Journal de bord vers la Patagonie Alain Guénoche (cid:13)c AlainG.,2014 ÉditégrâceàGillesetàTEX Denombreusesphotossontaccessiblessurhttp://guenoche.alain.free.fr/ 3 QuandPaul,àl’automne1999,m’aparlédesonintentiondefaireletourdumonde àlavoile,ilm’atoutdesuiteditqu’ilpartaitparlaPatagonieetcomptaitemprunter ledétroitdeMagellanpourpasserdanslePacifique.Monsangn’afaitqu’untouret mapropositionfutimmédiate. - Si tu cherches quelqu’un pour t’accompagner, au moins jusqu’au Chili je peux merendrelibre.Maisàtoidevoir,etsituasprévudepartirseulouavecd’autres,ce serapouruneautrefoisouuneautrevie. Depuisquej’ailuFranciscoColoane,jerêved’allerenTerredeFeu,devisiterle dédaled’îlesqu’onappellelescanauxdePatagonie,denaviguersurlestracesdeDar- windansleCanalBeagleetdemettredesimagessurcestoponymesenchanteurs:la péninsuleValdés,leParamo,lacordillèreCarmenSylva,PuertoEden,laBaiaUltima Esperanza, les canaux Conception, Brecknock, Cockburn et le Passo del Indio. J’ai vu des livres dephotos d’indiens; je sais queles Onas, les Alakalufs et lesYahgans ontdisparudepuisbellelurette,assassinésparleschercheursd’orouleséleveurspour s’approprierlesterres,ouencoreinfestésparl’alcooletlesmicrobesquela"civilisa- tion"leuraapportés.Maisjevoudraisvoirleslieuxoù,malgréunclimatetdesvents impossibles,ilsparvenaientàvivredepêche,dechasseetdecueillette,pratiquement nusouemballésdansdespeauxdeguanaco,réfugiésl’hiverdansdesabrisdebran- chages1. Pour mieux situer cette littérature et rêver devant ces noms, j’avais même achetélacartemarineanglaisequicouvrel’extrêmesuddel’AmériqueduSud,pour l’épingleraumurdemachambre.Ellevaenfinremplirsavraiefonction. Contournerlenouveaumondeparlegrandsudn’estpasuneminceaffaire.Tout dépend du bateau et des conditions. Paul a un voilier de 12 mètres, un Oceanis 411 presque neuf, qu’il a acheté dans ce but et équipé en conséquence. Il a l’expérience des grandes croisières, puisqu’il a traversé l’Atlantique 7 ou 8 fois. Qui plus est, il y a 20 ans, il est déjà allé en Patagonie. Sur un bateau de 9 mètres, un Ovni 31, il est descendu jusqu’à Punta Arenas, dans le détroit de Magellan puis a emprunté les canauxpourdoublerleCapHorndanslebonsens,avantderejoindreUshuaïadansle CanalBeagle.Delà,ilaprisledifficiledétroitdeLeMaireavantderemontertoute lacôteArgentinejusqu’àMontevideoetrentrerenFrance.Ilconnaîtdoncunebonne partiedenotretrajet.Deplus,sonbateauétaitnettementmoinsbienéquipéetmoins confortablequecelui-ci:pasdeGPSàl’époque,pasdepiloteautomatiquemaisun simple correcteur d’allure pour suivre le vent, et un moteur qui avait rendu l’âme bienavantPuntaArenas.Alors,quipeutlepluspeutlemoins.Pourmapart,j’aifait beaucoupdecroisièresenMéditerranée,surplusieursvoiliersetfinalementlemien. 1. J’aidécouvertdepuisl’extraordinairerécitautobiographiquedeLucasBridges,Auxconfinsdela terre,unevieenTerredeFeu(1874-1910),écriten1947maispubliéenfrançaisen2010.Filsdepasteur, élevéaumilieuxdesindiens,parlanttoutesleurslangues,ilestdevenuéleveuretatravaillélonguement aveceux. 4 Jen’ensuisjamaissortietn’aidoncjamaisfaitdegrandetraversée;enMéditerranée, il n’y a pas plus d’une nuit "obligatoire" sans pouvoir toucher terre. Mais je ne suis pasdutoutinquietetpensetrèsbiensupporterleslonguestraversées.Jen’aijamais navigué avec Paul; j’ai même découvert récemment son passé de marin, mais je lui faittouteconfiance.Audébutdel’année2000,ilm’aditd’accord. -Onpartàdeux,débutOctobreetonvajusqu’àPuertoMontt,leportchiliensitué àl’extrémiténorddescanaux.Ondevraityarriverencinqmois. De nom, je connais ce port, puisqu’il est en face de l’île de Chiloe, terre natale de Francisco Coloane. Ainsi, j’aurai même la possibilité de visiter son île, qu’on