L’ÉTRANGER tel qu'il (s')écrit 0 5- 1 8- 4 6 8 9- 8 9 8- 7 9 N: : B S I Ana Clara Santos José Domingues de Almeida Faculdade de Letras Universidade do Porto (Orgs.) 2014 TABLE DES MATIÈRES ÉDITORIAL……………………………………………………………………………4 - 6 1. Ancrage thématique PENSER L’AUTRE AUTREMENT : COMMUNAUTÉ, AMITIÉ, ÉCRITURE. Le dialogue impossible : Maurice Blanchot - Louis-René des Forêts………………………………………………………………………………7 - 38 PATRICIA MARTINEZ GARCIA ULYSSE FROM BAGDAD D’ÉRIC-EMMANUEL SCHMITT ou l’épopée d’un clandestin……………………………………………………..39 - 48 ISABEL SIMÕES MARQUES ÉTRANGER A SOI-MÊME La mue de la voix masculine dans l’œuvre de Pascal Quignard ……………...49 - 66 ANNE-MARIE REBOUL HENRI MICHAUX Estrangeiro absoluto……………………………………………………………..67 - 82 MARISA MARTINS FURQUIM WERNECK « LE MÊME, C’EST L’AUTRE… » Réflexion autour de la notion d’étranger et de son inanité dans Les Bienveillantes de Jonathan Littell…………………...83 - 100 AURELIE RENAULT 2. Affinités génériques LORAND GASPAR Écriture et « le bonheur de l’étranger……………………….. ……………...101 - 114 GLENN W. FETZER ESTRANGEIRO A SI PRÓPRIO O duplo e a fobia da loucura em algumas narrativas fantásticas de Gautier e Maupassant…………………………………………………………………….115 - 144 ANA ALEXANDRA SEABRA DE CARVALHO DE LA PARURE DE GUY DE MAUPASSANT A LE COLLIER DISPARU DU PRINCE NARADHIP PRABANBHONGSE Vers la naissance de la nouvelle au royaume de Siam ?..........………………………………………………………145- 160 INTHANO THEERAPHONG 3. Perspective traductive COPI Extranjero en la lengua .…………………………………………………….161 - 174 CHRISTIAN ESTRADE ESTEREOTIPOS FRANCESES EN LAS NOVELAS TRADUCIDAS DE LOS HERMANOS GONCOURT El caso de Germinie Lacerteux……………………………………………………………………….175 - 188 FLAVIA ARAGÓN RONSANO QU’EST-CE QU’UN « TRUCHEMENT » ? Entre étranger et compatriote à l’époque des découvertes……………………………………………………………………..189 - 196 GEORGES VAN DEN ABBEELE 4. Ancrages géo-historiques REGARDS CROISÉS SUR ALGER Entre réalité et fiction…………………………………………………………………………..197 – 211 JEAN-PIERRE CASTELLANI LES ÉTRANGERS D’ALGÉRIE Albert Camus, Kateb Yacine, Yasmina Khadra………………………….....212 - 243 CARMEN GARCIA CELA DE L’ÉTRANGÈRE À L’ÉTRANGER Différence et francophonie dans Al Ghariba de Farjallah Haïk………………………………………………………………………….....244 - 254 NADA NADER ADELBERT VON CHAMISSO D’une nation l’autre…………………………………………………………. 255 - 279 FREDERIC TORTERAT L’ÉTRANGER TEL QU’IL (S’) ÉCRIT L’étranger est une notion qui touche foncièrement à l’identité (ce qui est propre, naturel ou familier), à l’appartenance (à une nation, un clan, une famille, un groupe), et à ses corollaires que sont l’inclusion et l’exclusion ou le sentiment de non-appartenance. Elle met en jeu la nation, la société dans ses différentes composantes, les cultures et les langues, et les productions symboliques qui en rendent compte, dont l’écriture littéraire. Le statut d’étranger est tantôt subi (à la suite de déplacements forcés de populations, d’exils), tantôt choisi (expatriation, installation physique dans un autre pays, ou culturelle, dans une autre langue), voire recherché (en tant qu’option existentielle ou artistique). Il est aussi fonction du regard ; celui que l’on porte sur soi (se sentir étranger), ou que portent les autres (être perçu comme un étranger). La conscience des frontières politiques, sociales, religieuses, culturelles s’est toujours avérée source de conflits, de négociations et de compromis. Cette notion mérite toutefois d'être revisitée à l’heure où s’intensifie la circulation des hommes, des marchandises et des idées, dans le cadre de la mondialisation économique, d’importants mouvements migratoires, – qui ne sont pas sans susciter le débat –, du développement de formes de gouvernance mondiale, et même d’une mondialisation des biens culturels ainsi que de l’uniformisation à la faveur d’une langue commune globale, d’un anglais utilitaire. Cet ouvrage se veut un miroir