La clef des Illuminations FAUX TITRE 323 Etudes de langue et littérature françaises publiées sous la direction de Keith Busby, M.J. Freeman, Sjef Houppermans et Paul Pelckmans La clef des Illuminations Paul Claes AMSTERDAM - NEW YORK, NY 2008 Sur la couverture: “J’ai seul la clef de cette parade sauvage”, dans “Parade” (Rimbaud, Illuminations) © BnF Cover design / Maquette couverture: Pier Post. The paper on which this book is printed meets the requirements of ‘ISO 9706: 1994, Information and documentation - Paper for documents - Requirements for permanence’. Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents - Prescriptions pour la permanence’. ISBN: 978-90-420-2501-1 © Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2008 Printed in The Netherlands INTRODUCTION « J’ai seul la clef de cette parade sauvage » Arthur Rimbaud, Parade L’hermétisme des Illuminations « Je réservais la traduction » Arthur Rimbaud, Alchimie du verbe Le recueil des Illuminations est une des rares œuvres qui aient réussi à transformer l’idée même de la littérature. Marquant le début de la poésie moderne, ces poèmes en prose défient depuis plus d’un siècle déjà l’ingéniosité des exégètes les mieux inspirés. Loin de décourager les tentatives d’interprétation, l’hermétisme rimbaldien a donné lieu à une telle prolifération de lectures contradictoires que l’observateur sceptique résiste mal à la tentation d’en faire un sottisier. La simple énumération des interprétations divergentes suffit déjà à produire un effet burlesque. Les protagonistes de Parade sont-ils des gangsters ou des gigolos homosexuels, des paillasses de foire ou des saltimbanques de music-hall, des soldats ou des étudiants allemands, des prêtres catholi- ques ou des fumeurs de haschisch, des indigènes de Polynésie ou des artistes modernes ? Toutes ces solutions plus ou moins saugrenues ont été défendues sérieusement par de notoires rimbaldistes. Les méthodes d’interprétation se sont succédé sans avoir apporté la clef magique qui permettrait au lecteur de s’introduire dans cette œuvre hermétique. La méthode biographique, inaugurée par Ernest Delahaye, ami du poète, et continuée par des commentateurs traditionalistes comme Antoine Adam, s’est heurtée à une poésie qui répugne aux réminiscences directes et aux confidences intimes. Confrontée à l’antimimétisme apparent du texte, la méthode symbolique d’Enid Starkie, de Jacques Gengoux et d’Antoine Fongaro a postulé des sens cachés dont le caractère occulte, alchimique ou érotique n’a pas su convaincre les incrédules. La méthode thématique pratiquée par Jean- Pierre Richard et Georges Poulet, qui envisagent la reconstruction de 8 l’imaginaire du poète, ne permet ni de résoudre les innombrables diffi- cultés ponctuelles et linéaires des poèmes ni d’aborder le problème de leur statut référentiel. Radicalisant la position du psychanalyste Octave Mannoni (1962) qui a dénoncé « le délire d’interprétation » des commentateurs, la critique récente s’est inscrite en faux contre toute recherche d’un sens unique ou ultime. Selon Jean-Louis Baudry (1968-1969), « le suspens délibéré du signifié » du texte de Rimbaud fait appel à une lecture dy- namique, productrice d’un sens jamais définitif. Atle Kittang (1975) in- terprète les Illuminations comme un discours ludique qui ne ferait que commenter sa propre illisibilité. En guise de boutade, Tzvetan Todorov (1978) a affirmé que le sens de ces textes « est de n’en point avoir », l’abolition des fonctions expressive et référentielle rendant vaine toute tentative d’interprétation orthodoxe. Cette lecture semble un retour à l’assertion de Jacques Rivière (1930 : 53) : « Au fond ce que dit Rim- baud n’a pas de sens. » Si cette prise de position extrême n’a pas manqué de susciter de vives réactions, notamment de la part du sémioticien Michael Riffaterre (1981), la grande majorité des exégètes actuels semble être convaincue que ces poèmes en prose ne possèdent ni de référent réel ni de sens univoque. L’interprétation d’une œuvre datant de la fin du dix-neuvième siècle, soit comme un jeu d’association libre de type surréaliste, soit comme un texte moderniste ou postmoderniste mettant en scène sa propre production, voire son illisibilité, nous paraît cependant un anachronisme évident. Il est peu probable qu’un poète, si génial précurseur soit-il, ait pu prévoir des problématiques qui procèdent de ses propres découvertes littéraires. À notre avis, l’obscurité des Illumi- nations s’éclaircit plutôt à la lumière de l’hermétisme symboliste dont Stéphane Mallarmé est le plus illustre représentant. L’étude de Paul Bénichou (1995) a démontré que la poésie mallarméenne, considérée comme inintelligible ou plurivoque par tant de critiques anciens et modernes, n’est point indéchiffrable. Bien que vieilles de quarante ans, les remarques pondérées de Georges Pomet (1969) n’ont rien perdu de leur actualité : « L’idée d’une liberté de création toute romantique, d’un verbe anarchique producteur d’effets assurément beaux mais inexplicables et pour tout dire gratuits, a trop longtemps favorisé une interprétation au mieux impressionniste, au pire logomachique, de Rimbaud, dont Étiemble a pu montrer les excès 9 plus ou moins délirants. Si la notion d’un langage poétique « chiffré » peut, elle aussi, conduire à des outrances de systématisation, du moins a- t-elle le mérite de faire réfléchir humblement mais fermement sur des questions de vocabulaire, de grammaire ou de syntaxe, et d’examiner ainsi de plus près le mécanisme de la création poétique qui ne devrait pas être mystère, mais problème. » Codage et décodage hermétiques Les commentateurs, cédant à ce que Mannoni appelle le « besoin d’interpréter », se sont trop peu souciés des problèmes de méthodologie. Comment faut-il aborder la lecture d’un texte hermé- tique ? Tant que cette question primordiale se trouve sans solution, toute proposition de lecture paraît arbitraire. Avant d’esquisser une réponse, il nous semble utile de faire la distinction entre deux types d’hermétisme : l’obscurité involontaire du poète inspiré et l’obscurité volontaire du poète docte. Alors que l’obs- curité de la fureur poétique ou prophétique, du sublime romantique ou de la libre association surréaliste se plaît à créer un mystère qui fait appel à notre empathie, l’hermétisme de la poésie alexandrine, du trobar clus provençal ou de la préciosité maniériste pose des énigmes intellectuelles dont la solution requiert l’ingéniosité du lecteur. L’illisibilité fonda- mentale du premier type produit un non-sens qui symbolisera, pour l’initié, la transcendance irrationnelle de la nature, du sacré, de la folie ou de l’inconscient. L’illisibilité provisoire du second type est destinée à disparaître par une lecture adéquate, qui prendra forcément la forme d’un décryptage rationnel et systématique. La critique contemporaine, qui continue à parler d’ « illusion référentielle », de « suspens de sens » ou de « retrait du signifié », paraît se tromper en considérant les Illuminations comme un texte hermétique du premier type. L’on verra ci-après que ni l’explication détaillée ni l’interprétation globale des poèmes ne posent de problèmes foncièrement insolubles. Choisissons, en guise d’illustration, ce « fils de Pan » auquel s’adresse Antique. La dénomination mystérieuse n’a pas manqué de dérouter les commentateurs traditionnels, qui y ont vu tour à tour un centaure (Pierre Arnoult), un hermaphrodite (Suzanne Bernard), un faune (Albert Py) ou un satyre (Nick Osmond), sans se donner la peine de corroborer leurs hypothèses. Selon Jong-Ho Kim (1993 : 90),
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