COLLECTION DES UNIVERSITÉS DE FRANCE publiée sous le patronage de l'ASSOCIATION GUILLAUME BUDÉ DRACO TIUS ŒlTVRRS TOME III LA TRAGÉDIE D' ORESTE POÈMES PROFANES I -V INTRODUCTION PAR JEAN BOUQUET ET ÉTIENNE WOLFF Maitres de Conférences aux Universités de Clermont -Ferrand et Paris XIII TEXTE ÉTABLI ET TRADUIT PAR JEAN BOUQUET Deuxième tirage PARIS LES BELLES LETTRES 2002 Conformément aux statuts de l'Association Guillaume Budé, ce volume a été soumis à l'approbation de la commission technique, qui a chargé M. Claude Moussy d'en faire la révision et d'en surveiller la correction en collaboration avec MM. Jean Bouquet et Étienne Wolff. Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays. © 2002. Société d'édition Les Belles Lettres 95 boulevard Raspail, 75006 Paris www.lesbelleslettres.com Première édition 1995 ISBN: 2-251-01382-2 ISSN: 0184-7155 INTRODUCTION L L'ŒUVRE PROFANE DE DRACONTIUS PRÉSENTATION GÉNÉRALE LES DIX POÈMES DU NEAPOLITANUS L'œuvre profane de Dracontius parvenue jusqu'à nous est importante et variée. Elle comprend tout d'abord les dix pièces transmises par le Neapolitanus Bibl. nat. IV E 48 (N), auxquelles on donne communément, depuis l'étude de W. Meyer 1, le titre générique de Romulea. Leur attribution à Dracontius ne fait aucun doute, attestée qu'elle est par le titre de la pièce 1 et la souscription de la pièce 5 2, ainsi que par le Florilège de Vérone - Florile gium Veronense Bibl. cap. CLXVIII (155) ( V) -, qui cite des vers tirés des pièces 8 et 9 en les faisant précéder de l'indication Blosus in Romulea 3 De plus les poèmes 6 • et 7 contiennent des renseignements biographiques sur l'incarcération et la libération du poète 4 • 1. W. Meyer, Die Berliner Centones der Laudes Dei des Dracon tius, S.P.A. W., 15, 1, 1890, p. 257-296. Sur la pertinence de cette appellation, voir infra, p. 18-24. 2. Pour ce qui est des indications biographiques fournies par les titres et les souscriptions des poèmes de N, voir l'introduction de CL Moussy aux Œuvres de Dracontius, Paris, 1985, C.U.F., t. 1, p. 8 sq. 3. Sur le Florilegium Veronense, voir infra, p. 77-78. Il a été édité par Ch. J. Gross, The Veronaflorilegium of 1329, Diss. Chapel Hill, 1959. 4. Voir Cl. Moussy, C.U.F., t. l, p. 29-30. 8 INTRODUCTION L'ORESTIS TRAG0EDIA Bien que l'Orestis tragoedia nous soit parvenue sans nom d'auteur, on p_eut la considérer en toute certitude comme une œuvre de Dracontius, et (( l'histoire de son identification >>, écrit Fr. Chatillon, << forme l'un des chapitres les plus étonnants qui soient dans les annales de la philologie latine 5 >> • L'œuvre fut publiée pour la première fois en 1858 à Rudolstadt par C. W. Müller qui, se fondant sur des critères linguistiques, refusa sans autres précisions de l'attribuer à un poète de l'époque classique 6• J. Mahly, quelques années plus tard 7, fixa la composition du poème à la fin du ve ou au début du VIe siècle, mais, trompé par la prière finale en faveur de la Grèce, soutint que son auteur était grec. K. Schenkl approcha bien davantage de la vérité : s'appuyant sur une comparaison avec les écrits de Luxorius et de Corippe, il vit dans l'Orestis tragoedia l' œuvre d'un Africain de la fin du v" ou du début du VI" siècle 8 Cependant l'événement décisif fut la publi • cation en 1871 de l'Orestis tragoedia à la suite du De raptu Helenae par le cardinal érudit Angelo Mai qui, le premier, en avait perçu la communauté d'auteur 9• En éditant en 1873 chez Teubne:r les Carmina minora de Dracontius, Fr. de Duhn :rendit plus éclatante encore aux · 5. Fr. Chatillon, Dracontiana, R.M.A.L., 8, 1952, p. 200. 6. C. W. Müller, Carmen epicum inscriptum Orestis tragedia quod ex codicibus Bongarsiano et Ambrosiano primum edidit C. W. M., Rudolstadt, 1858. 7. J. Mably, Anonymi Orestis tragoedia emendatiorem edidit J. M., Lipsiae, 1866, notamment p. XI-XIII, XVI-XVII et XXXIX. 8. K. Schenkl, Orestis tragoedia, carmen epicum saeculo post Christum natum sexto compositum emen.datius edidit K. S., Pragae, 1867. 