ebook img

Figures de l'Etat et Institutionnalisation du Pouvoir PDF

121 Pages·2011·1.311 MB·French
Save to my drive
Quick download
Download
Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.

Preview Figures de l'Etat et Institutionnalisation du Pouvoir

Contributions F(f)rancophones © Agence universitaire de la Francophonie Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés Figures de l’État pour tous pays. Toute reproduction ou représentation intégrale ou partielle, par quelque procédé que ce soit (électronique, mécanique, et institutionnalisation photocopie, enregistrement, quelque système de stockage et de récupération d’information) des pages publiées dans le présent du pouvoir ouvrage faite sans autorisation écrite des ayants droit est interdite. Les textes publiés dans ce volume n’engagent que la responsabili- Responsables de l’ouvrage: té de leurs auteurs. Pour faciliter la lecture, la mise en page a été Patrick Michel| Ciprian Mihali harmonisée, mais la spécificité de chacun, dans le système des titres, Philippe-Joseph Salazar le choix des transcriptions et des abréviations, l’emploi des majus- cules, la présentation des références bibliographiques, etc. a été le plus souvent conservée. Responsable de collection : CiprianMIHALI (Université « Babe¸s-Bolyai », Cluj-Napoca) Rédacteurs de l’ouvrage : Patrick MICHEL Ciprian MIHALI Philippe-Joseph SALAZAR Couverture :CarolinaBANC Correction : CiprianJELER Technorédaction :LenkeJANITSEK Impression :IDEADesign & Print, Cluj Idea Design & Print Editura˘, Cluj ISBN 978–973–7913–99–9 2011 Avant-propos Entrepris à l’initiative du Comité de coordina- tion et de suivi du programme thématique État de droit, démocratie et société en Francophonie de l’Agence universitaire de la Francophonie, cet ouvrage est issu de deux ateliers de recherche réunissant des so- ciologues, des rhétoriciens, des juristes et des philo- sophes, qui se sont tenus à Cluj (Roumanie) et Dakar (Sénégal) en 2009. Ont participé à ces séminaires et à l’écriture de cet ouvrage: André Cabanis, professeur d’histoire du droit à l’Université Toulouse I Capitole (France) – chap. 2.1 ; Mamadou Badji, professeur de droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal)– chap. 1.3 ; Ghania Graba, professeur de droit à l’U- niversité d’Alger (Algérie)– chap. 1.2 et 3.4;Patrick Michel, directeur de recherche au CNRS et directeur d’études (sociologie) à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris (France) – l’introduction, chap. 2.3 et la note conclusive; Ciprian Mihali, pro- fesseur de philosophie à l’Université Babe¸s-Bolyai, Cluj (Roumanie) – chap. 1.1 et 2.2; Ghislain Otis, pro- fesseur de droit à l’Université d’Ottawa (Canada) – chap. 3.3 ; Philippe-Joseph Salazar, professeur de rhétorique à l’Université de Cape Town (Afrique du Sud) – chap. 3.2; Etienne Tassin, professeur de phi- losophie à l’Université Paris Diderot (France) – chap. 3.1. 5 Patrick Michel, Ciprian Mihali et Philippe-Joseph Introduction : Salazar ont relu, corrigé, harmonisé et relié les diffé- rentes contributions. Évolutions contemporaines de l’État – Éléments de réflexion Cette étude est le résultat d’une élaboration col- lective, interdisciplinaire et internationale franco- phone, soutenue par l’Agence universitaire de la Francophonie. En effet, une des tâches que s’est don- née l’Agence universitaire de la Francophonie est de «Tout État doit se créer une utopie dès lors qu’il a per- permettre à la communauté universitaire de mieux du le contact avec le mythe » disait Ernst Jünger dans appréhender certaines missions de la Francophonie, Héliopolis. Les évolutions rapides que connaît l’État dont celle de contribuer à la promotion de la paix et dans le monde entier n’auraient, dans cette logique, au respect des droits de l’Homme. Il s’agit de favori- pas seulement pour particularité d’avoir peu ou prou ser une réflexion sur cette mission à travers une commencé en même temps que s’effondraient l’Union approche universitaire différente et complémentaire soviétique et, partant, le communisme. Elles seraient de l’approche gouvernementale et intergouverne- à relier étroitement à cet effondrement, tant il est mentale. vrai que le « communisme réel » ne constituait pas seulement un système, mais tirait son originalité de Les opinions