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Interprétation de la Deuxième considération intempestive de Nietzsche PDF

214 Pages·2009·26.45 MB·French
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\.\otltè 9 � '-' ltA. � de �e PHILOSOPHIE lEUVRES DE MARTIN HEIDEGGER Interprétation de la Deuxième considération intempestive de Nietzsche par MARTIN HEIDEGGER Tradtdf de l'allemand et prét'acé par Alaln Boutot -i. I ! MARTIN HEIDEGGER Interprétation de la Beuxième considération intenapesti'Ve de Nietzsehe .. I :ho11111w. frrit Nit•tz,s1·lw tlans la /Jeuxie111P <'011sidératio11 i11te1111ws- 1i1•1•. dit ··.Il' llH' souviens •· l'I il !'Il Vii' lanimai qui ouhli1· a11ssit1lt l't \oÌI d111q1w instant 1110111"ir \1�ritahll't1H'nl. rf'lomlwr dans la hnmw t'l dans la 1111it. f'I s'(.11·i11tln· à jarnais:,, <)ui t•st an fond l'homm1· doni parli· i1·i � Nif'lzs1·lw f'I ('Il quoi il St' tliffrf t•1wie de ranimal. tellt• pr-;t la q1wstio q11i �OllS lf•nd 1 • f'''I .lii'a I ion qup l!'ll ti' i ci lleidPµ;l-(<'1' a V('(' SOll prl>d!>1"t'SSf'll I'. 1'1·111 011 simpl1·11wnt 1·011sidt�rer l'homme t·ornnw I'« animai non e1won· tj,,. •. 1·1· qui m· fait au forni qtw reprt>rnlrP la vi1·ilk défìnition d'oril-(int· 111·istol1�li1·i1·111w d1· l"l10mmt' 1·ommt' «animai rationnel,, ? Ou faut-il le 1w11 �1·1· 1111 f'Olllntin• ('Olllnlt' /)asei11, ('Olllmt• le S('UI i'\ti·p qui. da11s son t'll'I'. 1·1111'11d l"i"trt'. <"<'qui rt'vi<'ntà le situerà 111w distan<'e infinie d1• l'animal. ù 1'1·11 sl·pa1·1·1· par 1111 1-(<lllffre ahys:-;al? '14·nu p1•111la11t lt· sPmPslre d'hin·r IY:rn-IY:W à l'univt•rr-;ité dt' F1·ihourl-(­ l'll B1·is;,:au. 1·1· s1:111inairr propose. à trav1·rs la question de la diff!>n·m·ia tio11 tl1· l'homnw <'I d1· l'animai. une interprétation n·nou\Plél' 111· la l>1•11.ri1�111e 1·011sid1;ratio11 i11tempestii1e de Nit•tzsc·ht· : "D<' 1'11tili11: 1·1 d1-.s i111•011v(·11i1·11ts d1· l'histoin· pour la vi<'.» 11 mt'l en lumii'-n· l<'s présuppost'".s A 111t-111phpiq111·s du « hiolol-(isnw,, nietzsehét>n. 1·e tit1·p, , . ., séminairl'. 41111 \ i1·11t >1,'i11s1'1'Ìl'I' dans la st-1·i1· dl's 1-(rélllds r·om·s qtH' Tlt•idf'l-(1-(t'r a pn1f'1•ss1"s s111" Nif'lz,s..lw ù pa1·tir du milil'll d1•s années 19:{0. dqmis /,<1 110/01111: d1• 1mi.\,\l/lll'<' 1•11 '""' qu 'ari j11sq11 'a11 Vihi/i.rnw puropf.en. n·p1·1".-,1·111t· 1111 111111111•111 1•ss1•11til'I d11 dialol-(Ut' qw· H1·idt>l-(l-(l'I' 11\1 1·1·ss1" d1• po11rst1i\ n· a\1'1' 1•l'l11i doni. ;Ì s1·s }1'11'· la p1·11s1:,. ad11�vl' l'I ;11·1·0111plit l'histoi1·1· d1· 1"011l1li d1· l't·t r1". -�(i I p ., 'I' "')) ... ' . .,..... "', I\ 1 MARTIN HEIDEGGER INTERPRÉTA TI ON DE LA DEUXIÈME CONSIDÉRATION INTEMPESTIVE DE NIETZSCHE Traduit de l'allemand et préfacé par Alain Boutot GALLIMARD PRÉFACE DU TRADUCTEUR Séminaire de Fribourg du semestre d'hiver 1938-1939 Le séminaire sur la Deuxième considération intempestive de édité par Hans-Joachim Friedrich Nietzsche a paru en 2003 comme tome 46 de l'«Édition inté­ grale » ( Gesamtausgabe 1) des reuvres de Martin Heidegger actuellement en cours de publication aux éditions V. Kloster­ mann à Francfort. Il s'est tenu à l'université de Fribourg-en­ Brisgau pendant le semestre d'hiver 1938/1939, à raison de deux séances par semaine, et a été publié suivant le vreu de Heidegger non pas dans la quatrième section de l'«Édition intégrale » où doivent etre édités les séminaires, mais dans la deuxième section où sont rassemblés tous les cours, et ceci pour les raisons qu'on lira dans la postface. Dans ce sémi­ naire, Heidegger développe un commentaire suivi du texte de Nietzsche paru en 1874: «De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie». Son intention, ainsi qu'il le précise dans une remarque préliminaire, n'est pas «de restituer ou de répéter aveuglément »le contenu de cette Considération, mais d'explorer à partir d'elle ce qu'il appelle l'« atelier invisible » de la pensée de Nietzsche, ce qui est à l'arrière-plan de ses conceptions essentielles et ce qui se joue en elles. Il se propose en d'autres termes de dégager la position philosophique fon­ Titre originai: damentale de cette pensée, c'est-à-dire non seulement d'en ' ZUR AUSLEGUNG VON NlETZSCHES cerner Jes contours mais aussi de l'inserire dans une histoire ou Il. UNZEITGEMACER BETRACHTUNG © VilloKrlioas termaGnrnnb H, Franocrf-t s11-lre-Main,2 003. 1. Martin Heidegger, Gesamtausgabe (abrégé ci-dessous en GA), Frank­ © ÉditioCnasl lima2r0d0,9, pourla traductjiiown1 çaise. furt am Main, Vittorio Klo termann. u I .._ Préfa ce du traducteur 9 8 Préface du traducteur une provenance, et cela afin d'ouvrir la vaie, au bout du compte, rnesure de l'évolution de la lecture heideggerienne de Nietz­ à son dépassement. À ce titre, ce séminaire représente une sche à plusieurs années de distance. Car si c'est bien dans ce pièce essentielle du dialogue que Heidegger a poursuivi avec sérninaire que Heidegger a développé l'interprétation la plus Nietzsche à partir du milieu des années 1930, avec la série des langue et la plus circonstanciée de la Deuxième considération cours donnés à l'université de Fribourg depuis le semestre intempestive, ce n'est cependant pas la prernière fois qu'il s'y d'hiver 1936/1937, avec La volonté de puissance en tant qu'art, est arreté sur son chemin de pensée. On sait en effet que jusqu'au deuxième semestre 1940, avec Le nihilisme européen dans Sein und Zeit, et plus précisément au paragraphe 76 1• Le commentaire heideggerien ne se déploie pas ici cependant «L'origine existentiale de l'histoire à partir de l'historialité du en un texte contino, mais se présente sous la forme d'un Dasein Heidegger se confronte déjà avec cette Considéra­ », ensemble de notes plus ou moins élaborées, destinées à sou­ tion, mais il l'envisage dans l'optique qui était la sienne à cette tenir la discussion orale, et dont certaines n'ont d'ailleurs pas époque, c'est-à-dire celle de la « destruction historique de été exposées. C'est la raison pour laquelle l'éditeur a fait figurer l'histoire de la philosophie 1 menée au fil conducteur de la » en annexe les protocoles des séances de séminaire dont la question de l'etre et de la problérnatique de la temporalité. rédaction avait été confiée à chaque fois à l'un des participants. Heidegger y rnontre que les trois formes d'histoire distinguées Ces protocoles, de qualité à vrai dire variable, constituent un par Nietzsche, l'histoire monumentale, l'histoire antiquaire et complément très utile pour reconstruire d'un bout à l'autre l'histoire critique, ont pour origine ce qu'il appelle l'historia­ le fil de l'explication heideggerienne. Figurent également en lité du Dasein, laquelle renvoie en dernière instance à la tern­ annexe les notes prises par le fils de Martin Heidegger, Her­ poralité existentiale originaire qui constitue le sens d'etre du mann Heidegger, qui a assisté à toutes les séances du séminaire. Dasein en tant que souci. «La triplicité de l'histoire est pré­ Indépendamment de son conteno propre, ce séminaire pré­ dessinée dans l'historialité du Dasein, et celle-ci permet en sente un intéret tout particulier puisqu'il permet de prendre la merne temps de comprendre dans quelle mesure l'histoire authentique doit nécessairement etre l'unité factivement concrète de