissance de Dieu distingués par Denys, le rap­ port suivant : « Ces trois [les perfections invisibles de Dieu, son éternelle puissance et sa divinité] se réfèrent aux trois modes de connaissance sus­ dits. Car les [perfections] invisibles de Dieu sont connues par la voie de négation ; son éternelle puissance, par la voie de causalité ; sa divinité, par la voie d’éminence » (Comm. Rom., loc. cit., n° 117). 6 son esse. Or toutes les créatures ont l’esse à partir de rien, comme le manifestent leur imperfection et leur potentialité. Il faut donc qu’elles soient par un certain Premier (a b aliquo uno primo), et celui-là est Dieu (13). Le second raisonnement procede « par voie de rémotion » : Il faut qu’au delà de tout imparfait il y ait quelque chose de parfait, auquel ne se mêle aucune imperfec­ tion. Or le corps est quelque chose d’imparfait, parce qu’il est terminé et fini par· ses dimensions, et mobile. Il faut donc qu’au delà des corps il y ait une [réalité] (aliquid) qui ne soit pas un corps. De plus, toute [réalité] incorporelle qui, par sa nature, est soumise au changement (mutabile), est imparfaite. Donc, au delà de toutes les espèces soumises au chan­ gement, comme sont les âmes et les anges, il faut qu’il y ait un certain être incorporel et immuable et tout à fait parfait ; et celui-là est Dieu (14). Les deux autres raisonnements proposés par Pierre Lombard procèdent « par voie d’éminence » ; mais l’éminence, précise saint Thomas, peut s’entendre de deux manières : soit selon Vesse, soit selon la connaissance. Le troisième raisonnement de Pierre Lombard procède par voie d’éminence dans l’esse, et se formule ainsi : Ce qui est bon et ce qui est meilleur (melius) se disent par comparaison avec [ce qui est] le meilleur (opti­ mum). Or dans les substances il y a le corps, [qui est] bon, et l’esprit créé, [qui est] meilleur et en qui, cepen­ dant, la bonté n’est pas par elle-même. Il faut donc qu’il y ait quelque chose [qui soit] le meilleur, par quoi la bonté soit en l’un et l’autre [le corps et l’esprit] (15). Quand au quatrième et dernier raisonnement, il procède par voie d’éminence dans l’ordre de la connaissance : En toutes les [réalités] où se trouve du plus et du moins beau (speciosum), on trouve un certain principe de beauté (aliquod speciositatis principium), et c’est dans la mesure où une réalité est plus proche de ce principe qu’elle est dite plus belle qu’une autre. Or nous constatons que les corps sont beaux d’une beauté (specie) sensible, mais que les esprits sont plus beaux, d’une beauté intelligible. Il faut donc qu’il y ait une [réalité] (aliquid) par laquelle l’un et l’autre [le corps et l’esprit] soient beaux, [et] dont les esprits créés s’approchent davantage (16). (13) Ibid. (14) Ibid. (15) Ibid. (16) Ibid. La distinction faite ici entre l’éminence dans l’ordre de l’esse et l’éminence dans l’ordre de la connaissance n’est pas reprise dans 7 Sans nous arrêter à la manière dont saint Thomas analyse la suite du texte de Pierre Lombard (17), passons à son commentaire, et remarquons bien quel est le sens de la première question que pose saint Thomas. Dans cette partie de la distinction III des Sentences, « il est montré, nous dit· saint Thomas, de quelle manière (qualiter) on parvient à la connaissance de Dieu par le vestige des créatures ». On va donc se demander successivement : si Dieu peut être connu par une intelligence créée (article 1) ; si l’affirmation Dieu existe est évidente, immédiatement connaissable (a. 2 : utrum Deum esse sit per se notum) ; si Dieu peut être connu par le moyen des créa­ tures (a. 3)) ; et, enfin, si les philosophes ont pu connaître, à partir des créatures, le quid de Dieu, autrement dit la Trinité (a. 4). Il ne s’agit donc pas immédiatement, dans cette question, de la découverte de l’existence de Dieu. Saint Thomas essaie plutôt, en théologien, de montrer comment notre intelligence peut atteindre l’existence de Dieu. Nous sommes vraiment ici au niveau d’une recherche théologique, et de théologie critique ; on le voit très nette­ ment dès qu’on analyse les réponses données aux diverses questions posées. En réponse à la première question, saint Thomas précise : dire que Dieu est « connaissable » ne veut pas dire que son essence puisse être comprise ; car tout connaissant possède selon son mode propre de sujet connaissant la connaissance de la réalité connue ; « or le mode d’aucune créature n’atteint à la hauteur de la Majesté divine », et donc Dieu ne peut, par aucune créature, être connu par­ faitement, comme Lui-même se connaît (18). La manière d’exister de Dieu n’est pas celle des réalités