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Dix enjeux économiques pour 2017 PDF

98 Pages·2017·20.958 MB·French
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Sommaire DOSSIER 60 Pourquoi la France peine-t-elle à s’inspirer CAHIERS FRANÇAIS 1 ÉDITORIAL de modèles étrangers ? par Markus Gabel Équipe de rédaction Annick Steta Philippe Tronquoy 2 La situation économique 66 Infographie : (rédacteur en chef) et sociale des Français : France, portrait économique Markus Gabel (analyste-rédacteur) les chiffres « classiques » et social Jean-Claude Bocquet et au-delà (secrétaire de rédaction) Pascale Hébel DÉBAT Martine Paradis (Secrétaire) 7 Marché du travail : pourquoi 68 Faut-il rétablir un service l’emploi ne décolle-t-il toujours Conception graphique national obligatoire ? Bernard Vaneville pas vraiment en France ? Illustration Yannick L’Horty 68 1. Un service national Manuel Gracia obligatoire déstabiliserait notre Édition 15 Des finances publiques appareil de défense Carine Sabbagh en transition Sébastien Jakubowski Promotion Anne-Sophie Château Michel Bouvier 73 2. Pour un service national obligatoire Avertissement au lecteur 21 L’enjeu de la concurrence Julien Damon Les opinions exprimées en France, le cas des services dans les articles n’engagent que leurs auteurs. Vincent Aussilloux et Lionel Janin POLITIQUES PUBLIQUES Ces articles ne peuvent être reproduits sans autorisation. 28 Replacer les acteurs de 77 La loi biodiversité : Celle-ci doit être demandée à terrain au cœur de la formation La Direction de l'information une vraie politique de professionnelle initiale légale et administrative reconquête de la biodiversité ? 26, rue Desaix René Lasserre 75727 Paris Cedex 15 Alexandra Langlais ou 34 Financement de l’innovation, et Jacques Baudry [email protected] où en est la France ? © Direction de l’information Laurent Quignon LE POINT SUR… légale et administrative, Paris 2017 En application de la loi du 11 mars 1957 (art.41) 41 Vivre avec moins 83 Un nombre croissant et du code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992, toute reproduction partielle de croissance : sortir de la de détenus dans les prisons ou totale à usage collectif de la présente publication nostalgie des Trente Glorieuses françaises est strictement interdite sans autorisation expresse de l’éditeur. Il est rappelé à cet égard Michèle Debonneuil Annie Kensey que l’usage abusif et collectif de la photocopie met en danger l’équilibre économique 47 Low cost ou investissement des circuits du livre. BIBLIOTHÈQUE dans la qualité ? Quelle stratégie économique 92 Denis Lacorne, IMPACT-ÉCOLOGIQUE et sociale pour la France ? www.dila.premier-ministre.gouv.fr Les frontières de la tolérance, IMPAPCITC S DU’CROL LZI’ MOEANAUET 1268 3g69 e mgq e gPq Oe Cq4O 3C-22 H4Pour un ouvrage B g5hr3ue n totQo Puïsaaalirettirioenrs prioritaires, ÉcPordélilts.i oe«nn Lst’ée G sppaalrlrii tmA dnaert dola,in cei tSéa »in, t2-D01e6nis Cet imprimé applique l'affichage environnemental. et politique de la ville u Version papier : 272 pages. Plus de 200 photos. 27 € La 50 mm x 40 mm Julien Damon u Version livre numérique enrichi : 288 photos supplémentaires documentation et plus de 50 minutes de vidéos et d’entretiens. 