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D’une abolition, l’autre: Anthologie raisonnée de textes consacrés à la seconde abolition de l’esclavage dans les colonies françaises PDF

200 Pages·1998·0.481 MB·French
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D’une abolition, l’autre Anthologie raisonnée de textes consacrés à la seconde abolition de l’esclavage dans les colonies françaises Textes réunis par Myriam Cottias Chez le même éditeur PAULNIZAN,Les Chiens de garde (Préface de Serge Halimi) DENISDIDEROT, Apologies (Présentation de Michel Barrillon) Citations au combats. Anthologie illustrée (Textes réunis par Thierry Discepolo & Jacques Luzi, Photographies de Jean-Luc Friedlingstein) NOAMCHOMSKY, Responsabilités des intellectuels (Préface de Michael Albert) © Agone Éditeur, 1998 BP 2326, 13213 Marseille Internet: www.lisez.com/agone ISBN 2-910846-11-3 Introduction Pour Alexis-Michel C ETTE ANTHOLOGIE de textes consacrés à l’abolition de l’esclavage n’est pas celle des Lumières et de leurs philosophes. Elle ras- semble les textes d’hommes du XIXe siècle, croyants et pragmatiques, scientistes et systé- matiques, généreux et paternalistes. De la Restauration à la Seconde République, au cours de ce XIXe siècle qui transcrit les pro- blèmes sociaux en équations, la passion se mêle au scientifique, la philanthropie à la ren- tabilité, la générosité à la prudence méfiante. Le siècle des abolitions a débuté… en 1793, par un choc violent qui secoue les colo- nies françaises. L’événement traumatique a lieu à Saint-Domingue (future Haïti), la plus prospère des colonies françaises, qui avait connu un rapide développement depuis 1730. Saint-Domingue assure, à cette époque, 79% de la production sucrière des colonies fran- çaises. Le sucre, une richesse telle que Louis XV, à l’issue de la guerre de Sept Ans, choisit de céder le Canada aux Anglais (« quelques arpents de glace») pour conserver les îles an- tillaises. Au sucre s’ajoute, vers 1767, le café. Avec ces deux productions, Saint-Domingue, 4 INTRODUCTION fleuron colonial, reçoit 71 % des navires français. Dans leurs cales sont enfermés des Africains réduits à l’esclavage et déportés tou- jours plus nombreux vers Saint-Domingue – la colonie accueille alors 95 % des esclaves traités par la France. En 1789, cette popula- tion esclave représentait 89 % de la popula- tion totale de l’île. De cette croissance brutale, aussi bien éco- nomique qu’humaine – inhumaine, pourrait- on dire –, entraînant déséquilibres et tensions, naît la révolution haïtienne. Elle est issue du croisement de plusieurs mouvements séditieux nés au sein de la colonie et d’un autre événement, extérieur celui-là: la convo- cation des États généraux à Versailles. Un processus récurrent, qui matérialise le lien entre la métropole et les colonies est alors ré- activé. Dans cette relation indissociable s’or- ganise un jeu d’actions et de réactions que l’on retrouve tout au long de l’histoire colo- niale. La métropole joue souvent le rôle de déclencheur d’un mouvement, d’une révolte ou d’une révolution locale, permettant ainsi aux tensions qui se sont développées dans les colonies de se cristalliser à l’arrivée de chan- gements survenus d’Europe. En se manifes- tant sous des formes plus ou moins violentes, les revendications formulées par les colonies obligent alors la métropole à réagir et à modi- fier ses positions. Un va-et-vient s’instaure jusqu’à la résolution de la crise dont métropo- le et colonies sortent profondément changées. C’est bien ce mouvement interactif qui est à l’œuvre dans la révolution dominguoise. La colonie est déjà en pleine ébullition au mo- ment de la convocation des États généraux – qui n’accueillent pas de représentant de Saint- MYRIAM COTTIAS 5 Domingue. La division règne au sein de la population blanche : d’une part les « Améri- cains », fiers colons qui revendiquent le droit à la liberté de commerce contre la métropole qui impose le système de l’«exclusif»; et de l’autre les «petits blancs», sans fortune donc sans travail – car l’économie locale exige de plus en plus de capitaux pour s’installer – et auxquels ne reste plus, pour se démarquer des esclaves et des affranchis, que le « privilège » d’être «blancs». Une politique d’isolement des « races » se dessine peu à peu – d’autant plus qu’un cer- tain nombre de «libres» accèdent à l’instruc- tion et à la richesse en devenant propriétaires de plantations de café et en occupant des postes de pouvoir. Fruits d’unions entre blancs et noires, ces libres sont, de par leur dynamisme démographique, numériquement aussi importants que les blancs – environ 5 % en 1789. Après 