Hugo Chávez et Álvaro Uribe ou La force des mots Recherches Amériques latines Collection dirigée par Denis Rolland et Joëlle Chassin La collection Recherches Amériques latines publie des travaux de recherche de toutes disciplines scientifiques sur cet espace qui s’étend du Mexique et des Caraïbes à l’Argentine et au Chili. Dernières parutions Sophie DAVIAUD (dir.), Amérique latine : De la violence politique à la défense des droits de l’homme, 2012. Sébastien JAHAN (dir.), Les violences génocidaires au Guatemala, une histoire en perspective, 2012. Marie-Claire ALEXANDRINE-SINAPAH, Itinéraire d’un esclave poète à Cuba. Juan Francisco Manzano (1797-1854), entre littérature et histoire, 2012. Fabrice PARISOT (éd.), Alejo Carpentier à l’aube du XXIe siècle, 2012. Karim BENMILOUD, Alba LARA-ALENGRIN, Laurent AUBAGUE, Jean FRANCO et Paola DOMINGO, Le Mexique. De l’indépendance à la révolution. 1810-1910, 2011. Carine CHAVAROCHETTE, Frontières et identités en terres mayas. Mexique-Guatemala (XIXe-XXIe siècles), 2011. Christian Edward Cyril LYNCH, Brésil. De la monarchie à l’oligarchie, 2011. J.-P. BLANCPAIN, Les Européens en Argentine. Immigration de masse et destins individuels (1850-1950), 2011. J.-P. BERTHE et P. RAGON (eds), Penser l’Amérique au temps de la domination espagnole, Espace, temps et société, XVIe – XVIIIe siècle, Hommages à Carmen Val Julian, 2011. Henri FAVRE, Changement et continuité chez les Mayas du Mexique, Contribution à l’étude de la situation coloniale en Amérique latine, 2011. Marcos EYMAR, La langue plurielle. Le bilinguisme franco-espagnol dans la littérature hispano-américaine (1890-1950), 2011. Pauline RAQUILLET, Alfred Ebelot. Le parcours migratoire d’un Français en Argentine au XIXe siècle, 2011. Pierrette BERTRAND-RICOVERI, Mitología shipibon 2010. German A. de la REZA, Les nouveaux défis de l’intégration en Amérique latine, 2010. João Feres Júnior, Histoire du concept d'Amérique latine aux Etats-Unis, 2010. María Fernanda González Binetti Hugo Chávez et Álvaro Uribe ou La force des mots Deux discours pour gouverner Préface de Jean-Michel Blanquer L’HARMATTAN © L'HARMATTAN, 2012 5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com [email protected] [email protected] ISBN : 978-2-296-96271-2 EAN : 9782296962712 Sommaire Préface de Jean-Michel Blanquer 9 Introduction 11 Chapitre I. Le « chaverxisme », un modèle politique importé des années 1960 ? 25 Où sont passées les idées marxistes-léninistes ? 28 Le fil conducteur de la rhétorique chavézienne 46 Le chaverxisme entre mythes et réalités 66 Chapitre II. L’uribisme, un nouveau modèle politique en Colombie ? 81 À la recherche du discours de l’efficacité 85 Du discours de l’efficacité au registre de la peur 119 L’uribisme entre mythes et réalités 126 Chapitre III. Égalité versus sécurité : les fondements du chaverxisme et de l’uribisme 139 Égalité versus sécurité 143 Emploi, corruption et sécurité (Uribe)/ production, Développement et souveraineté alimentaire (Chávez) 148 Un ennemi interne et externe 150 Vers un discours nationaliste et patriotique 152 Entre international et local, deux visions du monde 155 Conclusion 161 Bibliographie 171 Remerciements 177 Table des graphiques 179 Table des matières 181 Préface « L’inconscient est structuré comme un langage » disait Jacques Lacan. La politique aussi. L’art politique est par essence l’art du langage par ce qu’il dit, par ce qu’il sous-entend, par ce qu’il traduit et par ce qu’il trahit. Il est donc nécessaire que la science politique se préoccupe d’être, sous différents angles, une science du langage. De ce point de vue, les croisements entre les recherches linguistiques et les recherches politistes peuvent être très fructueux. C’est le cas du travail de María Fernanda González qui, avec cet ouvrage, se situe dans ce cadre conceptuel à partir d’un travail particulièrement éclairant, celui de la comparaison entre la Colombie et le Venezuela et de deux leaders emblématiques, Uribe et Chávez, dont le « pouvoir charismatique » a reposé ou repose sur le verbe. Les médias, les analystes politiques et l’opinion publique ont consacré des milliers d’articles, d’études et de débats sur Hugo Chávez, président de la République Bolivarienne depuis 1999 et Álvaro Uribe, ancien président de la Colombie entre 2002 et 2010. L’image d’un Hugo Chávez révolutionnaire et radical s’opposerait à l’image d’un Álvaro Uribe, représentant d’une droite dure non seulement en Colombie mais dans la région. Hugo Chávez et Álvaro Uribe ou la force des mots. Deux discours pour gouverner présente pour la première fois une analyse approfondie des émissions radio-télévisées « Aló Presidente » et les « Consejos