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Etude sur l’encyclique Veritatis Splendor PDF

42 Pages·1994·16.519 MB·French
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ALETHEIA Ecole Saint Jean REVUE DE FORMATION PHILOSOPHIQUE THEOLOGIQUE & SPIRITUELLE Paraît deux fois l'an. N° 5 Juin 1994 ALETHEIA Ecole Saint Jean SOMMAIRE ■ Editorial 7 Frère Marie-Dominique Philippe, o.p. ■ Etude sur l’encyclique Veritatis Splendor 9 Frère Marie-Dominique Philippe, o.p. ■ La conscience morale chrétienne dans Veritatis Splendor 49 Monseigneur Livio Melina ■ Commandements divins et béatitudes évangéliques 67 Monseigneur Henri Brincard ■ De Personne et Acte à Veritatis Splendor, les trois sagesses (II) 79 Frère Samuel ■ Le Proportionnalisme : notions élémentaires 101 Frère Jean- Yves ■ Les théologies mises en cause par Veritatis Splendor 111 Frère Karl Thomas ■ Les références à saint Thomas dans Veritatis Splendor 137 Frère Jean-Marie Laurent ■ Commentaire de l’Evangile de saint Jean 147 Frère Marie-Dominique Philippe, o.p. ■ Notes de lecture 155 - Initiation à saint Thomas d’Aquin - Sa personne et son œuvre - Le Christ de Jean de la Croix - Le sacrement du pardon, entre hier et demain - Jean Les Controverses II - Pourquoi la Grèce ? Etude sur Vencyclique Veritatis Splendor Fr. M.-D. Philippe, o.p. u début de son pontificat, lors de son premier voyage à A Paris, Jean-Paul II avait réuni tous les Evêques de France à huis clos, pour leur communiquer ce qu’il portait dans son cœur en tant que successeur de Pierre pour eux. Au cours de cet entretien, il disait que l’humanité aujourd’hui subit une tentation telle qu’elle n’en a encore jamais connu de semblable ; et pour souligner le caractère si spécial de cette tentation, le Pape parlait de « méta- tentation » — une tentation radicale qui est comme la tentation par excellence, rejoignant la première tentation, et même plus terrible qu’elle : « Elle va au delà de tout ce qui, au cours de l’Histoire, a constitué le thème de la tentation de l’homme, et elle manifeste en même temps, pourrait-on dire, le fond même de toute tentation. L’homme contemporain est soumis à la tentation du refus de Dieu au nom de sa propre humanité » L Arrivé à l’âge adulte, l’homme proclame qu’il n’a plus besoin d’un Sauveur. Il pense, grâce au progrès des sciences et des techniques, pouvoir se sauver par lui-même. N’est-ce pas dans la lumière de cet avertissement qu’il faut lire l’encyclique Veritatis Splendor ? Cette encyclique est avant tout écrite pour les Evêques et les professeurs de théologie morale, et à travers eux pour tous les croyants, et à travers eux pour tous les hommes. Le Pape ne dénonce-t-il pas dans cette encyclique la très grande séduction devant laquelle les hommes se trouvent si souvent : pouvoir discerner par eux- mêmes, sans aucune référence au Dieu Créateur, le bien et le mal ? On retrouve la première tentation d’Eve rapportée par la Genèse : « Vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal » 1 2. Jean-Paul II, comme successeur de Pierre, a reçu de Jésus l’ordre de veiller sur ses brebis 3, de les conduire aux « gras pâturages » 4, et il 1. Documentation Catholique n° 1788 (15 juin 1980), p. 590. 2. Gn 3, 5. 3. Cf./«21, 15-17. 