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Figures de l'utopie dans la pensée d'Ernst Bloch PDF

234 Pages·2009·4.141 MB·French
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Figures de l'utopie dans la pensée d'Ernst Bloch Collection Hermann - Philosophie dirigée par Roger Bruyeron et Arthur Cohen Une première version de ce livre est parue en 1985 aux éditions Aubier. ISBN : 978 2 7056 6856 3 © 2009 Hermann, 6 rue de la Sorbonne, 75005 Paris - France www.editions-hermann.fr Toute reproduction ou représentation de cet ouvrage, intégrale ou partielle, serait illicite sans l'autorisation de l'éditeur et constituerait une contre- façon. Les cas strictement limités à l'usage privé ou de citation sont régis par la loi du 11 mars 1957. Arno Munster Figures de l'utopie dans la pensée d'Ernst Bloch HERMANN Philosophie Depuis 1876 Préface à la présente édition De tous les « témoins du futur » - nous nous permettons de reprendre cette formule chère à Pierre Bouretz - nés entre 1842 et 1900, Ernst Bloch est sans nul doute celui qui a affronté les défis d'un xxe siècle (déchiré entre les tentations de réaliser les plus audacieuses utopies politiques et les expé- riences du « pire ») de la manière la plus radicale possible, en résistant, avec son « optimisme militant » et sa pensée utopique de l'espérance, « à la perspective d'un nihilisme au triomphe depuis longtemps annoncé.1 » Il est aussi celui qui de tous les penseurs critiques convertis dans les années vingt du dernier siècle au marxisme, est le plus imprégné, pratiquement au même degré que son « frère » et compatriote Walter Benjamin, par la théologie ou du moins par une religiosité qui plonge ses racines profondes non seulement dans le judaïsme, mais aussi dans certains courants mystiques chrétiens (Jakob Bôhme...). Mais, à la différence de Benjamin qui nous rappelle, dans ses Thèses sur le concept de l'Histoire, non sans une certaine résignation, que le concept du progrès devrait être fondé sur celui de la catastrophe, Emst Bloch, non content de rassembler, dans Le Principe Espérance, « tout ce que la culture universelle peut comprendre de témoignages en faveur du futur et d'un monde suprasensible, pour les faire vibrer dans une langue illuminée d'éclats mes- sianiques et nourrie par la pensée du Souverain Bien »2, nous esquisse aussi, à partir de sa théorie de la « conscience anti- 1. Pierre Bouretz, Témoins du Futur.(Philosophie et messianisme), Gallimard, Paris, 2003, p. 628. 2. Op.cit., p. 629. VI ripante », une pensée de la praxis combattante qui articule directe- ment les images de souhait et les rêves éveillés avec le concept de possibilité et de transformation du monde pour le meilleur qui rejoint, dans ses conclusions, le rappel à l'ordre marxien3 - contre Feuerbach - que la tâche des philosophes est non pas de méditer abstraitement sur le monde mais de le transformer. L'adhésion sans réserve d'Emst Bloch à ce mot d'ordre de Marx fait en effet de l'auteur de L'Esprit de l'Utopie et de la trilogie du Principe Espérance l'architecte et le défenseur d'une nouvelle philosophie de la praxis où agir signifie avant tout « dégager, libérer les tendances », ce qui peut aussi avoir la fonction concrète de la "réalisation d'idéaux où « l'essence non encore réalisée devient idéal et l'essence non encore réalisée est la tendance »4, mais où l'action (individuelle ou collec- tive) est toujours guidée par un pré-apparaître (Vorschein) utopique rendant possible une future utopisation et transformation du monde vers le meilleur. En s'appuyant à ce propos sur un matérialisme ouvert et « à fonction utopique » qui défie radicalement toutes les conceptions réductionnistes et dogmatiques d'un matérialisme vulgaire et dogmatisé (stalinisme) et qui accorde aussi une légitimité à certains motifs d'une métaphysique tout à fait idéaliste (ce qui a probablement autorisé Jurgen Habermas à qualifier Emst Bloch de « Schelling marxiste » !), Ernst Bloch s'efforce ainsi de jeter un pont « du concept d'utopie, scientifiquement et philosophiquement éprouvé, à savoir, d'un concept d'utopie qui a cessé d'être une insulte (et qui représente une anticipation objective et tout à fait pos- sible) vers le substrat dialectique-matériel du devenir et de l'événe- ment, donc de la matière.... »5 Cette matière « proto-utopique », nous enseigne Bloch, est inachevée, elle est a priori « matière-en- avant » et elle est matière ouverte ayant devant elle une carrière imprévisible dans laquelle nous, les humains, sommes d'ailleurs inclus ; elle est donc la substance du monde. Mais le monde est à priori une expérimentation que la matière fait avec nous, et avec 3. Cf. Karl Marx, Les XI Thèses sur Feuerbach (1848). 