ces trois possibilités. La division de Nietzsche ne 1. Nous donnons ici la liste des cours sur Nietzsche professés par Hei­ degger à Fribourg durant cette période: Nietzsche: Der Wil/e zur Macht als doit rien au hasard, et le commencement de sa deuxième Kunst (cours du semestre d'hiver 1936/37], éd. par B. Heimbiichel, GA, t. 43, Considération laisse présumer qu'il comprenait plus qu'il n'en 1985 (cf. trad. franç. P. Klossowski, «La volonté de puissance en tant disait2 Les trois formes d'histoire chez Nietzsche sont ici qu'art »,in Nietzsche, t. I, Paris, Gallimard, 1971, p. 13-199]; Nietzsches meta­ ». reconduites à la triplicité de la temporalité originaire, l'his­ physische Grundstellung im abendltindischen Denken : Die ewige Wiederkehr des Gleichen (cours du semestre d'été 1937], éd. par M. Heinz, GA, t. 44, toire monumentale renvoyant à l'extase de l'avenir, l'histoire 1986 (cf. trad. franç. P. Klossowski « L'Éternel Retour du Méme », op. cit., antiquaire à l'extase du passé ou de l'avoir-été, et l'histoire p. 201-366]; Nietzsches Lehre vom Willen zur Macht als Erkenntnis [cours du critique à celle du présent. Et si Nietzsche accorde une pré­ semestre d'été 1939], éd. par E. Hanser, GA, t. 47, 1989 (cf. trad. franç. P. Klossowski, «La Volonté de puissance en tant que connaissance »,op. cit., séance à l'histoire monumentale, c'est au fond parce que le p. 367-510 et« L'ét�rnel re tour du méme et la volonté de puissance », Nietz­ temps véritable se temporalise premièrement par l'avenir. sche, t. II, Paris, Gallimard, 1971, p. 7-27]; Nietzsche: Der europtiische Nihi­ Tout se passe donc comme si Nietzsche avait en quelque sorte lismus [cours du 2c trimestre 1940], éd. par P. Jaeger, GA, t. 48, 1986 (cf. trad. franç. P. Klossowski, «Le nihilisme européen », in Nietzsche 11, Paris, entrevu, dans sa Considération, le phénomène de la tempora- Gallimard, 1971, p. 29-203]. Il faut ajouter à cette liste le séminaire du semestre d'été 1937: «N ietzsches metaphysische Grundstellung (Sein und Schein)» , in Nietzsche: Seminare 1937 und 1944, éd. par P. von Ruckte­ 1. Sein und Zeit, § 75, GA, t. 2, p. (392]. s1c9h4e1l/l4, 2G mAa, its. 8n7o,n 2 0p0r4o,f eps. s1é-:2 4N5,i eetzt slceh ceosu Mrse atanpnhoynsciék ,p éodu.r plea rs ePm. eJsatergee dr', hGivAer, Hc2i.d eSgeg ine ru, nedst Zlee ifto, n§ d7e6m, iebnidt .d, ep .l a(3 p9o6s] s«ib Lle'h uisntiotéri adleitsé t raouitsh geunitsieqsu dee, é lc'hriits tai:iuirses.i t. 50, 1990 (trad. franç. A. Froidecourt, «La métaphysique de Nietzsche» in Mais le fondement du fondement de l'histoire authentique est la temporalité Achèvement de la métaphysique et poésie, Paris, Gallimard, 2005, p. 7-100]. n tant quc sens d'etre cxistcntial du souci» (ibid., p. (397]). Préfa ce du traducteur Préfa ce du traducteur 11 10 lité originaire, anticipant ainsi par certains còtés les conclu­ rions en venir à croire, voire meme à tenir pour acquis que sions de l'enquete existentiale heideggerienne. toute cette discussion, camme celle sur l'essence de l'oubli par La perspective du séminaire est tout autre puisque Nietzsche, exemple, serait une simple querelle autour de mots vides 1• » Or loin d'etre à présent un des précurseurs de !'ontologie fonda­ il se trouve que Nietzsche aborde cette question de la diffé­ mentale, se trouve désormais relégué dans l'histoire de la méta­ renciation de l'homme et de l'animal dans une perspective physique considérée camme une pensée oublieuse de l'etre bien déterminée, celle de la vie, la vie étant le concept central, (ou plutòt de l'estre [Seyn]) et du Dasein. Nietzsche, et c'est là le terme fondamenta! de sa pensée, non seulement