Comunitarios », constituantes des principaux dispositifs de communication. Cette étude propose une analyse politique, enrichie par les méthodes de statistique textuelle, qui permet de comprendre le cœur des deux programmes présidentiels. Elle révèle les éléments clés de chaque modèle : pour le « Socialisme du XXIe siècle » la valeur de l’égalité sera sa ligne directrice tandis que pour la « Sécurité démocratique », la valeur centrale sera l’efficacité des politiques contre l’insécurité. En étudiant minutieusement le langage utilisé par chaque président au cours de ces rencontres avec le Venezuela et la Colombie d’en bas, 9 l’auteur livre aussi un bilan sur les principales réussites, difficultés et défis politiques de chaque mandat. Comment peut-on définir les propos d’Hugo Chávez ? Son discours est-il vraiment de gauche ? Le discours d’Uribe peut-il être défini comme un discours de droite ? L’étude sur le discours politique des présidents nous permet-elle d’affirmer que nous sommes en face de deux dirigeants populistes et autoritaires ? Ce travail ne manque pas de poser les questions sur la réalité des faits. Il tente de répondre à des questions délicates pour les deux pays. Pour le Venezuela : quel est le bilan des expropriations réalisées par le Commandant Chávez pour l’économie du Venezuela ? Existe-il vraiment moins de pauvres au Venezuela après treize ans de mandat ? Pour la Colombie : quel est le bilan de la politique de Sécurité Démocratique et du processus de paix avec les paramilitaires ? Et pour les deux pays : est-ce qu’il existera un chavisme sans Chávez et un uribisme sans Uribe ? L’uribisme et le bolivarisme s’inscriront- ils dans l’héritage politique de chaque nation ? L’intérêt de ce livre est de permettre de comprendre à travers la densité des paroles présidentielles et la force des mots, l’identification d’une stratégie politique et la construction d’un projet de nation. Il contribue aussi à la réflexion sur le clivage droite-gauche, son ancrage rhétorique et ses limites pratiques. À ce titre aussi, il s’agit d’un travail d’un grand intérêt. Jean-Michel Blanquer Directeur général de l'enseignement scolaire (DGESCO) Ministère de l’Éducation Nationale Président de l’Institut des Amériques Introduction Ce livre présente un défi : l’étude du discours politique de deux fortes personnalités, Hugo Chávez actuel président du Venezuela depuis 1999, et Álvaro Uribe, ancien président de la Colombie (2002-2010). En suivant le fil conducteur de cet essai, le lecteur remarquera que chaque figure ne peut pas être étudiée de manière unilatérale. Nous sommes en face de deux personnages complexes et contradictoires ; cette complexité réside dans les perceptions et les images qui ont été construites autour de ces deux hommes et que préciseront les résultats sur notre étude. En ce sens, cette recherche renouvelle les éclairages : Chávez n’est pas le révolutionnaire radical et Uribe le fasciste représentant d’une droite dure, tels qu’ils seraient décrits par leurs contradicteurs. Ce livre cherche à comprendre, à partir d’analyses scientifiques, les réalités et observations des débats quotidiens. Les analyses sur le discours et sur les actions de ces deux dirigeants renvoient impérativement à conceptualiser cette recherche selon deux grandes problématiques provenant de l’étude du champ de la science politique : le populisme et l’autoritarisme. Nous entrons là dans un domaine étudié précédemment par les chercheurs en sciences politiques. Comme on le verra par la suite les concepts de populisme et d’autoritarisme n’ont pas une définition univoque. Sur le populisme il existe une importante littérature qui traite de la description des modèles populistes des années 1940 et 1950 en Amérique latine jusqu’à la configuration des néopopulistes. Cet ouvrage propose une approche renouvelée qui vise à confronter les définitions académiques et les opinions des analystes latino-américains. Il est important de souligner que cette définition de la science politique est devenue une référence utilisée ; ce concept est parfois subjectif. On essaiera, à partir des conclusions sur le discours politique, de montrer les différences entre les deux modèles afin de se demander si le concept de populisme est adéquat. Désormais les importants travaux dans ce domaine par des chercheurs de diverses disciplines, tant européens que latino- 11 américains1, la démarche entreprise sur l’analyse du discours politique et sur les interprétations du langage, permettront d’évoquer, sinon de proposer, un nouveau regard sur la nature du populisme et de l’autoritarisme. Le débat est vif. Pour des intellectuels de gauche comme Luis Britto García, le