9,99 € Française pub les murs dans QI.indd 1 01/10/2015 12:11 CF 396 Dix enjeux économiques pour 2017 Cou.indd 2 05/12/2016 16:03 ÉDITORIAL L’AVENIR EST EN JEU ll reste moins de quatre mois avant le premier tour de la présidentielle et le débat public s’intensifie. Comme à chaque fois, cette élection est l’occasion de revenir sur les grandes questions qui se posent à la nation, d’identifier les enjeux essentiels et de proposer quelques options sur la base desquelles des politiques futures pourraient être construites. Un débat protéiforme Après une année 2016 très marquée par des thématiques liées à la sécurité intérieure et la politique internationale, les sujets économiques et sociaux sont revenus au centre des préoccupations ces dernières semaines. Il est vrai que la France traverse une crise sérieuse : la croissance est faible, le chômage élevé et la situation des finances publiques très dégradée. Par ailleurs, le contexte global risque de devenir moins favorable : l’« alignement exceptionnel des planètes » – des taux d’intérêt quasi nuls, un pétrole peu cher et un euro faible – a soutenu une reprise timide, mais il ne durera pas éternellement et les pressions sur l’économie française pourraient ainsi très vite se renforcer. Dans tous ces domaines, les Français ne manquent pas d’information : les émissions de débat à la télévision sont légion, Internet et les réseaux sociaux foisonnent, la radio et les journaux sont toujours très consultés. Cette abondance donne-t-elle satisfaction aux citoyens ? On peut en douter si on regarde le baromètre annuel de confiance des Français dans les médias qui fait état d’une défiance croissante envers la profession, ainsi qu’une crédibilité d’Internet en baisse. Sortir des sentiers battus Certains critiquent une information sans boussole, d’autres la récurrence de certains thèmes, d’autres encore un traitement trop déconnecté du quotidien des Français. Le plus souvent, ils appellent à un nouveau contrat de lecture se traduisant par un autre choix des sujets et des angles. Pour ce premier numéro de l’année, les Cahiers français ont pris une voie inédite. Contrairement à notre habitude d’approfondir une seule thématique, la revue a choisi dix thèmes pour mieux suivre le débat d’idées de la période électorale qui s’ouvre devant nous. Parmi les thèmes abordés, on trouvera des sujets incontournables – pourquoi l’emploi ne décolle-t-il toujours pas vraiment en France ? – mais également des questions injustement négligées : les prix des services sont-ils trop élevés dans l’Hexagone ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas dans notre système de formation professionnelle initiale ? Que peut- on attendre d’un investissement dans la qualité ? Et, enfin, pourquoi est-il si difficile de s’inspirer des expériences étrangères ?… Bonne lecture et une bonne année 2017 ! Markus Gabel LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DES FRANÇAIS : LES CHIFFRES CLASSIQUES ET AU-DELÀ Pascale Hébel Directrice du pôle Consommation et entreprise (CRÉDOC) En France, la progression du niveau de vie moyen a nettement ralenti : une quasi-stagnation a été enregistrée sur la dernière décennie. Cette situation, qui contraste avec le passé, est la conséquence d’une crise économique qui dure depuis près de dix ans et qui exerce une pression financière de plus en plus forte sur les consommateurs. Elle est renforcée par le poids des dépenses contraintes, également en progression sur le long terme. Cet ensemble d’évolutions conduit à un déséquilibre de répartition des revenus en faveur des plus de 50 ans, les jeunes générations gagnant moins en même âge que celles nées vingt ans plus tôt – une inégalité qui est plus forte en France que dans d’autres pays européens. Si la cohésion sociale commence à se fragiliser, d’autres tendances, notamment de nouvelles formes de consommation, se développent et tendent à combler en partie le manque de lien social. C. F. Depuis 10 ans, le niveau de vie moyen(1) des Une crise économique qui dure Français n’a pas évolué. Entre 2005 et 2015 il n’a que depuis près de 10 ans progressé de 0,3 % par an, tandis que de 1995 à 2005, la progression était de 1,3 % par an.