exprimées n’engagent que leurs au- sa capacité affichée d’activer l’utopie comme socle de teurs. légitimation du politique. Dans la même perspec- tive, la disparition du communisme serait donc à in- terpréter comme une nouvelle étape dans un processus de désenchantement qui, après avoir concerné le religieux, affecterait aujourd’hui centralement le poli- tique, dorénavant déconnecté de l’utopie comme il s’était, antérieurement, dégagé du mythe1. Il n’est dès lors pas surprenant que la sortie du communisme soit intervenue en parallèle, et sans _________________________ 1. Sur cette problématique, voir PatrickMichel, Politique et religion – La grande mutation, Paris, Albin Michel, 1994, ainsi que «Reli- gion, nation et pluralisme – Une réflexion fin de siècle», in Cri- tique internationale, n° 3, Presses de Sciences Po, Paris, 1999, pp. 79–97. 6 7 doute pour partie au moins comme un effet, de la La technique aurait donc tendance et vocation à montée en puissance du néo-libéralisme, sous ses di- récapituler l’État, un État qui afficherait son applica- verses formes, c’est-à-dire indépendamment de la tion à s’y réduire. Une illustration de cette évolution couleur politique mise en avant par les acteurs qui en peut sans doute être recherchée dans le tournant ont assuré la promotion (Thatcher, Reagan, Blair). néo-managérial de l’administration française, que Et pas plus étonnant que cette montée en puissance Philippe Bezes, soulignant la singularité de la préoc- se soit opérée sous le signe d’une mise en avant de cupation des gouvernants pour l’organisation et la la «gouvernance» (plus que du politique et, a fortiori, transparence de la machinerie administrative, propose de l’idéologique), ainsi que du dessaisissement (plus de considérer comme l’émergence d’une nouvelle que du dépérissement) de l’État. Un État que le com- rationalité politique marquée par l’impératif du « munisme avait constitué en agent central de transfor- souci de soi de l’État »3. mation du monde, tout en construisant sa disparition comme la conséquence à venir, et la preuve, de l’éta- Quoi qu’il en soit, il est incontestable que l’on blissement de cette société harmonieuse qui visait à assiste, depuis la fin des années ’80, sur fond de crois- légitimer le pouvoir détenu par ceux qui s’étaient au- sance importante du nombre des États, à une trans- toproclamés détenteurs d’un monopole d’interpréta- formation puissante et rapide de la place de l’État, tion du projet et du modus operandipermettant de le souvent et triplement référée à la globalisation, à l’é- mener à bonne fin. mergence d’entités supranationales, avec notamment Et tandis qu’au niveau de l’État la « gouver- la construction européenne, ainsi qu’à la multiplica- nance» tendait à se substituer à ce qui n’était jamais, tion des acteurs (multinationales, ONG, mais aussi hier encore, que l’exercice du pouvoir, le glissement organisations criminelles et groupes – ou nébuleuses progressif d’une théorie marxiste à des théories post- – terroristes). marxistes, post-structuralistes et post-modernistes Questionné de ce fait sur son rapport à une terri- conduisait les spécialistes de cet État à passer de torialité, sur sa souveraineté et sur son efficacité, l’É- l’analyse macro à une analyse micro des formes de ce tat l’est également sur sa capacité narrative, c’est-à-dire pouvoir, s’intéressant dès lors, comme le note Clyde _________________________ W. Barrow, aux diverses «technologies de pouvoir», (http://www.allacademic.com/meta/p60965_index.html) ; et donc au langage, à la famille, aux relations inter- voir également Clyde W. Barrow, « The Miliband-Poulantzas personnelles, à la culture, aux loisirs, etc.2 Debate : An Intellectual History », in Stanley Aronowitz and Peter Bratsis (dir.), Paradigm Lost : Revising State Theory, Minnea- _________________________ polis, University of Minnesota Press, 2002, pp. 3–52; Leo Panitch, « The Impoverishment of State Theory », in Aronowitz and 2. Clyde W. Barrow, « The Return of the State: Globalization, State Bratsis (dir.), Paradigm Lost, op. cit., pp. 89–104. Theory, & the New Imperialism », Paper presented at the annual meeting of the American Political Science Association, Hilton Chica- 3. Philippe Bezes, Réinventer l’État, Paris, PUF, coll. «Le lien social», go and the Palmer House Hilton, Chicago, IL, Sept. 2, 2004 2009. 