dit si belle, et Ancud où il est né et a passé toute sa jeunesse. Je suis évidemment ravi etj’aicommencéàm’organiserpourpouvoirm’absenter.EtantchercheurauCNRS, cen’estpastropdifficile;ilsuffitdedemanderuncongésanssolde,quiestsystéma- tiquement accordé dès qu’on a un peu d’ancienneté et qu’on n’en demande pas trop souvent. Comme c’est la première fois, après 28 ans de bons et loyaux services, ça m’aétéaccordésansproblème;mevoilalibred’Octobre2000àMars2001. Paul a laissé sa librairie et préparé le bateau pour ce long voyage. Il a déjà une trèsbonnecapote,quicouvresuffisammentlecockpitpourquel’onpuisses’asseoir àl’abridelapluieetenleversoncirésanstremperl’intérieurnirecevoirunedouche d’embrunsaumauvaismoment.Àl’arrière,ilafaitinstallerunportiquequisupporte ungrandpanneausolaireetuneéolienne;nousvoilaparésquestionénergie.Lepilote hydraulique fait partie du pack d’équipement et il a ajouté un radar. Question voile, enplusdecellesd’originequin’ontquedeuxsaisons,ilafaittaillerunegrand-voile suédoise, sans latte et à bordure libre, ainsi qu’un yankee, voile d’avant étroite pour pouvoir tirer des bords par grand frais. Question réservoir, il y a 500 litres d’eau, ce quiestbeaucouptrop(ilfautcompter5litresparpersonneetparjour),et130litres de gasoil; c’est peu, même si, par mer plate, le moteur ne consomme que 2 litres à l’heure ce qui permet de parcourir 300 miles. Il ne reste plus qu’à faire les courses, unesemainedevivresjusqu’àGibraltar. Sortir de Méditerranée Finalement,contretouteattente,noussommesbienpartisle1eroctobre.Jel’an- nonçais depuis plusieurs mois, parce que c’était la date de mon congé et aussi un dimanche, mais je n’y croyais guère. En bateau, c’est la météo qui décide, surtout quandonpartdeMarseilleverslesBaléares.MaisPaul,quiétaitimpatient,nousavait concocté une fenêtre de vent de NW, force 5-6, avant un coup de Mistral prévu à 8 ou9,quenouscomptionslaisserpasserlundisoirabritésdansunportdeMinorque,à MahonouàCiudadela. Dimanche1erOctobre,Lundi2 Rendez-vous10hàPointeRouge.LesadieuxdePaulàsafemmeetàsonfils,et lesmiensàmacompagne,sontsimplesetgais.Cedépartn’avaitriend’unesurprise, nous y étions tous préparés. Et puis, nous avons rendez-vous tous ensemble dans un moisauxCanaries,cequifaitqu’ils’agitd’unvraidépart,maispasdevraisadieux. Nous laissons à terre la chienne de Paul; il a longtemps hésité, au point que rien n’estencoredécidé.Finalement,nousdébarquonssongrossacdecroquettes.Ouf,je respire! A 11 h nous larguons les amarres, sortons du port devant nos compagnes qui agitent les bras en bout de quai. Nous hissons les voiles au milieu des bateaux qui s’apprêtentàdisputerlevire-vire,cetterégateàlamarseillaisequiréunittouslesvoi- liers du coin. Ils convergent vers le départ, au fond de la rade, alors que nous leur tournonsledos,etnousdirigeonsverslepharedePlanier. Cap200surMinorque.Nousmarchons7-8nœudsparventdetravers.Jem’habi- tueàlabarreàroueetaubateau,c’estàdireàsentirlesécartsderouteetàpilotertout droit en les compensant sans avoir à regarder le compas. Nous écoutons les BMS - bulletinsmétéorologiquesspéciaux-quiprécisentl’arrivéeducoupdevent;d’abord lelongdescôtes,nousseronsdéjàloin,puisaularge,etlànouscomptonsbienêtre arrivés. Touts’estpassécommeprévu:Alanuittombante,leventaforci,toutenrestant 5 6 AlainGuénoche portant. On a réduit la voile, continué à barrer en se relayant toutes les deux heures, parcequelamerdetraversfaisaitfaireaubateaudegrandesembardéesquelepilote automatiqueavaitdumalàcorriger.Aupetitmatinnoustraversonsunezoned’orages avecquelquesrafalesquinousfontprendreunnouveauris.Nousfilonstoujours7-8 nœuds,puis8-9aufuretàmesurequeleventserenforce,avecdesenvoléesà11-12 