kaléidoscopique d’interrogations et d’apories diverses suscitées par la notion d’étranger dans le fait littéraire de langue française, ou dans d’autres langues, dans leur rapport intertextuel, traductif ou référentiel à l’univers littéraire d’expression française. La notion d’étranger y assume aussi bien une fonction thématique et illustrative, - à la faveur d’une projection diégétique des avantages ou des déboires d’une appartenance difficile ou interdite -, qu’un statut constitutif de l’écrivain et de sa condition. Les contributions à cet ouvrage cernent ces questions complexes et pertinentes à partir de différents points de vue thématiques et critiques que nous avons regroupés dans le seul souci d’un suivi cohérent : ancrage thématique, approche générique, travail 4 traductif et perspective historique, cette dernière axée sur l’expérience et l’espace coloniaux. Dans un ancrage spécifiquement thématique, si Patricia Martínez García met en dialogue et à profit la pensée philosophique de « l’autre » chez Maurice Blanchot et Louis-René des Forêts, et qu’Isabel Simões Marques décline le statut de l’expérience exilique et clandestine dans le roman Ulysse from Bagdad d’Éric-Emmanuel Schmitt, de son côté, Anne-Marie Reboul met en évidence le motif très ciblé, et ses implications symboliques, de la mue vocale masculine de l’adolescent dans la diégèse quignardienne. Par ailleurs, Marisa Werneck distille la thématique du voyage et du déracinement, notamment en contact interculturel (Brésil), à la faveur d’une lecture rafraîchissante de Henri Michaux et, de son côté, Aurélie Renault procure une profonde et pertinente analyse de la topique de « l’étranger » dans le roman Les Bienveillantes du romancier allophone Jonathan Littell, plus précisément de cette figure en tant que réconciliation dialectique au nom d’une conscience de « Volk », et ce aussi bien chez les Allemands, que chez les Juifs ou les Russes. En outre, d’autres contributions mettent en exergue l’influence intertextuelle et interculturelle produite par l’affinité des genres littéraires choisis. C’est le cas du texte de Glenn Fetzer, qui analyse la notion d’étrangeté et de non-appartenance dans la poésie de Lorand Gaspar. Par ailleurs, la prégnance du genre nouvellistique dans ses différentes variantes et déclinaisons se trouve assurée. Si, d’une part, Ana Carvalho évoque la figure du double, et la phobie qu’il suscite, dans les nouvelles de Gautier et de Maupassant, Theeraphong Inthano évoque, lui, l’influence de « La parure » de Maupassant sur l’écriture nouvellistique thaïlandaise. Dans une perspective plus largement traductive, cet ouvrage compte sur une étude stimulante de Christian Estrade évoquant l’œuvre du dramaturge argentin Copi qui, entre castillan et français auto-traduit, a profondément marqué le texte homosexuel, mais aussi sur une approche contrastive de la traduction en espagnol du roman Germinie Lacerteux des frères Goncourt par Flavia Ronsano, ainsi que sur le rôle du 5 « truchement » comme acteur de la traduction dans la rencontre des peuples et des cultures aux temps des découvertes, par Georges Van den Abbeele. Finalement, l’approche de l’étranger se trouve un ancrage historique et géographique dans la foulée des (dé)colonisations, où le Maghreb (et le Machrek), - et tout particulièrement l’Algérie -, s’imposent comme décor et théâtre diégétiques. À cet égard, Jean-Pierre Castellani présente les regards croisés, portés réciproquement par la France et l’Algérie, et qui se traduit emblématiquement par la réalité interculturelle de la ville d’Alger, tandis que Carmen Cela procure trois lectures de la figure de l’étranger et de ses implications dans les conflits de l’Histoire chez Albert Camus, KatebYacine et Yasmina Khadra, respectivement. De son côté, Nada Nader évoque la question de l’altérité et de la différence communautaire libanaise telle qu’elle