Hypnose et bloc paravertébral échoguidé dans la chirurgie du cancer du sein Dr Arnaud BOUZINAC Service d’anesthésie Clinique Médipôle-‐Garonne 31100 TOULOUSE [email protected] Institut Milton H. Erickson Biarritz-‐Pays Basque Mars 2014 1 À Hélène, pour sa patience et sa confiance tout au long de cette aventure À Marion, Émilie et Clémence, qui connaissent tout de l’hypnose depuis qu’elles regardent Scooby-‐Doo à la télé À tout ceux auprès de qui j’ai appris l’hypnose, et en particulier: Claude Virot et Franck Bernard, de l’institut Émergences, Frédérique Honoré et Jean-‐Claude Espinosa, de l’institut Milton Erickson Biarritz-‐Pays Basque À mes collègues anesthésistes, pour leurs conseils et leur soutien dans la réalisation de ce projet Aux équipes du bloc et du service de chirurgie gynécologique, pour leur enthousiasme et leur précieuse collaboration À la mémoire du Docteur Jean-‐Pierre Rivière 2 Voir le monde dans un grain de sable, Et un ciel dans une fleur sauvage, Tenir l’infini dans le creux de ta main, Et l’éternité dans une heure. William Blake. Augures de l’Innocence -‐Je voudrais savoir une dernière chose, dit Harry. Est-‐ce que tout cela est réel? Ou bien est-‐ce dans ma tête que ça se passe? -‐ Bien sûr que ça se passe dans ta tête, répondit Dumbledore, mais pourquoi donc faudrait-‐il en conclure que ce n’est pas réel? J.K. Rowling. Harry Potter et les Reliques de la Mort 3 Introduction Près de 50 000 nouveaux cas de cancer du sein sont diagnostiqués chaque année en France. Cette pathologie représente la première cause de mortalité par cancer chez la femme (1). Le traitement chirurgical comprend l’ablation de la tumeur (tumorectomie ou mastectomie complète), associée à l’exérèse du ganglion sentinelle, ou à un curage axillaire. Cette intervention est le plus souvent réalisée sous anesthésie générale. Le développement de l’utilisation des techniques d’hypnose éricksonnienne au bloc opératoire, ainsi que les évolutions récentes de l’anesthésie loco-‐régionale, nous ont amenés à proposer l’hypnosédation dans cette indication, associée à un bloc paravertébral écho-‐guidé. 1. L’hypnose éricksonnienne 1.1. Milton Erickson Milton Erickson est né en 1901 dans le Nevada. Durant son enfance, plusieurs handicaps comme la dyslexique, le daltonisme, l’ont ammené à developper, dans un constant apprentissage, ses capacités d’observation afin de mieux appréhender le monde extérieur. A dix-‐sept ans un crise de poliomyélite le laisse paraplégique. Sa découverte de ce qu’il identifiera plus tard comme l’auto-‐hypnose lui permet de se rééduquer, en s’appuyant sur ses souvenirs sensoriels. Au cours de sa formation de psychiatre, il étudie l’hypnose. A l’opposé des techniques classiques stéréotypées, ses expériences passées l’amènent à considérer l’hypnose comme un phénomène personnel et unique dans la mise en oeuvre des ressources de chacun. Il consacrera sa vie à développer l’étude de l’hypnose et son utilisation en thérapie. Son travail a une influence considérable, notamment dans le domaine des théories de la communication et des thérapies brèves. A son décès en 1980, peu avant le premier congrès qui lui ait été consacré, il laisse une oeuvre immense, riche de nombreux ouvrages, articles et conférences. 4 1.2 Principales caractéristiques de l’ hypnose ericksonienne 1.2.1 Hypnose naturaliste À contre-‐courant d’une pratique de l’hypnose supposée dépendre de la suggestibilité du sujet, l’hypnose éricksonnienne est dite naturaliste. Tout le monde peut être hypnotisé, puisque la transe spontanée fait partie du fonctionnement psychique “normal”. Pour Milton Erickson, la transe est avant tout un phénomène spontané. Cet état de conscience modifié survient naturellement lors de moments de concentration, de focalisation de l’attention. “… chaque fois que l’attention est fixée par une question ou une expérience étonnante ou inhabituelle qui captive l’intérêt (…) les gens font l’expérience de la transe commune de la vie quotidienne; leurs regard se perd (…), ils semblent momentanément inconscients de ce qui les entoure jusqu’à ce qu’ils aient terminé leur recherche intérieure (…) d’une nouvelle idée”(2). Une des caratéristiques principales de la transe hypnotique est la dissociation psychique. C’est