4. Ez 34, 14. Aletheia - Ecole Saint Jean - 1994 - N° 5 connaît les courants de pensée qui se sont infiltrés dans la pensée de cer­ tains théologiens enseignant actuellement la théologie morale dans des instituts pontificaux. Sachant que souvent ces courants de pensée conduisent à affirmer des conclusions contraires à la Révélation de l’Ancien et du Nouveau Testament, à la Tradition de l’Église catholique et à l’enseignement actuel du Magistère, il n’a pas le droit de se taire. Cela explique la gravité et la profondeur de cette encyclique, qui ne se situe pas au même niveau que les autres. Elle n’est — le Pape le sou­ ligne nettement — ni un écrit philosophique, ni un écrit théologique ; elle se situe à un niveau jalus élevé : celui de la Sagesse révélée par le Christ et gardée par son Eglise. Aussi fait-elle appel immédiatement à la foi catholique. Le combat dans lequel nous sommes engagés est si important et extrême qu’on ne peut y répondre que par une foi vivante et contemplative. Ce combat engage le salut de tous les hommes. En effet, aucun homme ne peut se dérober aux questions fondamentales : Que dois-je faire ? Comment discerner le bien et le mal ? La réponse n’est possible que grâce au Christ, « Splendeur de la Vérité », qui « éclaire les profondeurs de l’esprit humain », affirme le Pape dans l’introduction de son encyclique. Et Jean-Paul II rappelle la parole du psalmiste : « Qui nous fera voir le bonheur ? Fais lever sur nous, Seigneur, la lumière de ta face » (Ps 4, 7). Mais « la lumière de la face de Dieu brille de tout son éclat sur le visage de Jésus Christ, « image du Dieu invisible » (Col 1, 15), « resplendissement de sa gloire » (He 1, 3) ». De ce fait, la réponse décisive à toute interrogation fondamentale de l’homme est bien, en définitive, Jésus Christ lui-même (VS 2). Et l’Église sait que « la question morale rejoint en profondeur tout homme, implique tous les hommes, même ceux qui ne connaissent ni le Christ et son Évangile, ni même Dieu » (VS 3). C’est donc pour tous les hommes que cette encyclique est écrite, car le Saint-Père sait que ce qui va contre la vérité blesse nécessairement l’intelligence de tous les hommes et les empêche d’atteindre leur bon­ heur. Or, précisément, certains courants actuels de pensée, et les plus influents, tendent à « séparer la liberté humaine de sa relation nécessaire et constitutive à la vérité » ; ce qui conduit à rejeter la loi naturelle et à nier la validité permanente des préceptes de Dieu, en se demandant si les commandements de Dieu inscrits dans le cœur de l’homme et qui appar­ tiennent à l’alliance (l’ancienne comme la nouvelle) ont encore réelle­ ment « la capacité d’éclairer les choix quotidiens de chaque personne » (VS 4) en cette fin du XXème siècle. C’est vraiment pour montrer que ces opinions nouvelles s’opposent à la Révélation et à l’enseignement actuel de l’Église, que le Pape s’est décidé à écrire cette encyclique destinée à traiter « plus profondément et 10 ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- LA SPLENDEUR DE LA VÉRITÉ plus amplement les questions concernant les fondements mêmes de la théologie morale » 5. Il est alors facile de comprendre pourquoi le Pape écrit toute son encyclique à la lumière de la rencontre de Jésus et du jeune homme riche 6 : en effet, ce dialogue de Jésus et du jeune homme riche — qui pratique déjà toute la Loi mais qui, en présence de Jésus, perçoit inté­ rieurement qu’il doit aller plus loin, sans savoir le chemin qu’il doit prendre (Jésus n’a pas encore dit qu’il était lui-même la voie) — nous met directement en présence de l’exigence nouvelle de notre vie morale ; et c’est Jésus lui-même qui nous révèle cette exigence. Le Saint-Père n’hésite pas à nous montrer qu’en ce jeune homme nous pouvons reconnaître tout homme qui, consciemment ou non, veut s’approcher de Jésus, reconnaissant en lui le Sauveur des hommes. La question du jeune homme riche n’est-elle pas, en réalité, la question que tout homme se pose ? N’est-elle pas la vraie question morale ? Quel est le sens de la vie humaine, son sens plénier ? Cette question ne traduit- elle pas l’aspiration la plus profonde que nous portons en nous, souvent d’une manière très confuse ? Nous avons soif de bonheur, mais nous ne savons