dans cette un des thèmes constants de Heidegger après le« tournant »,est Considération, mais dans l'ensemble de sa philosophie. Mais le penseur qui clòt l'histoire de la philosophie occidentale en en mettant ainsi ce concept au point de départ de la question 1 tant qu'histoire du platonisme, il est celui qui en accomplit les de l'homme et de l'histoire, Nietzsche se montre fidèle à la possibilités essentielles, et qui porte d'une certaine manière à vieille tradition métaphysique occidentale, laquelle conçoit son comble l'occultation de l'etre qui disparait dans la machi­ depuis Aristate l'homme camme anima! rationale, comme ani­ nation de l'étant. Dès lors, il ne peut plus s'agir pour Heidegger mal dont la différence spécifique est la raison. Il n'est certes de retrouver dans la philosophie nietzschéenne les quelconques pas impossible de comprendre l'homme de cette façon, mais linéaments d'une pensée de la temporalité primordiale, mais cette approche n'atteint pas, selon Heidegger, ce qui fait le d'abord de marquer la distance, voire meme l'abime qui propre de l'homme, lequel doit etre pensé camme Dasein, sépare la position nietzschéenne de la sienne propre. L'ap­ camme le seul etre qui, dans son etre, entend l'etre, ce qui ins­ proche est donc ici résolument critique, la critique n'étant taure du meme coup une distance infinie, un gouffre abyssal cependant pas à entendre négativement, d'autant que, camme entre lui et l'anima!. Ainsi, à travers son explication avec ce le rappelle Heidegger, l'explication avec un penseur ne doit qu'on appelle à tort la « philosophie de la vie» de Nietzsche, jamais se départir du respect qui doit rester de mise quand bien Heidegger entre en dialogue avec la tradition métaphysique meme on serait amené à dépasser ou à déposer sa conception. tout entière dont le « biologisme » nietzschéen n'est après tout Le commentaire heideggerien est dorénavant centré non que le dernier avatar, préparant par là meme ce qu'il appelle pas tant sur la question de l'histoire proprement dite, qui ne ailleurs « l'autre commencement ». représente que le thème apparent de la Considération, mais Nous terminons cette brève présentation par quelques bien plutòt sur la question de l'homme lui-meme. De quai est­ remarques d'ordre plus formel. Comme il est d'usage, nous il en effet question dans le texte de Nietzsche? De l'histoire avons maintenu entre crochets droits la pagination de l'ori­ bien sur, mais avant cela, de la différenciation entre l'homme gina! allemand. Nous avons en règle générale retraduit les et l'animal, de la différence anthropologique pourrait-on dire. textes de Nietzsche, que Heidegger cite dans la grande édition C'est elle qui est au point de départ et au cceur de la Consi­ in-octavo publiée chez A. Kroner en vingt volumes2• Nous dération, Nietzsche y posant en principe dès le début que avons conservé ces références bibliographiques qui renvoient l'homme est un etre essentiellement historique, alors q ue au tome età la page de cette édition, et qui figurent le plus sou­ l'anima!, qui oublie sans cesse, est au contraire foncièrement vent dans le corps meme du texte. Lorsque nous avons été anhistorique. « C'est cette questio n [de la démarcation entre amené, en de rares occasions, à introduire des termes explicatifs, l'animal et l'homme], explique Heidegger, qui domine nos nous les avons placés entre crochets obliques ( < > ). S'agissant exercices de pensée. [ ... ] Il est indispensable de faire réfé­ rence à cette question d'arrière-plan ; car sans cela, nous pour- 1. f. ci-clessous, p. 38. 2. Ni•tzsches Werke (Croj3oktavausgabe), Leipzig, C.G. Naumann puis 1. Cf. ci-dessous p. 20. A. f r ncr, 1894-1926. 