4. Emst Bloch, Tendenz-Latenz-Utopie, Francfort, Suhrkamp, 1978, p. 264. 5. Emst Bloch, op.cit., p. 278. VII elle-même ; elle est de par son essence même « dynameion » (être- en-possibilité), selon la définition donnée par Aristote, dans le Livre Thêta de la Métaphysique, et cela signifie concrètement que la réalité objective est non seulement un état de notre demi-savoir subjectif de quelque chose, mais, essentiellement, un état réel où sont présents des procédés et des contenus qui germent encore dans le monde et qui peuvent être extériorisés, concrétisés. Autrement dit : « Ce qui est objectivement, réellement, possible, c'est ce qui est partielle- ment conditionné, mais il lui faut, souligne Bloch, "un facteur sub- jectif" pour que le "possible" soit désigné de plus près par les conditions qui lui manquent encore pour la réalisation (....), donc, un "non-encore-conscient" (subjectif) auquel correspond, du côté objectif, un "non-encore-devenu", dialectiquement enchevêtré avec "l'être-en-possibilité", le dynameion, la matière elle-même n'étant que Fhypokeimenon, c'est-à-dire, rien d'autre que le support (maté- riel) des conditions selon lesquelles quelque chose peut arriver ou non. »6 En effet, la critique de la métaphysique traditionnelle et en même temps la volonté de sauvegarder certains concepts théologiques, pour une vision du monde à la fois matérialiste et messianique, unis- saient sans nul doute Emst Bloch et Walter Benjamin dans l'effort commun d'affronter, sur le front philosophique, à la fois le néo- kantisme, la philosophie positiviste des sciences, le vitalisme, le relativisme (nietzschéen et simmelien) ainsi que tous les courants irrationalistes de la pensée conservatrice de son époque (Spengler, Klages, Bàumler, etc.) et de défier aussi en même temps les tendances dogmatiques et réductionnistes au sein même du marxisme, évoluant dangereusement, par exemple, en Union Soviétique, sous Staline, vers une canonisation dogmatique du matérialisme historique et dialectique qui faisait de plus en plus disparaître le vrai visage humain et révolutionnaire de la dialectique de Marx. Il est indé- niable que l'effort biochien destiné à rénover la pensée matérialiste (marxiste) est surtout consacré à l'effort de réhabilitation, au sein 6. Op.cit., p. 280- 281. VIII même de la discussion socialiste et marxiste, des utopies ( y compris des approches des représentants français du socialisme utopique (Saint-Simon, Fourier, Proudhon...) que Marx et Engels avaient vivement critiqués, au nom de leur propre idéal d'un « socialisme scientifique »), dans le but évident de « récupérer » la fonction « subversive » et révolutionnaire, non seulement des utopies politiques et sociales mais aussi de toutes les autres réalisations utopiques, dans le domaine de l'architecture, de la peinture, de la littérature, de la médecine, de la culture, de la musique, etc., pour ce nouveau projet de transformation du monde qui se veut à la fois socialiste, révolutionnaire, utopique et humaniste. Apparemment, c'est en vue de ce but qu'Emst Bloch a voulu non seulement sauvegarder l'esprit utopique pour la philosophie du marxisme, mais intégrer aussi toutes les puissances de l'utopie à une philosophie matérialiste, critique et utopique dont le fondement est une véritable ontologie utopique et dont un des concepts-clé est la « conscience anticipante » des images de souhait. C'est pour mieux comprendre que le concept biochien d'« utopie concrète » ( opposé à celui de « l'utopie abstraite », se contentant de projeter tout simplement le désir vague d'un monde autre, meilleur et plus juste dans une sphère extra-mondaine ) se déploie, pour l'essentiel, dans l'œuvre de Bloch, sous une triple dimension éthique, politique et esthétique, dont chacune revendique la concré- tisation du rêve d'un monde meilleur, d'une vie autre, sans exploi- tation, sans domination, sans aliénation, sans maître et sans esclaves, et d'une société vraiment juste et fraternelle. Dans le domaine esthétique, notamment, cette volonté utopique est étroitement associée, par exemple dans le chapitre du Principe Espérance consacré aux « utopies architectoniques », à une volonté d'art nouvelle qui ne peut être que celle de l'imagination utopique. En évoquant, par exemple les peintures architecturales de Pompéi ou les dessins des loges de constructeurs du Moyen-Âge qui sont à l'origine de la construction des cathédrales gothiques, en France, Bloch souligne à juste titre qu'avant toute exécution « il y avait toujours une image utopique de l'édifice qui les guidait