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Effet physique chez l'individu de l'idée de mort suggérée par la collectivité: Australie, Nouvelle-Zélande PDF

19 Pages·2002·0.164 MB·French
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Marcel Mauss (1926) « Effet physique chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité (Australie, Nouvelle-Zélande) » Un document produit en version numérique par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Courriel: [email protected] Site web: http://pages.infinit.net/sociojmt Dans le cadre de la collection: "Les classiques des sciences sociales" Site web: http://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiques_des_sciences_sociales/index.html Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 2 Cette édition électronique a été réalisée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Le 17 février 2002 PAR Marcel Mauss (1926) « Effet physique chez l’individu de l’idée de mort suggérée par la collectivité (Australie, Nouvelle-Zélande) » Article originalement publié dans Journal de Psychologie Normale et Pathologique, 1926. Communication présentée à la Société de Psychologie. Polices de caractères utilisée : Pour le texte: Times, 12 points. Pour les citations : Times 10 points. Pour les notes de bas de page : Times, 10 points. Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2001 pour Macintosh. Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’) Marcel Mauss, (1926) Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 3 Table des matières EFFET PHYSIQUE CHEZ L'INDIVIDU DE L'IDÉE DE MORT SUGGÉRÉE PAR LA COLLECTIVITÉ (Australie, Nouvelle-Zélande) CHAPITRE I Définition de la suggestion collective de l'idée de mort CHAPITRE II Types de faits australiens CHAPITRE III Types de faits néo-zélandais et polynésiens. Marcel Mauss, (1926) Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 4 «EFFET PHYSIQUE CHEZ L’INDIVIDU DE L'IDÉE DE MORT SUGGÉRÉE PAR LA COLLECTIVITÉ 1 (AUSTRALIE, NOUVELLE-ZÉLANDE)» 1 Extrait du Journal de Psychologie Normale et Pathologique, 1926. Communication présentée à la Société de Psychologie. Marcel Mauss, (1926) Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 5 L'étude sur les rapports de la psychologie et de la sociologie 1 était toute de méthode. Mais une méthode ne se justifie que si elle ouvre une voie, [...], si elle est un moyen de classer des faits jusqu'alors rebelles au classement. Elle n'a d'intérêt que si elle a une valeur heuristique. Passons donc au travail positif et montrons que, derrière les quelques assertions que je me suis permises, il y avait des faits, en particulier de ceux qui montrent la liaison directe, chez l'homme, du physique, du psychologique, et du moral, c'est-à-dire du social. Je vous avais indiqué que, dans un très grand nombre de sociétés, une hantise de la mort, d'origine purement sociale, sans aucun mélange de facteurs individuels, était capable de tels ravages mentaux et physiques, dans la conscience et le corps de l'individu, qu'elle entraînait sa mort à bref délai, sans lésion apparente ou connue. Et je vous ai promis de vous apporter des documents, une démonstration, et, sinon une analyse, du moins une proposition d'analyse. Les voici, versés au débat et soumis à votre critique. Mais auparavant définissons le problème. 1 Journal de Psychologie, 1924, p. 892. Cf. ci-dessus étude III. Marcel Mauss, (1926) Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 6 Chapitre I DÉFINITION DE LA SUGGESTION COLLECTIVE DE L'IDÉE DE MORT Retour à la table des matières Nous ne confondrons pas ces faits avec des faits cependant voisins autrefois confondus avec eux sous les noms de Thanatomanie. Le suicide est souvent, dans les sociétés que nous allons étudier, le résultat d'une hantise de même genre ; la façon dont l'individu, dans certains états de péché ou de magie, multiplie ses attentats à sa vie, en particulier au pays Maori, manifeste cette suggestion persistante. Celle-ci peut donc avoir exactement les mêmes formes, elle a seulement des conséquences différentes dans le système de faits que nous allons décrire 1. Car dans ce cas, la volonté et l'acte brutal de se faire mourir interviennent. L'influence du social sur le physique a un médial psychique évident ; c'est la personne qui se détruit elle-même, et l'acte est inconscient. L'ordre des faits dont je veux vous entretenir est, de notre point de vue, et pour notre démonstration, autrement frappant. Ce sont ces cas de mort causés brutalement, élémentai- rement chez de nombreux individus, mais tout simplement parce qu'ils savent ou croient (ce qui est la même chose) qu'ils vont mourir. 