9. A. Mai, Appen.dix ad opera edita ab Angelo Maio contin.ens quaedam scriptorum veterum poetica, historica, philologica e codici bus collecta, Romae, 1871, notamment p. 1 et 10. INTRODUCTION 9 yeux de tous les critiques la parenté entre ces pièces et l'Orestis tragoedia 10• Dès 1875, R. Peiper publia à nouveau le poème en l'attribuant nommément à Dra contius et établit d'innombrables parallèles avec les autres œuvres du poète carthaginois 11• Se fondant su:r rlP.s ~r1tP.rP.s lingnistiqrn~s, proso.liqn"'s, littéraires, et sur le traitement des données mythologiques, successivement B. W esthoff 12, K. Rossberg 13, B. Barwinski 14 et C. Giar :ratano 15 parachevèrent la tâche et assurèrent la paternité de D:racontius sur l'Orestis tragoedia. Les résultats de cet immense travail de recherche ne laissent aucune place au doute et l'on peut adhérer en toute sûreté à la conclusion de Giarratano : << Dubium enim esse non potest quin Orestem Dracontius composuerit >) 16• LE DE MENSIBUS ET LE. DE ORIGINE ROSARUM Le De mensibus et le De origine rosarum sont deux courtes pièces qui nous ont été conservées par. Bernardino Corio dans son Historia di Milano 17• Dans cette œuvre 10. Fr. de Duhn, Dracontii carmina minora plurima inedita ex codice Neapolitano edidit Fr. D., Lipsiae, 1873. 11. R. Peiper, Dracontii Orestes tragoedia recensuit R. P., W:ratislaviae, 1875, notamment p. 44-54. 12. B. W esthoff, Quaestiones grammaticae ad Dracontii carmina minora et Orestis tragoediam spectantes, Diss. Monasterii, 1883. 13. K. Rossberg, In Dracontii carmina minora et Orestis quae vocatur tragoediam observationes criticae, Stadae, 1878; De Dracon tio et Orestis quae vocatur tragoediae auctore eorundem poetarum Vergilii_ Ovidii Lucani Statii Claudiani imitatoribus, Nordae, 1880. 14-. B. Barwinski, Quaestiones ad Dracontium et Orestis tragoe diam pertinentes. Quaestio I : De genere dicendi, Diss. inaug. Gottingae, 1887; Quaestio II : De rerum mythicarum tractatione, Progr. n° 26 des Gymn. Deutsch-Krone, 1888; Pars III : De rationibus prosodiacis et metricis, Progr. n° 27 des Gymn. Deutsch Krone, 1890. 15. C. Giarratano, Commentationes Dracontianae, Neapoli, 1906. 16. Commentationes Dracontianae, p. 200. 17. ~- Cor_io, 1!ef dfola1:ensis p_atri<:e historia, Mediolani, 1503 f. 10 v (=Historia di Milano, Vinegrn, 1554, p. 13, ou 1565, t. 1, 10 INTRODUCTION que l'abbé Du Bos 18 qualifie de si curieuse et si connue << de tous les savants », Corio reproduit les deux poèmes après avoir fait mention d'un Transimondo Conte di << Capua a laude dil quale Dracontio poeta elegantemente scripse ... >>. A. Riese 19 et E. Bahrens 20 ont montré que derrière le << Transimondo Conte di Capua >>a uquel Corio croit le panégyrique adressé, il fallait reconnaître Thra samond, le roi vandale auquel Dracontius doit sa libé ration 21• L'authenticité des deux poèmes ne fait donc aucun doute et elle est admise par tous les critiques 22• Fr. Vollmer fait d'ailleurs remarquer à juste titre que le vers 6 du De origine rosarum reproduit à un mot près, selon le procédé de l'autocitation si fréquent chez Dracontius, le vers 162 de la Satisfactio 23, ce qui corrobore l'attribution à Dracontius des deux pièces découvertes par Corio. LES FRAGMENTS Le Florilegium Veronense cite sous l'indication Bloxus in Romulea un fragment qui ne correspond à rien de ce que nous possédons de Dracontius par ailleurs. Comme les trois autres citations du florilège reproduisent bien des p. 30; l' œuvre est généralement citée avec le titre qu'elle prend à partir de sa deuxième édition). Sur ces deux poèmes, voir infra, p. 57. 18. J. B. Du Bos, Réflexions critiques sur la poésie et la peinture 3, 1740, I, 46. 19. A. Riese, Zu Dracontius, Rh.M., 32, 1877, p. 319-320. C'est à lui que revient le mérite d'avoir découvert ce passage. 20. E. Bahrens, Neue Verse des Dracontius, Rh.M., 33, 1878, p. 313-316. 21. Voir Cl. Moussy, C.U.F., t. 1, p. 30. 22. Voir en particulier E. Provana, Blossio Emilio Draconzio. Studio biografico e letterario, Memorie della Reale Accademia delle Scienze di Torino, 62, 1912, p. 31/53 (il y a une double pagination); J. M. Diaz de Bustamante, Draconcio y sus carmina profana, Santiago de Compostela, 1978, p. 93-94. 