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EDUCATEUR 2017 - Une école sur les ailes de l'utopie PDF

68 Pages·2017·8.44 MB·French
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www.revue-educateur.ch Une école sur les ailes de l’utopie l a i c é p s o r é m u 23 juin 2016 N www.le-ser.ch édito / L’utopie, pour rester en équilibre Nicole Rohrbach, rédactrice en chef Un parti-pris pour ce numéro spécial: l’utopie est les droits de l’Homme et donc de l’Enfant, futur citoyen une nécessité en éducation. Pour penser celle- d’une société toujours en devenir, pour lequel on veut ci, la repenser, pour sortir de fonctionnements une pédagogie émancipatrice, qui développe le regard hérités d’autres temps, pour se libérer de l’inefficace critique et l’ouverture à l’Autre; les valeurs d’autonomie, et parfois destructrice spirale du «toujours plus de la de dialogue, d’échanges d’idées, de pouvoir donné même chose». à l’imagination, à la créativité – enseignante aussi! – «(...) l’utopie désigne ce que nous n’avons pas encore pour un postulat d’éducabilité de tout être humain. réalisé, mais qui correspond à des valeurs profondes. Plus qu’une espérance, cette utopie est déjà en Par définition, l’éducation relève donc de l’utopie.» (p.9) construction. Elle nous fait tenir debout sur le chemin. Les valeurs profondes dont on parle ici sont celles de la tolérance et de la solidarité, de la culture de paix, de la démocratie; les valeurs qui construisent et défendent Bonne lecture. • sommaire / / L’utopie pour (re)penser l’école / Œuvres et utopies 1 Quelle utopie pour penser l’éducation? 35 Questionner les doxas 4 Les utopies: fabulations, cauchemars ou 38 Utopies, dogmes et cheminement… ferments d’avenir? 41 Sociétés dystopiques: un miroir tendu 6 Utopie et éducation à l’humanité? 9 Pour une utopie éducative sans 43 Un monde scolaire bouleversé par dogmatisme – Éduquer à l’incertitude la littérature 12 À l’école des utopies 44 Quand le cinéma fait école 46 Didactiser la création: entre utopie et réalité / Quelles utopies pour aujourd’hui? / Et demain? 14 Gros plan sur un colloque – L’utopie, c’est le chemin 48 Construire demain: le Design thinking 18 Un parfum d’utopie – Faire de l’écriture au service des établissements scolaires un bien partagé 50 L’établissement scolaire inspiré: une nouvelle 20 Dans l’acte d’apprendre – Mettre en synergie forme d’organisation à l’école? théorie et pratique – Un enjeu d’avenir 53 Imagine une école idéale! 22 Pédagogie et utopie: toujours! 57 Les tensions comme ouvertures vers l’avenir 26 De la pédagogie comme utopie 60 L’affûtage des outils de l’apprentissage comme 30 DIRE NOUS – Contre les peurs et les haines, idéal pour l’école de demain nos causes communes 62 Le syndicalisme n’est pas une utopie, 32 Éducation-Égalité-Émancipation – ce sont des convictions Nos utopies pour aujourd’hui – Manifeste 63 Nous avons un rêve! 64 Bibliographie – Utopie et éducation Educateur spécial / 2016 // L'utopie pour (re)penser l'école Quelle utopie pour penser l’éducation? En 1516 se produit un événement qui va, sinon bouleverser le monde, du moins transformer durablement la façon de le percevoir et de le désirer. Un très respectable juriste, maître des requêtes du roi helli g n Henri VIII d’Angleterre, décide dans ses loisirs d’écrire un texte hiri G de fiction, et invente le mot utopie. nni Gia © Anne-Marie Drouin Un mot à l’allure de grec ancien et le tumulte de la pensée Thomas More décrit une société idéale, débarrassée des défauts et injustices de son époque, en particulier des «enclosures». Les grandes étendues de terres, fa- vorables à la vie communautaire, étaient parcellisées en unités plus petites entourées de haies ou de murs, réservées aux plus riches et aggravant la misère du peuple. Dans le sillage de son maître et ami Érasme, qui avait publié quelques années auparavant l’audacieux Éloge de la Folie, Thomas More écrit un texte critique et ludique en concevant une île imaginaire, qu’il nomme Utopia, nom à l’allure de grec ancien, formé sur «to- ogay Z pos», «lieu» (que l’on retrouve en français dans «topo- nda graphie», «topologie», etc.) et du préfixe privatif «u». Il © Arli peut se prononcer «ou-topia» et signifie «non-lieu», lieu de nulle part, lieu qui n’existe pas. Or, en 1518, dans une nouvelle édition, More fait dire à son île: «Eutopia à Bloch développant l’idée d’un «optimisme militant» bon droit, c’est le nom qu’on me doit.» Prononcé «eu», grâce aux qualités de «rêve vers l’avant» de l’utopie. Au le préfixe signifie «bon», ce qui souligne à quel point lieu d’être un rêve inconsistant, l’utopie devient dans Utopia est à la fois désirable et impossible. Le latin nus- ces perspectives un travail sur le réel. Selon Raymond quam (nulle part), qui avait d’abord été