Collection Techniques de Gestion Dirigée par Yves Simon, Professeur à l’Université de Paris IX-Dauphine Evaluation Financière Des Projets Ingénierie de projets et décision d’investissement 2e édition Robert Houdayer 1 INTRODUCTION L’évaluation financière de projets d’investissements peut apparaître comme un moyen terme ou une synthèse entre l’approche planificatrice de type micro ou macroéconomique et la gestion prévisionnelle dans l’entreprise. Elle correspond à un besoin particulier de prévision (que l’on retrouve par exemple dans l’introduction en France de la notion anglo-saxonne de business plan), centré sur le concept de produit et reposant sur une modélisation réalisée à partir des études techniques et commerciales. Le terme d’ingénierie de projets est égale ment utilisé. Cinq idées confirment la spécificité de l’approche projet. 1) La nécessité de bien marquer la différence entre le produit final (situation après projet) et le projet. La notion de projet tire son origine de la planification. Réaliser un projet. c’est vouloir une finalité (développer un produit ou un service) qui devra se construire à partir de ce qui existe déjà (la situation de référence). Le projet n’est donc pas la description de l’état final recherché mais ce qui permet d’atteindre cet état en supprimant l’écart entre la réalité existante et l’objectif recherché. Si un projet est souvent lié à un produit, il s’en démarque par le tait qu’un projet est toujours le résultat d’une construction par rapport à une situation de référence, en relation avec une ou plusieurs finalités. Cette démarche permet de répondre à plusieurs erreurs constatées, le «paysagisme » qui se limite à la description de l’état final visé et le «productivisme » qui retrace une augmentation de production sans lui associer les différents facteurs qui lui sont liés 1 . I. Le cas souvent cité est celui du changement d’un équipement qui se limite aux seuls coûts de cet équipement et sous-estime les coûts de son changement. 2 L’évaluation d’un projet est donc toujours différentielle. Par ailleurs, elle n’est jamais universelle, c’est-à-dire qu’elle n’a de valeurs ou de significations que dans le domaine des finalités visées, li sera donc important de présenter (ou de rechercher selon les situations) ces finalités ou objectifs préalables à l’évaluation. L’idée importante de l’évaluation est aussi de travailler avec des politiques, que ce soit au niveau de l’entreprise, de la région ou de l’Etat, tout dépendra des projets. 2) La prise en considération de l’environnement, en tant que variable exogène, qui influe sur le projet (par exemple les prix d’achat), ou endogène (par exemple le prix de vente), qui débouchera sur la mise en place de stratégies de réalisation. Ce qui représente un élargissement nécessaire des flux pris en compte par l’évaluation que l’on retrouve à deux niveaux. — En premier lieu dans l’évaluation financière qui exprime le point de vue des agents ayant un pouvoir de décision sur la réalisation du projet. Quand nous mesurons dans une entreprise la productivité d’un facteur de production (celle du travail par exemple), nous savons très bien que les autres facteurs influent sur cette performance. De la même façon, la rentabilité d’un projet est liée à des éléments externes à son calcul. Un des objectifs de l’évaluation financière sera d’internaliser » ces éléments externes. Dans le même esprit, il peut être intéressant d’élargir les flux directe ment pris en considération par l’analyse, pour refléter correctement la situation des agents ou partenaires concernés. C’est par exemple le cas de la prise en considération de la rémunération du travail de l’exploitant dans le calcul de la rentabilité de l’entreprise individuelle 1, — En second lieu dans l’évaluation économique (non traitée dans cet ouvrage) qui exprime le point de vue de la collectivité sur le projet. Sa vocation est essentiellement décisionnelle. Elle ne pourra donc intervenir que lorsque des finalités collectives auront été exprimées. Par opposition l’évaluation financière, mais dans une démarche souvent proche, son ambition est de valoriser les « externalités », c’est-à-dire les effets du pro jet sur son environnement, afin de les intégrer aux différents critères de décision. 3) L’introduction de la dimension temporelle. L’évaluation d’un projet étudie les différents flux sur leur durée de vie. Cette perspective qui est présente dans, par exemple, la notion de coût global (cf. supra) change les recherches d’efficacité 3 dans un projet. Elle permet notamment de procéder à des « arbitrages entre phases différentes » 2, L’idée est que les dépenses initiales conditionnent celles qui vont suivre. C’est le cas, en particulier de toutes les dépenses de fonctionnement supportées par les utilisateurs du produit ou service mais aussi du Coût de destruction de certains biens aujourd’hui intégré au mécanisme du calcul privé. ___________ 1. Citons l’exemple de l’analyse « avantages-coûts » .,lorsqu’elle prendra en considération les flux d’autoconsommation dans le calcul de la rentabilité des exploitations dans un projet de développement. 2. Voir P. Lorino, Le contrôle de gestion stratégique. Dunod. t 000. page 130. 