1715 et malgré leur poids démographique et économique, les af- franchis sont traités en caste inférieure et vic- times de pratiques vexatoires. Leur sédition, qui débute en 1768 par une insurrection vi- sant à remplacer le gouverneur par un chef élu, dure un an. En 1790, quand l’assemblée générale de l’île instaure à nouveau ses lois discriminatoires, la guerre civile reprend sous le regard de la population esclave, elle-aussi divisée. En 1758, avait par exemple éclaté l’affaire Macandal, une affaire d’empoisonne- ment des maîtres, des esclaves et des animaux – plus rare à Saint-Domingue que dans les Petites Antilles – qui sème la terreur sur l’île. Macandal, esclave bossal né en Afrique, fut arrêté et condamné à mort avec ses complices pour avoir vendu à ses congénères paquets 6 INTRODUCTION magiques et maléfices divers. Les circons- tances de sa mort – il s’échappe pour être fi- nalement repris et brûlé vif – font de lui une légende qui circule dans l’ensemble de l’archi- pel. Macandal personnifia l’esclave résistant prêt à se battre jusqu’au bout pour sa liberté. Le climat d’instabilité est également entrete- nu par les bandes d’esclaves marrons (fugi- tifs) qui, bien que numériquement peu importantes, créent un climat de peur et d’in- sécurité en effectuant de véritables raids sur les plantations. Eux aussi symbolisent cette liberté acquise et combattante qui résonne profondément chez une population esclave née, pour moitié, en Afrique (particulière- ment au Congo) et de ce fait pas encore tota- lement créolisée. Tout bougeait donc, après des révoltes égre- nées tout au long du XVIIIe siècle, dans la Saint-Domingue de 1789. Pourtant, rien ne laissait présager la révolution et, surtout, l’entrée en scène des esclaves, qui conduisit en trois temps à l’abolition de l’esclavage puis, en 1804, à l’indépendance de la plus riche des colonies françaises. En mai 1791, l’Assemblée nationale in- dique les limites de la Déclaration des droits de l’homme en maintenant formellement l’es- clavage. Tandis que colons, petits blancs et gens de couleur libres se déchirent à Saint-Do- mingue et à Paris autour des questions de l’autonomie et de la pleine et entière citoyen- neté des affranchis, les esclaves du nord de Saint-Domingue, à majorité congo, se soulè- vent contre les colons français dans la nuit du 21 au 22 août 1791. La révolution naissante, organisée par un chef noir, Toussaint-Louver- ture, s’étendit à l’île tout entière. Le rapport MYRIAM COTTIAS 7 de force entre esclaves et pouvoir colonial est tellement favorable aux premiers que, pour garantir la continuité du travail et la produc- tion sucrière, Sonthonax, commissaire civil de Saint-Domingue, décrète, le 29 août 1793, l’abolition de l’esclavage dans le Nord puis, le 21 septembre dans l’Ouest et le 21 octobre dans le Sud. En retour, le 4 février 1794 à Paris, la Convention abolit l’esclavage dans l’ensemble des colonies. C’est la première abo- lition de l’esclavage, que Bonaparte rétablit en 1802. Décision qui provoqua l’indépendance de Saint-Domingue : l’expédition Leclerc, chargée par la métropole d’imposer un retour à l’ordre ancien, provoque le soulèvement gé- néral de l’île qui conduit, en 1804, à la procla- mation d’indépendance. Le joyau des colonies françaises était définitivement perdu. Ce rappel de l’histoire de Saint-Domingue n’est pas un simple détour mais le point de départ de notre objet : la seconde abolition de l’esclavage en 1848. En effet, l’expérience de Saint-Domingue constitue un vrai traumatis- me pour la politique coloniale française dans les Antilles au XIXe siècle : la blessure narcis- sique du colonialisme français. Saint-Do- mingue est le laboratoire expérimental du risque colonial. Elle permet de mesurer le risque constant que la France court dans ses sociétés esclavagistes. Elle éveille chez cer- tains à la fois la nostalgie de la grandeur et la peur de la violence. Elle donne à d’autres les arguments de la raison, et la raison, aussi bien morale que politique et économique, commande l’abolition de l’esclavage. Jusqu’en 1848, Saint-Domingue est une ré- férence omniprésente dans les textes aboli- tionnistes. Elle représente l’impossible oubli 8 INTRODUCTION quand 1848 provoque une sorte d’amnésie du passé dominguois. La France rompt alors avec ce passé : moins brutale, la seconde abolition permet d’évacuer des mémoires la violence de la guerre d’indépendance. Demeurent dans les seules colonies françaises des Antilles le sou- venir et la gloire de l’insurrection noire – les insurgés expulsés de Martinique et de Guade- loupe demandant souvent à être envoyés à Saint-Domingue. Saint-Domingue