est complexifiée dans le roman Al Ghariba de Farjallah Haïk, alors que Frédéric Torterat évoque la figure de l’écrivain franco-allemand, Chamisso, dans le contexte difficile et mouvementé de l’Allemagne de la première moitié du XXème siècle. Il ressort de ce qui vient d’être énoncé qu’il est une forte imbrication entre l’étranger qui écrit et celui, - souvent coïncident, d’ailleurs -, qui s’écrit et expose par là même les interstices d’identités poreuses, contaminées par l’Histoire collective et personnelle, et enrichies par les rendez-vous physiques et textuels. À l’heure d’une indéfinissable menace uniformisante, ces contributions se veulent de pertinents repères et de précieux témoignages quant aux possibilités de la littérature à l’ère globale, et à sa mission éthique. Bonne lecture ! Les éditeurs Ana Clara Santos José Domingues de Almeida 6 PENSER L’AUTRE AUTREMENT : COMMUNAUTÉ, AMITIÉ, ÉCRITURE. Le dialogue impossible : Maurice Blanchot - Louis-René des Forêts PATRICIA MARTÍNEZ GARCÍA Universidad Autónoma de Madrid [email protected] Résumé : Cet article propose une approche de la pensée de la communauté et de l’amitié telle qu’elle est formulée par Blanchot dans La Communauté inavouable (1983) et L’Amitié (1971), et plus particulièrement de la conception d’autrui comme étrangeté radicale qu’elle institue. Dans un deuxième mouvement, nous chercherons à comprendre le rôle que cette philosophie accorde à l’écriture et à la communication littéraire comprise comme « distance » et « rupture » et expérience partagée de l’étrangeté commune, dans le respect et le vœu de préservation de la singularité non appropriable de l’autre. Finalement, nous suivons la façon dont cette poétique de l’amitié est mise en œuvre dans l’écriture secondaire de Maurice Blanchot et plus précisément dans les textes critiques qu’il a consacré à Louis-René des Forêts. Mots-clés : l’autre – étrangeté – communauté – amitié – écriture – neutre. Abstract: This paper proposes an approach of the conception of the other as inassimilable otherness that constitutes the chore of the philosophy of community and friendship, as formulated by Maurice Blanchot in La Communauté inavouable (1983) and L’Amitié (1971). In the second part, we examine the role that this philosophy plays in creative writing and literary communication, understood as « distance » and « rupture », grounded on respecting and preserving the other’s unappropriable singularity, and on a shared experience of a communal strangeness. Finally, we discuss how this « poetics of friendship » is set to work in Maurice Blanchot’s critical essays, devoted to the work of Louis-René des Forêts. Keywords: the other – strangeness – community – friendship – writing - neutral. « Le témoignage le plus important et le plus pénible du monde moderne (…) est le témoignage de la dissolution, de la dislocation ou de la conflagration de la communauté », écrit Jean-Luc Nancy dans La Communauté désœuvrée (2004: 11). À une époque qui semble avoir mis fin à « l’espérance des groupes », selon les mots de Maurice Blanchot (1983: 38), et dans laquelle l’idéal communautaire semble éclaté, les philosophes de la génération actuelle ont vu l’urgence de retrouver ce qui pourrait nous assurer de la possibilité d’une communauté humaine et de reprendre la réflexion sur l’être en commun et sur la valeur qu’il faut accorder à autrui. De Rousseau à Marx, la question de la communauté n’a cessé de hanter la pensée occidentale. Selon Nancy, notre époque a porté témoignage de l’échec de la communauté dans son régime « athéologique » telle que l’avait formulée la modernité, en tant que traduction politique et sociale de l’interprétation religieuse de la communauté : c’est-à- dire recherche d’un fondement, un principe et une finalité qui auraient dû structurer la société, dans lesquels ses membres pourraient retrouver son sens et sa