nœuds en surfant sur les vagues qui, maintenant que nous avons abattu sur Mahon, viennentdroitsurl’arrière.Lelochamêmeatteint13,8nœuds,cequin’estpasmal pourunbateauaussichargé.Lamerdevientdeplusenplusblanchequand,vers13h nous apercevons Minorque. En longeant la côte E de l’île nous admirons les vagues quiviennentsebrisersurlesécueilsavecdegrandesgerbesd’écume. NousentronsdansMahonà17h,cequifait30hdetraverséecommeprévu,soit 7,5nœudsdemoyenne;lebateaumarchetrèsbien.Mahonestundesplusbeauxports naturelsdeMéditerranée,parfaitementabritédetouslesvents,situédansunegrande calanquedeprèsde5kmdeprofondeur.Nonseulementlesgrosferriesyentrent,mais ilsarrivent,avecl’aidederemorqueurs,àfairedemi-tour.Lavieillevilleauxmaisons blanches est située sur un plateau rive sud et des villas luxueuses sont disséminées côténord.Aufond,ilyaunportmilitaired’opérette,avecdevieuxcanonsdessiècles passés. Tous les îlots ont été fortifiés façon Vauban; ils tombent lentement en ruine, cequileurdonnebeaucoupdecharme. Nous accostons à l’une des nombreuses places disponibles à quai, alors qu’en saison c’est une chose rarissime; on nous y fera payer le prix fort (320 F la nuit). NoussommesdevantunRestaurant-Pizzeria-Bar-Tapasoùnousallonsdîner.Onnous y sert une paella au noir de seiche dégueulasse; le riz n’est pas cuit, il n’y a pas de seiche,justetroispetitspoisquicourentaprèsdeuxboutsd’artichaut,sousl’œild’une uniquemoulepâlichonne. Mardi3 Danslanuit,leventforce8-9estarrivé,créantunclapottransversalàlacalanque. Au matin, il est toujours aussi fort. Contents d’être à l’abri, nous restons à quai en bricolantetennouspromenantdanslavilleoùilyapeudetouristes.L’après-midi,je cherchedes suppions,mais lemarchéaux poissonsn’estouvert quele matin.Jeme contented’unegrosseseichesurgelée,avecquelquescrevettesdumêmeacabit.Avec ça, je fais un riz sauté, accompagné d’épices indiennes, à faire pâlir l’établissement d’enface.Nousévoquonslapossibilitédedébauchersesclientsetdelesfairevenirà bord,cequipeutêtreunefaçondegagnersavieennaviguant! Mercredi4 Lever6h,départ7h;ilfaitencorenuit.Ilreste20nœudsdeventdunord,cequi nousconvientparfaitement,puisquenousfaisonsrouteSWverslesuddeMajorque, SortirdeMéditerranée 7 puisversl’îledeFormenteraausudd’Ibiza.Surmerplate,àl’abrideMinorque,nous nousoffronsquelquessurfsà12nœuds,etlamatinéesepasseàbonnevitesse.Puis leventfaiblitetPaulinstallelatraînemontéesurunecanneàpêcheavecunmoulinet pourgrospoissons.Auboutd’uneheure,ilremonteunebellebonite,parfaitepourle dîner. A 16 h nous mettons au moteur pour deux heures puis repassons à la voile, au près serré, ce qui nous fait faire une route trop au sud. A 2 h du matin, sous un ciel étoilé grandiose, je repasse au moteur et au bon cap. Nous avons oublié de prendre unecarteduciel,maisjefinisparretrouverCastor,Pollux,ProcyonetSirius,àpartir delaconstellationd’Orion,grâceàunmanueldenavigationastronomique. Jeudi5 Enprenantmonquartà7hdumatin,jememetsàl’espagnol,avecunlivrescolaire depremièreannée,bourréd’illustrationslaidesetstupides.Toutcelaestjustifiédans unavantproposdesauteurs:"Danslemondequilesentoure,lesadolescentssonttrès sollicitésparlesimages,ilssontconstammentincitésàdéchiffreretàcomprendreleur message.Doncsionassociel’imageauxmots,auxformulationsetauxsituationsdes textes,grâceàlareprésentationvisuellequ’ellefournit,ellepermettrad’abordd’ob- tenir leur élucidation, puis de faciliter leur fixation dans la mémoire". Il y a comme çadeuxpagespleinesdepédanterieetdetruismes;lesauteursontdûfairel’IUFM, ou pire y professer! J’aurais mieux fait d’emporter la méthode Assimil (seulement, commeonajoutaitdansletemps).Enattendant,jem’appliqueàconjuguerlesverbes