UNIVERSITE PARIS-EST Ŕ MARNE LA VALLEE UNIVERSITE MARIEN NGOUABI Ŕ BRAZZAVILLE Ecole doctorale Cultures et Sociétés Formation doctorale Espaces littéraires, linguistiques et culturels Année 2009-2010 THESE EN COTUTELLE Pour obtenir le grade de DOCTEUR DE LřUNIVERSITE PARIS-EST ET DE LřUNIVERSITE MARIEN NGOUABI Domaine : Langues et Littératures Etrangères Spécialité : Littérature africaine anglophone Présentée et soutenue publiquement par Jean-Marie SOUNGOUA le Jeudi 25 novembre 2010 (Amphithéâtre Le phénotype Université M. Ngouabi) Titre : GUERRE ET SURVIE CHEZ CYPRIAN EKWENSI ET KEN SARO-WIWA Directeurs de thèse Madame le Professeur Evelyne HANQUART-TURNER Monsieur le Professeur Bernard NGANGA JURY Monsieur le Professeur Michel NAUMANN, Université de Cergy Pontoise Monsieur le. Professeur Komla Messan NUBUKPO, Université de Lomé Monsieur le Professeur Eugène NřGOMA, Université Marien Ngouabi Madame le Professeur Evelyne HANQUART-TURNER, Université Paris-Est Monsieur le Professeur Bernard NGANGA, Université Marien Ngouabi 1 Remerciements Notre gratitude est grande à lřendroit de nos deux directeurs de thèse, Madame le Professeur Evelyne Hanquart-Turner et Monsieur le Professeur Bernard Nganga, pour nous avoir véritablement pris en main, et pour avoir conduit chacun de nos pas sur le sentier difficile et périlleux de la recherche. Sans leurs incessants et précieux conseils, leur rigueur et leur perspicacité, ce travail nřaurait certainement pas abouti. Ils ont vu germer une graine et apporté à force de travail et de patience à la jeune pousse les nutriments nécessaires pour quřelle devienne un arbre et puisse enfin donner des fruits attendus. Nous avons trouvé auprès dřeux toute la sollicitude possible ; et à nos heures de détresse, les mots de maîtres étaient devenus des mots dřamis. Que de belles et laborieuses années passées ensemble ! La postérité vous est acquise à jamais, chers maîtres. Nous tenons à remercier le Pr Komla Messan Nubukpo, Doyen de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de lřUniversité de Lomé au Togo, le Pr Michel Naumann de lřUniversité de Cergy Pontoise en France et le Pr Eugène NřGoma de lřUniversité Marien Ngouabi, pour avoir promptement accepté de participer au jury de notre thèse et dřen être les rapporteurs en dépit de leurs multiples charges. Nous gardons particulièrement des Professeurs Bernard Nganga et Eugène NřGoma le souvenir dřhommes qui ont été non seulement des collègues attentionnés et des amis mais dřabord des maîtres auprès de qui nous avons fourbi nos premières armes dřangliciste. Que de générations dřétudiants doivent à ces esthètes de la parole et de lřécriture ce quřils sont aujourdřhui ! Comment oublier les collègues du département de Langues Vivantes Etrangères de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de lřUniversité Marien Ngouabi, le Pr Basile Marius Ngassaki, les Docteurs M. Mowelle, N. Quashie Kwami, J.P. Nkara, E. Lonongo, P. Samba ŔSamba, et ceux des autres départements, notamment les Professeurs François Lumwamu, Paul Nzete, Charles Zacharie Bowao, Joseph Samba Kimbata, Benjamin Evayoulou, pour leur soutien multiforme. Que les membres du groupe IMAGER de Paris-Est soient remerciés pour tous les moments de travail intense que nous avons eus ensemble. Nous devons également une fière chandelle à tous mes parents et amis pour leur aide remarquable : N. et T. Souza, J. Kamilandouko, C. et M. Bakaladia, B. I. Makaya-Batchi, F. J. Akiana, R. Massamba-Debat, A. Nkounkou, H. Malanda… 2 INTRODUCTION The cloud-backed heron will not move : He stares into the stream. He stands unfaltering while the gulls And oyster-catchers scream.. He does not hear, he cannot see The great white horses of the sea But fixes eyes on stillness Below their flying team. Vernon Watkins, ŖThe Heronŗ 3 Il y a une dizaine dřannées, le Magazine littéraire consacrait un numéro spécial à lřécriture de guerre.1 Un simple coup dřœil au sommaire effaçait toute la singularité de cette notion de guerre donnée comme définie. Le détail des œuvres citées démentait à son tour toute unicité du genre concerné. Du roman à la nouvelle, du témoignage à la chronique, du mythe au conte, la guerre parcourt tous les espaces littéraires. Elle a été pensée, écrite, peinte, sculptée, mise en musique depuis des temps immémoriaux. Elle a inspiré nombre dřœuvres