vérité. À notre époque, la dissolution des grands métarécits totalisateurs, – selon la formule de Jean François Lyotard, en tant que discours de légitimation des règles qui régissent le lien social ou communautaire -, met en évidence la nécessité de retrouver une voix commune et un espace de partage qui puisse résister à l’achèvement de l’idée de communauté. Dans ce contexte, une reformulation du rapport à autrui est demandée, en tant que réaction face à la dissémination et l’atomisation des rapports, mais tout aussi bien face à l’homogénéisation des sociétés selon des mots d’ordre, des discours identitaires uniformisateurs, dans la conviction attisée par des intérêts religieux, culturels ou ethniques. En réponse au constat de la faillite de l’idéal communautaire énoncé par Jean-Luc Nancy, Maurice Blanchot revient, dans La Communauté inavouable (1983)1, sur la pensée de la communauté et, moyennant les idées de Bataille et de Levinas, reprend la 1 Le livre de Blanchot La Communauté inavouable est paru en 1983 en réponse à un article de Jean-Luc Nancy publié cette même année dans la revue Aléa sous le titre de « La communauté désœuvrée », titre qui sera conservé dans l’ouvrage augmenté par la suite chez Bourgeois (nouvelle édition 1990). En 2002, les éditions de SE de Milan ont demandé à Nancy de présenter une traduction revue de La Communauté inavouable de Blanchot. réflexion sur les conditions de possibilité de l’être en commun, non pas en tant que concept social, politique ou religieux, mais ontologique, éthique et esthétique. La pratique de l’écriture comme « entretien », dans le sens que Blanchot donne à ce mot, parcourt un trajet à rebours de la philosophie occidentale, qui a été essentiellement une pensée de l’être, pour dérouler une pensée autre de l’autre, considéré comme fondement de l’existence. Au revers de toute philosophie sociale, en marge de toute idéologie politique et de tout mysticisme au sens religieux, Blanchot cherche à tracer les contours d’une communauté aussi urgente qu’improbable, aménagée en amitié et constituée en espace d’écriture. C’est cette pensée autre de l’autre, qui relie communauté, amitié et écriture que je voudrais examiner ici. Blanchot a su reconnaître l’avènement de la modernité dans l’évaporation du sens absolu et d’une identité assurée dans lesquels les membres d’une communauté pourraient se reconnaître et trouver leur finalité commune. Mais il a fait confiance à la possibilité de la communication, à un rapport renouvelé de la parole avec l’infini de l’autre et du sens qui en font sa vérité. À une époque où le langage est tenu comme un médium parmi d’autres et même secondarisé vis-à-vis de l’image, au sens iconique et technologique, le rôle que Blanchot accorde à la communication comme une expérience de l’altérité dans sa signification authentique, le place dans un contretemps qui s’accorde bien avec la signification intempestive qu’il donne à l’écriture. Ce qui fait la richesse et l’attrait de cette pensée, c’est que, dans le contexte de notre modernité désenchantée, elle demeure provocante et s’élève jusqu’à la limite d’une éventuelle transcendance. Trois parties divisent mon propos. La première s’attachera à esquisser les articulations essentielles de cette pensée de la communauté, de l’amitié et de la conception d’autrui comme étrangeté radicale qu’elle institue. La deuxième cherchera à comprendre de quelle façon elle accorde une nouvelle fonction à l’espace de l’écriture, et oblige à repenser les conditions de la communication littéraire en tant que distance et rupture, et partage de l’étrangeté commune. La troisième s’attachera à suivre la façon dont cette poétique de l’amitié est mise en œuvre dans l’écriture secondaire de Maurice Blanchot, et plus précisément dans les textes critiques qu’il a consacrés à des Forêts.
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