que nous constatons (car « en Lui est éminemment la nature de l’être : in eo est natura entitatis le Commentaire des Noms divins ; nous retrouvons cependant, dans ce même commentaire, une distinction semblable faite à propos de la « voie de rémotion » ; voir VII, leç. 4, n" 732 : « Il y a encore une autre connais­ sance de Dieu très parfaite, qui procède par rémotion, et selon laquelle nous connaissons Dieu ' par inconnaissance’ (per ignorantiam), par une certaine ' union ’ aux choses divines, [union] qui est au-dessus de la nature de l’esprit : quand notre esprit, ' se détachant (recedens) de toutes les autres choses et ensuite s’abandonnant encore lui-même ’, est uni ‘ aux rayons sur-resplendissants ’ de la Déité, en ce sens qu’il connaît que Dieu n’est pas seulement au-dessus de toutes les choses qui sont inférieures à lui-même [notre esprit], mais encore au-dessus de lui-même et au-dessus de tout ce qu’il peut comprendre. Et en connaissant Dieu ainsi, [notre esprit], dans un tel état de connaissance, est illuminé par la profondeur même de la Sagesse divine, que nous ne pouvons pas scruter. Et com­ prendre que Dieu est au-dessus, non seulement de tout ce qui est, mais encore de tout ce que nous pouvons appréhender, cela nous vient de l’in­ compréhensible profondeur de la Sagesse divine. » (17) Cela ne nous intéresse pas directement ici, puisqu’il s’agit de « montrer la Trinité des Personnes par le moyen de similitudes dans les créatures » — autrement dit, de voir si les réalités créées peuvent nous aider à pénétrer dans le mystère de la Trinité. (18) I Sent., dist. III, q. 1, a. 1, sol. 8 eminenter ») ; Il ne peut donc pas être connu à la manière dont sont connus les autres existants qui peuvent, eux, être compris par une intelligence créée (19). Et si l’on objecte à saint Thomas que Dieu ne peut pas être connu parce que toute connaissance implique un mode abstrait (et que Dieu est absolument simple), il répond que, certes, nous ne pouvons avoir de Dieu une connaissance abstraite, mais que nous pouvons Le connaître par une « impression » de Lui- même dans notre intelligence (ce qui est vrai des anges aussi bien que de Dieu) (20). Ce per impressionem dont parle ici saint Thomas est-il d’ordre naturel ·— ce qui voudrait dire que saint Thomas, dans le Commentaire des Sentences, admet une connaissance de Dieu par voie d’intériorité ? Ou ce per impressionem est-il au contraire d’ordre surnaturel ? Si nous regardons la cinquième objection du même article et la réponse qu’y donne saint Thomas, il semble que nous puissions trancher la question. En effet, à cette objection qui pré­ tend que nous ne pouvons pas connaître Dieu, puisque nous ne pou­ vons nous former de Lui aucune image et que notre intelligence ne peut rien connaître sans image (comme le dit Aristote dans le De animai), saint Thomas répond que le Philosophe, dans le De anima, « parle de la connaissance de l’intelligence qui nous est connaturelle selon l’état de la vie présente (secundum statum viae) », et qu’à ce niveau, il faut reconnaître que « Dieu ne peut être connu de nous que par le moyen des images, non certes d’images de Lui- même, mais de ce qui est causé par Lui, et par le moyen de quoi nous parvenons jusqu’à Lui ». Mais, ajoute saint Thomas, cela n’em­ pêche pas « que notre intelligence puisse avoir une certaine connais­ sance de Dieu, non par une voie qui nous est naturelle, mais par une voie plus élevée, c’est-à-dire par une influence [directe] de la lumière divine ; une telle connaissance n’a plus besoin d’aucune image» (21). A la seconde interrogation —- l’affirmation « Dieu existe » est- elle évidente ? ■—, saint Thomas répond en reprenant une distinction critique. La connaissance d’une réalité, en effet, peut être considérée de deux manières : soit du côté de la réalité elle-même, soit relati­ vement à nous (quoad nos). Si donc on considère Dieu en Lui-même (secundum seipsum), son exister est évident, et Dieu est « intelligé » par Lui-même (sans que nous ayons à Le rendre intelligible, comme c’est le cas pour les réalités matérielles, que nous rendons intelli­ gibles en acte (22)). Mais si nous considérons Dieu relativement à nous, il faut alors faire une nouvelle distinction : ou bien nous Le considérons « selon sa similitude et sa participation, et de cette manière il est évident qu’il existe (ipsum esse est per se notum), car rien n’est connu que par sa vérité, qui a Dieu pour ' exem- (19) Ibid., ad 1. (20) Ibid., ad 3. (21) Ibid., ad 5. (22) I Sent., dist. III, q. 2, as. o2l., Cf. De ver., q. 2, a. 2, ad 4. 9

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