12 Préface du traducteur Préfa ce du traducteur 13 des questions de traduction, Heidegger distingue soigneu­ Le terme de Kultur soulève des difficultés comparables. À sement ici, camme il le fait partout ailleurs, Historie et un moment, Heidegger rappelle l'origine latine1 du mot alle­ Geschichte, termes que Nietzsche pour sa part ne différencie mand Kultur, ce qui semble plaider en faveur d'une traduc­ pas explicitement, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il tion par notre terme de culture. Cependant Nietzsche, dans sa les confonde. D'une façon générale, Historie, qui vient du Considération, définit la Kultur camme l'« unité du style artis­ grec totaQLa (exploration, enquete)1, désigne le récit ou la tique dans toutes les manifestations de la vie d'un peuple »2, et connaissance historique alors que Geschichte vise le devenir l'oppose à la «barbarie». Le terme possède donc une signifi­ historique, le cours de l'histoire, ce qui advient ou se produit. cation élargie qui va bien au-delà de ce que nous appelons la La Geschichte, c'est au fond cela meme que l'Historie prend «culture», où l'on entend surtout la formation individuelle, et pour objet. Pour rendre Historie dans notre langue, les tra­ c'est pourquoi nous avons décidé de rendre Kultur par «civili­ ducteurs ont souvent recours à des expressions telles que sation ». Il existe certes en allemand le mot Zivilisation ( que « enquete historique », « recherche historique », « études histo­ Nietzsche oppose d'ailleurs dans d'autres textes à Kultur), riques », « connaissances historiques » ou encore « historiogra­ mais il désigne avant tout le simple progrès matériel, scienti­ phie ». Nous n'avons pas cru pouvoir en retenir ici une en fique et technique. Quant à ce que nous appelons culture, il particulier, car, en nous rangeant systématiquement à l'une correspond davantage à ce que les Allemands nomment Bil­ d'entre elles, il nous a semblé que, eu égard aux nombreuses dung, et que nous traduirons généralement ici par formation3• occurrences du terme dans notre texte, le propos en aurait Qu'il me soit pennis de remercier ici François Fédier qui été inutilement alourdi. Nous avons aussi écarté « histoire­ n'a pas ménagé sa peine ni son temps pour éclairer ce travail science » ou « science historique » tout simplement parce que de ses conseils précieux et le faire bénéficier de sa langue fré­ Heidegger soutient que l'Historie n'est pas d'abord ni essen­ quentation de la langue et la pensée heideggeriennes. Qu'il tiellement science, meme s'il est vrai qu'elle le devient à veuille bien recevoir ici l'expression de ma très profonde et l'époque moderne et si c'est bien cette évolution que Nietzsche très vive reconnaissance. stigmatise dans sa Considération intempestive. Nous nous ALAIN BOUTOT sommes donc rallié en définitive au choix du premier traduc­ teur français de Heidegger, Henry Corbin, qui, par conven­ tion, décide de rendre Geschichte par « Histoire » avec un « H » 1. Cf. ci-dessous, p. 73. majuscule2, réservant la graphie « histoire » avec un« h » minu­ 2. Cf. ci-dessous, p. 306; voir aussi p. 72. Pour traduire le mot Kultur dans cule à la traduction d'Historie, sans pour autant ignorer ce ce passage, H. Albert, le premier traducteur français de la deuxième Consi­ dération retient « civilisation » ( cf. Considérations inactuelles, «De l'utilité et qu'un tel recours à la majusculation peut avoir d'artificiel. de l'inconvénient des études historiques pour la vie», Paris, Mercure de Dans quelques cas, lorsque Heidegger faitjouer expressément France, 