23. Fr. VoHmer, Blossii Aemilii Dracontii carmina, M.G.H., A.A., t. XIV, Berolini, 1905 (rééd. 1961), p. VI et note 4. INTRODUCTION 11 vers authentiques du poète (respectivement Rom. 9, 5; 9, 8-9; 8, 131-132), on est en droit de conclure que le fragment produit par le florilège appartient bien à un poème de Dracontius aujourd'hui perdu 24 • L'imitation même de Lucain 25, l'un des modèles favoris du poète carthaginois 26, et l'allure indubitablement << dracon tienne >> de l'expression ne permettent pas le doute. Dans son Historia patriae 27, Tristano Calco cite deux vers que, dit-il, un << Dracontius vero Vandolorum tempo ribus non incultus versificator ( ... ) scripsit » et qu'il déclare tirer d'un manuscrit de Bobbio. Le fait que Calco fournisse une précision chronologique inconnue de son époque suppose le recours à un manuscrit bien informé de la vie de Dracontius et suffit pour authentifier ces deux vers, dont l'expression, par ailleurs, rappelle tout à fait celle du poète carthaginois. Il est impossible de savoir à quelle œuvre se rattache ce fragment et l'hypothèse avancée par J. M. Diaz de Bustamante - avec beaucoup de prudence il est vrai - qu'ils pourraient s'insérer en Rom. 10, entre les vers 542 et 558, est invérifiable 28• Tels sont donc les œuvres et les fragments, dont l'authenticité paraît assurée, qu'on trouvera dans ce tome -troisième et dans le suivant, et avec lesquels s'achève l'édition des Œuvres de Dracontius dans la C.U.F. On a parfois tenté d'attribuer à Dracontius la paternité d'autres œuvres. C'est tout particulièrement le cas pour l'Aegritudo Perdicae (Anth. lat. 808), un epyllion de 290 24. E. Provana, Draconzio, p. 31/53, remarque en effet qu'on ne dispose d'aucun argument suffisant pour hsérer le fragment du Florilegium Veronense dans l'une des lacunes connues des pièces du Neapolitanus. 25. L'argument est avancé par Fr. Vollmer, M.G.H., p. xxxn. 26. Voir CL Moussy, C.U.F., t. 1, p. 60 et infra, p. 63-64. 27. Tr. Calco (ou Calchi), Historia patriae, Mediolani, 1627, p. 55- 56. Sur ce passage, voir infra, p. 74-75. 28. J. M. Diaz de Bustamante, Draconcio, p. 260. De même M. Ferrari a été bien légère en suggérant par le titre d'un de ses articles (Spigolature Bobbiesi.- Ill. Due versi edidi-inediti di un perduto « Romuleon » di Draconzio, l.M. U., 16, 1973, p. 31-41) que ces deux vers appartiendraient aux Romulea. 12 INTRODUCTION vers qui relate l'amour incestueux du jeune Perdiccas pour sa mère Castalie, et que E. Bahrens 29 a édité juste avant les Carmina profana de Dracontius et Fr. Vollmer 30 à la suite de ceux-ci. À propos de cette œuvre, Cl. Moussy 31 récapitule ainsi les données du problème : Pour ce << qui concerne l'Aegritudo Perdicae ( ... ) les avis des érudits divergent : à la suite de Bahrens, Vollmer a été tenté de considérer l'Aegritudo Perdicae comme une oeuvre de Dracontius, mais il n'a pas fourni d'argument vraiment déterminant. E. Provana a préféré l'hypothèse qui fait de l'auteur un imitateur de Dracontius. P. Lan glois a estimé que la question n'était pas encore résolue. Une étude de la prosodie et de la métrique de l' œuvre, aussi précise que celle que K. Rossberg a menée pour essayer d'établir la paternité de l' In laudem solis, devrait permettre d'aboutir à des conclusions plus sûres ». Cette étude a été menée à bien par É. Wolff, et les conclusions s'en sont révélées négatives 32 : << Si l' Aegritudo Perdicae présente certaines ressemblances avec les epyllia de Dracontîus, celles-ci touchent principalement le sujet traité (l'amour :malheureux), car les autres sont pour la plupart des faits de langue, de prosodie ou de métrique communs aux écrivains tardifs. En revanche les différences entre les deux auteurs sont nombreuses et significatives : elles portent principalement, nous l'avons vu, sur le vocabu laïre, les figures de style, les coupes et les élisions. Aussi ne nous paraît-il pas possible d'attribuer à Dracontius la paternité de l'Aegritudo Perdicae >>. Tout récemment W. Schette:r 33, reprenant le problème, a même précisé que l'Aegritudo Perdicae est antérieure à D:racontius, qui s'en serait inspiré. 29. E. Bahrens, P.L.M., t. 5, Lipsiae, 1883, p. 112-125. 30. Fr. Vollmer, P.L.M., t. 5, Lipsiae, 1914, p. 238-250. 31. ÇL Moussy, C.U.F., t. 1, p. 39-40. 32. E. Wolff, L' « Aegritudo Perdicae » : un poème de Dracon tius ?, R.Ph., 62, l, 1988, p. 79-89. Le passage est tiré des p. 88-89. 33. W. Schetter, Vier Adnoten zur Aegritudo Perdicae, Hermes, 119, 1991, p. 94-113. '