mettant en scène des conflits de toutes les époques et de tous les continents. Sans remonter à une époque plus lointaine, le dix-neuvième siècle offre un éventail non négligeable de littérature de guerre avec des récits dřenvergure tels que Servitude et Grandeur militaire dřAlfred de Vigny,2 ou Guerre et Paix de Tolstoï.3 Mais cřest à lřévidence la Grande Guerre qui a assuré à ce genre littéraire une fortune plus abondante et plus variée. En Afrique, la littérature de guerre est un phénomène plutôt nouveau.4 Il nřy apparaît véritablement quřà la suite de la guerre civile du Nigeria. Celle-ci a donné naissance à une littérature assez remarquable. Devant lřhorreur et la cruauté, les écrivains nigérians nřont pas fait sonner le tocsin de la discorde. Quřils soient ibos, yoroubas, haoussas ou quřils appartiennent aux groupes ethniques minoritaires, tous ont dit leur amertume en choisissant chacun le ton et la 1 Magazine littéraire 378, « Ecrire la Guerre », juillet-août 1999, 160 p. 2 Alfred de Vigny, Servitude et grandeur militaire, Paris : Larousse [1913 ?], 172 p. 3 Léon Tolstoï. Guerre et paix, Paris : Edition de la Nouvelle Revue française, 1944, xxvi + 1654 p. 4 On note que le thème de la guerre est déjà présent dans le roman africain anglophone et francophone écrit durant la période coloniale ou après lřindépendance, où la Deuxième Guerre mondiale revient comme un leitmotiv. La poésie nřest pas en reste puisque cette guerre y est évoquée dans les registrres divers, démontrant son importance. La guerre est présente dans ces écrits par la simple évocation nominale de la guerre ou par lřenonciation du nom dřHitler ou du nom de lřAllemagne : cela va des textes du Sénégalais Léopold Sédar Senghor qui a commencé à publier en 1945 à ceux du Kenyan Ngugi Wa Thiongřo. Ce dernier, par exemple, publie un roman, A Grain of Wheat (Londres : Heineman, 1983), dans lequel les références à la Deuxième Guerre mondiale sont nombreuses. Le lecteur apprend que le Kenya servait de base arrière aux troupes anglaises en partance pour Madagascar en 1942, par le biais de lřhistoire du personnage britannique Thompson. 4 forme qui conviennent pour le dire. Certains ont pensé rendre au moyen du témoignage leur expérience de la guerre, dřautres se sont exprimés par le roman, la nouvelle, la poésie ou le théâtre, laissant mûrir leur réflexion sur un sujet qui trouve son origine dans une expérience à la fois personnelle et collective particulièrement éprouvante. Pour paraphraser Adrienne Hytier, la guerre nřest pas seulement thème, elle est également prétexte et toile de fond.5 Tel pourrait être le fil dřAriane permettant de comprendre la veine créatrice des écrivains dont lřimagination est frappée par les violences de la guerre. Gaston Bouthoul, le fondateur de la polémologie ou science de la guerre propose en 1946 « lřétude scientifique du Phénomène-guerre (sic) considéré comme un phénomène social, pour la distinguer de la science de la guerre telle quřon lřenseigne dans les écoles militaires et les états- majors ».6 Il précise en outre que « La guerre est incontestablement le plus spectaculaire des phénomènes sociaux ».7 Sans avoir la prétention de faire, dans la présente étude, œuvre de sociologue, nous nous proposons uniquement dřapporter en complément à la polémologie, une étude des discours littéraires ayant la guerre pour objet et qui a pour nom polémographie. Quřest ce donc que la guerre, et quel sens donner à la survie ? Que dire des différents supports écrits qui rendent compte de ces phénomènes ? I. Préalables théoriques et épistémologiques Bouthoul sřétonne de lřabsence de recherche officielle sur la guerre et il avance une explication fondamentale : Le premier des obstacles à une étude scientifique des guerres cřest quřil nous est bien difficile de nous étonner, tant est grande notre accoutumance, de ce phénomène pourtant assez stupéfiant.8 Cřest le premier paradoxe que découvre le lecteur : banalité et stupéfaction, et qui reste aussi la clef de voûte de toute littérature de guerre. Que cache cette « pseudo-évidence » de la guerre ? Une incapacité à cerner, comprendre, raisonner le phénomène : « Et pouvons-nous dire que nous 5 A.D. Hytier, La Guerre, Paris : Bordas, 1989, p. 10. 6 G. Bouthoul, La Guerre, Paris : P.U.F., 1959, p. 5. 7 Ibid. p. 6. 