1907, p. 163, repris in F. Nietzsche, <Euvres, t. I, Paris, Laffont, 1993, l'une contre l'autre l'Historie et la Geschichte, nous avons p. 238). C'est aussi le choix de P. Rusch dans sa traduction du deuxième tome de l'édition Colli Montinari des CEuvres de Nietzsche (cf. «De l'utilité néanmoins rendu, dans un souci de clarté, Historie par« connais­ et des inconvénients de l'histoire pour la vie», in F. Nietzsche, CEuvres philo­ sance historique ». Nous avons enfin traduit les formes déri­ sophiques complètes, t. II-1, Considérations inactuelles, Paris, Gallimard, vées geschichtlich et historisch respectivement par historial, 1990, p. 117). G. Bianquis opt e en revanche pour« culture», et parie de«c ul­ ture nationale» (cf. «De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la également introduit par H. Corbin, et par historique. vie», in F. Nietzsche, Considérations inactuelles, Paris, Aubier Montaigne, 1964, p. 259). 1. Cf. ci-dessous, p. 119, 290, 293, 318, 381. 3. Sur la traduction de Kullur, cf. par exemple J. Lacoste et J. Le Rider, 2. Cf. M. Heidegger, Qu'est-ce que la métaphysique?; suivi d'extraits sur «Note sur la traduction », in F. Nietzsche, <Euvres, t. I, Paris, Flammarion, L'étre et le temps et d'une conférence sur Holderlin, Paris, Gallimard, 1938, 199 , p. VII; cf. aussi P. Wotling, Nietzsche et le problème de la civilisation, p. 175, note 1. Paris, I uf, 1995, p. 29 n. 1. A. REMARQUE PRÉLIMINAIRE 1. Remarque préliminaire sur [es exercices de séminaire D'une façon générale, le travail que nous projetons a un triple objet : l. introduire à la formation des concepts philosophiques. Mais cela à travers : 2. la lecture et l'interprétation d'un traité déterminé («De l'utilité et des inconvénients de l'histoire pour la vie» 1) et ainsi du méme coup : 3. pénétrer dans la philosophie de Nietzsche. * Sur le l. Au lieu d' : « introduire à la formation des concepts [ hilosophiques on aurait pu tout aussi bien dire: initier à », l'apprentissage de la pensée. Cela sonne de façon plus claire t est apparemment plus simple, mais jette aussitòt un doute notre projet : apprendre à penser - apprendre à penser ur « en historien par exemple -, c'est ce que nous réussissons » 1. F. Nietzsche, UnzeitgemiJfJe Betrachtungen. Zweites Stiick: Vom Nutzen und Nachteil der Historie fiir das Leben, in Nietzsches Werke (GroBok­ tavausgabe), t. I, Leipzig, Kroner, 1917, p. 277-384 [trad. franç. P. Rusch, nsiclérations ina tuelles, 2° partie, «De l'utilité et des inconvénients de J'histoir rour la VÌC», in. F. Nietzsche, CEuvres philosophiques complètes, l. Jl-'I, Pnris, allim�rcl, 1990, p. 9'1-J69). 18 Remarque préliminaire Remarque préliminaire 19 le mieux et le plus siìrement en pratiquant la « science de technique et scientifique, et lui procure un éclat camme il ne l'histoire ». On peut en dire autant de la pensée médicale, s'en est jamais trouvé jusque-là. Il pourrait se faire que nous économique, juridique, technique et aussi politique; nous nous mettions tout d'un coup à voir et à juger autrernent la apprenons à chaque fois à « penser » lorsque nous participons « pensée philosophique ». Les philosophes passent sinon, dans à l'élaboration d'un domaine d'objet déterminé, lorsque nous l'horizon de la quotidienneté, pour des gens qui n'ont plus du somrnes partie prenante à la rnaìtrise et à la configuration tout les pieds sur terre ( dans l'A ntiquité les Grecs racontaient d'un charnp d'activité déterrniné et mettons en ceuvre pour déjà des histoires de ce genre à propos de leurs penseurs), des ce faire la pensée à chaque fois requise dans le domaine gens qui se creusent la tète pour « penser » quelque chose, peu considéré. importe quai, que personne ne peut vérifier et dont nul n'a En revanche, apprendre à penser en général sernble ètre l'utilité, quelque chose qui ne peut que nuire en égarant et en une chose qui, si elle n'est pas irnpossible, est en tout cas perturbant les esprits. Il serait puéril de perdre son temps à inutile. vouloir réfuter cette représentation communément adrnise des Pourtant lorsque nous parlons d'apprendre à penser, nous « philosophes » ; elle accompagne et poursuit tout penseur de n'avons pas en vue la pensée en général, une pensée qui, sans bon alai camme la furnée le feu. objet ni point d'appui, ne serait «pensée» que de façon géné­ Seulement il se pourrait qu'un jour nous soyons pourtant rale et indéterrninée; nous avons en vue la pensée au sens fort amenés à voir les choses autrernent : peut-ètre que cette et éminent du terme, la pensée de ceux qu'on appelle les pensée des penseurs n'est pas du tout suspendue dans le vide «penseurs», camme [4] dans l'expression «les poètes et les et ne flotte pas sans attaches au-dessus de ce qu'on appelle penseurs ». Il s'agit d'apprendre à penser à la rnanière des « effectivité » et [5] de la «vie» dont on se réclame si sou­ penseurs. À vrai dire, celui qui est capable de penser de cette l' vent, avec son mode de pensée bien arrèté qui réussit si bien façon n'est pas par là mèrne un penseur, un «philosophe». Et dans l'ordre pratique en étant toujours en quète d'un avan­ nous ne voulons pas non plus devenir des philosophes pour la tage; peut-ètre que cette pensée « proche de la réalité », la bonne et simple raison que personne ne peut « vouloir » cela. Ou bien vous ètes un penseur, ou bien non; et si vous en ètes eule au sein de laquelle se meut, et à juste titre, la quotidien­ un, cela signifie que vous devez ètre celui que vous ètes. neté, n'est que le dernier rejeton et l'ultime avatar de cette Ce que nous voulons apprendre ici est quelque chose qui pensée dont la pensée commune ne sait rien et dont elle n'a vient en préalable, c'est-à-dire ce qui s'abrite dans la pensée pas besoin, d'ailleurs, de rien savoir tant qu'elle se complaìt des penseurs au titre de leur atelier invisible, à savoir la « for­ dans l'habitude et place sa propre utilité au-dessus de tout. La mation des concepts philosophiques ». C'est à cela qu'il s'agit question de savoir si l'homme veut ou non trouver sa satisfac­ d'introduire. Nous ne souhaitons pas nous étendre longue- tion dans la pensée quotidienne dépend du rang qu'il assigne 1nent sur les raisons qui nous poussent à nous mettre en peine à l'humanité; cette question se décide en fonction et à partir à ce sujet. Il pourrait se faire, si nous sommes décidés à de ce que l'homme -un individu, un groupe, une association, , apprendre de bonne façon cette pensée des penseurs et elle un peuple, une époque exige de soi et de son essence, car ce - eule, qu'à un certain mornent il devienne tout d'un coup sont ces exigences qui sont sources de richesse. Nous renon­ superflu de se poser la question du pourquoi et de la raison çons par conséquent à évaluer l'utilité qu'il pourrait y avoir à d'ètre d'un effort de ce genre. Nous pourrions nous aperce­ apprendre à penserà la façon des penseurs. Nous prenons une voir que cette capacité à penser à la façon des penseurs bonne fois pour toutes le risque de nous engager dans un tra­ confère une déterminité singulière à la « pensée » habituelle, considérons ce que ce travail requiert de prime vail inutile, -t e' t-à-dire à la pensée agissante et calculante, à la pensée ab rd.

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