1 On en trouvera quelques cas de ce genre dans le bon catalogue de renseignements africains de M. STEINMETZ, Der Selbstmord bei den Afrikanischen Naturvölkern, Zeitschr. f. Sozialwiss., 1907. Voir en particulier les suicides pour perte de prestige, fréquents encore chez nous et en Chine et qui furent si nombreux dans l'antiquité. Marcel Mauss, (1926) Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 7 Cependant, entre ces derniers faits, il y a lieu de séparer ceux où cette croyance et ce savoir sont - ou peuvent être - d'origine individuelle. On verra tout à l'heure que, dans les civilisations considérées, ils se confondent souvent avec ceux que nous envisageons plus précisément. Cependant il est clair que, si l'individu est malade et croit qu'il va mourir, même si la maladie est causée, selon lui, par sorcellerie d'un autre ou par péché, de soi (de commission ou d'omission), on peut soutenir que c'est l'idée de la maladie qui est le « moyen-cause » du raisonnement conscient et subconscient). Nous considérerons donc seulement les cas où le sujet qui meurt ne se croit pas ou ne se sait pas malade, el se croit seulement pour des causes collectives précises en état proche de la mort. Cet état coïncide généralement avec une rupture de communion, soit par magie, soit par péché, avec les puissances et choses sacrées dont la présence, normalement, le soutient. La conscience est alors tout entière envahie par des idées et des sentiments qui sont entièrement d'origine collective, qui ne trahissent aucun trouble physique. L'analyse n'arrive à saisir aucun élément de volonté, de choix, ou même d'idéation volontaire de la part du patient, ou même de trouble mental individuel, hors de la suggestion collective elle-même. Cet individu se croit enchanté ou se croit en faute et meurt pour cette raison. Voilà le genre d'événements auxquels nous restreignons donc notre genre d'examen. D'autres faits, de suicide occasionné ou de maladie motivée par ces mêmes états de péché ou d'envoûtement, sont évidemment moins typiques. En compliquant ainsi notre étude par une circonscription aussi détaillée, nous la rendons plus simple, plus saisissante et plus démonstrative. Ces faits sont bien connus pour de nombreuses civilisations, dites inférieures. Mais ils semblent rares ou inexistants dans les nôtres. Ce qui achève de leur donner un caractère social très marqué ; car ils dépendent évidemment de la présence ou de l'absence d'un certain nombre d'institutions et de croyances précises disparues du rang des nôtres : la magie, les interdictions ou tabous, etc. Mais si nombreux et si connus qu'ils soient dans ces peuples, ils n'ont pas - je crois -encore été soumis à une étude psychologique et sociologique un peu profonde. Bartels 1 et Stoll 2 en citent un bon nombre, mais les confondent avec les autres et ne poussent pas au delà de la collection des faits empruntés à toutes sortes de peuples. Toutefois ces bons vieux livres suffisent pour donner une idée de la diffusion de ce genre de faits dans l'humanité. Procédons, nous, plus méthodiquement ; concentrons notre étude sur deux groupes de faits de deux groupes de civilisations : l'une, la plus inférieure possible ou plutôt la plus inférieure connue : l'Australienne ; l'autre, déjà très évoluée, et qui a sans doute eu des vicissitudes, celle des Maoris, Malayo-Polynésiens de Nouvelle-Zélande. Je me bornerai à un choix de faits dans les recueils que nous avons constitués, le regretté Hertz et moi 3. Il eût été facile de multiplier ces comparaisons ; en particulier en Amérique du Nord, en Afrique 4, des faits de même genre sont fréquents, et même ont été bien décrits par de vieux auteurs. Mais il vaut mieux concentrer notre attention sur deux espèces de faits voisines, mais cependant assez éloignées l'une de l'autre pour que la comparaison soit 1 Medizin der Naturvölker, pp. 10-13. 