8 Ibid. 5 savons, ne serait-ce quřapproximativement ce quřest la guerre, quelle est sa nature, quelles sont ses fonctions, quels sont les rôles quřelle remplit ? ».9 Cette impuissance est tout aussi immémoriale que la guerre. Elle a engendré des théories et des prises de position successives, de lřAntiquité à nos jours.10 Lřhomme produit la guerre sans la comprendre. Nous nřen voulons pour preuve que la difficulté que lřon éprouve à bien la définir. Les définitions de la guerre sont dřune concision qui laisse de côté lřhorreur dřune lutte armée : « Conflit armé entre deux nations, deux souverains, ou parties dřune même nation ».11 Seul le terme « armé » porte la charge de la violence. Le terme « conflit » est utilisé dans bien dřautres domaines familiers : conflits sociaux, conflits dřintérêt, conflit de générations, sans que soit évoquée la situation extrême quřest la guerre. Mais dans le même article paru dans Quillet, est présente la notion sous-jacente de nation définie comme « ensemble dřhommes habitant une même région, ayant conscience dřune origine et de traditions communes, et unis sous un même gouvernement ou aspirant à lřêtre ».12 Apparaît ici la notion dřidentité, cřest-à-dire ce quřun groupe dřhommes a en commun, ce qui lui permet de se construire en tant que communauté à savoir le territoire, lřhistoire et lřorganisation politique. Lřun ou plusieurs de ces éléments peuvent être donc mis en danger en temps de guerre. On mentionne également le conflit dans The New American Desk Encyclopedia tout en précisant quřil est organisé. Le détail nřest pas accessoire, car cřest, selon Bouthoul, lřun des trois traits caractéristiques de la guerre : à son caractère collectif sřajoutent « un élément subjectif, lřintention, et un élément politique, lřorganisation » ;13 « en effet, la guerre est au service des intérêts dřun groupement politique, alors que la violence individuelle est au service dřun intérêt privé ».14 Cřest bien ce que ressentiront nombre de personnages dans les ouvrages que nous aurons à étudier, déroutés par une guerre dans laquelle enjeux politiques et privés sřentrecroisent. 9 G. Bouthoul, La Guerre, p.8. 10 Ibid.,pp. 9-27. 11 Dictionnaire Encyclopédique Quillet, p. 3003. 12 Ibid. 13 G. Bouthoul, La Guerre, p. 31. 14 Ibid. 6 Lřarticle de lřencyclopédie américaine mentionne les raisons possibles du conflit : « …power, territory, wealth, ideological domination, security, independence ». The Concise Oxford Dictionary apporte une précision supplémentaire sans faire davantage allusion à lřhorreur inhérente à la guerre : Quarrel usually between nations conducted by force, state of open hostility, and suspension of ordinary international law, prevalent during such quarrel, military or naval attack or series of attacks… On peut rechercher ainsi toutes les formules proposées par les penseurs et philosophes mais Gaston Bouthoul présente au terme de son analyse une définition qui concentre les principales notions incluses dans la guerre : « la guerre est une lutte armée et sanglante entre groupements organisés ».15 Il ne voile pas la réalité prosaïque du phénomène, surtout lorsquřon remarque à quel point la pudeur semble de rigueur et la violence, inhérente à la guerre, curieusement absente des définitions officielles. Peut-on parler de guerre sans évoquer celui qui la fait, cřest-à-dire le guerrier, autrement dit le soldat ? Claude Barrois sřinterroge sur la fonction de celui-ci : Comment la fonction de guerrier est-elle possible ? Cette énigme passionnante à résoudre concerne à la fois lřacceptation a priori de sa propre mort et lřexistence dřune institution spécialisée au sein dřune collectivité humaine. Cet échange de la mort (donnée et reçue) explique certainement la répulsion, le refoulement, voire la censure qui porte sur le mot lui-même, jusque dans les écrits militaires. Toutes les ressources du langage sont utilisées pour gommer lřaction de tuer un ennemi, évitant dřune part les termes « tuer », « faire mourir », « meurtre », « assassinat », etc., en raison de la transgression de lřinterdit de tuer, et dřautre part, les expressions « mourir », « se tuer, « être mort », afin de masquer lřaveuglante vérité qui fait, de tous les hommes, des morts en puissance.16 Lřanalogie avec la fonction de la guerre est frappante. Lřanalyse peut sřétendre à la société ou au groupe qui la subit et révéler un trait fondamental de celle-ci : lřomniprésence de la mort et les stratégies mises en place pour survivre. Claude Barrois plonge au cœur du problème de la littérature née de la guerre en exprimant cette dimension métaphysique de la mort, 15 G. Bouthoul, La Guerre, p. 33. 