À cette stagnation En 2016, le taux de chômage culmine à son plus haut du pouvoir d’achat s’ajoute une forte hausse du poids niveau historique, au seuil de 10 % de la population active : des dépenses contraintes, notamment celles du loge- cela représente environ 3 millions de personnes, auxquelles ment. Ces contraintes touchent plus particulièrement on pourrait rajouter 1,5 million de personnes inactives qui les jeunes générations qui ne voient toujours pas de souhaiteraient un emploi (halo autour du chômage). Depuis rattrapage de niveau de vie en leur faveur. Les travaux 25 ans, le taux de chômage n’a jamais diminué en dessous du Centre de recherche pour l’étude et l’observation de 7 %. Un autre phénomène est à l’œuvre, et il est sans des conditions de vie (CREDOC) révèlent que, dans précédent depuis la fin de la Seconde guerre mondiale : ce contexte, les jeunes générations de consommateurs le pouvoir d’achat des ménages n’a pas progressé depuis doivent faire face à un contexte fortement défavorable une dizaine d’années (graphique 1). Même lors de la (taux de chômage des plus élevés d’Europe : 24 % pour profonde crise de 1993, le pouvoir d’achat par « unité les moins de 25 ans contre 19% pour la moyenne de de consommation » (UC) avait progressé (légèrement, l’Europe en mars 2016, poids plus élevé des dépenses certes). Les consommateurs sont aujourd’hui confrontés de logement). Elles sont contraintes de s’adapter (elles à de fortes pressions financières : deux personnes sur trois vivent plus souvent en colocation ou chez leurs parents) déclarent ainsi qu’elles s’imposent régulièrement des et adoptent de nouvelles stratégies de consommation restrictions sur plusieurs postes de leur budget(2). Cette en utilisant le digital. pression financière est d’autant plus forte que le poids des (1) Le niveau de vie est le pouvoir d’achat par unité de consom- (2) CREDOC, enquête « Conditions de vie et aspirations des mation. Français » 2 CAHIERS FRANÇAIS N° 396 DOSSIER - LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DES FRANÇAIS : LES CHIFFRES CLASSIQUES ET AU-DELÀ charges de logement n’en finit pas d’augmenter depuis Graphique 3. Revenu disponible brut par ménage les années 1960. Les ménages sont pris en tenaille entre selon l’âge en 2014 le coup de frein du pouvoir d’achat et la progression des 45 000 41 200 dépenses « contraintes » ou « pré-engagées », lesquelles 40 000 40 110 39 570 35 310 36 030 réduisent les dépenses « arbitrables » des consommateurs 35 000 31 670 à une peau de chagrin (graphique 2). 30 000 28 290 25 000 Graphique 1. Évolution du pouvoir d’achat 20 000 18 120 par unité de consommation (indice 100 en 1990) 15 000 130 Crise des subprimes de 2008 10 000 125 5 000 0 18 à 24 ans 25 à 34 ans 35 à 44 ans 45 à 54 ans 55 à 64 ans 65 à 74 ans 75 ans Ensemble 120 et plus des ménages Source : INSEE, enquêtes Revenus sociaux et fiscaux. 115 Au même âge, les dépenses de logement par UC sont plus élevées pour les plus jeunes générations que pour 110 les générations les plus âgées. Les classes moyennes et 105 Crise de 1993 les jeunes générations voient le rêve de l’ascenseur social s’éloigner, et elles nourrissent une rancœur particulière 100 19901991199219931994199519961997199819992000200120022003200420052006200720082009201020112012201320142015 à l’égard d’un système social qui, à les entendre, ne les protège plus des chocs économiques, voire les accable Source : INSEE. d’impôts. La crainte du déclassement est grande, de même Graphique 2. Coefficient budgétaire des dépenses que la peur de tomber dans la trappe de la pauvreté. De « pré-engagées »(1) dans les dépenses de fait, 8,6 millions de personnes vivent sous le seuil de consommation pauvreté, avec moins de 1 000 euros par mois. 40 33,7 % Le constat d’une inégalité de revenus entre les géné- 35 rations est apparu au début des années 1980. Les travaux 30 menés au milieu des années 1990 (Chauvel, 1998), 25 montrent que si les générations