envisagé, n’au- Ruyer, l’originalité de l’utopie se situe dans sa méthode rait pas permis de jouer ainsi sur les mots. de pensée grâce à laquelle on peut, sur le mode hypo- Utopia est tout d’abord le nom de l’île, puis le titre sim- thétique, tester des constructions sociales imaginaires. plifié du roman. De là naît un genre littéraire désignant Le «mode utopique de pensée», proche du mode de les utopies écrites après celle de Thomas More, où se pensée scientifique dans sa phase préparatoire, est raconte la découverte d’un lieu parfaitement organisé, bien un regard sur le monde. où la justice se conjugue avec l’efficacité, le travail avec Le prix de la perfection le bonheur (l’utopie n’est ni un âge d’or ni un pays de Cocagne aux ressources généreuses), et où l’harmonie En deçà de toutes ces significations qui s’enchaînent provient d’un effort dosé et consenti. L’idée d’une orga- ou s’opposent, l’utopie garde une unité, en ce que cha- nisation parfaite qui pourrait changer le monde donne cune d’entre elles est habitée par les autres. Prise comme à l’utopie le statut d’un rêve positif et audacieux. Rêve rêve positif, l’utopie s’inspire des romans utopiques, qui peut rapidement prendre la tonalité négative de et comme eux, elle contient en germe des risques de qui n’a pas le sens des réalités: qualifier d’utopique un rigidité ou d’uniformisation des individus. Le rêve de projet, c’est en dénier vigoureusement le sérieux. Pour- perfection est plein de pièges, et peut aller jusqu’au to- tant les défenseurs de l’utopie, dans la première moi- talitarisme. Les utopies esquivent les difficultés ou pré- tié du XXe siècle, en soulignent les effets dynamisants, tendent les résoudre grâce à leur prévoyance et leur or- comme Karl Mannheim opposant l’idéologie, source ganisation. Or les solutions qu’on y trouve reposent sur d’immobilisme, à l’utopie, ouverte sur le changement des principes pour le moins discutables. Par exemple, et nécessaire à la vie d’une société, ou comme Ernst Thomas More voulant que les Utopiens soient des êtres Educateur spécial / 2017 1 / L'utopie pour (re)penser l'école pacifiques, réserve la violence à des esclaves, prison- niers de guerre assez bien traités au demeurant, qui ont la charge de tuer les animaux pour la boucherie; quant à la guerre, elle est faite par des mercenaires dont la vie est sans valeur. La construction de la perfection repose sur une mise entre parenthèses des inconvé- nients collatéraux. Mais l’utopie est aussi ce qui permet de faire travailler l’imagination, de prendre conscience de la solidarité de tous les éléments d’une organisation sociale, et en particulier de l’importance de l’éducation, qui met en jeu le sens même que l’on veut donner à la vie. La fréquentation du concept d’utopie induit l’idée qu’il faut aimer nos rêves et en même temps s’en mé- fier. L’utopie traduit cette tension qui habite nos projets et nos actions. La valeur de l’éducation est largement défendue dans les romans utopiques, mais rares sont ceux qui donnent des détails suffisants pour qu’on puisse les prendre pcoomurm meo ldesè ldesé.s iTgonuet Rauuy pelru, sn, ocuess p«mermonedtteesn àt dl’ee nmveiersu»x, ghelli n saisir les points sur lesquels nous devons agir. Ils pré- hiri G sentent comme facile ce qui, justement, dans la réalité, nni pose le plus de problèmes (paresse, désintérêt, limites © Gia intellectuelles, décalage entre les désirs individuels et l’harmonie de l’ensemble, notamment en matière de choix d’un métier, etc.). Plongés dans la réalité, il nous reste tout à inventer, avec les contraintes que nous ne L’Émile de Rousseau est parfois assimilé à une utopie pouvons pas esquiver. éducative. Pourtant, ce très volumineux traité d’édu- cation n’est pas destiné à être mis en œuvre et Rous- Utopies éducatives seau lui-même se défend de vouloir lui attribuer ce Si l’on suit Louis Marin, pour qui vouloir réaliser une rôle. Pourtant, la façon dont il met en scène la relation utopie est un véritable contresens, l’idée d’une uto- entre le précepteur (le «gouverneur», dit-il, se projetant pie éducative, comme d’une utopie politique, semble lui-même dans cette fonction) et son élève, fournit des contradictoire dans son projet même. En fait, utopie expériences de pensée qui rappellent le mode uto- éducative peut s’entendre en deux sens: ensemble de pique tout en correspondant à des situations possibles, principes destinés, sinon à être réalisés, du moins des- épurées des détails encombrants et mettant à nu les tinés à infléchir fortement la réalité; ou expériences problèmes éducatifs dans leur spécificité. D’où le fait réelles, audacieuses et novatrices, mais ayant dû s’af- qu’Émile n’est pas éduqué au milieu d’autres enfants, fronter aux obstacles et sans doute faire des conces- qu’il est orphelin et