16 C. Barrois, « La psychologie du guerrier », Sciences Humaines 041, juillet 1994, p. 17. 7 incontournable, qui phagocyte toutes les autres dimensions de la vie, le temps, lřespace, lřhumanité, etc… La violence, lřhorreur, les traumatismes et la peur de mourir induisent, chez lřhomme, la nécessité de mettre en œuvre des mécanismes tendant à se protéger contre les affres de la guerre, à la dépasser. Lřencyclopédie Quillet définit la survie comme « le fait dřéchapper à des circonstances qui devraient normalement entraîner la mort ». Survivre, cřest « subsister après la perte, la ruine ou après un désastre », précise le Grand Dictionnaire Universel du XXè siècle. Le substantif, comme le verbe, connote lřidée de sursis, état très aléatoire dont lřissue est incertaine. Cřest lřidée même qui est perçue dans « vivoter », lřun des synonymes du verbe subsister que propose Quillet. Il sřagit donc pour les hommes de négocier, pour ainsi dire, leur existence quotidienne face à lřadversité de la guerre dont les effets demeurent encore pervers en temps de paix. Survivre à la guerre ne veut pas dire que lřon est à lřabri de la mort alors que survivre à la paix implique que, ironiquement, la paix peut être beaucoup plus dangereuse que la guerre pour des gens démunis et éprouvés par une expérience si douloureuse et traumatisante. Il nous reste, enfin, à régler une question de la plus grande importance, celle qui est liée à lřappelation de la guerre qui nous concerne précisément : Guerre du Biafra ou Guerre civile du Nigéria ? Si dans le monde, notamment en Europe et aux Etas-Unis, ce conflit a été connu sous le vocable restrictif de Guerre du Biafra, en Afrique, nombre dřobservateurs et de critiques se sont prononcés pour le caractère pan-nigérian de celui-ci. Nous pensons en effet avec Bernard Nganga que tous les Nigérians quelle que soit lřethnie à laquelle ils appartiennent, ont souffert de la guerre. A moins dřêtre hypocrite, personne nřa le droit dřignorer les ravages quřelle a causés et les conséquences tragiques qui en ont découlé pour le Nigéria entier : : Il semble que tout examen de la guerre civile du Nigéria doit sřefforcer dřêtre objectif surtout lorsquřon bénéficie dřun certain recul par rapport aux événements, car sřil est établi que les Ibos ont beaucoup souffert en la circonstance, on ne peut pas soutenir quřils aient été les seuls. La guerre aura été une expérience traumatisante, à des degrés divers sans doute, pour tous les Nigérians, aussi bien ceux qui en ont souffert dans leurs corps et leur cœur que ceux qui nřont rien perdu pendant le conflit. La tendance que lřon constate chez beaucoup dřIbos à considérer que non seulement ils ont été les seuls à souffrir vraiment de la guerre mais surtout quřils sont laissés-pour-compte depuis Ŕ Achebe et Ekwensi, nous lřavons vu, nřy échappent pas Ŕ nous paraît tout aussi regrettable que celle qui consisterait à faire retomber la responsabilité de la tragédie sur tel groupe ethnique plutôt que sur tel autre, sur tel dirigeant plutôt que sur tel autre. Une patiente et froide 8 analyse de tous les facteurs qui avaient inexorablement entraîné ce pays dans la guerre civile permet au contraire de soutenir que les responsabilités en la matière ne peuvent être que partagées.17 Si nous avons essayé de circonscrire les termes principaux de notre sujet, nous ne pouvons pas ne pas tenter de comprendre les contours des différents genres par lesquels les écrivains de guerre sřexpriment, à savoir le témoignage, le roman, la poésie et le théâtre. La séparation des genres comme outil heuristique peut sembler artificielle. Elle a tendance à isoler le récit, alors même quřil subit les assauts et les influences des autres genres. Cette séparation repose en effet sur des principes hérités des années vingt, celles de la Grande Guerre. Jean Norton Cru,18 qui sřest intéressé à lřanalyse du « récit de guerre » sřinscrit tout à fait dans cette tradition taxinomique lorsque, parmi les ouvrages quřil étudie, il distingue les journaux des récits, les journaux des lettres, tout en reconnaissant