àhautevoix. Versles9hrepassonsàlavoileennouscontentantd’unmodeste3-4nœuds.La lignefuse;c’estunepetitedauradecoryphènequePaulremontejusquedevantlajupe arrière.Elleestaccompagnéed’unebonnedouzainedesessemblablesetsedécroche danslesderniersmètres.Dépitésnousreplongeonsimmédiatementlerappalaetune autredaurades’yaccroche.Cettefois-ci,onlasort. L’après-midi,alorsquenousavonsremislemoteuraprèsledéjeuner,jecommence un épais volume de nouvelles de Tchekhov. J’ai emporté ce recueil, parce qu’un cé- lèbreprofesseurdesuniversités,quipartagepeut-êtremonavisdubitatifsurl’intérêt debiendesthèses,m’avaitdonnélaphotocopied’unextraitd’unenouvelledeTche- khov dans laquelle un enseignant s’emportait contre un étudiant qui sollicitait obsé- quieusement un sujet de mémoire. "Qu’avez-vous tous à venir me voir. Je ne com- prends pas. Est-ce que je tiens une boutique? Je ne fais pas commerce de sujets de thèses[...]Alafindesfins,jem’apaisepeuàpeuet,naturellement,jemerends.Le candidatrecevrademoiunthèmequinevaudrapasunsou,écrirasousmadirection unethèsequineserautileàpersonne,subiraavecdignitéunesoutenanceennuyeuse etrecevrauntitrequineluiserad’aucuneutilité".Letitredelanouvellen’étaitpas 8 AlainGuénoche mentionné,maisjetrouvaissoncontenusijusteetlaformulationsiéléganteque,du- rantplusieursannées,j’aiaffichécetextraitsurlaportedemonbureau.Etj’aicherché cerecueilpourl’emporter. Jefeuillettenégligemmentlatabledestitressansentrouverunquicorrespondeà cettehistoireetjecommence,sansvraieraison,par«Unehistoireennuyeuse»quiest justementcellequejecherchais.Quellecoïncidence!Lanouvelleesttoutedumême jus,maissansaucuneamertume.Elledemandeseulement"Pourquoinevoulez-vous pasêtreindépendants,pourquoilalibertévousrépugne-t-elleàcepoint"? Vers17h,noussommesrattrapésparleventd’Eetnousmettonslespijusqu’àla tombéedelanuit. Vendredi6 Nuitetjournéeàlavoileàlavitessetranquillede4-5nœuds.Nouscommençonsà établirunrythmerégulier.Paulassurelepremierquartde21hàminuit,puisjeprends lesecondjusqu’à4h.Ilreprendjusqu’à7hquandlejourselèveetretournedormir unpeu.J’enprofitepourfairemesexercicesd’espagnol,oupourtapersurmonpetit ordinateur portable qui fonctionne sur une prise 12 V. Dans la journée, nous restons horsquartetvaquonschacundenotrecôtéquandiln’yapasàmanœuvrer.Déjeuner froid à 13 h. Nous lisons, écrivons et surveillons la mer. Nous pêchons du lever au coucher du soleil, avec une ligne de traîne qui se met à vibrer et file au moindre poisson, à moins que ce ne soit une algue ou un plastique. Paul écoute toutes les météospossibles,enfrançaisetenespagnol.NousvenonsdedécouvrircelledeRFI qui couvre l’Atlantique nord; c’est parfait jusqu’au Cap-Vert. L’eau fait 23 degrés et nous nous baignons tirés par le bateau. A 19 h, c’est l’apéro tout en écoutant les informations,puisjepréparelerepasdusoir.Nousnesommespaspartisdepuisassez longtempspournousdésintéresserdel’actualité.Pourl’instantnoussuivonslachute de Milosevitch et les crimes perpétués par l’état d’Israël. Bientôt nous aurons droit aux élections sanguinaires en Côte d’Ivoire et à l’imbroglio comptable des élections présidentiellesauxUSAavec,ensuspend,cettequestionlunaire:A-t-onvraimentle droit de recompter les voix? Pendant ce temps, on ne parle plus des malversations des politiciens français - les électeurs du V-ème arrondissement, les frais de bouche del’Elysée,lespousseauxcrimesenNouvelleCalédonie,etc.Jerepenseàmonami Mauricequi,toutempruntdelafoiducharbonnier,disaitquenousavionslameilleure classepolitiquedumonde.Biensûrqu’ilyapire,maiscen’estpasuneraisonpour lesblanchiraveuglément. Bien que nous ayons perdu les côtes de vue depuis deux jours, de petits oiseaux