n’est pas l’objet de conflits entre sions face à la résistance du réel. Dans les deux cas, la les parents et le gouverneur, celui-ci faisant jouer au différence avec l’utopie comme roman est la même en maximum ce que Rousseau appelle «éducation de la ce qui concerne le rapport avec le réel. nature» et «éducation des choses». L’idée que l’enfant doit être préservé du vice plutôt qu’éduqué à la vertu, l’importance de l’éducation du corps, la méfiance à l’égard d’apprentissages trop précoces, le principe se- lon lequel l’enfant doit apprendre à travers ses propres erreurs, tout cela a été retenu par nombre d’éducateurs s’inspirant de Rousseau. L’Émile n’est pas une uto- «La malice que havons de Adam pour pie, mais en tant que traité d’éducation, le procédé de héritage s’est treuvée tousjours à Ge- l’ouvrage lui donne un statut d’utopie éducative, alors qu’en fait il est plutôt un texte qui donne à penser sur nève comme ailleurs… si qu’il ne fault l’éducation y compris par les aspects qui ont été les chercher ronds et entiers plaidoieurs moins suivis, comme l’apprentissage tardif de la lec- ture. La suite inachevée ajoutée par Rousseau (Émile qui par cavillations ne prolongent les et Sophie ou Les Solitaires) est comme un recul devant procez, sinon en utopie.» l’idée d’une éducation parfaite. On y voit la rupture du couple d’Émile et Sophie, avec des aventures mouve- mentées, qui tendent à montrer que l’essentiel est pré- Bonivard, patriote genevois (1493-1570) servé: le courage d’Émile devant l’adversité, qu’il dit de- voir à son gouverneur, mais qu’il a construit lui-même en étant l’auteur de sa propre éducation. 2 Educateur spécial / 2017 / L'utopie pour (re)penser l'école Un siècle avant Rousseau, Comenius (Jan Amos Ko- mensky) avait non seulement rêvé d’une éducation La fonction du poète universelle, mais il en avait réalisé quelques éléments. Le paradoxe de l’œuvre de Comenius tient à ce que son (…) Le poète en des jours impies projet d’éducation, développé dans la Grande didac- tique, a des parentés avec les utopies: enseigner tout Vient préparer des jours meilleurs. à tous, filles et garçons, avec des méthodes efficaces ll est l’homme des utopies, et sources de plaisir, éducation tout au long de la vie, éducation à la paix, volonté de faire de l’éducation un Les pieds ici, les yeux ailleurs. moyen de transformer les êtres… Il est en même temps C’est lui qui sur toutes les têtes, rempli d’exemples de réalisations de techniques péda- En tout temps, pareil aux prophètes, gogiques très concrètes: abécédaire illustré, appren- tissage actif des langues par le théâtre, responsabili- Dans sa main, où tout peut tenir, sation des plus grands aidant les plus jeunes dont ils Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue, sont les «tuteurs», ouverture de l’école sur la vie réelle dans les ateliers d’artisans, art de l’observation, vertu des Comme une torche qu’il secoue, voyages… La Guerre de Trente ans qui a traversé sa vie, Faire flamboyer l’avenir! (…) avec les malheurs qui l’ont accompagné personnelle- helli ment, semble avoir stimulé sa créativité et son «opti- g n hiri misme militant», comme l’aurait dit Bloch. Les Rayons et les ombres. G nni Qu’il s’agisse de Rousseau ou de Comenius, qu’il Victor Hugo (1840) Gia s’agisse de Summerhill, en Angleterre, où Neill associait © la liberté d’apprendre à l’obligation du respect mutuel, qu’il s’agisse des Écoles de Hambourg, fondées sur un principe anarchiste d’égalité entre maîtres et élèves, au d’expérience éducative, voire de réforme. Le qualificatif point que les maîtres devenaient des «maîtres cama- vient de l’extérieur, en tant que ces orientations péda- rades», qu’il s’agisse du lycée expérimental de Nantes, gogiques se distinguent de la pédagogie ordinaire et fondé sur la discussion pour laisser aux élèves la possi- semblent soit impossibles, soit éphémères, soit des cas bilité de choisir leurs enseignements tout en apprenant isolés. les règles de la démocratie, qu’il s’agisse de l’école des Roches d’Edmond Desmolins où les élèves de milieux Conclusion: l’éducation habitée par l’utopie? privilégiés pouvaient développer le meilleur de leurs Sans doute faut-il faire le deuil de la perfection, mais potentialités physiques et intellectuelles, il est remar- non renoncer à la recherche du meilleur. L’éducation quable que les ainsi nommées «utopies éducatives» ne qui se veut autre qu’un dressage construit son projet en sont pas revendiquées comme telles par leurs acteurs, anticipant en pensée les effets possibles de ses choix, qui pensent plutôt en termes d’éducation nouvelle, ce qui l’amène à travailler sur du virtuel, l’adulte qui s’élabore dans l’enfant. Toute éducation est nécessai- Encore une utopie pour toi rement liée à une expérience de pensée, plus