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L amour a la plage (Collection PDF

39 Pages·2014·0.59 MB·French
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L’amour à la plage De Doriane Still Tous droits réservés, y compris droit de reproduction totale ou partielle, sous toutes formes. ©2014Les Editions Sharon Kena www.leseditionssharonkena.com ISBN : 978-2-36540-518-8 1 Un lieu à l’atmosphère féérique, lové au cœur d’un magnifique lagon d’émeraude. Sa traversée permet d’admirer les raies-léopards, les poissons- papillons ainsi que de magnifiques coraux aux couleurs chatoyantes, lut Kevin en secouant la tête avant de reposer le prospectus de l’hôtel sur le sable. C’est à croire qu’on a atterri sur la mauvaise île. Tu exagères ! On est dans un endroit paradisiaque et tu trouves encore le moyen de critiquer. Je suis lucide, c’est tout. Non, ripostai-je en me redressant sur mon transat moelleux. Tu n’es pas lucide, tu es grognon, comme toujours. Regarde autour de toi, bon sang, la faune et la flore sont merveilleuses. Il pouffa et termina son cocktail dans un grand bruit de paille insupportable. La seule faune que j’ai vue ici, ce sont des moustiques de dix centimètres de long avec des trompes d’éléphant pour pomper ton sang jusqu’à la dernière goutte. Je levai les yeux au ciel, agacée par cette mauvaise foi constante qui faisait de lui un époux aigri et désagréable. Il n’avait pas toujours été ainsi. À notre rencontre, il s’était montré courtois, attentionné et délicat avec moi, mais une fois prise dans ses filets, il m’avait dévoilé sa véritable face. Le conte de fées s’était transformé en cauchemar mais, malgré cette mauvaise humeur constante, je l’aimais envers et contre tous. Mes parents ne l’avaient jamais apprécié, quant à mes amies, il m’en avait fait perdre une grande partie à force de les tourner sans cesse en ridicule lors de soirées arrosées. Un serveur en chemisette blanche et pantacourt léger se dirigea vers nous pour nous offrir un autre verre coloré. J’acceptai avec gratitude alors que Kevin trouvait encore à redire. Vous n’avez rien d’autre à nous proposer que des jus de fruits sur votre île ? Je suis désolé, monsieur, s’excusa une nouvelle fois l’employé docile, comme je vous le disais ce matin, nous sommes en rupture de stock de rhum et l’avion ne viendra nous ravitailler que mardi en fin de… Oui, je sais, en fin de matinée, le coupa mon époux irrité. Cessez de faire le perroquet, il y en a assez qui jacassent sur cette maudite île. L’employé baissa la tête à ces mots. Sûrement était-il né ici et aimait-il cet endroit de tout son cœur. Je pouvais presque sentir la tension prendre possession de son corps et je vis, à son poing serré, à quel point il luttait pour ne pas se rebeller de crainte de perdre son emploi. Il faut dire que Maupiti était une toute petite île et les postes vacants devaient se faire rares. Kevin en avait conscience et s’amusait à humilier à tout bout de champ les employés de ce charmant hôtel touristique. Tu me fais honte, chuchotai-je dans sa direction avant de reprendre plus haut. Veuillez l’excuser, mon mari a quelques soucis d’acclimatation et cela le rend stupide. Je l’entendis grogner dans mon dos mais ne pris pas la peine de me retourner. Le grognement était devenu son deuxième langage et je commençais presque à pouvoir en traduire toutes les intonations. Celui que je venais de percevoir signifiait quelque chose du genre : je me vengerai. Nous allons prendre deux jus de mangue, s’il vous plait, repris-je, tout sourire. L’employé modèle déposa les verres sur nos tables respectives puis s’inclina pour se retirer. Je fusillai du regard ce gros idiot qui me servait de mari depuis cinq ans. Dire que je pensais te faire plaisir en gagnant ce voyage. Tu aurais mieux faire de choisir la voiture, ça aurait été utile, au moins, rétorqua-t-il, les lèvres pincées. J’imaginais bêtement qu’un deuxième voyage de noces pourrait raviver la flamme. De toute évidence, un chalumeau aurait été plus efficace. Il se leva d’un bond, secoua sa serviette pleine de sable au-dessus de moi et partit rejoindre notre chambre sans un mot. Je me maudissais d’avoir remporté ce cadeau lors d’un jeu télévisé. Je regrettais amèrement ce choix stupide. Je revoyais encore le présentateur, engoncé dans son costume trop petit, me demander si je préférais un bol d’air frais sur une île, une Twingo ou un chèque de dix mille euros. Mais quelle idiote j’étais d’avoir pu penser que ce voyage en amoureux pouvait encore sauver les meubles, c’était encore pire depuis que nous étions ici. Je lui emboîtai le pas à vive allure jusqu’à arriver à sa hauteur. Kevin, cesse tes enfantillages. J’aimerais qu’on profite un peu de ce séjour. Il n’y a rien à