4) L ‘utilisation de la synergie qui existe entre l’ élaboration et l’évaluation des projets. L’évaluation d’un projet est souvent conçue comme une sanction finale (le projet est intéressant à réaliser ou non). Mais elle peut aussi être constructive et servir à faire « un bon projet » en s’associant à un processus de modélisation. L’évaluation, si elle est intégrée dès l’élaboration. permet de mettre au point de tester et de développer plus facilement des options nouvelles. Elle débouche ainsi sur une simulation active permettant la construction de stratégies. 5) La notion de profil de projet Il existe une très grande diversité de projets et il devient intéressant de retracer la personnalité de chacun d’eux. C’est le contenu de la notion de profil de projet. Où se trouve cette personnalité ? Nous la rencontrons dans la composition des flux d’investissement, le niveau du besoin en fonds de roulement, celui de la rentabilité, du risque, du montage financier. Tous ces éléments relativement simples, combinés, donnent une personnalité au projet et le rendent unique. La mise en avant de cette personnalité permet d’accroître les chances de succès, avec une meilleure réalisation des objectifs. C’est le cas avec la recherche de solutions de financements adaptées à chaque projet et à sa capacité effective de remboursement, ainsi qu’à son niveau de risque atteint. 4 Un premier chapitre aborde le domaine des définitions et de la méthodologie de l’évaluation financière. Il permettra de situer la place de l’évaluation financière au niveau de la mesure des performances ainsi qu’à celui de l’élaboration et de l’évaluation d’un projet. Les chapitres suivants Sont calqués sur la démarche générale de l’évaluation financière. L’étude avant financement (chapitre 2) dont la finalité est le traditionnel calcul de rentabilité précise la construction des différents concepts et instruments nécessaires à son élaboration : flux d’investissement, capacité d’autofinancement (CAF), besoins en fonds de roulement (BFR). La rentabilité elle-même fait l’objet d’un développement particulier, en précisant les critères les critères de mesure utilisés dans des environnements différents. Une place est faite aux problèmes de comparaison et à l’intégration à la décision des éléments tels que le risque et l’inflation. L’étude des risques est réalisé à différents niveaux, celui du projet et de son environnement direct (risque de rentabilité, d’exploitation et de liquidité)et celui des relations avec le marché financier. Elle débouche sur la détermination pratique du taux d’actualisation. Le troisième chapitre aborde le problème du financement des projets, la détermination des besoins,le recensement des solutions, et le choix en relation avec la rentabilité et le risque après financement. L’effet de levier est notamment développé sur la dimension temporelle des projets. C e chapitre se termine sur la présentation finale des résultats, reprise des différents instruments après intégration des éléments de financement, puis cal cul des principaux ratios de performance. Une étude de cas tirée de l’évaluation réelle d’un projet termine chaque section principale de chapitre. Elle est examinée dans les différents aspects de la démarche adoptée dans cet ouvrage. L’étude de cas proposée a fait l’objet d’un traitement informatique à partir d’un progiciel fonctionnant sous Microsoft Excel (Evalpro 1). Des exercices corrigés traitant de différents aspects de l’évaluation et de synthèse terminent cet ouvrage 2. 1. Cf.supra et en fin d’ouvrage. 2. Une disquette contenant les différents exercices corrigés peut également être obtenue, sous les conditions indiquées à la lin de cet ouvrage. 5 PREMIERE PARTIE Méthode Après une présentation des différents types de projets d’investissements et de la problématique,cette première partie suit la démarche générale de l’évaluation financière : étude avant financement axée sur la création de richesses, réalisation du montage financier, présentation et analyse des résultats. 6 Chapitre 1 DÉFINITION ET MÉTHODOLOGIE DE L’ÉVALUATION FINANCIÈRE Ce chapitre a pour objet de définir l’approche projet, puis de préciser et de situer la démarche de l’évaluation financière dans l’ensemble du cycle du projet. 1. Définition, classification et mesure des performances des projets L’étude des différentes catégories de projets permettra de compléter la définition générale. Malgré la diversité des projets, il sera important de rechercher à apprécier leurs performances. 1.1. Définition d’un projet d’investissement 1.1.1. Du projet d ‘investissement au système projet Le terme « projet » fait l’objet d’une utilisation fréquente. Partons d’une définition étymologique. L’investissement est représenté par des immobilisations nouvelles corporelles ou incorporelles (éléments de dépenses dont la durée de vie est supérieure à un an). Un projet est un ensemble cohérent d’activités. 