La très petite commune en France: héritage sans avenir ou modèle original? Jean-Baptiste Grison To cite this version: Jean-Baptiste Grison. La très petite commune en France: héritage sans avenir ou modèle original?. Géographie. Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II, 2009. Français. NNT: 2009CLF20012. tel-00658977 HAL Id: tel-00658977 https://theses.hal.science/tel-00658977 Submitted on 11 Jan 2012 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Université Blaise-Pascal – Clermont-Ferrand II UFR Lettres, Langues et Sciences Humaines CERAMAC La très petite commune en France : héritage sans avenir ou modèle original ? Jean-Baptiste GRISON Thèse pour l’obtention du Doctorat en géographie Présentée et soutenue publiquement le 2 décembre 2009 Membres du jury : M. Claude DEVÈS, Professeur de Droit, Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand I M. Jean-Paul DIRY, Professeur émérite de Géographie, Université Blaise-Pascal, Clermont- Ferrand II, directeur de thèse Mme Monique POULOT, Professeur de Géographie, Université Paris X Nanterre, rapporteur M. Laurent RIEUTORT, Professeur de Géographie, Université Blaise-Pascal, Clermont- Ferrand II M. Martin VANIER, Professeur de Géographie, Université Joseph Fourrier, Grenoble I La très petite commune en France : héritage sans avenir ou modèle original ? Résumé : En France, le maillage administratif et la répartition de la population sont tels qu’un peu plus d’un millier de communes ont moins de 50 habitants au recensement de 1999. Six cents autres ont été recensées en dessous de ce seuil lors d’un ou plusieurs dénombrements depuis 1962. Face aux exigences actuelles, en matière de gestion du territoire et d’action politique, le statut et les capacités des plus petites collectivités territoriales font l’objet d’un débat récurrent depuis de nombreuses décennies. Les géographes ont assez peu contribué, jusqu’à ce jour, à ce débat. Cette thèse de géographie a pour objet d’ apporter un angle de vue général (à l’échelle de l’ensemble du territoire national) et géographique, en traitant en particulier les questions de la répartition des très petites communes, de leurs modes de vie et dynamiques spécifiques, ainsi que de la construction territoriale particulière dont elles sont l’héritage et qu’elles engendrent encore aujourd’hui. Les interactions spatiales entre les plus petites unités et les communes voisines plus peuplées, ainsi que les opportunités de regroupements intercommunaux, sous diverses formes, sont également abordées. Ces très petites entités, dont le potentiel et les perspectives sont aléatoires, nous permettent de mettre au jour l’ampleur de la variabilité du modèle français d’organisation de la gestion territoriale et du développement local. Mots-clés : France – Géographie administrative – Développement rural – Politique locale – Dynamiques socio-spatiales – Démographie – Analyse multivariée Photographies de couverture : Trébons-de-Luchon (Haute-Garonne), 14 août 2006, vers l’est depuis la RD618 en contrebas de Saint-Aventin Urtière (Doubs), 2 juillet 2001, vers le sud-est Méréaucourt (Somme), 24 juillet 2006, vers le nord-est They-sous-Vaudemont (Meurthe-et-Moselle), 13 juin 2007, vers le sud-ouest depuis le signal de Vaudemont Jean-Baptiste GRISON La très petite commune en France : Héritage sans avenir ou modèle original ? Clermont-Ferrand : CERAMAC, Université Blaise-Pascal, décembre 2009 Remerciements Le travail présenté dans cette thèse est l’aboutissement de quatre années d’études, au cours desquelles de nombreuses personnes m’ont soutenu. Il m’est naturel de leur adresser toute ma gratitude, et de nommer ici en particulier : M. Jean-Paul DIRY, qui, quelques semaines après m’avoir accueilli à l’université Blaise- Pascal, a compris et encouragé les recherches que je souhaitais poursuivre, en acceptant d’en prendre la direction, et en l’assumant concrètement par ses conseils et ses relectures attentives au fil de la recherche. Le Conseil régional d’Auvergne, dont l’allocation m’a permis d’accomplir ces années de doctorat dans les meilleures conditions. Les quelques dizaines de maires rencontrés sur le terrain, ainsi que les centaines d’autres qui, en répondant au questionnaire qui leur était adressé, ont apporté une contribution essentielle à la qualité des analyses conduites. L’équipe d’accueil du CERAMAC (Centre d’Études et de Recherches Appliquées au MAssif Central, à la moyenne montagne et aux espaces sensibles), pour l’aide matérielle sans laquelle les conditions de la recherche n’auraient pu être réunies. Je pense en particulier à Daniel RICARD, son directeur, qui a accepté de financer la préparation et l’envoi de l’enquête ; à Éric LANGLOIS, son ingénieur d’études, qui a contribué à ma formation en cartographie, et apporté une aide concrète et des conseils pour la réalisation de certaines figures ; à Frédérique VAN CELST, sa technicienne, pour sa relecture sérieuse et ses conseils de mise en page, qui ont permis d’améliorer considérablement la rigueur et la qualité formelle du travail final. Erwan ROUSSEL, ingénieur d’études pour la Maison des Sciences de l’Homme de Clermont- Ferrand, qui a accepté de vérifier la validité des analyses factorielles. Les doctorants et l’ensemble des chercheurs du laboratoire, qui m’ont permis, au fil des années, de briser la solitude du travail de recherche en apportant des occasions d’échanges et de réflexions, notamment au travers des séances de séminaire organisées chaque mois, depuis deux ans. De même, les scientifiques de divers horizons, rencontrés dans le cadre des activités de la commission française de géographie rurale ou à d’autres manifestations, qui m’ont donné l’occasion de m’exprimer, mais ont aussi apporté, tant leur soutien que leur point de vue critique, contribuant ainsi à affiner mon positionnement scientifique. Au terme de ce cursus d’études universitaires en formation initiale, je pense encore à l’équipe pédagogique de l’université Paris 8, qui a été à l’origine de mon épanouissement dans la géographie universitaire, et notamment à Françoise PLET, qui m’a permis d’affirmer et de concrétiser mon désir d’orienter mes recherches en direction des espaces ruraux. Enfin, toutes les personnes rencontrées, en famille ou entre amis, qui ont manifesté un intérêt pour mon travail, suscité une discussion, des réflexions, m’obligeant ainsi à rendre compréhensible les résultats de mes recherches, et à les communiquer. Introduction générale L’institution communale est un des éléments fondateurs de la République Française. Depuis plus de deux siècles, elle constitue le cadre de référence de l’enracinement des citoyens. Les élections municipales sont généralement celles qui bénéficient des taux de participation les plus importants, ce qui témoigne à la fois de la priorité accordée à l’échelle locale pour l’action politique organisant la vie quotidienne, et du capital identitaire majeur de la cellule démocratique de proximité. Depuis la Révolution, en milieu rural, le maillage communal a reproduit, le plus souvent, la trame des paroisses de l’Ancien Régime. Ces structures ecclésiastiques étaient elles-mêmes calquées sur la répartition de l’habitat et des centres de la vie quotidienne des communautés paysannes, qui occupaient alors l’essentiel du territoire français. Ainsi, les quelque 36 000 municipalités font référence, indirectement, aux formes spatiales de l’occupation humaine des campagnes, qui s’est généralisée dans le courant de l’époque médiévale, l’essentiel de la trame étant constitué dès l’an 1000. Dans les décennies suivant leur mise en place, les communes ont été le principal outil d’encadrement de la société paysanne à la période de son apogée, dans des campagnes alors « pleines », où chaque finage correspondait au périmètre le plus pertinent de mobilisation des ressources nécessaires à la vie des habitants. Depuis cette période, des mutations profondes, tant économiques que sociales, ont bouleversé la France rurale : l’agriculture, qui constituait l’activité principale, s’est mondialisée avec une évolution radicale des méthodes de production ; la ville a connu une progression telle que les rapports démographiques entre l’espace urbain et l’espace rural se sont inversés ; les familles se sont dispersées, la mobilité et la diffusion de nouveaux modes de consommation ont sonné le glas de la vie campagnarde traditionnelle… mais en dehors de quelques modifications marginales, le maillage administratif local est resté immobile. Dans les villages constituant la base du peuplement des espaces ruraux, la première conséquence de ces transformations a été un déclin démographique continu sur plusieurs décennies, qui touche aujourd’hui à sa fin mais se poursuit encore dans certaines régions. Des milliers de localités se sont ainsi vidées de la plus grande partie de leur population, créant un déséquilibre sans précédent entre des zones urbaines en expansion et des territoires marginalisés aux densités de population de plus en plus faibles. Les communes rurales, dont les contours spatiaux n’ont pas changé, ont perdu, outre leur contenu économique et social traditionnel, l’essentiel des effectifs qui assuraient autrefois leur existence. Les évolutions constatées sont telles que, lors du recensement de 1999, plus d’un millier de communes ont compté moins de cinquante habitants. Force est donc de constater que les très petites unités de ce maillage administratif local constituent désormais un véritable Introduction générale phénomène. Au regard de l’administration française et de ses 36 000 cellules locales, ces mille localités représentent un cas extrême, relativement marginal. Or, si cette marginalité permet de comprendre le peu de considération spécifique, que ce soit dans le monde politique ou celui de la recherche, à l’égard des entités les moins peuplées, elle suppose aussi une certaine singularité qui mérite qu’on lui accorde, pour une fois, une attention particulière. La définition de ce sujet de recherche est partie d’observations faites à l’occasion de travaux de terrain dans le cadre de la préparation d’un mémoire de maîtrise sur les politiques de développement local dans le Tonnerrois (Bourgogne) : à plusieurs reprises, des acteurs locaux installés dans les bourgs des vallées ont confié leur perception critique des potentialités des villages des plateaux, isolés, peu peuplés et dont les perspectives leur paraissaient peu encourageantes. Pourtant, des prospections dans les localités visées montraient que, bien que leur développement soit resté limité, les habitants n’y paraissaient ni inactifs, ni malheureux. Ces constats ont soulevé la question du décalage entre les perceptions exogènes, liées à l’absence de signes forts d’actions politiques majeures, et la richesse de la vie et des identités locales, traduites par une série d’évolutions discrètes, qui ne se mesurent pas toujours au travers de bilans chiffrés, de programmations officielles ou d’influences sur les dynamiques territoriales… Ces interrogations ont rejoint d’autres observations faites à diverses occasions : en Ile- de-France, aux marges d’une agglomération parisienne marquée par un mouvement de périurbanisation très actif et des pressions foncières fortes, quelques villages continuent de se maintenir en-deçà de la centaine d’habitants, s’inscrivant ainsi à contre-courant des évolutions des communes avoisinantes. Là encore, on ne saurait se satisfaire d’un constat d’inertie ou de non-alignement sur les dynamiques territoriales : des mécanismes internes sont nécessairement à l’œuvre. Enfin, dans les hautes vallées des Pyrénées centrales, des territoires entiers sont couverts par un maillage dense de localités fortement dépeuplées, qui maintiennent presque toutes leur autonomie administrative. Ainsi, pour un total de sept municipalités, la vallée d’Oueil (Haute-Garonne) ne compte aucune commune de plus de cinquante habitants au recensement de 1999. A partir de ces quelques exemples, on commence à voir se dessiner une problématique spécifique aux entités les moins peuplées : d’une part, elles apparaissent, sous divers aspects, en décalage avec les dynamiques territoriales voisines ; d’autre part, elles sont présentes dans des espaces très différents, où elles sont susceptibles de représenter tantôt des cas particuliers, tantôt des ensembles singuliers, mais qu’une approche transversale doit pouvoir relier par des éléments d’analyse communs. Le questionnement central de la thèse, entre l’« héritage sans avenir » et le « modèle original », cherche à situer les très petites municipalités entre deux extrêmes, le premier répondant d’abord à la perception externe de ces localités observée par exemple dans le Tonnerrois, le second supposant un potentiel d’existence (à défaut de croissance), malgré un positionnement territorial et politique marginal. La thématique des très petites communes en France inscrit d’emblée nos recherches dans des problématiques démographiques. Ces localités très peu peuplées sont en effet le produit d’une longue évolution de la population, mais aussi de logiques de répartition singulières des unités d’habitat. Par ailleurs, l’évolution démographique contemporaine est le premier indicateur des dynamiques actuelles de cet héritage progressivement constitué. En somme, la très petite commune, presque inexistante au moment de la création de l’institution républicaine (si l’on retient le seuil de la cinquantaine d’habitants), est apparue progressivement au fil des décennies, mais ne disparaît pas par le bas, les dépopulations 6 Introduction générale totales étant extrêmement rares. Malgré le contexte très négatif de son avènement, ce patrimoine désormais constitué n’évolue pas vers l’effacement ; il se maintient. Outre la démographie, la très petite municipalité renvoie à des questions d’administration. La géographie administrative n’a jamais été très développée ni beaucoup revendiquée. C’est tout juste si l’on peut en trouver quelques allusions dans les manuels de référence en géographie humaine. En revanche, le développement depuis les années 1980 de ce que l’on appelle la géographie des recompositions territoriales peut se raccrocher à cet héritage disciplinaire, mais en se tournant essentiellement vers les structures récemment créées, ne faisant que peu de cas des découpages historiques. En 1995, M. Vanier s’interroge ainsi : « Comment analyser les mailles du territoires sans tomber dans une aride et stérile géographie administrative ? » Les espaces de l’administration auraient-ils perdu leur intérêt scientifique au profit des nouveaux périmètres d’action politique ? La commune bénéficiant de la double appartenance, nous pensons nous situer entre les deux domaines d’investigation évoqués, en alliant l’étude des logiques de recomposition et l’approche plus statique de la « caractérisation des découpages ainsi que la définition de leurs constantes » (F. Ferlaino, 1997). Dans le cadre d’une étude géographique des très petites communes françaises, la prise en compte des aspects législatifs est indispensable. Son premier magistrat, élu par le conseil municipal, préside aux destinées de la localité avec des compétences et responsabilités renforcées par les lois de décentralisation de 1982, mais de plus en plus massivement déléguées à des structures intercommunales nombreuses et variées. L’autonomie administrative d’une population locale prend ainsi une forte signification politique : la communauté citoyenne se donne les moyens d’une représentation officielle et d’un pouvoir réel sur l’aménagement et le développement de son périmètre. L’étude des très petites communes présente des enjeux multiples. Le premier est d’ordre épistémologique et disciplinaire : si les réflexions sur l’action municipale semblent évidentes dans des domaines comme la science politique ou le droit public, un travail sur ce sujet en géographie peut paraître plus original, et, du même coup, susceptible d’apporter des éléments de débat encore trop rarement abordés. Par ailleurs, dans l’actualité géographique française, l’approche de la réflexion par le biais d’un terrain d’étude transversal indépendant des découpages territoriaux traditionnels suppose aussi la recherche de méthodes d’investigation particulières. Le deuxième enjeu est de comprendre ce que représentent les très petites communes au sein de l’espace rural français. Quel est leur rapport à la hiérarchie des lieux ? Dans quels territoires sont-elles présentes ? De quelles fonctions, et de quelles dynamiques sont-elles porteuses ? Massivement héritées de l’exode rural et du déclin des activités agricoles traditionnelles, les municipalités les moins peuplées sont-elles toujours les jalons les plus caractéristiques des campagnes françaises en crise ? Ont-elles l’exclusivité de ce marquage ? Par ailleurs, dans la plupart des régions françaises, y compris celles qui ont connu les déclins les plus prononcés dans une période précédente, l’idée de « renaissance rurale » tend désormais à s’imposer, aboutissant à renverser les tendances passées. Dans ces conditions, les très petites entités produites par la récession antérieure parviennent-elles à accéder à ces nouvelles dynamiques ? Le troisième enjeu est celui d’une régionalisation originale des espaces ruraux français : d’une part, la fréquence et la répartition des très petites communes est variable 7
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