ou moins inventive, plus ou moins pertinente, mais qui relève du postulat qu’il est possible d’éduquer. Ce postulat fragile suppose un optimisme méthodique qui n’est pas sans parenté avec l’optimisme utopique, comme s’il y avait toujours une part d’utopie dans toute éducation. • Références Bloch Ernst, Le Principe espérance (1959), Gallimard, 3 vol., 1976, 1982, 1991. Comenius, La Grande Didactique (1657). PUF, 1952. Drouin-Hans Anne-Marie, Éducation et utopies, Vrin, 2004. «L’Émile et Les Solitaires: quand l’éducation réussie passe par l’échec assumé» in A-M Drouin-Hans et al. (dir.) L’Émile de Rousseau. Regards d’aujourd’hui, Hermann, 2013, pp. 421-435. Mannheim Karl, Idéologie et utopie (1929), M. Rivière, 1956. Marin, Louis, Utopiques. Jeux d’espaces, Minuit, 1973. More Thomas, L’Utopie (1516), GF, 1987. Neill Alexander Sutherland, Libres enfants de Summerhill (1960), Mas- hti pero, 1970. ne Liec Reto Suospsehaieu oJue aLne-sJ Saoclqituaeirse, sÉ, mini lŒe,u ovur edse c lo’émdupclèatteios,n t .( 1I7V6, 2G)a, lsluimivai rdde, 1É9m69il e heri (Pléiade). Cat Ruyer Raymond, L’Utopie et les utopies, PUF, 1950. © Educateur spécial / 2017 3 // L'utopie pour (re)penser l'école Les utopies: fabulations, cauchemars ou ferments d’avenir? Florence Quinche L’utopie repense la vie sociale et imagine de nou- se donnaient pas réellement les moyens de réaliser ces velles formes du vivre ensemble. L’utopie touche changements dans l’histoire. autant aux textes philosophiques, politiques qu’à Les risques des pensées utopiques, lorsqu’elles tendent Les risques des pensées utopiques, la satire. L’écriture même d’utopies présuppose l’idée à s’incarner, c’est la subordination de la liberté à l’ordre, lorsqu’elles tendent à s’incarner, d’un monde possiblement autre, d’alternatives à notre la réduction des valeurs à des aspects purement maté- c’est la subordination de la liberté monde actuel. Le déplacement du lieu de l’utopie res- riels. Au nom de la lutte contre la misère, s’effacent les semble au déplacement linguistique du condition- valeurs d’autonomie, de connaissance, de pluralisme à l’ordre, la réduction des valeurs nel, «il se pourrait que». On imagine le bien-vivre des et d’ouverture. En effet, les utopies, souvent présentées à des aspects purement matériels. hommes, mais toujours avec un déplacement, dans sous forme d’îles ou de cités protégées de murs et de un ailleurs ou un temps futur. L’utopie, c’est repenser remparts, se ferment aux influences extérieures: pas de un paradis terrestre, mais dans un monde proche du passé, de pluralisme ni de circulation des idées ou des nôtre, sur une terre semblable à la nôtre (et pas dans personnes. Le monde utopique est clos, puisque déjà l’au-delà). arrivé au sommet de la perfection, toute influence ex- Cette idée d’une autre factualité peut déjà porter en elle térieure pourrait bouleverser cet ordre. Autarcie et au- les germes du changement. Elle le rend imaginable, en tosuffisance renferment ces populations sur une vision l’énonçant comme un possible. En ce sens les textes du monde où l’harmonie devient la valeur centrale, au et imaginaires utopiques apportent une vision poten- détriment de l’ouverture. On n’est pas loin des mouve- tiellement subversive. Ils disent que notre monde n’est ments sectaires et totalitaires. pas nécessairement le meilleur, qu’il pourrait être autre, Un autre élément problématique dans la pensée uto- et que peut-être cela ne tient qu’à nous. L’utopie, dans pique: on ne démontre pas explicitement, on n’ar- sa fonction critique, nous dit aussi en retour notre res- gumente pas non plus, la démonstration se produit ponsabilité pour l’ordre existant. par la narration, la description d’un univers autre, qui Un point commun des utopies est sans doute leur fonctionne comme un modèle. Mais comment pas- champ de valeurs, tournées vers un bonheur du plus ser du monde sans contraintes de l’imaginaire à celui grand nombre, elles visent pour la plupart l’harmo- des réalités sans nécessairement devenir idéologue, nie sociale. Ces objectifs se dressent face aux constats violent ou totalitaire? Car on passe ainsi d’un monde de faillite des sociétés de leur temps: gangrénées par d’images harmonieuses, de tableaux, souvent décrits la misère, l’injustice, l’exploitation ou la violence. Les par un narrateur omniscient, à un monde de discours valeurs convoquées pour rétablir cette harmonie sont pluriels, polyphonie où les sens multiples apparaissent, nombreuses: justice, équité, égalité, prospérité, bien- mais surtout où la perspective éclate. Il n’y a plus un être physique et moral. Mais quels sont les moyens seul point de vue, une seule cité, un seul désir, mais de proposés pour y parvenir? Gestion, organisation du multiples aspirations et volontés. travail, rationalisation