2 Suggestion und Hypnotismus in der Völkerpsychologie. 3 Hertz avait admirablement dépouillé la plus grande partie des documents publiés sur la Nouvelle-Zélande avant la guerre. Il préparait un grand travail sur le Péché et l'expiation dans les sociétés inférieures, dont l'introduction a été publiée (Revue de l'Hist. des Religions, 1921) et dont le reste pourra être, je l'espère, récrit par moi, grâce aux admirables notes et à d'importants fragments qui restent d'une grande oeuvre. Il rencontrait cette question à propos de la notion du péché mortel. Je me suis permis de puiser dans cette documentation. J'ai eu à me préoccuper de ces faits à propos de recherches sur l'origine de la croyance à l'efficacité des mots en Australie, et sur ce point, mon dépouillement de la publication ethnographique sur les Indigènes australiens est également assez complet. Je n'indiquerai cependant en détail qu'un petit nombre de descriptions, difficiles à trouver, laissant de côté les auteurs connus. 4 Ex. CASALIS, Basulos, p. 269. Marcel Mauss, (1926) Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 8 possible, et dont nous connaissons bien les natures et le fonctionnement en soi et par rapport au milieu social et à l'individu. Une courte description de ces conditions mentales, physiques et sociales où s'élaborent des cas de cette sorte n'est pas inutile. M. Fauconnet 1 a bien décrit, par exemple, à propos de la responsabilité et de sociétés diverses, et Durkheim a bien décrit, à propos de nombreux faits religieux australiens : rituel funéraire et autres 2, les poussées violentes qui animent les groupes, les peurs et les réactions violentes auxquelles ils peuvent être en proie. Mais ces emprises totales des consciences individuelles, engendrées dans le groupe et par le groupe, ne sont pas les seules. Les idées élaborées alors se maintiennent et se reproduisent dans l'individu sous cette pression permanente du groupe, de l'éducation, etc. A la moindre occasion elles déchaînent des ravages ou surexcitent des forces. Même l'intensité de ces actions du moral sur le physique est d'autant plus notable que celui-ci, dans ces peuples, est plus fort, plus fruste, plus animal que chez nous. C'est un fait d'observation courante, et de l'ethnographie australienne et de bien d'autres ethnographies, que le corps de l'indigène possède une étonnante résistance physique. Soit à cause de l'action du soleil et de la vie à l'état de nudité complète ou presque complète, soit à cause de la très petite septicité du milieu et des instruments avant les Européens, soit à cause de certaines particularités de ces races sélectionnées précisément par ce genre de vie (en particulier il peut y avoir dans leurs organismes des éléments physiologiques, sérums et autres, différents de ceux des races plus faibles, de ces éléments dont M. Eugène Fischer a commencé avec faible succès la recherche), quelle que soit la cause, toujours est-il que, même par rapport aux noirs africains, l'organisme de l'Australien se distingue par d'étonnantes facultés de récupération. L'accouchée retourne immédiatement à ses occupations, se met en marche après quelques heures; des entailles formidables dans les chairs se cicatrisent avec rapidité ; dans un certain nombre de tribus, une punition usuelle consiste à envoyer une lame dans la cuisse de la femme ou du jeune homme ; des fractures de bras se guérissent très vite avec de faibles attelles. Tous ces cas contrastent singulièrement avec d'autres événements. Un individu est blessé, même légèrement; il n'a aucune chance de se rétablir s'il croit la lance enchantée ; il se casse quelque membre, il ne se rétablira rapidement que du jour où