cette idée de dissociation que l’on retrouve lorsque l’on dit à quelqu’un qu’il est “ailleurs”, “dans la lune”, parce qu’il ne nous écoute plus; ou bien encore en voiture, lorsque le conducteur, pris dans ses pensées, “oublie” qu’il est en train de conduire. Au cours de la transe, l’esprit est “ailleurs”, pendant que le corps est “ici”. L’ orientation du sujet au monde est modifiée pendant ces moments particuliers. La réalité extérieure, est mise en arrière-‐plan, pendant que l’attention du sujet se tourne vers son monde intérieur. Comme le décrit François Roustang, “la concentration poussée à la limite se détache de l’objet comme si elle se retirait sur elle-‐même. (…) L’hypnotisé s’absorbe dans des images qui ne correspondent ni au temps ni à l’espace actuel”(3). La communication particulière entre le sujet et le praticien permet d’induire et de développer cet état naturel. L’hypnose, selon Antoine Bioy, peut ainsi être décrite comme “un état de fonctionnement psychologique par lequel un sujet, en relation avec un praticien, expérimente un champ de conscience élargie”(4). 5 1.2.2 Hypnose utilisationnelle Milton Erickson décrit dans son oeuvre une pratique utilisationnelle de l’hypnose. Il recommandait d’ “observer, observer, observer.” L’hypnotiseur est invité à utiliser tout ce qui fait la singularité du sujet. Une attention soigneuse doit ainsi être portée au langage (verbal, para-‐verbal, et non-‐verbal), afin d’adapter la pratique de l’hypnose à chacun. Le cadre de référence du sujet doit être pris en compte, et “l’attention doit être donnée à ce que le patient considère comme pertinent”(5). 1.2.3 Permissivité et suggestions indirectes L’hypnose classique s’appuie essentiellement sur des suggestions directes – des ordres. C’est le “Dormez !” des hypnotiseurs de music-‐hall. La réponse à ces suggestions directes dépend de la suggestibilité de chacun. De nombreux sujets se montrent résistants à de telles techniques. L’hypnose Ericksonienne s’appuie essentiellement sur des suggestions ouvertes ou indirectes: elle est dite permissive. Les suggestions du thérapeute sont ainsi plus facilement acceptées par le sujet. Comme le précisent Claude Virot et Franck Bernard, “plus le patient choisit, plus il garde du contrôle. Plus il garde du contrôle, plus il se sent en sécurité. Plus il se sent en sécurité, plus il est confortable. Un cercle vertueux”(6). Quelques exemples de suggestions indirectes (2-‐6-‐7): “Est-‐ce que vous preferez faire l’expérience d’une transe légère ou profonde?...” “Je vous demande de ne pas entrer en transe avant de vous être completement assis sur cette chaise…” “Vous pouvez fermer les yeux dans quelques instants… ou … maintenant...” “Je ne sais pas quelle main va s’élever en premier…” “L’une ou l’autre de vos mains va se soulever, et vous pourriez prendre plaisir à penser à laquelle ne va pas le faire...” “Si votre inconscient souhaite entrer en transe maintenant… votre main droite va s’élever… sinon, ce sera votre main gauche…” 6 2. Hypnose et chirurgie du cancer du sein Au XIXème siècle, l’hypnose a été utilisée avec succès lors de la réalisation d’actes chirurgicaux, dont la chirurgie du sein. Ces techniques ont ensuite été délaissées au profit l’anesthésie générale, avec la découverte de l’éther et du protoxyde d’azote, dans les années 1840. Au cours des années 1990, après une longue période d’oubli, l’hypnose a progressivement fait son entrée dans les blocs opératoires. D’abord réalisée par des hypnothérapeutes, puis par des anesthésistes formés à ces techniques, l’hypnose éricksonienne est “re-‐découverte”, et considérée comme une technique prometteuse. Sous l’impulsion du Professeur Marie-‐Elisabeth Faymonville, du CHU de Liège, les techniques d’hypnosédation se sont développées. Il s’agit pour l’anesthésiste d’associer l’hypnose à une anesthésie locale et/ou à une sédation intraveineuse minimale. L’objectif est de proposer une alternative à une anesthésie générale classique, et de diminuer les doses d’hypnotiques ou de morphiniques lors d’une sédation, tout en préservant le confort du patient et en améliorant le vécu de la prise en charge au bloc opératoire. Le choix des produits utilisés se porte vers des molécules à effet rapidement