du temps et de l’espace (on Le procédé même qui consiste à ce qu’un individu ré- songe aux architectures utopistes, où rien n’est laissé dige une utopie, fondée sur son imaginaire solitaire, est au hasard par l’architecte-démiurge), collectivisme, déjà un risque. En effet, le procédé n’est lui-même pas partage des ressources, mais aussi souvent: autarcie et un processus idéal pour la constitution d’une société, et uniformisation des formes de vie. Le principe des uto- il a bien peu de chances d’être accepté par d’autres. Mais pies des Lumières et du XIXe siècle est celui du mo- cela ne lui ôte bien sûr pas tout intérêt, car ce genre de dèle où le temps n’a souvent pas de prise. Les sociétés texte peut devenir matière à de vives discussions, on sont imaginées déjà constituées, déjà à leur apogée. pense par exemple à l’immense retentissement en son Sans que les processus de constitution, de développe- temps du Contrat social de Rousseau. ment soient eux-mêmes pensés. Car ce que ces mo- La plupart des idées novatrices, qui nous semblent au- dèles visent à empêcher, c’est précisément l’imprévu jourd’hui évidentes, sont d’ailleurs bien issues d’utopies de l’histoire, l’incertitude des événements. C’est ce que philosophiques (Bréman, 2014), souvent jugées irréa- Marx reprochera aux socialistes dits «utopiques»: ils ne listes en leur temps: l’abolition de l’esclavage (Montes- 4 Educateur spécial / 2017 / L'utopie pour (re)penser l'école / Les utopies: fabulations, cauchemars ou ferments d’avenir? helli g n hiri G ni n Gia © Florence Quinche rives qui visent à oublier que la personne est au centre des objectifs de l’école, et non le système lui-même? Si Les risques des pensées utopiques, les utopies des XVIIIe et XIXe siècles se centraient es- sentiellement sur la lutte contre la pauvreté, aujourd’hui lorsqu’elles tendent à s’incarner, de nouveaux domaines apparaissent: participation ci- c’est la subordination de la liberté toyenne à l’information, partage des connaissances et à l’ordre, la réduction des valeurs des créations, développement des sciences citoyennes. Mais surtout, l’intégration des idées de participation et à des aspects purement matériels. de dialogue dans l’école n’est plus une utopie, depuis plus d’un siècle les pédagogies actives et de nombreux mouvements pédagogiques ont prôné et testé ces changements dans l’enseignement. quieu, Rousseau), les crèches (Fourier), le crédit popu- C’est à nous, éducateurs, éducatrices, enseignant-e-s laire (Proudhon), les coopératives (Owen), etc. de privilégier dans ces utopies celles qui visent le dé- Comment passe-t-on d’un texte utopique à un pro- veloppement et l’émancipation de l’enfant ou avec les gramme politique destiné à réformer la société? Le termes de Dewey: «Que signifie la démocratie, si ce texte passe de l’utopique au programmatique, quand sa n’est que l’individu doit avoir son mot à dire dans la dé- visée n’est plus simplement critique ou satirique, mais termination des conditions et des buts de son propre qu’on y trouve les indices de la mise en pratique et des travail?» Mais c’est aussi à nous de refuser celles qui ne moyens réalistes pour son application. En quelque sont pas porteuses de valeurs acceptables, que ce soit sorte, le texte programmatique fait des concessions à dans leurs objectifs ou dans les moyens mis en œuvre. la visée utopique, l’adapte au réel pour le rendre réa- Utopie qui s’incarne dans chaque journée de cours, lisable. Tout comme Marx et Engels dans leur Critique d’ateliers. de l’éducation et de l’enseignement, ne proposent pas l’abolition complète du travail des enfants, mais Des germes des aménagements, visant à réduire le temps de tra- vail (Marx, Engels, p. 178). L’utopie se matérialise dans Les utopies nous disent que d’autres mondes sont pos- une réflexion sur la nécessité d’un droit de l’enfant sibles. En cela elles portent les germes du changement. qui le protégerait autant des abus du système capita- Les penseurs de l’éducation imaginent un futur, dont liste que de l’exploitation familiale. On passe ainsi de l’enfant sera porteur et créateur. En ce sens, éduquer la pensée philosophique à une réflexion juridique et relève toujours déjà d’un pari sur l’avenir, d’une pros- politique. pective sur les mondes possibles et souhaitables. Cette volonté de «formation» de l’avenir peut s’avérer éman- Les réformes pédagogiques, cipatrice: mais à condition qu’elle ouvre réellement les possibles des jeunes, leur donne les capacités de déve- un mouvement utopique? lopper leur propre pensée et leurs propres modes d’ac- Les utopies scolaires sont nécessairement limitées, au tion et de construction sociale. • sens où elles ne concernent qu’un moment de la vie, l’enfance et l’adolescence. Mais ce moment est une étape charnière