il aura fait sa paix avec les règles qu'il a violées, et ainsi de suite. Le maximum de ces actions du moral sur un physique de ce genre est évidemment encore plus sensible dans les cas où il n'y a aucune blessure et qui rentrent exclusivement dans notre sujet. Le champ d'observation néo-zélandais est également fertile en faits typiques, quoique les Néo-Zélandais aient des organismes déjà plus fins et moins résistants aux agents physiques que les Australiens. C'est un lieu commun de leur ethnographie, surtout ancienne, avant l'arrivée de la petite vérole, etc., des Européens qui les décimèrent, que de noter leur force, leur santé, la rapidité des cicatrisations, des guérisons, tant que le moral n'est pas atteint. Mais ils nous intéressent à d'autres points de vue. Les Néo-Zélandais, comme tous les Malayo-Polynésiens, sont, parmi les hommes, de ceux qui sont le plus en proie à ces états « paniques ». Tout le monde connaît l'amok malais : des hommes (ce sont toujours des hommes), même encore de nos jours, et même dans de très grandes villes, pour venger une mort d'un des leurs ou pour une insulte, partent, « courent l'amok » et tuent autant de gens qu'ils peuvent sur le chemin jusqu'à ce qu'ils soient eux-mêmes abattus. L'humanité néo- zélandaise et malayo-polynésienne en général est le pays d'élection d'émotivités de ce genre. C'est chez elle que Hertz avait, par un heureux choix, trouvé à analyser ces effets étonnants des mécanismes de la conscience morale. Les Maoris, en particulier, présentent ces maxima 1 La Responsabilité. 2 Formes élémentaires de la vie religieuse. Marcel Mauss, (1926) Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 9 de puissance mentale et physique à cause morale et mystique, et aussi ces minima de dépression pour les mêmes raisons. On trouvera dans le livre de Hertz tout le détail de cette démonstration que nous n'allons pas déflorer davantage. Marcel Mauss, (1926) Marcel Mauss, « Effet physique chez l’individu de mort suggérée par la collectivité » 10 Chapitre II TYPES DE FAITS AUSTRALIENS Retour à la table des matières Les Australiens ne considèrent comme naturelles que les morts que nous appelons violentes. Une blessure, un meurtre, une fracture sont des causes naturelles. La vendetta se déchaîne moins forte contre le meurtrier que contre le sorcier. Toutes les autres morts ont pour cause une origine magique ou bien religieuse 1. Seulement, en Nouvelle-Zélande, ce sont les événements d'origine morale et religieuse qui suggèrent à l'individu cette idée dominante qu'il va mourir, et même ces enchantements sont d'ordinaire connus comme surtout destinés à faire commettre un péché. Au contraire, les faits australiens se présentent en proportion inverse. Le nombre des cas où la mort est causée par l'idée qu'elle est l'issue fatale d'un péché est - à notre connaissance - assez rare, et nous n'en avons trouvé qu'un petit nombre, pour la plupart concernant les crimes touchant le totem, en particulier sa consommation 2, ou bien les nourritures interdites par classes d'âge. Voici deux cas assez typiques de ces dernières, que Durkheim n'avait pas à considérer 3. « Si un jeune Wakelbure (fille ou garçon) mange du gibier défendu, etc., il tombe malade, et probablement se consume et meurt poussant les cris de la créature en question. » C'est son esprit qui est entré 1 M. Lévy-Bruhl a étudié ces faits à plusieurs reprises du point de vue de la notion de cause (Fonctions mentales dans les sociétés inférieures et Mentalité primitive). 2 Nous avions soigneusement collectionné ces faits, Durkheim et moi. On en trouvera une énumération, Formes élémentaires de la vie religieuse, p. 84, no, 1-4 ; cf. p. 184, no 2. On les trouve surtout dans les tribus du Centre et du Sud, Narrinyerri, Encounter Bay Tribe, etc. Précisons que, dans le cas du tabou du Yunbeai Mrs. Langloh PARKER, Euahlayi Tribe, p. 20), celui-ci est le totem individuel et non le totem du clan. 3 HOWITT, Native Tribes of South East Australia, p. 769. Marcel Mauss, (1926)

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