nousaccompagnent;ilsviennentsereposersurlepont.Ilyenaplusquedesdauphins, unepaireparciparlàquinesedétournentmêmepaspournous.Danslasoiréelevent baisse lentement et vers 23 h nous avançons au moteur vers le Cabo de Gata qui SortirdeMéditerranée 9 marquelechangementd’orientationdelacôteespagnole.Làdébuteledoublerailde navigation; cinq miles dans un sens, cinq miles dans l’autre et entre les deux, cinq milesde«noboatsea».Ennoustenantaumilieu,nousvoyonsdéfilerleslumières descargosdepartetd’autre,sansêtreinquiétés. Samedi7 Aupetitmatin,noussommesaularged’Almeria.Nousprofitonsd’unepetitebrise matinalepourreposerlemoteur.Brièvement,carà10hiln’yapluslemoindresouffle. Nous collons à la côte pour annuler les effets d’un petit courant contraire et pour voir la Sierra Nevada. Peine perdue, elle est noyée dans les nuages de chaleur qui dominent la côte, alors que nous sommes en plein soleil. Nous suivons la sinistre barred’immeublesbalnéairesquibordelacôte. Quelques gros dauphins viennent enfin jouer avec le bateau et l’on voit passer deux groupes de globicéphales mollassons. Un petit espadon saute hors de l’eau à plusieurs reprises; nous espérons qu’il sera tenté par notre leurre; en vain. Ce soir, pasdepoisson.Paulditquec’estàcausedesdauphins,maisaussidel’eauplusfroide decinqdegrés. Lanuitsedérouleaumoteur,avecunbrefessaidevoile.Jefaisavancermanou- vellepolicière"Jehaisleschercheurs"entapantsurl’ordinateur.Jeviensdeterminer un colloque international à Marseille, dont j’étais l’un des organisateurs. Mes chers collègues m’ont parfois passablement énervé et je les brocarde à la manière de Ben Hecht,enlesmêlantàunefictiondemeurtresurlecampuspendantlecongrès.C’est uneexcellenteoccupationpendantlesquartsdenuit.Touteslesdixminutes,jemonte surlepontvérifierqu’ilnesepasserien. Dimanche8 A 7 h, le phare de la Punta Europa, extrémité sud de Gibraltar, jette ses derniers éclats.Encorequatreheurespourarriveraupieddurocher.Silesanglaisneveulentà aucunprixabandonnercebelvédèrestratégique,c’estqu’ildoitêtrefarcidecapteurs, microsetautressonarsaptesàcontrôlerlesentrées-sortiesdeMéditerranée.Unedi- zainedecargoshétéroclites,durusse,dugrec,dumaltais,duchypriote,sontàl’ancre. Encontournantlapointe,nousentronsdanslabaied’Algesirasà11hetlongeonsle portjusqu’aubassindesyachts.Nousavonsmiscentheurespourfaireles550Mde- puisMahon,dontlamoitiéaumoteur.C’estlapremièrefoisquejepassequatrejours etquatrenuitsconsécutivesentraverséeetçameva.Contrôlesdepoliceetdedouane sans problème, bien que Paul ait emporté un passeport périmé. Nous prenons place à Marina Bay, club nautique tout confort. Un seul défaut, il est au bord de la piste d’aéroport;lesavionsquiseposentfrôlentlesmatsetfontunvacarmeépouvantable. 10 AlainGuénoche Dansl’après-midi,jevaisfaireuntourdanslavillequiaffichesoncaractèrebri- tannique(pub,bobby,postoffice)alorsquel’architectureancienne,danslavilleforti- fiée,estdestylemauresque.Iln’enresteplusbeaucoupetlapartierécente,aupieddu rocher,estplutôtmoche.J’emprunteàpiedlaroutequimèneausommet,maisjere- nonceàmi-hauteur,àcausedel’heuretardiveetdupéagede5£applicablemêmeaux piétons! Je redescends par un agréable jardin fleuri et décide de passer en Espagne. Pourcelailfauttraverserlapistedel’aéroport,àpiedcommeenvoiture.Ilyajuste unebarrièrebranlanteetunfeurouge,commeunquelconquepassageàniveau.Rien n’empêched’allersepromenersurlapistepourattendreleprochainavion!Del’autre coté,passélespostesfrontières,c’estencoreplusmoche. Lesoir,nousallonsdînerdansunpetitrestaurantmarocain.Levieuxtenancier,qui baragouinelefrançais,estnatifdeTanger.Touslesjours,ilsefaitlivrerlanourriture enprovenanceduMaroccarici,dit-il,elleesttrèschère.
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