dans la construction de la personne. Références Il est par ailleurs plus facile d’imposer une utopie à un Bréman, Nathalie (2014), «Socialistes utopiques, les mal-nommés», public captif et mineur. Comment éviter que le monde Cahiers d’histoire, Revue d’histoire critique, vol. 124, p. 13-24 scolaire ne devienne un univers totalitaire, où s’im- Dewey, John, Démocratie et éducation, Paris, Armand Colin, 1975 posent uniquement les visions des adultes, sans égard Jean, Georges (1994), Voyages en utopie, Paris, Gallimard Marx & Engels, Critique de l’éducation et de l’enseignement, Maspero, pour ceux qu’elles concernent? Le lieu où les possibles petite collection, 1976 se rétrécissent et se ferment? Comment éviter les dé- Educateur spécial / 2017 5 // L'utopie pour (re)penser l'école Utopie et éducation Résumé du chapitre «Utopie et éducation». In Quaderni, n°40 (2000). La fabrique de l’utopie, pp. 125-143. Consultable ainsi que la bibliogra- helli phie pertinente pour le présent texte ici sur Persée, ng hiri G www.persee.fr/doc/quad ni n Gia © Jacques Baillé, Professeur émérite, Laboratoire des Sciences de l’Éducation, Université Grenoble Alpes En quelques lignes, nous allons reprendre un ar- ticle rédigé il y a dix-sept ans, à l’orée du nouveau millénaire. Cet article évoquait les relations entre (...) quand l’éducation, inscrite dans utopie et éducation en combinant trois méthodes: une les temporalités politiques et sociales recension de thèmes éducatifs qui apparaissent dans de l’histoire réelle, déploie ses pédago- le texte des utopies; un relevé de références implicites à l’utopie dans les discours éducatifs; enfin, une trans- gies compensatrices des déficiences position des démarches précédentes dans ce temps-ci d’origine, elle est alors jugée utopique, (Dieser Zeit, E. Bloch) pour estimer l’évolution scienti- fique et technique actuelle à l’aune de la perfection an- c’est-à-dire illusoire, chimérique ou historique de l’utopie. trompeuse. Évoquer la place et le rôle de l’éducation dans l’uto- pie ou celle de l’utopie dans l’éducation implique de les distinguer sous l’aspect du temps. Le plus souvent, l’utopie dessine le tableau d’une perfection déjà établie tenir les populations à l’écart de ce qu’appelle le repli et l’éducation concourt à la pérennité d’un système so- sur soi, autrement dit, la convoitise et la cupidité. cial strictement délimité, distillant bonheur, justice et La publicité des activités qui, en utopie, accorde l’idée paix. Le détail pédagogique reste négligé et l’institution de progrès avec celle d’équanimité au plus loin du se- éducative, par ses règles et ses obligations morales, as- cret et de son escorte conspirationniste, met directe- sume une fonction d’ajustement précis (donc heureux) ment à contribution l’architecture. Si l’on s’en tient à ses des aptitudes individuelles au fonctionnement de la seuls aspects extérieurs, la variété architecturale s’étend société. de Thélème dépourvue de mur d’enceinte, avec ses fe- À l’opposé, quand l’éducation, inscrite dans les tempo- nêtres et ses prairies où les pensionnaires, filles et gar- ralités politiques et sociales de l’histoire réelle, déploie çons déjà éduqués, s’ébattent en toute liberté, jusqu’aux ses pédagogies compensatrices des déficiences d’ori- six rangs étagés de murailles habillées de palais à co- gine, elle est alors jugée utopique, c’est-à-dire illusoire, lonnes, qui ceinturent la Cité du Soleil de Campanella. chimérique ou trompeuse. Le recours à l’adjectif uto- Toutefois, en utopie, c’est par son académisme (ordre pique déprécie alors l’agir éducatif en l’affligeant d’une familier, identifiable et répétitif) que l’architecture af- carence rationnelle ou scientifique. Cela ne va pas sans fiche sa contribution au formatage des esprits. Dans le rappeler la critique portée, en leur temps, par Marx et droit fil des utopies, les constructions scolaires de l’âge Engels à l’encontre d’un certain socialisme baptisé uto- moderne (du XIXe siècle) condensent ces mêmes attri- pique. buts: l’école devient un ilot isolé, protégé des bruits et rumeurs de la cité, où l’hygiénisme (aération, lumière) Du visible… se marie à une maximisation de la surveillance panop- Utopie (Th. More) naît d’une décision radicale: la trans- tique magistrale. formation d’une presqu’île en île. Comme en Atlantide En utopie, la paix et le bonheur exigent le renonce- (Timée, Critias), la côte figure la frontière d’un lieu iso- ment au secret et à l’intimité. Pour Fourier, alors que lé, impossible à situer sur la carte. Le plus pointilleux l’hédonisme le plus débridé reste public (cf. Le Nou- des lecteurs-explorateurs n’en dépiste que le contour veau monde amoureux), la vie du phalanstère n’en de- et l’implantation de bâtiments géométriques. L’ordon- meure pas moins gouvernée par l’harmonie calculable nance urbaine appelle célébrations, défilés et jeux qui, de l’organisation collective (les phalanges, les séries). se succédant dans les temples, les avenues, les places Chez Cabet, la publicité (au sens du XVIIIe siècle) des et les parcs, laissent à un moindre souci les questions conduites promeut une stéréotypie que renforcent une d’ordre privé. Ainsi que d’autres, le projet de Ledoux dictature du détail et une attention obsessionnelle à la pour la Chaux illustre cette conjugaison de la raison standardisation qui aboutira à la militarisation des der- géométrique et des pratiques cérémonielles destinée à nières Icaries. 