nées jusqu’à la Seconde 20 guerre mondiale avaient eu à chaque âge un niveau de vie 15 14,8 % supérieur à celui des générations précédentes, ce n’était 10 plus le cas à partir des générations nées après 1950. Le 5 phénomène s’inverse pour les jeunes générations : au 0 même âge, les jeunes générations gagnent relativement 19591961196319651967196919711973197519771979198119831985198719891991199319951997199920012003200520072009201120132015 moins que les générations les plus âgées. Selon la der- (1) Il s’agit ici des dépenses que l’INSEE qualifie de « pré-engagées », et dont les charges liées au logement représentent la plus grande part. Source : INSEE. nière enquête Budget des ménages de 2011, le constat La hausse du poids des dépenses pré-engagées reste le même : les jeunes générations gagnent moins s’explique essentiellement par une hausse du coût du au même âge que celles qui sont nées vingt ans plus logement au cours des dernières décennies. L’insuffisance tôt. En 2014, les revenus disponibles bruts par ménages de construction de logement a conduit à un renchérissement restent plus élevés pour les 35-64 ans (voir graphique 4) des loyers. Le poids des dépenses en énergie s’est stabilisé et en 20 ans, les revenus disponibles bruts par ménage depuis une dizaine d’années et n’explique pas la hausse du ont surtout augmenté pour les 65-74 ans. La « généra- poids du logement dans les dépenses de consommation. tion Hypermarchés », née entre 1947 et 1956 ans, qui a entre 60 et 69 en 2016, est celle qui possède le plus de Un déséquilibre de répartition des patrimoine en 2015 (354 100 euros contre 269 100 euros revenus en faveur des plus de 50 ans en moyenne). Ainsi, comme le montre Chauvel (1998), la répartition des revenus se fait au détriment des jeunes générations. La faiblesse des revenus des 18-29 ans, ne La hausse du poids du logement touche particuliè- s’explique pas par un écart de niveau de diplôme, puisque rement les classes moyennes et les jeunes générations. les jeunes générations ont un niveau plus élevé de diplôme CAHIERS FRANÇAIS N° 396 3 DOSSIER - LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DES FRANÇAIS : LES CHIFFRES CLASSIQUES ET AU-DELÀ Graphique 4. Évolution des revenus disponibles bruts Une cohésion sociale fragilisée par ménage selon l’âge entre 1996 et 2014 (base 100 en 1996) en euros constants Jamais, depuis près de 30 ans que l’INSEE suit le 140 moral des Français, l’indicateur de confi ance des ménages 130 65-74 ans 55-64 ans n’avait été aussi bas que fi n 2008. Très lié à l’évolution 120 du chômage comme le montre le graphique 5, le moral 75 ans et plus 110 35-44 ans des Français remonte depuis début 2014 et est revenu au 45-54 ans 25-34 ans 100 niveau d’avant crise. La stagnation des prix et la reprise 18-24 ans de l’emploi expliquent ce regain de confi ance. Cepen- 90 dant, de multiples lignes de faille fragilisent aujourd’hui 80 199619971998199920002001200220032004200520062007200820092010201020112011201220132014 la cohésion sociale. Tout d’abord, la confi ance de nos Sources : CCMSA ; Cnaf ; Cnav ; DGFiP ; DGI ; INSEE, enquêtes Revenus fiscaux et sociaux rétropolées 2000 à 2 0 0 4 - Enquêtes Revenus fiscaux et sociaux 2005 à 2014. concitoyens dans les femmes et les hommes politiques n’a jamais été aussi faible depuis 35 ans. Aujourd’hui, seuls 25 % de la population disent avoir confi ance dans que les générations précédentes. Cette inégalité est plus le président de la République, contre 75 % au début des forte en France que dans plusieurs autres pays européens. années 1980. Tout au long de cette période, le corps social À partir de l’enquête SILC de 2009, on a pu calculer que n’a eu de cesse de se radicaliser. Ce changement radical les ménages dont le chef de ménage a moins de 30 ans, de société est