8 9 sa capacité à faire croire dans les «grands récits» qu’il torité. On notera également que la perte d’emprise à articule et qui visent à fonder et alimenter sa légitimi- laquelle l’État est supposé se résoudre se voit partout té. Une vérification peut en être trouvée sur le terrain compensée par un net renforcement des dispositifs du contrôle des mouvements de population, terrain sécuritaires. emblématique puisque articulant de façon exem- C’est d’ailleurs sur ce renforcement que met l’ac- plaire l’ensemble des registres énoncés: maîtrise de cent Jean-François Bayart, pour, prenant à contre- l’accès au territoire, justification de la norme affichée, pied l’idée d’un affaiblissement de l’État, considérer résultats obtenus et crédibilité du discours dévelop- que « la crise va radicaliser la combinatoire entre pé sur l’identité. Au cœur donc de l’interaction entre d’une part l’intégration économique et financière à accélération du mouvement, articulation d’un disposi- l’échelle globale et d’autre part le renforcement de l’É- tif de légitimité et redéfinition des identités, interac- tat-nation. Et ce renforcement de l’État-nation passe tion qui travaille et interroge toutes les sociétés paradoxalement par l’économie néo-libérale, notam- contemporaines. ment par la privatisation »5. Ainsi, pour Catherine Wihtol de Wenden, « le La thèse dominante demeure cependant que l’É- grand perdant de [la mobilité] c’est l’État, dans sa ten- tat se verrait sinon réduit à l’impuissance (après tative d’imposer sa souveraineté sur le contrôle des avoir été crédité d’une supposée toute-puissance), au frontières, sur la définition de l’identité nationale. moins confronté à une déprise, à la nécessaire gestion Les gouvernements résistent très fortement, confor- d’une perte de pouvoirs «par le haut», si l’on retient tés par leurs opinions publiques les plus conserva- le cas européen, les directives de l’Union s’imposant trices. Dans le durcissement récent des politiques à lui dans un nombre toujours croissant de secteurs migratoires, il y a l’effet de la crise économique, bien d’activité. Cette tendance peut être renforcée, no- sûr, mais aussi le fait qu’on considère les migrations tamment dans le cas de la France, par une perte de d’abord comme une question sécuritaire. On crimi- pouvoir « par le bas », avec la décentralisation et nalise la migration, au détriment de l’approche éco- l’augmentation du pouvoir des régions. Par ailleurs, nomique et sociale qui prévalait auparavant »4. l’accélération du processus de globalisation, notam- On notera toutefois que cette évolution, caracté- ment économique, en accroissant la contrainte exté- risée par la mise en évidence des limites auxquelles rieure, diminue le pouvoir d’intervention des États l’État se trouve confronté, est partie prenante d’une dans l’économie mondiale face aux marchés finan- autre plus large, qui voit se diluer toutes les figures ciers. Parallèlement, ces États se désengagent de l’é- d’autorité, quelles qu’elles soient, pour peu qu’elles conomie en privatisant les entreprises publiques. prétendent gager cette autorité sur un statut d’au- Cette évolution, déjà très sensible en Europe, peut être _________________________ _________________________ 4. Catherine Wihtol de Wenden,«L’Europe s’accepte mal comme 5. Transcription de l’entretien, jeudi 23 juillet 2009, d’Antoine terre d’immigration», in Le Monde, 5 octobre 2009. Mercier avec Jean-François Bayart, France Culture. 10 11 poussée beaucoup plus loin dans d’autres contextes. spontanément vers lui en cas de nécessité, même Pour prendre l’exemple d’un pays latino-américain dans les pays considérés comme les plus libéraux. comme le Guatemala, c’est l’État lui-même qui fait Il n’est, dans cette perspective, pas anodin que le l’objet d’une privatisation accélérée, sous la pression discours de François Fillon, intervenant au colloque d’acteurs comme les Églises évangéliques, qui exigent international « Pour un État moderne et la sécurité que leur soit transférée la responsabilité de secteurs globale» à Iaroslavl, en Russie, le 14 septembre 2009, entiers, notamment l’éducation et la santé, cette re- soit scandé par la formule «nous avons besoin» de vendication étant à mettre en parallèle avec la