7 Sous l’aspect financier, un projet d’investissement représente l’acquisition d’un ensemble d’immobilisations, permettant de réaliser ou de développer une activité (ou un objectif) donnée. Dans son aspect commun, il correspond i une dépense immédiate dont on attend des avantages futurs. Les éléments caractéristiques d’un projet sont l’envergure et la finalité. L’envergure est ce qui permet de distinguer un projet d’investissement d’un ensemble de charges (avec les ambiguïtés liées à la distinction entre charges et immobilisations). Peut-on parler par exemple d’un projet d’organisation ou de formation 1? L’existence d’un investissement ne suffit pas ; un projet doit avoir un objectif cohérent. La notion de projet est liée à celle de produit (activité), que l’on caractérise généralement par trois éléments e un bien ou un service, un marché, une technologie. La finalité du projet (cohérence) peut concerner plus particulièrement l’un de ces trois éléments : la création d’un bien, la conquête d’un marché et le changement technologique (cf. typologie). Il existe également la notion de SYSTEME PROJET 2 .Celui-ci regroupe quatre pôles (ou acteurs) — le projet; — le porteur (initiateur de l’idée); — les ressources nécessaires (financières, humaines...); — l’environnement, par les influences qu’il exerce (problèmes d’impact). Cette approche selon ces auteurs a l’avantage de mettre en avant les nombreux problèmes de cohérence et facilite l’étude des risques (cf. supra). Il est important de bien distinguer l’investissement et le placement. Le placement est une opération de financement (direct ou indirect) d’un investissement. Il sera indirect lorsqu’il concernera un organisme qui financera lui-même l’investissement. L’investissement est une création de richesse. L’opération de financement n’est pas en elle-même une création de richesse comme l’investissement. Par contre, elle influe sur la répartition des richesses générées par l’investissement, Mais ceci ne veut pas dire que les conditions de financement n’influent pas sur le niveau des investissements 3. La distinction est 8 fondamentale pour la méthodologie et justifie le découpage « avant et après » financement. L li faut les considérer comme des sous-ensembles de projet niais la formation est aussi un investissement intellectuel (cf. supra). 2. Voir par exemple Marmuse et Baron qui sont à l’origine dune méthodologie d’évaluation des projets (la méthode EPI). Cf. « Faisabilité et risque des projets d’activités nouvelles », op. cd.. Revue Sciences de Gestion. 3. Quelques autres définitions peuvent être signalées - Un projet est un ensemble cohérent d’activités influençant les flux monétaire de l’entreprise (Ardoin, Le contrôle de gestion, p 175). — Un projet est un ensemble d’investissements qui doit être achevé pour avoir une valeur réelle pour l’exploitation et ne contient pas de sous ensembles ayant cette propriété (Stengel. Le choix des investissements dans une économie incertaine. p. 20) 1.1.2. Structure et diversité des projets d’investissement • Diversité des genres: du projet d’entreprise au projet collectif Parmi la grande diversité que ce concept représente (les typologies sont nombreuses), il faut distinguer le projet d’entreprise du projet de nature collective, dont les complexités sont très différentes. Le projet d’entreprise (ou projet individuel) est conçu au sein d’une entité limitée à un agent (au sens économique), qui existe ou qui sera créée. Le projet collectif, au contraire, même s’il possède une unité, de par sa finalité ou son 9 pilotage, a un contenu complexe du fait des nombreux agents qu’il concerne. Le projet collectif contient généralement des ensembles de projets d’entreprises souvent accompagnés d’un projet d’infrastructure. Ceci conduira à des niveaux différents d’analyse et à des méthodes différentes d’évaluation. Les projets collectifs devront mêler les approches économiques et financières, à différents niveaux (agents, secteurs, organismes, Etat...). Selon l’étendue de leurs objectifs, nous aurons des projets locaux, régionaux... • Diversité de la structure des investissements Les investissements sont composés d’éléments corporels et incorporels. Signalons une évolution dans la composition des investissements des entreprises, qui comportent une part de plus en plus grande d’éléments incorporels 1 . Ces derniers contiennent les éléments suivants : recherche-développement, formation, conseil. organisation, brevets, licences, droit au bail, logiciels, marketing... Certains font l’objet d’une acquisition. d’autres comme la recherche proviennent de l’exploitation et sont appréhendés par la comptabilité analytique. Cette évolution a plusieurs conséquences : — les éléments incorporels sont plus difficiles à évaluer (ex ante) de plus, les durées d’amortissement sont souvent forfaitaires — le plus souvent, il s’agit de « non-valeurs » qui ont un coût pour le projet mais ne devraient avoir aucune incidence sur la décision (cf.supra dépenses non récupérables) — dans les projets en cours de réalisation, certains éléments incorporels vont apparaître ou vont voir leur valeur effective se modifier (fonds de commerce, clientèle...) 2 — ce type d’investissement pose aussi un problème pour le financement bancaire traditionnel, dans la mesure où ce dernier est surtout basé sur le principe de l’hypothèque. I. A. Marion, « La place de l’investissement immatériel dans l’évaluation des entreprises ». Revue française de Gestion. janvier 1 988. P. Epingard. Investir face aux enjeux technologiques et informationnels, Ellipses. 1991. 2. Voir financement et capital-risque. Le mécanisme de l’introduction en bourse repose sur l’existence d’un écart entre la valeur d’actif (ce que l’entreprise a coûté) et la valeur de rendement (ce que l’entreprise rapportera). 10
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