dans le travail en vertu de sa IX perfection. »7 La construction était alors toujours « celle de la construction basée sur des canons de perfection, en considération d'un modèle symbolique auquel on croyait. Et ce modèle guidait l'exécution de l'ouvrage et non seulement, comme l'archétype, son rêve et son projet ante rem, il constituait la Règle des règles magistrales elles-mêmes. » Et dès lors, affirme Bloch, « la grande volonté d'art architectonique (celle qui conduisait aussi précisément aux projets des cités radieuses, A.M.) était dans chaque cas particulier la même que l'intention symbolique traditionnellement à l'œuvre dans l'idéologie du vieil artisanat de la construction. »8 C'est cette même volonté utopique qui est aussi à l'œuvre, selon Bloch, dans les grandes créations de la musique classique et roman- tique, par exemple dans la musique de Beethoven vibrant dans le staccato historique imposé par la Révolution Française, et expri- mant en même temps, par exemple avec Fidélio, cet opéra exaltant la fidélité conjugale, un hymne solennel à la liberté et à l'émanci- pation politique. Comme l'avait souligné, entre autres, Oskar Negt, lors des funérailles du philosophe, le 9 aôut 1977, à Tiibingen, pour Bloch, « le signal de trompettes du Fidélio n'est pas seulement un symbole esthétique ; il est plutôt l'expression de l'espérance d'un homme particulier d'être libéré de la prison, de la violence et de l'oppression ; et il est en même temps l'impératif catégorique du seul et possible comportement politique digne de l'homme, à savoir, de la résolution de renverser toutes les conditions dans lesquelles l'homme est un être humilié, asservi, abandonné et méprisable. C'est cet « optimisme militant », cette orientation a priori vers une praxis œuvrant à la transformation du monde et à sa libération de toutes les formes d'oppression et d'aliénation, qui distingue l'espé- rance utopique d'Emst Bloch de l'espoir en tant qu'attente passive 7. Emst Bloch, Le Principe Espérance, tome II, trad. F. Wuilmart, Gallimard, Paris, 1981, p. 323. 8. Op.cit., p. 325. 9. Oskar Negt, « Der produktivste Ketzer des Marxismus », in, Bloch (K.arola)/Reif (Adelbert), « Denken heisst uberschreiten. In memoriam Emst Bloch (1885-1977) », EVA, Cologne-Francfort, 1978, p. 282. X du « nouveau » ou en tant que consolation fataliste telle qu'elle apparaît fréquemment dans le discours théologien chrétien. À ce discours religieux de la consolation et de la résignation, Bloch - ce grand « athée-religieux » - oppose en effet l'audace et le courage militant du théologien de la révolution Thomas Miintzer10 qui, avec ses sermons inspirés des enseignements des prophètes de l'Ancien Testament, ne cessait d'inciter les paysans allemands gémissant sous le joug des seigneurs féodaux à la révolte. Incontestablement, Ernst Bloch est de tous les philosophes néo-marxistes du xxe siècle celui qui, sans nier son athéisme de principe, prête le plus son oreille aux religions et aux phénomènes de la croyance religieuse (juive et chrétienne), en allant même jusqu'à valider la dimension utopique dans les manifestations diverses de la foi. La connaissance et la réception positive des enseignements de Marx ne l'empêchent apparem- ment pas de réfléchir sérieusement, notamment dans le volume III du Principe Espérance (dont la parution avait été explicitement lon- guement retardée par les autorités de l'ex-RDA.) sur les multiples formes aptes à imaginer un accès au « mystère religieux », y compris les formes d'introspection mystiques (Jakob Bohme, la Kabbale...). Et il va à ce propos jusqu'à formuler le paradoxe que « seul un athée peut être un vrai chrétien et seul un chrétien un vrai athée »'1 ! Or, sa lecture critique de la Bible n'est en réalité rien d'autre qu'une « herméneutique non conformiste de la sphère religieuse », mettant en relief une « véritable herméneutique de la subversion, débus- quant et réactivant les intentions de révolte qui traversent la Bible et qui ont été étouffées par les clercs » ; si bien que « pour Emst Bloch comme pour Marx « la misère religieuse est tout à la fois l'expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La critique de la religion est donc en germe la critique de la vallée de larmes dont la religion est l'auréole » (G.Raulet). Comme nous nous 10. Cf. Emst Bloch, Thomas Miintzer - théologien de la révolution, traduit de l'allemand par Maurice de Gandillac, Paris, Julliard, 1964, UGE, « 10-18 », 1968. 11. Emst Bloch, Athéisme dans te christianisme, trad. de l'allemand par E. Kaufholz et G. Raulet, Gallimard, Paris, 1978.

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