pas comment tendre vers ce bonheur. Ce bonheur si caché, exis­ te-t-il vraiment ? où ? et comment l’obtenir ? C’est vraiment à partir de là que nous pouvons comprendre l’impor­ tance de l’agir moral dans notre vie humaine et chrétienne. Cet agir ne doit-il pas développer en nous ce qu’il y a de plus authentiquement humain, et nous permettre d’atteindre notre bonheur ? Jésus ne vient-il pas précisément nous apporter la Bonne Nouvelle ? Et la Bonne Nouvelle n’est-elle pas seule à pouvoir nous donner le bonheur ? Face au désarroi complet de l’humanité d’aujourd’hui, on comprend qu’il faille reprendre à sa racine le sens de l’agir moral, et que Jésus seul peut nous apporter la vraie solution, la solution parfaite et ultime. Lui seul peut répondre parfaitement à ces questions que nous portons au plus intime de nous-mêmes ; lui seul peut actuer pleinement et radicale­ ment les aspirations les plus profondes de notre cœur. Par là, le Saint-Père touche immédiatement ce qu’il y a de plus important dans notre vie humaine : rencontrer Jésus et lui poser cette question : « Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternel­ le ? ». Et en mettant en pleine lumière cette question, le Pape nous dévoile ce qu’il y a de plus caché dans le cœur de tout homme. L’homme 5. Veritatis Splendor, Ed. Mame/Plon, Paris, 1993, abrégé désormais en VS, 5, citant la Lettre apost. Spiritus Domini (1er août 1987). 6. Mt 19, 16-22 ; Mc 10,17-22. Cf. Le 18, 18-23. 11 ne recherche-t-il pas toujours ce qui est bon pour lui, ce qui peut lui per­ mettre d’atteindre son bonheur ? La vie éternelle échappe à tout ce qu’il y a de contingent, d’extérieur, de visible, de relatif dans la vie de l’homme, qui risque toujours de le replier sur lui-même sans lui per­ mettre de croître et d’atteindre la vraie vie, la vie éternelle, celle que Jésus seul peut lui donner. I. « MAITRE, QUE DOIS-JE FAIRE DE BON...? » (Mt 19,16) Il faudrait maintenant ponctuer le développement de ce premier cha­ pitre pour vraiment saisir la vision de sagesse du Pape sur l’agir moral chrétien, sur son dépassement à l’égard de l’agir moral religieux de la première alliance ; et, par là, mieux comprendre son dépassement à l’égard de tout agir moral fondamentalement humain 7. Mais cela, nous ne pouvons pas le faire ici ; nous essaierons seulement de relever les points essentiels de cette démarche. 1. Il s’agit en premier lieu de savoir ce qu’est le bien. En effet, « avant de répondre à la question, Jésus veut que le jeune homme clarifie pour lui-même le motif de sa démarche » (VS 9). Aussi, tout de suite et avant tout, il oriente « son esprit et son cœur vers Celui qui « seul est le Bon » car seul Dieu « peut répondre à la question sur le bien, parce qu ’il est le Bien » (VS 9). Or « s’interroger sur le bien signifie en dernier ressort se tourner vers Dieu » ; la demande du jeune homme est donc, en réalité, « une demande religieuse ». Ceci est très important : ce dialogue se situe dans un climat religieux ; et l’Église, instruite par le Christ, « croit que l’homme, fait à l’image du Créateur, racheté par le sang du Christ et sanctifié par la présence du Saint-Esprit, a comme fin ultime de son exis­ tence d’être « à la louange de la gloire » de Dieu » (VS 10). « Ce qu’est l’homme et ce qu’il doit faire, précise le Saint-Père, se découvrent au moment où Dieu se révèle lui-même ». Dans la lumière de l’alliance de Dieu avec Israël, la vie morale se présente comme une réponse, la réponse « due aux initiatives gratuites que l’amour de Dieu multiplie dans ses relations avec l’homme » (VS 10). Elle est donc une. fDt 6, 4-7). Et le Pape conclut : pour l’homme, « le bien, c’est appartenir à Dieu, lui obéir » (VS 11). On voit comment de telles affirmations, qui sont merveilleuses dans la perspective d’une foi vivante et aimante, pourraient, retirées de leur contexte, être jugées comme rejetant toute recherche philosophique de l’agir humain et prétendant que l’agir moral ne peut être qu’un agir reli­ 7. Cf. ci-dessous, pp. 47-48. 