faire dans cette prison flottante. Des tas de gens paieraient une fortune pour se retrouver dans une telle prison, loin de la pollution et du bruit. Eh bien, moi, j’aime le bruit ! cracha-t-il, furieux. Je veux retrouver mes embouteillages, mes klaxons et mes pots d’échappement. J’étouffe ici avec ces piafs qui braillent du matin au soir et cette chaleur tropicale qui me rend poisseux à longueur de journée. J’inspirai amplement pour retrouver mon calme et posai ma main tendrement sur son bras. S’il te plait, Kevin, allons nous baigner. Sans façon, pour me retrouver nez à nez avec un requin, ce sera sans moi. La barrière de corail nous protège, tentai-je de le raisonner. Va te faire bouffer toute seule, ça me fera de vraies vacances pour une fois. Mon regard le fusilla. Comment avais-je pu aimer un homme aussi mesquin et puéril ? Sa remarque me noua la gorge et je sentis une larme s’échapper de mes yeux, contre ma volonté. Je fis volte-face pour lui cacher ma tristesse et courus jusque sur la deuxième plage de l’hôtel où une dizaine de canoës restait toujours à disposition de la clientèle. Les lieux étaient déserts et l’animateur, responsable des prêts de matériel, introuvable. Je jetai un coup d’œil furtif à ma montre. Dix- sept heures quinze. Il devait encore être à son cours d’aquagym à la piscine de la résidence, en train de gesticuler face à ses élèves féminines épuisées mais passionnées par sa musculature surdéveloppée. Je n’allais pas le déranger pour si peu. J’avais besoin de partir loin d’ici, de pagayer jusqu’à en perdre haleine pour évacuer toutes ces paroles désagréables qui consumaient douloureusement mon cœur. Je devais y voir plus clair et prendre une décision sur mon avenir. Je ne pouvais pas continuer ainsi à ruiner mon existence pour l’unique plaisir égoïste de mon mari. Quitter mon emploi l’année dernière avait été ma plus belle erreur. Sa jalousie l’empêchait de me faire confiance et nous avions convenu de cet accord afin qu’il soit plus serein quant à ma fidélité. Il est vrai qu’être secrétaire dans un garage automobile m’amenait souvent à côtoyer des hommes. Mais cela ne faisait pas de moi une garce pour autant. Jamais je ne l’avais trompé, mais sa suspicion était devenue invivable pour lui comme pour moi. Il n’arrêtait pas de passer à l’improviste à mon bureau ou de me téléphoner à toute heure de la journée pour me demander avec qui je me trouvais. Démissionner avait été la seule issue à cet enfer. Mais, depuis, je m’en voulais d’avoir cédé à sa requête. Je me retrouvais dépendante financièrement de lui et sans personne avec qui parler de mes problèmes conjugaux. Mes relations masculines furent immédiatement rayées de ma liste d’amis puis suivirent, peu après, mes copines d’enfance. Il m’avait écartée de toute vie sociale, m’empêchant de sortir le soir pour aller boire un verre ou même pratiquer un sport en salle. Trop de voyeurs, d’après lui… J’entrai dans la petite guérite en bambou du moniteur, notai mon nom sur son calepin ainsi que l’heure du prêt et celle prévue du retour. J’avais l’habitude d’agir ainsi tous les jours depuis mon arrivée sur l’île et personne ne me l’avait jamais reproché. C’était un petit hôtel familial et tout le monde, ici, se faisait confiance. J’enfilai un gilet de sauvetage pendu à un crochet et embarquai à bord d’un kayak blanc à rayures bleues aux couleurs du drapeau local. Malgré ma rancœur, je regardai une dernière fois dans mon dos pour voir si Kevin m’avait suivie mais, comme je m’en doutais, il n’y avait personne. Peut-être espérai-je naïvement qu’il m’aurait demandé pardon et aurait partagé avec moi ce moment de tranquillité sur l’océan Pacifique. Mais j’aurais dû me douter que sa fierté l’emporterait. Jamais il ne s’excusait ni se rabaissait à faire le premier pas lors de nos fréquentes disputes qui le conduisaient parfois jusqu’à la violence. Après quelques coups de rame, toute une palette de bleus s’étala face à moi. Le bleu gris du ciel parsemé de nuages se fondait au turquoise de la mer et au Le bleu gris du ciel parsemé de nuages se fondait au turquoise de la mer et au marine foncé au-delà du récif de corail. Je croisai quelques pirogues tahitiennes et un bateau de pêcheur qui longeaient les côtes prudemment. Je forçai tant que je le pouvais sur mes bras et tirai sur le bois à m’en faire mal pour m’éloigner le plus possible de Kevin, pour fuir sa méchanceté chronique qui me tuait à petit feu. J’observai de loin la carte postale qu’il détestait tant. Pourtant, tout était si beau, si calme dans ce havre de paix où les anges devaient trouver refuge lors de leurs séjours sur Terre. Les cocotiers se mirent à valser au gré du vent, semblant me dire un au revoir amical au milieu d’un doux nid de