6 Educateur spécial / 2017 / L'utopie pour (re)penser l'école Enfin, en raison de sa dualité allégorique et fonction- nelle, l’image joue un rôle éducatif majeur en utopie, à l’exemple de la Cité du Soleil. Comme les murs sur- «Les Utopiens n’oublient jamais cette chargés de cartes, de règles et de formules de nos an- règle pratique: fuir la volupté qui em- ciennes classes, les murs de la cité affichent tous les savoirs: mathématiques, cosmographie, rhétorique, pêche de jouir d’une volupté plus grande, helli physique, etc., en sorte que la promenade raffermisse, ou qui est suivie de quelque douleur.» ng par la répétition visuelle, une éducation enfantine très Ghiri tôt polyglotte et polytechnique. nni Un tel souci de visibilité et de son entretien s’ordonne L’Utopie - Thomas More (1516. Traduc- © Gia selon un totalisme éducatif communautaire quasi re- tion française par Victor Stouvenel, 1842) ligieux. Le poids conféré au visible pour éloigner, tant la concupiscence par le contrôle public de l’envie, que l’ignorance par l’exposition continue aux savoirs, ne procède d’aucune délibération populaire. En utopie, l’ordre moral dépend souvent de hiérarques si soucieux con), de son prolongement par les Fragments (Condor- de leur aura qu’ils vont parfois jusqu’à prendre pour pa- cet), se déploie un processus en acte, téléonomique en tronymes des noms de vertus; quant au savoir, il peut ce qu’il détermine, en et par lui-même, son propre pro- être organisé et contrôlé par un «pouvoir-savant-abso- grès ou sa propre réformation. Mais que le contrôle de lu», tel celui de la Maison de Salomon (F. Bacon). cette élaboration autosuffisante relève des seules pré- (...) quand l’éducation, inscrite dans rogatives d’un corps supérieur, d’une caste indépen- les temporalités politiques et sociales … au non visible dante des pouvoirs politiques, pose un problème que Ce n’est pas le moindre intérêt des textes d’utopie que notre actualité identifie comme celui des experts. de l’histoire réelle, déploie ses pédago- de stimuler une méditation sur les régimes politiques Dans ce bref commentaire, nous avons repris l’une gies compensatrices des déficiences et les pouvoirs établis. La démarche exige la mise au des raisons qui rapprochent l’organisation scolaire d’origine, elle est alors jugée utopique, jour de l’implicite et la comparaison de la valeur téléo- traditionnelle de l’utopie tout en éloignant de celle- logique des systèmes d’éducation en utopie et dans le ci les pédagogies libertaires. En dehors de New from c’est-à-dire illusoire, chimérique ou monde réel. Le curseur se déplace d’un système d’édu- Nowhere de Morris avec son éducation permissive, il trompeuse. cation raidi par une distribution ordonnée de titres en n’existe pas d’utopie libertaire. C’est que l’utopie n’aime utopie, jusqu’à un système dont la visée se confronte à pas le désordre. À Iasnaïa Polinia (Tolstoï) à Hambourg des intérêts divergents dans le monde réel. ou près de Londres (Summerhill), ces pédagogies su- Un regard objectif sur l’éducation en utopie devrait dé- ciller des yeux qui s’émerveillent dans la contempla- tion d’une perfection installée. En effet, ses architecto- niques technicisées et pacifiées secrètent l’homogène, l’uniforme, bref le semblable. Dès lors, comment dé- duire de cette monotonie répétitive quelque chose de positif, c’est-à-dire de dynamique, à propos de la per- fectibilité humaine? Si cela s’avère impossible, l’utopie n’endosse-t-elle pas la défaite de l’émancipation face à la stricte reproduction, cet avatar scolaire du conser- vatisme? Ces questions ne vont pas sans interroger également la terminologie. L’article de 2000 signalait déjà la vani- té d’une opposition entre utopie et contre-utopie. Hors tout respect pointilleux de l’étymologie, le mot utopie n’a pas plus besoin d’un adjectif que d’une autre appel- lation (dystopie) pour signifier la noirceur d’un monde stable assigné au bonheur. C’est dans cette assignation même que l’horreur est à l’œuvre qui incite à la mimé- sis, à la surveillance constante, aux réquisitions politi- co-religieuses, à l’exposition et au contrôle