12 ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- LA SPLENDEUR DE LA VÉRITÉ gieux ou même chrétien. Un tel jugement ne tiendrait pas compte de l’intention profonde de l’encyclique qui, délibérément, se place au niveau d’une sagesse chrétienne : « Si Dieu seul est le Bien, aucun effort humain, pas même l’observance la plus rigoureuse des commandements ne réussit à « accomplir » la Loi, c’est-à-dire à reconnaître le Seigneur comme Dieu et à lui rendre l’adoration qui n’est due qu’à lui. « L'accom­ plissement » ne peut venir que d’un don de Dieu » (VS il). Cependant ce don de Dieu ne supprime pas la recherche naturelle humaine. La grâce ne supprime pas la nature humaine dans ses efforts essentiellement humains. 2. Après avoir rappelé que « Dieu seul est bon », Jésus précise : « Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements » (Tfi 19, 17). Il y a donc « un lien étroit entre la vie éternelle et l’obéissance aux comman­ dements de Dieu » (VS 12). Tout commandement est lié à une promesse, qu’il s’agisse de la terre de Canaan ou du Royaume des cieux, la vie éter­ nelle. « Nous ne pouvons donc pas ne pas prêter attention aux comman­ dements de la Loi que le Seigneur Jésus rappelle au jeune homme et dont il donne « le résumé et le fondement » en affirmant le lien essentiel entre l’amour de Dieu et celui du prochain »(VS 13). Dans ce commande­ ment : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Mt 19, 19) s’expri­ me, dit le Saint-Père, « la dignité particulière de la personne humaine », que Dieu aime pour elle-même. Aussi n’est-il pas étonnant que « les dif­ férents commandements du Décalogue ne soient « que la répercussion de l’unique commandement du bien de la personne au niveau des nom­ breux biens qui caractérisent son identité d’être spirituel et corporel en relation avec Dieu, avec le prochain et avec le monde matériel ». Les commandements, « destinés à sauvegarder le bien de la personne », « représentent donc la condition de base de l’amour du prochain ; en même temps, ils en sont la vérification ». « Ils sont la première étape nécessaire sur le chemin vers la liberté, son commencement : « La pre­ mière liberté, écrit saint Augustin, c’est donc de ne pas commettre de péchés graves... » (VS 13). 3. Cependant, cette mise en lumière de l’amour du prochain « ne signifie pas que Jésus entend privilégier l’amour du prochain, ou encore moins le séparer de l’amour de Dieu ». Les deux commandements de l’amour n’en font qu’un, ils s’« interpénètrent » (VS 14). Par ses paroles et par sa vie, tout spécialement à la Croix, « Jésus rend témoignage de leur indivisible unité ». Sans l’amour du prochain, l’amour de Dieu est impossible. Saint Jean l’affirme avec force 8, faisant 8.1 Jn 4,20. 13 ainsi écho « à la prédication morale du Christ, exprimée de manière admirable et sans équivoque dans la parabole du bon Samaritain » (VS 14). 4. Mais Jésus n’est pas seulement celui qui confirme ce qui a été dit dans la première Alliance (cf. Mt 5, 17). Il est vraiment « la clé des Écritures », « le centre de l’économie du salut ». Il « porte à leur accomplis­ sement les commandements de Dieu, en particulier le commandement de l’amour du prochain, en intériorisant et en radicalisant ses exigences ; l’amour du prochain jaillit d’un cœur qui aime et qui, précisément parce qu’il aime, est disposé à en vivre les exigences les plus hautes » (VS 15). Les commandements doivent être entendus « comme une route ouverte pour un cheminement moral et spirituel vers la perfection, dont le centre est l’amour ». Les commandements négatifs ne sont plus à regarder comme des interdits mais comme une route ouverte vers un amour toujours plus exigeant. Ainsi, « le précepte qui interdit l’adultère devient une invitation à un regard pur, capable de respecter le sens sponsal du corps ». 