président Hugo Chávez n’est pas populiste par la simple raison que le projet bolivarien centré sur la tradition nationale populaire n’est pas un appel à une collaboration de classes mais à une confrontation de classes. La finalité d’Hugo Chávez, rappelle Luis Britto García2, est révolutionnaire. Malgré un appel au peuple et un discours national populaire, il maintient un discours s’apparentant à la lutte des classes. Pour l’historien mexicain Enrique Krauze, dans son livre El Poder y El Delirio3, le prototype du populisme latino-américain se retrouve chez l’ancien militaire. Krauze considère qu’il possède les caractéristiques du leader populiste : il représente l’homme providentiel, mobilise les masses à l’aide d’une puissante rhétorique, utilise le registre de l’ennemi extérieur, les États-Unis. Finalement le chavisme4 a construit une idéologie qui se présente comme un nationalisme continental. Dans le cas d’Uribe le populisme se déduirait de son profil : homme charismatique qui fait un appel au peuple pendant ses Conseils Communautaires, il a une importante rhétorique. Pour des analystes comme Daniel Pécaut, Uribe fait davantage appel à l’opinion publique ; sa rhétorique sur la patrie, l’axe religieux et le peuple crée une nouvelle idée de la nation, le président 1 Voir notamment les travaux de Guy Hermet, Les populismes dans le monde. Une histoire sociologique, XIXe-XXe siècle, Paris, Fayar, 2001 ; Yves Surel, Democracies and the populist challenge (eds), Basingstoke et New York, Palgrave, 2002, pp.25-44 ; Carlos Malamud, Populismos latinoamericanos. Los tópicos de ayer, de hoy y de siempre, Oviedo, Ediciones Nobel, 2010 ou Pierre-André Taguieff, Le nouveau national-populisme, Paris, Cnrs éditions, 2012. Pour les chercheurs latino-américains qui ont travaillé ces thématiques voir, entre autres, les travaux de Enrique Krauze, El poder y el delirio, Barcelona, Tiempo De memoria TusQuets Editores, 2008 ; Medófilo Medina, El Elegido. Presidente Chávez, un nuevo sistema político, Bogotá, Ediciones Aurora, 2005 ou Daniel Pécaut, Guerra contra la sociedad, Editorial Planeta, 2001. 2 Analyste et chercheur vénézuélien. Entretien réalisé au Venezuela juin 2010. 3 Enrique Krauze, El poder y el Delirio, Barcelona, Tiempo De memoria Tus Quets Editores, 2008. 4 Chavisme est la traduction de l’espagnol Chavista. Nom des hommes et des femmes qui soutiennent le projet d’Hugo Chávez. 12 propose une rhétorique de l’efficacité qui n’existait pas dans l’éloquence des leaders politiques colombiens d’autrefois. Nous savons bien que la limite de ce travail scientifique se situe au moment de confronter discours et praxis, et, qu’en politique, le discours est en décalage avec les faits. Notre analyse reste consciente de cette difficulté mais nous n’échappons pas aux réalités du monde politique. La dernière difficulté de ce travail est celle de l’originalité et de l’apport des sciences sociales. Certes, le cas d’Hugo Chávez a été étudié ; des sympathisants du régime ont écrit pour défendre sa cause. Des intellectuels de gauche comme Marta Harnecker ont même travaillé sur les propos du président vénézuélien. Concernant Álvaro Uribe, les références bibliographiques sont moindres. Ce travail prétend approfondir et proposer un nouveau regard sur deux processus politiques transcendantaux pour ces deux pays. Deux processus, il faut le dire, fragiles. La corruption, les graves problèmes d’insécurité et l’instabilité économique ternissent la réussite d’une justice sociale sans précédent au Venezuela. Par ailleurs, les violations des droits de l’homme, la pénétration de la mafia dans la sphère publique, et surtout politique, et la corruption malmènent la légitimité de la politique de sécurité démocratique et les avancées en matière de sécurité en Colombie. Ce livre essaie de s’éloigner des lieux communs et des analyses traditionnelles, et souhaite aborder avec un nouveau regard l’histoire contemporaine de ces deux nations. Les analyses ont été accompagnées d’une étude de terrain des deux pays. Nous avons confronté les points de vue de ceux qui défendent la cause révolutionnaire et de ceux qui ne croient pas du tout dans un modèle présenté comme vieux et affaibli. Nous sommes allée au Venezuela et avons réalisé plusieurs entretiens avec les proches de Chávez. Enfin nous avons suivi la presse qui dénonce les excès de cet homme autoritaire. Nous avons aussi partagé de longues discussions en Colombie avec ceux qui se disent uribistes et ceux qui ne le seraient pas, entre les pragmatistes de droite, uribistes furieux et ceux qui croient encore qu’une nouvelle voie à gauche est nécessaire en Colombie. Nous avons participé à ces débats 13