lui-même le caractère imparfait dřune telle classification. Cette démarche, héritée autant des études littéraires que du positivisme historique, a ses limites. Elle éclipse les points communs entre les genres autant quřelle classe des ouvrages à lřintérieur dřun genre selon des critères faussement objectifs. Ces classification, qui par ailleurs peuvent se révéler riches dřautres enseignements, ne permettent pas de répondre à certaines questions, notamment celle, bien pertinente, dřune prose spécifique à la guerre. Pour en venir au témoignage, nous pouvons dire quřil nřest pas un genre au sens aristotélicien du terme, mais le récit de guerre y recourt abondamment. P. Hengel le définit comme le « compte-rendu intentionnel fait à un tiers dřun événement ou dřun ensemble dřévénements pertinents aussi bien pour lřauteur du compte-rendu que pour son destinataire ».19 Il se donne aussi à lire comme une réponse immédiate et spontanée à lřévénement et se caractérise par la restitution du vrai. Cependant, le problème de sa valeur se pose parfois en termes dřauthenticité car il nřexiste pas de témoignage pur : il faut en effet prendre en compte non seulement les problèmes de déficience personnelle, ou de la disproportion entre lřobservateur et lřobjet observé, mais aussi les prises de position politiques ou philosophiques devant la guerre. 17 B. Nganga, « Lřœuvre romanesque de Cyprian Ekwensi : Essai dřEtude Littéraire et Sociologique ». Thèse de Doctorat dřEtat ès Lettres, Université de Paris XII-Val de Marne, 1988, pp. 97-98. 18 Jean Norton Cru, Temoins, Paris: Les Etincelles, 1929. 19 Pascal Hengel, «Remarques sur lřEpistémologie du Savoir » www.unicaen.fr/mrsh/identitties/temoignages/pdf/themes3-11.pdf 10/11/2007 9 Un auteur nřobserve pas la guerre dans laquelle il est engagé comme un phénomène neutre ; avant même que le livre ne sřébauche, la guerre est jugée, quřelle soit condamnée ou magnifiée et le témoignage nřest souvent que la justification de ce jugement. Il est rare de trouver un écrivain impliqué dans la guerre qui lřait restituée à lřétat brut sans en donner la moindre interprétation. Car cřest à la suite de cette confrontation que le témoin rompt le silence et prend la parole. Le témoignage est le cri de la rupture et la volonté de ne pas tenir dans lřoubli cette « parenthèse de sang »,20 effort qui nřest pas sans risque tant il est vrai quřau fil du temps, le témoin perd sa sensibilité des premiers jours. Il en arrive même à sřautocensurer comme lřavoue pudiquement Wole Soyinka : The level of contempt for civilian life has finally reached its nadir, and torture has been institutionalized to such an extent that even provincial police stations now have their own torture cells. It is for this reason that I have eliminated from this edition some now superfluous details and comments on the atrocities committed by the army against innocent Nigerians; that dismal record has been more than beggared by this civilian government, and there is worse to come.21 Cřest tout lřenjeu de la réalité mémorielle qui transparaît dans cet aveu. Le témoin entreprend de faire un choix parmi les éléments du contenu de la mémoire au risque de nřoffrir à la communauté quřun témoignage lacunaire. Lorsquřelle nřest pas volontaire, la censure est prescrite à lřinsu du scripteur pour imposer un filtre à la parole qui veut se donner pour objet la « vraie » vérité dans la relation des faits tels quřils ont existé. Même sřil ne concerne pas le témoignage, il est intéressant de citer lřexemple du roman de guerre Death of a Hero, dont lřauteur, Richard Aldington, sřétonne de constater que lřéditeur a censuré le manuscrit : This novel in print differs in some particulars from the same book in manuscript. To my astonishment, my publishers informed me that certain words, phrases, sentences, and even passages, are at present taboo in England. I have recorded nothing which I have not observed in human life, said nothing I do not believe to be true.22 20 Nous empruntons cette expression au romancier et dramaturge congolais Sony Labou Tansi, auteur dřune pièce de théatre intitulé La parenthèse de sang (Paris : Hatier, 1981) 21 Wole Soyinka, The Man Died : Prison Notes of Wole Soyinka, London: Rex Collings, 1972, p. ix. 22 Richard Aldington, Death of a Hero, London: Chatto and Windus, 1930, p. vii. 10
Description: