Hanoto vol.1_Hanoto vol.1 07/12/16 18:00 Page1 Hanoto vol.1_Hanoto vol.1 07/12/16 18:00 Page2 Hanoto vol.1_Hanoto vol.1 07/12/16 18:00 Page3 LA KABYLIE ET LES COUTUMES KABYLES Hanoto vol.1_Hanoto vol.1 07/12/16 18:00 Page4 Autres ouvrages d’Hanoteau Essai de grammaire kabyle, renfermant les principes du langage parlé par les populations du versant du Jurjura, et spécialement par les Igaouaouen (Zouaoua), Alger, Bastide/Paris, Challamel, 1858. Essai de grammaire de la langue Tamachek, Paris, 1860. Poésies populaires de la Kabylie du Jurjura, texte kabyle et traduction, Paris, Imprimerie Nationale, 476 p., 1867. ISBN : 2-912946-43-3 © EdITIONSBOUChENE, Paris, 2003. Hanoto vol.1_Hanoto vol.1 07/12/16 18:00 Page5 LA KABYLIE ET LES COUTUMES KABYLES par A. hANOTEAU et A. LETOURNEUX seconde édition revue et augmentée présentations de Alain Mahé et Tilman hannemann TOMEPREMIER Ouvrage publié avec le concours du Centre National du Livre et le soutien de l’ACI «Jeunes Chercheurs» (Fonds national de la Science, ministère chargé de la Recherche) EdITIONSBOUChENE Hanoto vol.1_Hanoto vol.1 07/12/16 18:00 Page6 préface Alain_préface Alain 08/12/16 08:22 Page1 Entre les mœurs et le droit: les coutumes Remarques introductives à La Kabylie et les coutumes kabyles1 La Kabylie et les coutumes kabylesa connu deux éditions, la première en 1873, la seconde, vingt ans plus tard, en 1893. C’est cette seconde édition que nous reproduisons ici. Le premier des trois volumes de cette véritable encyclopédie de la Kabylie rassemble une somme considérable de données relatives à la zoologie, la botanique et la géographie physique de la Kabylie mais aussi au commerce et à l’industrie, jusqu’aux poids et mesures utilisés localement. Les Kabyles et les lexicographes apprécieront la richesse des termes recensés2. Les deux autres volumes nous proposent la plus formidable ethnographie que le Maghreb — et même l’ensemble des pays de l’Empire colonial français — ait suscitée. Les remarques qui suivent concernent ces deux volumes. La Kabylie et les coutumes kabylesa eu une postérité théorique considérable et des effets sociaux non moins importants. Les effets sociaux résultent directement de la politique judiciaire de la France en Kabylie à laquelle l’œuvre d’Hanoteau et Letourneux a contribué de façon décisive. C’est en effet en se référant à ces coutumes kabylesque les juges de paix français ont administré la justice en Kabylie durant toute la période coloniale pour les affaires relatives au statut personnel et à une partie du droit civil. La présentation de Tilman Hannemann — qui suit la nôtre — en a longuement analysé la mise en place de 1857 à 1880. Mais il nous manque encore des études sur la période postérieure pour pouvoir prendre la mesure des conséquences de cette politique judiciaire sur les pratiques et les représentations des Kabyles3. 1. Le projet de rééditer La Kabylie et les coutumes kabylesest né d’un séminaire collectif d’anthropologie juridique intitulé mœurs, droit et politique dans les théories socialesque j’anime à l’École des Hautes Études en Sciences sociales en sus de mon enseignement propre sur l’anthropologie historique de la Kabylie. L’équipe que j’ai réunie n’a pu conduire ses travaux qu’à la faveur d’un financement du ministère de la recherche qui a également contribué à ce projet éditorial. Les quelques réflexions qui suivent ont puisé l’essentiel de leurs arguments à l’épreuve du travail en commun accompli dans ce cadre, et je tiens tout particulièrement à souligner ma dette à l’égard de Bruno Karsenti avec lequel je mène, depuis maintenant trois ans, un dialogue ininterrompu. 2. L’abondance de mots rares ou ceux dont l’usage s’est perdu nous a conduit à renoncer à les transcrire dans un système qui satisferait aux critères académiques en cours. L’immensité du travail à accomplir et l’incertitude sur la possibilité de pouvoir réunir les compétences requises a stoppé l’élan que nous avait donné ce projet éditorial si ambitieux et si attendu. 3. J’ai moi-même longuement envisagé ces questions, cf. Mahé (2001a). Signalons cependant la remarquable étude de Claude Bontems (1992) sur «la coutume kabyle, jurisprudence et statut féminin». À partir d’études de cas relatifs à des affaires de succession et de rupture du lien conjugal, l’auteur analyse par le menu les attendus des jugements prononcés par les juges de paix en Kabylie; ceux invoqués par les magistrats intervenant en appel, ainsi que ceux sur lesquels s’étayent les arrêts de la Chambre de Révision musulmane de la Cour d’Alger. Tout l’intérêt de cette lecture est de souligner l’hétérogénéité des modes de justification et d’argumentation mobilisés par les magistrats pour amender la coutume kabyle: du droit naturelinvoqué par les juges de paix aux raisonnements de pure technique juridique développés par la Cour d’Alger. préface Alain_préface Alain 08/12/16 08:22 Page2 II HAnOTEAuETLETOuRnEuX Du point de vue de ses effets sociaux, l’ethnographie de la Kabylie de Hanoteau et Letourneux a également participé à cette impressionnante accumulation de connaissances1dont la réappropriation par les Kabyles a joué un rôle central dans leur prise de conscience identitaire, dès les années 1930, puis, massivement, dans le cadre du mouvement culturel berbère des années 1980. Mais les effets sociaux d’une œuvre scientifique sont des plus aléatoires et des plus paradoxaux. En outre, la nature complexe et évolutive du débat culturel dans l’Algérie contemporaine les rend totalement imprévisibles. Puisse l’analyse que Tilman Hannemann donne de la politique judiciaire mise en œuvre par la France en Kabylie contribuer à ce mouvement par lequel la société kabyle est en train de se réconcilier avec elle-même. nul doute, en tout cas, que la réédition de la Kabylie et les coutumes kabylesy contribuera. Au-delà de l’intérêt académique de cette œuvre — qui est l’objet de cette présentation —, c’est le vœu le plus cher de ses maîtres d’œuvre. Sur le plan scientifique, la postérité de cette œuvre est liée à la fondation durkheimienne de la sociologie. C’est notamment en se référant à la Kabylie étudiée par Hanoteau et Letourneux puis par Masqueray (1886)2que dans la Division du travail socialDurkheim (1893) étaya sa théorie de la solidarité mécanique et de la segmentarité. C’est aussi en puisant dans cette ethnographie que Paul Fauconnet (1920) — l’un des autres membres éminents de l’Année sociologique — élabora sa théorie de la responsabilité — ou que René Maunier (1927) prolongea de façon audacieuse les analyses de Marcel Mauss sur le don3. Dans l’anthropologie et l’histoire du droit, la postérité de La Kabylie et les coutumes kabylesn’est pas moindre. Les questions théoriques qui y sont traitées sont au cœur de l’«anthropologisation» de l’Antiquité classique que les deux grands maîtres des études grecques ont initiée. Dans sa thèse sur la solidarité de la famille dans le droit criminel en Grèce, Gustave Glotz (1904) cite en effet à plusieurs reprises les analyses de Hanoteau et Letourneux et dans ses Recherches sur la formation de la pensée juridique, Louis Gernet (1917) ne manque pas non plus de s’y référer4. On sait comment, dans la deuxième moitié du XXesiècle, la version durkheimienne de la segmentarité a été revisitée par l’anthropologie anglo-américaine et comment la thèse de Gellner (1969) sur les Saints de l’Atlasa informé durant plusieurs décennies l’ensemble de l’anthropologie politique du monde arabo-berbère. Là encore, et par 1. Pour la seule période coloniale, la bibliographie de la Kabylie compte plusieurs dizaines d’ouvrages et des centaines d’articles. 2. L’œuvre majeure de Masqueray — rééditée en 1983 — n’a cessé d’être discutée dans l’anthropologie du Maghreb. Ses principaux relais sont la thèse de Montagne (1930); celle de Berque (1955); puis celle de Gellner (1969). A la différence de l’usage qu’ils font de la thèse de Masqueray, quand ces auteurs se réfèrent à l’œuvre de Hanoteau et Letourneux, c’est uniquement pour invoquer des données ethnographiques qui valident leurs propres thèses et sans jamais restituer la complexité de l’analyse qu’en donnent les deux auteurs. Or, il convient ici de rappeler qu’en soutenant sa propre thèse Masqueray s’était dit honoré d’être considéré comme le disciple d’Hanoteau et Letourneux, cf. Masqueray (1983, p. XIV). Comme si l’absence de légitimité académique d’un général et d’un magistrat, obligeait l’universitaire qu’était Masqueray à revendiquer solennellement une influence qui n’allait déjà pas de soi. 3. Cf. mon édition critique de l’essai de René Maunier, Mahé (1998). 4. Rappelons qu’en dehors de sa contribution au renouvellement des études grecques, Gernet a très tôt participé, dès 1903, à l’Année sociologique, avant d’en devenir le directeur en 1948. En outre, c’est dans le cadre de son enseignement à la Faculté des lettres d’Alger — où il occupa la Chaire de philologie classique de 1921 à 1948 — qu’il orienta Jacques Berque dans ses premiers travaux d’anthropologie juridique, cf. Mahé (2001b). préface Alain_préface Alain 08/12/16 08:22 Page3 LAKAByLIEETLESCOuTuMESKAByLES III un juste retour des choses, c’est l’œuvre d’Hanoteau et Letourneux qui suscitera l’analyse segmentariste théoriquement la plus aboutie, sous la plume de Jeanne Favret (1968 et 1969). C’est dire que cette introduction ne saurait retracer l’ensemble des développements et des lectures auxquels s’est exposée l’œuvre de Hanoteau et Letourneux. En outre, ces lectures ont été soit sélectives — les auteurs «braconnant» dans cette vaste ethnographie à la recherche des aspects qui les occupaient en négligeant l’analyse qui en est donnée —, soit contradictoires — lorsqu’elles ont étayé une ambition théorique systématique. Ainsi, alors que la segmentarité de Durkheim s’arc-boute sur une théorie de la solidarité, celle de Gellner s’emploie, à l’inverse, à montrer comment dans les sociétés segmentaires la violence est le principal mode de structuration de la société!1 Reste enfin des lectures, plus ou moins fantaisistes, selon lesquelles de nombreux auteurs ont illustré des hypothèses aujourd’hui totalement obsolètes. Autant de références à Hanoteau et Letourneux qui ne présentent plus qu’un intérêt historiographique qu’il revient aux érudits de recenser. nous nous contenterons donc d’évoquer ici quelques-unes des implications théoriques majeures qui sont au cœur du projet de Hanoteau et Letourneux, qu’elles aient été ou non intégrées dans les grandes modélisations théoriques qui ont assuré la postérité de La Kabylie et les coutumes kabyles. Car, on l’aura compris, la postérité de cette œuvre est largement paradoxale. Comme tous les grands livres d’ethnologie où la description ethnographique — avec son souci du détail et de l’exhaustivité — prime sur la construction théorique, le destin du livre de Hanoteau et Letourneux a été d’étayer d’autres grands livres dont les auteurs avaient le souci inverse. nous commencerons donc par résumer l’interprétation de Hanoteau et Letourneux du système kabyle afin d’en faire saillir la problématique, puis, après avoir établi le caractère paradoxal de l’usage de leur œuvre dans la théorie de la segmentarité — dans ses versions française et anglo-américaine — nous retiendrons trois questions: 1) Celle de l’articulation entre «coutumes», mœurs et droit; 2) celle du passage de la vengeance à la peine; et, enfin, 3) celle de la responsabilité avec ses deux versants: responsabilité objective et responsabilité subjective. Trois questions qui nous permettrons de montrer que la Kabylie et les coutumes kabylesest encore susceptible de nourrir — et de renouveler — les débats théoriques des sciences sociales contemporaines. La Kabylie et les coutumes kabyles: économie d’une démonstration L’ouvrage de Hanoteau et Letourneux s’appuie sur une problématique théorique cohérente. Celle-ci repose sur deux axes. Le premier affirme la laïcité foncière du système juridique kabyle. C’est-à-dire qu’à l’inverse des législations inspirées par les traditions islamiques, le droit kabyle est le fruit d’une activité profane et séculière. En quoi, et à la différence du droit musulman figé dans son caractère de droit révélé, il est toujours susceptible d’être amendé et d’évoluer au gré des dispositions édictées par les assemblées villageoises. Le second axe procède en deux temps. Hanoteau et Letourneux reconnaissent d’abord l’existence de deux ordres juridiques distincts et concurrents, mais non exclusifs l’un de l’autre, puisqu’ils se superposent dans la plupart des cas. Le premier correspond à la justice privée et le second à celle de la cité. Dans le premier cas, les 1. Pour une analyse détaillée, cf. Mahé (1999a, 1999b et 2000). préface Alain_préface Alain 08/12/16 08:22 Page4 IV HAnOTEAuETLETOuRnEuX particuliers et les lignages règlent leurs différends à coups de vengeances; dans le second, la Cité impose une pénalité fondée sur un système d’amendes. C’est dire que, pour le même crime, l’individu est susceptible de s’exposer à la fois à la vindicte du lignage victime et à la justice administrée par l’assemblée du village. Cependant, Hanoteau et Letourneux se sont uniquement préoccupés d’élucider les ressorts de cette superposition et les valeurs propres des deux systèmes. S’ils s’avisent que, en cas d’opposition frontale entre les intérêts publics du village et les intérêts privés des lignages, les premiers l’emportent toujours, ils négligent cependant d’analyser les modalités de l’articulation des deux systèmes et les valeurs communes qu’ils ébranlent. Alors que ce sont ces valeurs qui leur permettent précisément de coexister, moyennant d’inévitables conflits de légitimité. Selon eux, la justice privée relèverait uniquement d’un code de l’honneur gentilice, tandis qu’inversement, celle qui est exercée par les assemblées villageoises procéderait du civisme et du patriotisme. Renonçant ensuite à étudier de façon systématique les pratiques du système vindicatoire liées à l’honneur, Hanoteau et Letourneux réservent leurs analyses à l’administration de la justice par la Cité. Et nos auteurs de poursuivre leurs réflexions dans la même logique et avec les concepts juridiques qui leur avaient permis d’ordonner le système judiciaire kabyle en public et en privé. Les assemblées n’auraient de cesse de faire valoir et de défendre l’ordre public du village, en essayant de substituer la pénalité à la vindicte de la justice privée des lignages. Bien que Hanoteau et Letourneux n’aient pas développé de théorie systématique, la recherche d’exhaustivité qu’ils ont déployée dans la présentation des faits et des règles juridiques kabyles met au jour un cas où l’assemblée villageoise non seulement ne s’oppose pas au règlement vindicatoire dans les règles de l’honneur, mais encore le provoque ou, à défaut, s’y substitue. Ainsi des situations où, par suite du relâchement de la cohésion des lignages ou de leur laxisme dans le respect des règles de l’honneur, un affront, une injure ou la conduite scandaleuse d’un individu demeurent impunis. Le déshonneur et la souillure provoqués par le crime rejaillissent alors des lignages — victime et criminel — sur le village. Ce dernier s’en émeut, et, par la voie de son assemblée, met en demeure ceux dont l’honneur a été souillé de rétablir son intégrité et, enfin, si ceux-ci n’obtempèrent pas, s’y substitue. Dans les situations les plus courantes, la publicité faite naturellement aux situations scandaleuses par les villageois suffit à réveiller le sens de l’honneur le plus émoussé. Et il est extrêmement rare, sur la foi des observations de Hanoteau et de Letourneux, qu’une assemblée de village ait besoin d’entreprendre des démarches pour rappeler les intéressés à leurs devoirs d’hommes d’honneur. Cependant, nos deux auteurs font état de situations où non seulement les rappels à l’ordre de l’assemblée du village sont demeurés sans suite, mais dans lesquelles celle-ci se substitue aux lignages pour réprimer les atteintes à leur honneur. Dans le cas exemplaire que nous allons évoquer, il s’agit, en fait, d’une criminelle. Celle- ci était une femme volage flanquée d’un mari complaisant, à tel point que, même lorsque les frasques de l’épouse furent connues des villageois, il ne broncha pas. Les récriminations de l’assemblée villageoise n’eurent pas plus d’effet sur le comportement du mari que sur celui des parents que la femme adultère comptait dans le village et qui étaient tenus par le code de l’honneur à suppléer le mari défaillant. C’est l’honneur du village à l’égard de ceux d’alentour qui était alors en jeu. Indignée par l’opprobre qui menaçait directement sa personnalité morale, l’assemblée ne tarda pas à réagir. une somme d’argent fut prélevée sur les fonds du
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