privati- l’État8, le Premier ministre retrouvant là, de façon sation de la sécurité et du maintien de l’ordre dans somme toute piquante, les accents de Pierre Bourdieu, le pays du fait de la cession par l’État à des entrepris- appelant dès 1996 à «résister contre l’involution de l’É- es privées de ses prérogatives en la matière (l’effec- tat, c’est-à-dire contre la régression vers un État pénal, tif total des agents de sécurité privés représentant trois chargé de la répression, et sacrifiant peu à peu les fois celui de la police)6. fonctions sociales, éducation, santé, assistance », et Une telle évolution pourrait même, dans une ver- considérant en conséquence qu’aujourd’hui « les sion extrême, déboucher sur le scénario cauche- luttes critiques des intellectuels, des syndicats, des as- mardesque de l’appropriation de l’État par des sociations, doivent se porter en priorité contre le dé- organisations criminelles (avec l’émergence de narco- périssement de l’État»9. États). Le krach financier ainsi que la crise économique et sociale mondiale qui en a résulté ont, jusqu’à un _________________________ certain point paradoxalement, mis en évidence l’accé- 8. «Nous avons besoin, en pleine crise, d’un État qui soit capable lération du passage d’un temps de la souveraineté à d’investir dans les secteurs stratégiques ; nous avons besoin celui de l’interdépendance (même si la fragmentation d’un État qui soit capable de protéger les victimes de la crise; et le « chacun pour soi » restent une tentation7), et si- nous avons besoin d’un État qui soit capable d’arbitrer les ten- sions sociales et de faciliter le dialogue. Nous avons besoin multanément la permanence d’un statut d’ultime d’un État qui puisse réguler les forces du marché sans pour recours de l’État, les entreprises privées se retournant autant les étouffer parce que sans les forces du marché, il ne peut pas y avoir de reprise économique. Au fond, la réforme de l’É- _________________________ tat n’a jamais pour nous voulu dire la fin de l’État» http://www. 6. Le Guatemala n’est là qu’un exemple parmi d’autres. L’accent gouvernement.fr/premier-ministre/discours-du-premier- pourrait être mis, dans une perspective voisine, sur la privati- ministre-lors-du-seminaire-de-iaroslavl-russie. sation des prisons aux États-Unis. 9. Pierre Bourdieu, « Le mythe de la ‘mondialisation? et l’État 7. Voir Bertrand Badie et Dominique Vidal (dir.), L’état du monde social européen», Intervention à la Confédération générale des 2010 – Le grand tournant ? 50 idées-forces pour comprendre, Paris, travailleurs grecs (GSEE) à Athènes, en octobre 1996, in Contre- La Découverte, 2009. Feux, 1998. 12 13 1. Constructions des figures de l’État moderne 1.1. Figures politiques de l’État dans le monde moderne «Chacun de nous porte en effet en soi, intériori- sée comme la foi du croyant, cette certitude que la société est pour l’État»1. C’est cette phrase, aussi connue et citée que mys- térieuse, de Pierre Clastres qui nous guidera dans une brève tentative de dresser un tableau des figures philosophiques de l’État dans le monde moderne. Le fragment de l’anthropologue français se trouve dans le chapitre conclusif de son ouvrage La société contre l’État, après avoir mis en question tout au long de son texte et à travers l’exemple des sociétés dites «primi- tives » l’inséparabilité de l’État et de la société. Plus exactement, le préjugé moderne et occidental qui fe- rait des sociétés sans État des sociétés «incomplètes», privées de quelque chose qui leur serait nécessaire. Est-ce vraiment l’État le destin de toute société, se de- mande Pierre Clastres, ou bien nous trouvons-nous devant une nouvelle et suprême forme d’ethnocen- trisme, selon laquelle l’histoire aurait un sens unique et les sociétés seraient en quelque sorte obligées de suivre ce sens unique, vers l’organisation étatique, la seule capable de garantir une histoire (c’est-à-dire un arrachement de l’état de sauvagerie et une orientation vers la civilisation) ? La société est pourl’État, nous dit Clastres, d’une formule abrupte, comme dans une sorte d’accomplis- _________________________ 1. Pierre Clastres, La société contre l’État, Paris, Minuit, 1984, p. 161. 17

See more

The list of books you might like

Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.