CORPVS CHRISTIANQRVM ' . Continuatio Mediaevalis "'! ', - --~-~----·-~---------~- -- ~-~.-~ -·Z• ------------ ---------- -CLXV ----~~-- -·- ,.:- . ...,r:- __ IOHANNIS SCOTTI seu ~ ERIVGENAE PERIPHYSEON LIBER QVINTVS TVRNHOLTI TYPOGRAPHI BREPOLS EDITORES PONTIFICI! MMIII ... IOHANNIS SCOTTI seu ___; g-R-lV---G-ENA-E- --------- PERIPHYSEON LIBER QVINTVS Editionem nouam a suppositiciis quidem additamentis purgatam, ditatam uero a'Ì:>pendice in qua uicissitudines operis synoptice exhibentur CVRAVIT EDVARDVS A. ]EAUNEAU · - UCA • Biblioteca Teologia . I l~"l~l"l~J TVRNHOLTI TYPOGRAPHI BREPOLS EDITORES PONTIFICII MMIII ,,:/1.f.~1J; ; ,C\D DE TEQU.Vil~'"·' U.C.A. SVMPTIBVS SVPPEDITANTE SVPREMO-Bl'!:LGARVM~MAG'.tStRA.TV ~~~~~~~~~~~~~~PVfltieAil-fNS'fl1'V'ft.Dl'tt--~~~~~~~~~~~~~~ AT QVE 0PTIMIS ARTIBVS PRAEPOSITO EDITVM Cette édition a été subventionnée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. BIBLIO"FECA O'~ LA FACULT.t\D DE TEOLOGIA ,.; .;;' UNiVERSIDAO CATOJ..ICA ARGEl'HiNA ii'lV:ONTARIO 23849~ I FECHA ~ This book has been printed on paper according to the prevailing ISO-NORMS. © Brepols Publishers 2003 Ali rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transrnitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ~. Heinrich Joseph Floss (1819-1881) Éditeur du Periphyseon Extrait des Annalen des histprischen Vereins fur den Niederrhein insbesondere das alte Erzbistum Koln, n7 (!930), planche située entre !es pages 32 et 33. INTRODUCTION ------~----- PRAEMIVM QVIPPE EST IN SANCTA SCRIPTVRA LABORANTIVM PVRA PERFECTAQVE INTELLIGENTIA ~ Le sujet du livre V: le retour Ainsi qu'on !'a démontré ailleurs, le plan initial du Peripbyseon ne comportait que quatre· livres, chacun d'eux correspondant à ----l'une-des-quatre--divisions de la nature. (') Ayant pris du retard ------'~_,,urJe.pr-0gramme4u'ils'étaitfi.xé,l'.auteu!'i.iutreconna'ìt-re,-ver.s-la fin du livre IV, qu'un cinquième livre serait nécessaire. Le thème du cinquième livre est donc celui-là meme qui avait été prévu pour le quatrième, à savoir le retour de toutes choses vers la Na ture qui n'est pas créée et qui ne crée pas. Et puisque le Peripby seon est aussi un hexaméron, le livre V reprend le commentaire de l"'ceuvre des six jours" là où le livre IV l'avait interrompu, à savoir au verset 22 du chapitre 3 de la Genèse: "Nunc ergo ne forte mittat manum suam ... ". Si la particule ne devait etre inter prétée négativement, le dialogue tournerait court. Cela signi fierait, en effet, qu'après le péché origine! Dieu a placé un chéru bin à la porte du paradis afin d'empecher l'homme d'y revenir. Dieu lui-nieme, dans ce cas-là, s'opposerait au retour de toutes choses vers la Nature qui n 'est pas créée et qui ne crée pas. Il va sans dire qu'Érigène ne saurait se résoudre à une telle solution. Pour sortir de la difficulté, il lui suffit d'observer que, selon !es grammairiens, la particule ne n'a pas toujours un sens négatif; elle a parfois une valeur dubitative ou interrogative (861A-865C)._ Cette première difficulté surmontée, d'autres surgissent. Et d'abord ces paroles du Christ: "Le ciel et la terre passeront" (Mare 13, 31). Faut-il comprendre que le ciel et la terre retourneront au néant? À Dieu ne-plaise! Le Créateur n'anéantit rien de ce· qu'il a créé. Il faut comprendre que le ciel et la 'terre feront retour aux causes primordiales (887BC). Une autre difficulté, elle aussi tirée de l'Écriture, surgit, qui ne conteste point le fait du retour, certes, mais qui risque de com promettre - c'est du moins ce qu'Érigène semble avoiì craint - sa justification rationnelle. Le thème du livre V, avons-nous dit, est le retour de toutes choses à la Nature qui n'est pas créée et qui ne crée pas. Par ailleurs, il n'est pas douteux que la nature humaine occupe une piace privilégiée dans ce retour. Or, le re- \ tour de la nature humaine se fait en cinq étapes: I. après la mort le corps se décompose pour revenir vers les quatre éléments (') CCCM 161, pp. xi-xv. CCCM 164, pp. lvii-lviii. J'en profite pour corriger une grossière erreur qui s'est glissée en ce dernier volume: à la page lviii, lignes 5 et 14, il faut lire "retour de toutes choses vers la Nature qui n 'est pas créée et qui ne crée pas". Cf. CCCM 164, p. vii, lignes 33-34. VIII INTRODUCTION dont il est constitué; 2. le corps ressuscite à partir des éléments; 3. le corps est transformé en esprit; 4. l'esprit ou, plus exacte ment, la nature de l'homme tout entière revient vers ses causes primordiales; 5. cette meme nature avec ses causes est transmuée ·-----en-Bieu-comme-l'air Hluminé est transmué-en·-lumière·-E876AB1c- ---.-, L~ deuxièm~ étape,_I~ rés_u_rr~tic:>ll_ du corps_, fu.it P.attie ~li _m_<!ssa:_ _________ ge chrétien traditionnel. Longtemps Érigène a pensé qu'il s'agis- sait là d'une grace miraculeuse, échappant aux lois de la nature. Et ce qui le confirmait en cette opinion, c'était cette parole du Christ: "]e suis la résurrection et la vie" (Jean u, 25)~ De èette so- lennelle déclaration Érigène concluait que, si le Verbe de Dieu ne s'était pas incarné, s'il n'avait pas vécu parmi !es hommes, s'il n'avait pas assumé cette humaine nature en laquelle il a souffert et est ressuscité, il n'y aurait pas de résurrection des morts et qu'après le trépas nos corps, tout comme ceux des autres ani- maux, demeureraient poussière (899AC). Voilà ce qu'il pensait, jusqu'au jour où il tomba sur une page d'Épiphane de Salamine qui le fìt réfléchir et changer d'opinion (899C-902B). Désormais, il professa que la résurrection des morts est l'ceuvre conjointe de la grace et de la nature (902CD). La satisfaction qu'il éprouva à cette découverte peut aisément se comprendre. Si la résurrec- tion des corps était !'J:uvre exclusive de la grace, elle échappe- rait aux lois de la nature; notre raison n'aurait aucune prise sur elle. Elle serait objet de notre foi, mais il serait difficile de l'intégrer dans le projet d'ensemble du Peripbyseon, qui consiste à aller de la foi à l'intelligence de la foi, un projet qui s'inscrit dans le schéma néoplatonicien de procession et de retour. (2 ) Quoi· qu'il en soit, la difficulté majeure que rencontre Érigène pour traiter du retour universel de toutes choses à leur Principe vient d'ailleurs. Elle vient des textes scripturaires qui parlent des peines éternelles, en particulier celui-ci: "Allez loin de moi, mau dits, dans le feu éternel" (Matth. 25, 4r). (3) L'auteur du Periphy: seon, il est vrai, ne s'embarrasse guère de l'imagerie traditionnelle de l'enfer. Feu matériel, ver qui ronge, lac de soufre, ténèbres extérieures et dents qui grincent sont à reléguer au magasin des accessoires ou, plus exactement, à interpréter allégoriquement. C'est ce que fait notre Irlandais. Et il le fait avec d'autant plus d'assurance qu'il peut légitimement étayer son interprétation (2) É. ]EAUNEAU, "TI"> .Neoplatonic Themes of Processto and Reditus in Eriugena", dans Dionys •. s, 15 (1991), pp. 3-29. (') Peripbyseon, V, 9210, 9388, 9380 (CCCM t65, 2769-2770, 3501-350>, 3521; pp. 87, no). LE SU JET DU LIVRE V: LE RETOUR IX allégorique sur une autorité reconnue, celle de saint Ambroise. N'allons point, dit l'éveque de Milan à propos des "ténèbres ex térieures", imaginer une caverne profonde, semblable à ces fa meuses latomies dans lesquelles Denys, tyran de Syracuse, en- . · fermait-ses·ennemis: "~uiconque-est sans le Christ se trouve dans lesténèbres, parce gue-le Christ est la lumière intérieure" fa3.ftB- 937A). Érigène partage ce point de vue: "Òtez-moi le Christ: au cun bienne me reste, aucun tourment ne m'effraie. Car etre privé de !Ui, etre privé de sa présence, voilà le tourment de toute créa ture raisonnable: à mon avis, il n'y en a point d'autre" (989A). Que l'enfer ne soit pas un lieu, c'est là ce que la langue grecque a su exprimer avec plus de bonheur que la latine: "Les Grecs, com.me d'habitude, considérant !es choses avec plus d'acuité et !es exprimant avec plus de clarté, ont donné à l'enfer Jé nom de QOl']ç, c'est-à-dire tristesse" (955A). Le latin infernus, en effet, sug gère un lieu inférieur. L'équivalent grec d'infernus, au contraire, à savoir QOl']ç, désigne non un lieu, mais un état, tristitia ou in e suauitas: a privatif - ~ouç. 4) Dire que l'enfer est un état, qu'il se situe dans la conscience des damnés (937A, 955B, 978B, 997B) et non en des cavernes pro fondes et obscures, ne le rend pas plus tolérable. S'il faut le con- :i, cevoir camme éternel, il demeure non seulement un désaveu du schéma néoplatonicien de procession et de retour, mais un échec au pian cÌivin (roo6C), qui est que "tous !es hommes soient sau vés et qu'ils parviennent à la connaissance de la vérité" (I Tim. 2, 4). Tout l'effort déployé par Érigène dans le livre V du Periphy seon vise à écarter ce désaveu et à éviter· cet échec. Pour y par venir, il a recours aux axiomes suivants: r: Dieu seul est éternel, !es chatiments des damnés ne sauraient lui etre coéternels (926D- 927A, 934D-935A, 94rAB, 960AB, 963CD); 2. Dieu ne punit pasce qu'il a fait (la nature humaine et la nature angélique), il punit ce qu'il n'a pas fait, à savoir !es mouvements irrationnels des volon- tés perverses (923C, 927BC, 943D-944A, 950CD, 955D, 960A). Ces propositions ne sont jamais démontrées. Érigène !es considère camme des principes premiers, évidents en eux-memes. De ces principes il conclut à la restauration intégrale de l'univers créé. "Si le Verbe de Dieu a assumé l'humanité, il n'en a pas as sumé une partie seulement..., il l'a assumée universellement et tout entière. Et s'il l'a assumée tout entière, il l'a par con- (+) Periphyseon, V, 954C, 971B (CCCM 165, 4255-4256, 5046-5050; pp. 132, 155, avec !es notes) X INTRODUCTION séquent restaurée tout entière ... En cetre humanité, qu'il a assumée tout entière, il n'a rien laissé qui mérite les peines éternelles ... Car en aucun etre Dieu ne damne ce qu'il a fait; il punit ce qu'il n'a pas fait. Il ne punit pas, il ne punirq pas -la -nature-des·anges-prévaricateurs,mais-il--détruira -leur---ma~- - -----------. --------~h~·c~e leur immété,___1e1u_42ouvoir___de_ll11ire,_eOIIlllle__iLfe~------- dispara!tre tout cela des hommes mauvais qui les suivent. Leur éternelle darrination ne sera probablement (5) rien d'autre que l'abolition totale de leur malice et de leur impiété." (6) Érigène se rallie à la thèse d'Origène sur la restauration finale (OTTOKOTéxornmç) de la nature humaine. Cependant, avec Maxime le Confesseur, (7) il distingue un double retour: un retour général (reditus generalis) commun à tous les hommes, vertueux ou pécheurs, et un retour spécial (reditus specialis) réservé aux seuls élus (1001AB). En vertu du reditus generalis, tous les hom mes, quels que soient leurs mérites ou leurs démérites, retrou veront l'intégrité primordiale de leur nature. En vertu du reditus specialis, !es élus, et eux seuls, seront élevés;-au-delà de-toute ___ _:, nature, jusqu'à Dieu meme et jouiront du privilège de la divini sation (8Éwmç). Des images bibliques illustrent ce double retour: le passage de la mer Rouge (Exode, 14-15), l'institution du Jubilé (Lévitique, 25, 8-13), !es prophéties d'Isale (9, 1-2) et d'Ézéchiel (16, 52-55) ainsi que !es paraboles évangéli'ques de l'enfant pro digue, de la drachme égarée et de la brebis perdue pour le re ditus generalis (1001B-1006A), la parabole des vierges · folles et des vierges sages p01,1r le reditus specialis (10nA-ro18D).-Graee à cette distinction entre un retour général auquel tous sont appelés (') Érigène a écritfortassis: Periphyseon, V, 9230 (CCCCM r65, 2863; p. 89). Dans le présent contexte, ce serait trahir sa pensée que de donner à cet ad _)> verbe le sens dubitatif du peut-etre français. Il faut savoir, en effet, que daris les traductions érigéniennes fortassis correspond soit au participe ruxév em ployé adverbialement, soit à la particule av. Pour la traduction de ruxév, cf. MAXIME LE CONFESSEUR, Ambigua ad Iobannem, I, 3; III, 26, 469; IV, 36, 57; VI, 700, 701; XIV, 2 (CCSG 18, pp. r7, :1.2, 36, 43, 67, 129). ID., Quaestiones ad Tba lassium, XLVIII, 51 (fortassis) et 65 (rnxév): CCSG 7, pp. 332-333, etc. Pour la traduction de av, cf. CCCM 164, p. lii. Or, i[·arrive que, dans le latin érigé nien, certains mots retiennent la coloration des termes grecs auxquels ils correspondent dans !es traductions. Lorsqu'il écrit fortassis, Érigène pense vraisemblablement soit à rnxév, soit à av, soit aux deux. Cf. Expositiones in Hierarcbiam caelestem, IV, 123-128 (CCCM 31, p. 68). (6) Periphyseon, V, 923CD (CCCM 165, 2853-2865; p. 89). (7) MAxiME LE CoNFESSEUR, Quaestiones ad Tbalassium; LIV, scholion 18 (CCSG 7, pp. 474-475). LE SUJET DU LNRE V: LE RETOUR XI et un retour spécial réservé aux seuls élus, Érigène peut se flat ter d'avoir concilié deux séries de textes bibliques, en apparence contradictoires: ceux qui montrent le souverain juge séparant !es brebis et !es boucs, et ceux qui proclament que Dieu veut sauver -------rous-tes-homm~s-(924C}-;------------ - --------ll--peut---se--vantef-aussi-cl'aveif-appeFEé--at1-thème--néoplat~ni- cien du retour (ÈTTICJTpo<p~) et à la thèse origéniste de la restau ration universelle (cnroKaréicrramç, restitutio, reuersio) (8) l'appui de la Bible, à condition toutefois de lire celle-ci dans une traduction faite sur la Septante. Dès le livre IV (856AB), il avait interprété la sentence prononcée par Dieu sur la femme après le péché d'Adam - "Et ad uirum tuum conuersio (àrrocrrpoqi~) tua" (9) - camme prédisant le retour de la nature humaine à son état primordial. ('0) Au liv;e V (1003D-roo413), il trouve chez Ézéchiel (r6, 55) la promesse d'une restauration universelle de la nature humaine: "Et sorores tuae Sodoma et filiae eius restituen tur (àrroKaracrra9~crovral) sicut fuerunt a principio, et Samaria et filiae eius restituentur sicut erant a principio, et tu et filiae tuae restituemini (àrroKaracrra9~CJECJ9E)". (") Si, camme on vient de le dire, cette restauration est universelle, elle ne saurait se limiter au genre humaia1. De fait, Érigène l'étend aux anges prévaricateurs (923CD). De plus, il reproduit in ex tenso !es lignes dans lesquelles Origène expose sa thèse sur le sa[ut du démon. (12) Il accepte sans broncher l'exégèse origéniste du verset paulinien (I Cor. 15, 26): "Le dernier ennemi détruit, c'est la mort". "Il est <lit que le d~rnier ennemi, le diable, ('3) qu'on, appelle La Mort, est détruit. Ainsi, il n'y a rien de triste, ('4) puisqu'il (8) Cf. CCCM 164, p. 161, .note concernant ·ies lignes 4954-4956. (•) Genèse, 3, 16. Cf. Bibliorum sacrorum Jatinae uersiones antiquae, éd. P. Sabatier, Reims, 1743, I, p. 19. ('0) Peripbyseon, IV, 856AB (CCCM 164, 4989-4993; p. 162). Par ailleurs, rencontrant le mot tmcrrpo<p~ chez Denys I' Atéopagite (De diuinis nomini bus, IX, 9 (éd. B. Suchla, p. 113, 20), Érigène le traduit par "conuersio": Peripbyseon, i, 524A (CCCM 161, 3475; p. m). (") Peripbyseon, V, 1004A (CCCM 165, 6525-6528; p. 201). (") Peripbyseon, V, 929A-930D (CCCM 165, 3roo-318Ò; pp. 98-roo). (") Bien que le mot diabolus n'ait pas été retenu par !es éditions moder nes d'Origène (PG u, 338A12; GCS 22, p. 286, ro), il appartient vraisemblable ment au texte authentique du De principiis: l'un des noms du diable est La Mort (CCCM 165, 3189-3191; p. 101). Cf. É. ]EAUNEAU, Études érigéniennes, Paris, 1987, p. 388, n. 129. ("') Autrement <lit, il n'y a plus d'enfer, puisque, selon Érigène, le nom grec de l'enfer (Hadès) signifie 'tristesse'.