5. L’invitation à suivre les commandements ne peut satisfaire le jeune homme. En effet, il reconnaît qu’il les a observés. Mais face à la personne de Jésus il se sent loin du but, il saisit en lui un manque, son amour n’est pas assez fort ni assez généreux. Saisissant en lui cette « nostalgie d’une plénitude qui dépasse l’interprétation légaliste des commandements », Jésus reprend : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux ; puis viens, suis moi » (VS 16). Cette réponse doit être interprétée « dans le cadre de tout le message moral de l’Evangile et, spécialement, dans le cadre du Discours sur la montagne. » Le Saint-Père développe alors le lien entre les béatitudes et les commandements : « Les béatitudes n’ont pas comme objet propre des normes particulières de comportement, mais elles évoquent des attitudes et des dispositions fondamentales de l’existence, et donc ne coïncident pas exactement avec les commandements ». Cependant « il n’y a pas de séparation ou d’opposition entre les béatitudes et les commandements », car les béatitudes sont comme des ouvertures qui orientent les comman­ dements vers la perfection. Ne sont-elles pas avant tout des promesses ? Elles sont comme une sorte « d’autoportrait du Christ » et, à cause de cela même, elles sont « des invitations à le suivre et à vivre en commu­ nion avec lui ». C’est ainsi qu’il faut comprendre le dépassement des commande­ ments, dépassement qui n’entraîne aucune opposition avec la Loi, car ce dépassement se réalise sans négation : il se réalise dans l’Esprit d’amour de Dieu. C’est l’amour divin qui assume ce qui lui est inférieur — ce qui est de l’ordre de la disposition —, sans le détruire. Ce n’est pas un dépas­ 14 ----------------------------------------------------------------------------------------------------------- LA SPLENDEUR DE LA VÉRITÉ sement dialectique car il s’opère de l’intérieur, il est vital. C’est par l’amour même de Dieu qu’il s’opère. En considérant le jeune homme qui reçoit de Jésus cet appel, le Saint- Père souligne que « l’engagement manifesté par le jeune homme à res­ pecter toutes les exigences morales des commandements constitue le terrain indispensable dans lequel peut germer et mûrir le désir de la per­ fection, c’est-à-dire de réaliser ce qu’ils signifient et de l’accomplir en suivant le Christ ». On est bien ici en présence des « conditions de la croissance morale de l’homme appelé à la perfection » {VS 17). Mais cette croissance, ce pas que le jeune homme n’arrive pas à faire, exige « une liberté humaine mûre : « Si tu veux », et le don divin de la grâce : « Viens, suis moi » {VS 17). Le Saint-Père note alors : « La perfection exige la maturité dans le don de soi, à quoi est appelée la liberté de l’homme ». Jésus le souligne en affirmant : « Si tu veux », ce qui « révèle la dynamique particulière de la croissance de la liberté vers sa maturité et, en même temps, manifeste le rapport fondamental de la liberté avec la Loi divine. La liberté de l’homme et la Loi de Dieu ne s’opposent pas, mais, au contraire, s’appel­ lent mutuellement ». On touche ici, au cœur de toute l’encyclique, le rapport entre liberté et Loi de Dieu ; cette alliance voulue par Dieu n’est-elle pas le point le plus contesté aujourd’hui ? 