végétation. Le rouge des fleurs parsemait l’ensemble par petites touches exquises comme dans un tableau de Paul Signac. Je souris un peu et sentis mes muscles se détendre à cette vision paradisiaque. Après que j’eus clos mes paupières, je poursuivis ma quête du bonheur à l’aveugle, gardant le plus possible cette vision irréelle dans mon esprit. Je ne voulais plus voir Kevin. Les yeux ainsi fermés, je pouvais me concentrer sur le souffle discret de la brise sur ma peau ainsi que sur le bruit de l’eau doucement fouettée par les pales de ma rame. Le soleil me réchauffa la peau de ses rayons bienfaiteurs et me plongea subrepticement dans une agréable torpeur. Le clapotis de la mer finit de me bercer avec tendresse, m’invitant à m’assoupir dans les bras rassurants de Morphée. 2 Une goutte. Puis deux. J’étais si bien, ainsi balancée sur les vagues comme un enfant sur les genoux de sa mère, que je refusais de quitter mes songes. Une troisième, en plein sur mon nez. Je secouai la tête énergiquement pour m’en débarrasser mais fus aussitôt victime d’une quatrième goutte vigoureuse. J’ouvris les paupières, enfin réveillée, et constatai avec horreur que j’avais complètement dérivé pendant ma « courte » pause. L’horizon était nu, sans montagne ni forêt pour se découper dans le ciel sombre. J’avais dû m’assoupir plus longtemps que prévu et la nuit commençait déjà à tomber. L’eau, sous mon canoë, n’avait maintenant plus rien d’idyllique et ressemblait à une mare noire menaçante et grouillante de bestioles sanguinaires. De grosses gouttes de pluie s’écrasaient, avec force, à la surface ; à intervalles irréguliers d’abord puis de plus en plus intensément, me trempant de la tête aux pieds en moins de deux minutes. J’avais l’impression d’être sous le pommeau de douche d’un dieu en colère. Je levai les yeux au ciel et pris conscience de mon problème lorsque je découvris l’immensité et la noirceur des nuages qui, poussés par des rafales meurtrières, arrivaient vers moi à toute allure. Mon canoë se mit à tanguer sur les vagues devenues folles et ma rame me glissa des mains pour aller s’écraser sur la surface d’encre, à plusieurs mètres de mon embarcation. Si je sautais à l’eau pour la récupérer, je n’étais pas sûre d’avoir la force de nager jusqu’à elle sans être emportée sous les flots ravageurs. La peur et les mouvements brutaux du kayak me donnèrent la nausée. Je tentai de me diriger tant bien que mal avec mes mains mais c’était peine perdue. Je n’avais aucun point fixe pour me diriger, pas même un phare ou une simple lumière au loin. J’étais seule, au large d’une île cernée de requins qui n’attendaient que ma chute pour se délecter de ma chair. Je pouvais sentir leur présence sous mes jambes, tournant en rond comme des vautours affamés. L’angoisse tétanisa mes membres à cette idée et mes larmes ruisselèrent sur mes joues, se mêlant à la dense pluie froide. Je criai, hurlai pour qu’on me repère mais l’orage tonna à son tour, bien plus fort et violent que ma voix insignifiante. Je ne faisais pas le poids face à cette nature hostile qui se vengeait sûrement de toutes les pollutions que je lui faisais subir depuis ma naissance. Je me sentais petite et impuissante. Je m’accrochai de toutes mes forces au rebord de ma minuscule embarcation et priai pour qu’elle ne se renverse pas. Les minutes paraissaient des heures, s’étalant à l’infini sous des éclairs qui fendaient la nuit d’une lueur funeste. J’allais mourir. Là, maintenant. Sans personne pour me secourir et encore moins pour me pleurer. Kevin serait enfin heureux, débarrassé de cette femme stupide qu’il n’aimait pas mais qu’il gardait jalousement par possessivité. Il allait enfin pouvoir passer de vraies vacances, comme il l’avait spéculé avant mon départ pour l’enfer. Après la peur et la tristesse, le temps eut raison de ma bonne volonté et de mon instinct de survie. Je m’attendais à périr d’une minute à l’autre et m’étais presque résignée à ce destin. Je me demandais juste comment cela allait arriver. Une créature marine ? La foudre ? La noyade ? Je fermai mes paupières avec force pour repousser loin de mes pensées cette dernière possibilité. J’avais entendu dire que la noyade était la pire des fins et je ne voulais pas en avoir la confirmation. Je pressai fortement mes bras autour de ma poitrine pour me blottir contre mon gilet de sauvetage et rentrai la tête dans les épaules. Mes nausées s’intensifièrent et mon estomac me faisait terriblement souffrir. Si seulement j’avais un Rennie sous la main… Si seulement il ne pleuvait pas… Si seulement je n’avais pas quitté la plage sans prévenir personne… Avec des si, comme disait ma pauvre mère, on mettrait Paris en bouteille.

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