organise donc la réflexion abolitionniste du XIXesiècle. La perte de cette colonie a ébranlé le système colonial français et diffusé la peur. Les hommes politiques ont pris conscience des risques que représentaient ceux qui étaient considérés comme des êtres brutaux et hébétés, les esclaves. Dans un monde capitaliste en développement accéléré, cette peur des esclaves en rejoint une autre, celle des ouvriers. En 1831, le souvenir de Saint-Domingue est aussi présent en métro- pole : lors de la révolte des canuts, par exemple, un patron fit le parallèle entre la menace que constitue les ouvriers et celle re- présentée par les esclaves. Ce parallèle n’est pas innocent. Dans ce XIXesiècle des systèmes, les convictions se mê- lent aux calculs: il s’agit de garantir l’objectif moral affiché par la société – à savoir unifier l’État – et de préserver au mieux les intérêts économiques de la France. Entre 1814 et 1848, l’État philanthropique, qui entretient l’image d’un État tout entier catholique, s’est donné pour tâche de resocialiser ses margi- naux. La France métropolitaine découvre ses « populations pathologiques » : ouvriers, pri- sonniers et déments. Et cet État qui a pour volonté de soigner les maux sociaux pousse sa MYRIAM COTTIAS 9 réflexion jusqu’aux colonies et légifère sur ces marginaux archétypaux: les esclaves. Les mêmes maux sont stigmatisés : le dérè- glement des mœurs, le vagabondage, le vice, l’absence de mariage… Les mêmes hommes débattent de ces pro- blèmes : Albert de Broglie, Alexis de Tocque- ville, Alexandre Moreau de Jonnès, de Sismondi réfléchissent et légifèrent, pour cer- tains d’entre eux, sur les ouvriers ou les es- claves. Et ce sont les mêmes règles qui leur sont appliquées. En 1832, la loi supprime le marquage, les châtiments humiliants, les am- putations chez les prisonniers. Un an plus tard, le 30 avril 1833, les peines de mutila- tion et de marque d’esclaves sont abolies, et lorsque la liberté se présente, les prisonniers comme les esclaves sont patronnés. Des mo- dèles identiques sont utilisés pour structurer, organiser, corriger et éloigner du vice ces po- pulations. Il s’agit de construire la collectivité et de lui assurer un bonheur compatible avec les intérêts économiques du pays. L’équation était difficile à résoudre… Il fallait atteindre les objectifs moraux que s’était fixé un État prétendument catholique tout en garantis- sant, après l’abolition de l’esclavage, la conti- nuité du travail. S’il apparaissait évident qu’il fallait moraliser les marginaux en leur don- nant une éducation religieuse et en leur van- tant les fonctions curatives du mariage et de la famille, et s’il semblait assez inévitable que l’esclavage doive disparaître, les modalités de cette abolition entraînait de très longues dis- cussions et des débats agités et contradictoires dont on trouvera ici les plus pertinents et les plus vibrants. 10 INTRODUCTION L’émancipation devait-elle être brutale, sans condition et sans indemnités ? ou se faire graduellement, sur le modèle anglais, avec une période d’apprentissage ? Devait-on attendre que l’abolition de la traite et l’amé- lioration du sort des esclaves permettent à ces derniers d’accéder à la civilisation avant de les libérer ? Les hommes politiques français – dont un certain nombre, francs-maçons ou protestants, appartenaient aussi à la Société française pour l’abolition de l’esclavage créée en 1834 – lisaient assidûment les rapports sur les colonies anglaises. En 1807, Wilberforce avait fait voter l’interdiction de la traite des noirs sur les navires anglais. En 1833, l’Abo- lition Bill était voté : les esclaves étaient libé- rés mais devaient rester au service de leur maître pour une période d’apprentissage de quatre à six ans ; une indemnité était versée aux colons. En dehors d’Antigua, où l’éman- cipation fut immédiate, le système de l’ap- prentissage est supprimé plus tôt que prévu, en août 1838. Il n’aboutit pas, en effet, aux résultats attendus. Les rapports qui analysent ces résultats sont donc lus et discutés à Paris – critiqués aussi. L’Angleterre, transformée en championne de l’abolitionnisme, provoque des replis nationalistes. Au nom de la souve- raineté nationale, les Français refusent de se soumettre au modèle anglais. On soupçonne les Britanniques de vouloir saper la puissance française en provoquant une émancipation généralisée qui leur permettrait d’imposer leur sucre asiatique, moins cher, sur le mar- ché mondial. L’attitude de la France vis-à-vis de la traite n’évolua que lentement. En 1814, la traite est considérée comme un moyen de recons-

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