6. « Le disciple du Christ sait que sa vocation est une vocation à la liberté » {VS 17). « Dans la mesure où nous servons Dieu, nous sommes libres, dit saint Augustin, et dans la mesure où nous servons la loi du péché, nous sommes encore esclaves » {VS 17). Ainsi,« celui qui vit « selon la chair » ressent la Loi de Dieu comme un poids, et même comme une négation ou, en tout cas, comme une restriction de sa propre liberté. Inversement, celui qui est animé par l’amour, qui se laisse « mener par l’Esprit » et désire servir les autres, trouve dans la Loi de Dieu la voie fondamentale et nécessaire pour pratiquer l’amour libre­ ment choisi et vécu » {VS 18). Bien plus, il saisit l’urgence intérieure — qui, souligne le Saint-Père, est une vraie nécessité et non une contrainte — « de ne pas s’en tenir aux exigences minimales de la Loi, mais de les vivre dans leur « plénitude » {VS 18). Nous pouvons donc, par notre vie morale, répondre « à notre sublime vocation : être « fils dans le Fils ». Et cette vocation s’adresse à tous, car elle est « une radicali­ sation du commandement de l’amour du prochain, comme l’invitation « Viens, suis moi » est la nouvelle forme concrète du com­ mandement de l’amour de Dieu » {VS 18). 15 7. Suivre le Christ est donc « le fondement essentiel et original de la morale chrétienne » (VS 19), puisque la condition de tout croyant est d’être disciple du Christ. Et le Saint-Père insiste sur le caractère propre de la vocation chrétienne : « Il ne s’agit pas seulement ici de se mettre à l’écoute d’un enseignement et d’accueillir dans l’obéissance un comman­ dement ; plus radicalement, il s’agit d'adhérer à la personne même de Jésus, de partager sa vie et sa destinée, de participer à son obéissance libre et amoureuse à la volonté du Père » (VS 19). Voilà bien le caractère tout à fait propre de la morale chrétienne : suivre une personne, qui est à la fois la plus humaine qui soit et notre Dieu. 8. Jésus demande au jeune homme riche « de le suivre et de l'imiter sur le chemin de l'amour, d'un amour qui se donne totalement aux frères par amour pour Dieu » (VS 20). C’est le commandement nouveau : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 15, 12). Par Jésus et en lui, il faut aimer tous les hommes, nos frères. « L’agir de Jésus et sa parole, ses actions et ses préceptes », et tout spécialement sa Passion et sa Croix où son amour pour le Père et pour nous sont ultimement vécus et manifestés, « constituent la règle morale de la vie chrétienne ». Le Saint-Père précise que ce « comme » du com­ mandement nouveau, s’il exige l’imitation, indique aussi la mesure — ce qui conduit chaque chrétien au « don sacrificiel de sa vie » pour vivre ce que Jésus a vécu. L’imitation n’est pas extérieure, elle demande d’être vécue tout intérieurement. « Etre disciple de Jésus veut dire être rendu conforme à Celui qui s’est fait serviteur jusqu’au don de lui-même sur la Croix » (VS 21). Incorporé au Christ par le baptême, « le chrétien devient membre de son corps qui est l'Église » 9 ; et même, comme le dit saint Augustin, dans le mystère pascal de la mort et de la Résurrection, le chrétien « devient » le Christ (VS 21). 9. Cela — « imiter et revivre l’amour du Christ » —, l’homme ne le peut pas par ses seules forces. Il ne devient capable de cet amour qu’en vertu d’un don de Dieu, à qui « tout est possible » 10. Or « le don du Christ, c'est son Esprit, dont le premier « fruit » est la charité » (VS 22). En se servant, là encore, de saint Augustin, le Saint-Père expose les liens entre Loi et grâce : « La Loi a été donnée pour que l’on demande la grâce ; la grâce a été donnée pour que l’on remplisse les obligations de la 9. Cf. 1 Co 12, 13 et 27. 10. Mt 19,26. 16 -----------------------------------------------------------------------------------------------------------

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