reversible, comme le remifentanil ou le propofol. Une administration progressive par titration permet de conserver un contact verbal avec le patient. L’accompagnement du patient dans la transe hypnotique se fait sur le thème d’un souvenir agréable, évoqué préalablement. Cette technique a été utilisée avec succès dans plusieurs indications chirurgicales, comme la thyroïdectomie, ou la pose de dispositifs de stérilisation intra-‐tubaire (Essure®) (8-‐9). Dans la chirurgie du cancer du sein, l’hypnosédation a également été utilisée avec succés (10). Le protocole d’hypnosédation associait à l’hypnose une anesthésie locale (Lidocaïne et Levobupivacaïne) réalisée par le chirurgien, et une perfusion continue de rémifentanil. Comparé à l’anesthésie générale, l’étude retrouvait dans le groupe “hypnose” une meilleure stabilité hémodynamique, une moindre consommation d’antalgiques, ainsi qu’une durée de séjour plus courte. Il n’y avait pas de différence dans la durée d’intervention. 7 3. Bloc paravertébral échoguidé et chirurgie du cancer du sein Le bloc paravertébral (BPV) est une technique connue de longue date. Le developpement récent de l’échographie en anesthésie loco-‐régionale a permis d’en améliorer la fiabilité et la sécurité. Le BPV est une référence dans l’analgésie péri-‐ opératoire en chirurgie du sein (11). 3.1 Bases anatomiques L’innervation sensitive du sein est assurée par les 3ème, 4ème et 5ème nerfs intercostaux (Fig 1). L’innervation sensitive du creux axillaire dépend essentiellement du 2ème nerf intercostal (nerf intercostobrachial) (12). Les rapports anatomiques entre ce nerf et la chaîne ganglionnaire axillaire sont étroits. Le nerf intercostobrachial est fréquemment lésé en cas d’exérèse du ganglion sentinelle ou de curage ganglionnaire complet. Fig 1: Dermatomes thoraciques (12) Au niveau thoracique, l’EPV peut être représenté par un triangle délimité dans sa partie médiale par la vertèbre, en avant par la plèvre pariétale et en arrière par le ligament 8 costo-‐transversaire supérieur, qui se prolonge en latéral par la membrane intercostale interne et le muscle intercostal externe (13). L’espace para-‐vertébral (EPV) contient le nerf intercostal, les vaisseaux intercostaux, les ganglions sympathiques et le fascia endothoracique (Fig2). L’EPV communique latéralement avec l’espace intercostal. Chaque EPV communique en cranial et caudal avec les EPV sus-‐ et sous-‐jacents. Fig 2. Espace paravertébral (13) 3.2 Bloc paravertébral échoguidé et chirurgie du sein Le BPV échoguidé peut être réalisé dans le plan ultrasonore, ou hors du plan ultrasonore. L’abord de l’espace paravertébral peut être direct, ou par voie intercostale (14-‐15-‐16-‐17). Quelle que soit la technique choisie, l’échographie permet de repérer au préalable la plèvre et les structures anatomiques délimitant l’espace paravertébral. La position correcte du biseau de l’aiguille dans l’espace paravertébral est confirmée par un déplacement antérieur de la plèvre lors de l’injection d’anesthésique local (AL) (Fig 3). Le repérage échographique de la première côte permet de confirmer l’étage thoracique choisi (18). 9 L’utilisation des ultrasons améliore la fiabilité de la technique, et diminue probablement ainsi le risque de pneumothorax. Fig 3. Déplacement antérieur de la plèvre lors de l’injection d’anesthésique local Une extension du bloc du 3ème au 5ème nerf intercostal permet une anesthésie complète du sein. Le bloc du nerf intercostobrachial (2ème nerf intercostal) est utile en cas d’abord de la chaîne ganglionnaire axillaire. La diffusion céphalo-‐caudale de l’AL dans l’espace paravertébral est imprévisible (Fig 4). Un volume de 20ml d’AL est cependant suffisant pour bloquer 4 métamères en moyenne. La diffusion est préférentiellement caudale par rapport au site d’injection (19). Un bloc unique dans l’espace T2-‐T3 ou T3-‐T4 semble suffisant pour l’analgésie post-‐opératoire en chirurgie du sein (14-‐16-‐17). La réalisation de 2 injections étagées améliore la diffusion de l’AL (20). Une fois le bloc paravertébral réalisé, la chirurgie du cancer sein peut ainsi avoir lieu sous simple sédation intra-‐veineuse, ou sous anesthésie générale (14-‐16-‐17). 10
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