des affects. Si cela ne suffit pas, on peut toujours pimenter le récit avec les sarcasmes de Swift, les difformités cognitives de Laputa ou les uglossies impraticables des sages (chevaux) Houyhnhnms. À cet aspect négatif s’oppose l’humanisme radical qui relie Bacon et Condorcet à Platon. Les trois ont en commun de partir d’une utopie posée comme une hy- pothèse rationnelle dont la plausibilité est impliquée dans l’établissement de la République (Platon), d’un institut scientifique (Bacon), d’un système d’enseigne- ment (Condorcet). Il s’agit, en ces cas, d’ouvrir l’histoire comme poïesis. À partir de la Nouvelle Atlantide (Ba- © Arlinda Zogay Educateur spécial / 2017 7 / L'utopie pour (re)penser l'école bordonnaient le bonheur à l’exercice de la plus grande liberté possible: Mut zum chaos! Or, en utopie, le chaos «Nous commençons à prendre comme l’oisiveté sont proscrits. conscience que la subjectivité est en Technologisation fait un élément indispensable. Après la Si la technique se présente comme l’ensemble des subjectivité vient la vérification. dispositifs, outils et instruments de l’efficacité, elle oc- Einstein n’a pas utilisé, pour autant cupe une place éminente en utopie, en tout premier lieu pour le contrôle des comportements. À ce propos, que je sache, de règle à calculer pour il faut rappeler que l’on doit une des rares utopies en- fonder la théorie de la relativité. Il en a core vivantes (Los Horcones) à l’auteur de WaldenTwo, Skinner. Il y aurait beaucoup à dire sur les critiques d’abord eu l’intuition, puis il l’a vérifiée. portées à l’encontre de l’auteur de la Révolution scien- C’est pour cette raison que les utopies tifique de l’enseignement, au promoteur d’un ensei- sont indispensables à l’évolution hu- gnement programmé, assujettissant (comme nos bons pédagogues rousseauistes) le learning au training et, maine. Quand on me traite d’utopiste, surtout, s’ouvrant à un possible contrôle expérimental je le prends comme un compliment. de l’apprentissage. Mais, l’époque des applications be- havioristes à l’enseignement, du moins les explicites, Cela confirme que je suis encore bien paraît révolue. vivant.» La maîtrise technique fut souvent convoquée pour vanter la supériorité de la société d’utopie, la tech- nique incluant les modes de production, artisanaux Graines de possibles, regards croisés ou industriels ainsi que les institutions et les méthodes sur l’écologie – Pierre Rabhi et Nicolas de gouvernement. Aujourd’hui, alors que l’on n’écrit plus d’utopie, l’excitation à propos du numérique, du Hulot (2006) transhumanisme, de l’algorithmique, des sciences neurocognitives, se veut annonciatrice d’une nou- velle ère peuplée de nouveaux humains «augmentés». L’utopie oblige à regarder en arrière pour reconnaître en ces humains en quête de surpuissance et d’éterni- té les personnages de l’Âge d’or, ces oligarques divins de l’Atlantide, ces religieux de l’âge de l’Esprit (Jean de Flore), ces Samouraïs qui dirigent la cité de Modern Utopia (Wells), en résumé, ce type de religieux indiffé- rents aux richesses et aux plaisirs terrestres. Autre problème aussi ancien que crucial, le heurt entre Babel et l’élan bâtisseur des fondateurs de la cité édu- quée d’utopie ou du monde réel. Le progrès technique s’accorde depuis longtemps aux efforts pour élaborer une langue universelle (simple et rationnelle). Avec la numérisation, dans la suite de la mathesis universalis (Descartes, Leibniz) et de la logique de Boole, le pro- jet paraît reprendre vie. Dans cet effort pour générer un nouveau rationalisme, on retrouve Bacon (à la suite de Wilkins), Condorcet et, toujours pour garder la bonne distance, Swift. Enfin, dans l’utopie où le hasard, l’accident, l’évène- ment fortuit sont bannis, l’éducation s’apparente à un puzzle où chaque pièce occupe sa place, celle-là seule qui lui est assignée. Ainsi par la combinaison ration- nelle de l’action pédagogique et de capacités détectées, chacun trouve sa juste position dans la cité. Il n’est pas étonnant qu’ainsi préparée à l’école, la relation com- munautaire en utopie relève d’un type plutôt monado- logique qu’intersubjectif. Mais cela ne concerne-t-il ogay que la société d’utopie? Dans «ce temps-ci», la préten- Z nda due horizontalité de la communication ne peut-elle © Arli se penser comme l’après-coup d’une perfection mo- nadologique déjà réalisée? • 8 Educateur spécial / 2017

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Introduction à Ivan Illich (2012), La Découverte. Lettres à .. Éditions Au Diable Vauvert, 2012. 7 Voir les trois films .. la thèse suivante: c'est bien la fraternité ou la solidarité qu'il s'agit de . sociologique ou mimétique; c'est, selon la formule de un «métaphysicien» où la plani
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