plus fortement souhaité par les jeunes géné- gagnent 23 % de moins que ceux dont le chef de ménage rations. Au même âge, dans la « génération Nomade » a plus de 30 ans (Hébel et Mathé, 2012). Les écarts ne (née entre 1987 et 1996), 42 % des individus souhaitent sont que de 14 % en Italie, 10 % en Allemagne et 12 % des changements radicaux, contre seulement 28 % dans au Royaume-Uni. Du fait de la faiblesse de leurs revenus la « génération Hypermarché » (née entre 1947 et 1956) et de leur appétence à consommer, les jeunes ménages ou 18 % dans la « génération Pénurie » (née entre 1907 installés ont des niveaux de dépenses plus élevés que et 1916). Les nouvelles générations sont différentes de leur niveau de revenu. Ils ont donc recours au crédit ou celles d’hier, l’image du concitoyen conservateur et hos- à des dons de la part de leur famille. tile à tout changement sociétal mérite d’être interrogée, et, Graphique 5. Confiance des ménages et variation annuelle du nombre de chômeurs (échelle inversée) Source : INSEE. 4 CAHIERS FRANÇAIS N° 396 DOSSIER - LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DES FRANÇAIS : LES CHIFFRES CLASSIQUES ET AU-DELÀ Graphique 6. Proportion d’individus souhaitant des réformes radicales de la société entre 1979 et 2013 selon les générations (découpage du CREDOC) En % 45 Génération nomade (1987-1996) Génération service 40 Génération internetGénération low cost (1957-1966) (1977-1986) (1967-1976) Génération robots ménagers 35 1996 2006 (1937-1946) 2001 2011 Génération réfrigérateurs 30 1979 1986 Généra(t1i9o4n7 h-1y9p5e6r)marché 2013 (1927-1936) 1991 1981 25 Génération rationnement (1917-1926) 20 Génération pénurie 15 (1907-1916) 10 5 0 18-22 23-27 28-32 33-37 38-42 43-47 48-52 53-57 58-62 63-67 68-72 73-77 78-82 83-87 88 ans ans ans ans ans ans ans ans ans ans ans ans ans ans ans et plus Lecture : la « génération Hypermarché » née entre 1947 et 1956 a entre 60 et 69 ans en 2016, elle est plus nombreuse au même âge à vouloir des changements radicaux de société que la « génération réfrigérateurs ». Source : CREDOC, selon l’enquête « Conditions de vie et aspirations ». probablement, elle s’appliquera encore moins à l’avenir. qu’il y a trois ans. La crainte d’un repli communautaire Les jeunes générations sont, par rapport aux trentenaires est nettement plus présente aujourd’hui à la suite des d’il y a trente ans, davantage perméables aux événements différents actes terrorismes sur le territoire Français. sociétaux et donc sensibles à l’idée de changement. La société évolue avec l’arrivée de nouvelles générations De nouvelles formes de plus ouvertes au monde et aux réformes. consommation collaborative Les institutions elles-mêmes vacillent : 71 % des Français considèrent que la justice fonctionne mal en Alors que la cohésion sociale est menacée et que France. Le quatrième pouvoir est discrédité : seuls les institutions traditionnelles peinent à fédérer, des 32 % font confiance aux médias. Tout cela s’inscrit nouveaux modes de consommation autour de la consom- dans un contexte où près de 3 personnes sur quatre mation collaborative se mettent en place pour combler se sentent déclassées, considérant appartenir au bas le manque de lien social. En 2015, 45% des Français de l’échelle sociale, dans une société où les inégalités ont déjà vendu un produit d’occasion sur internet, et progressent sans cesse (8 personnes sur dix partagent 43% en ont déjà fait l’achat. La vente et la location de cette opinion). Pendant plusieurs années, l’individua- biens par des particuliers vers des particuliers est en lisme, loin devant tout le reste (chômage, pauvreté, plein essor. Trois Français sur quatre ont déjà acheté discriminations, mondialisation, etc.), était considéré un bien sur une plateforme de vente entre particuliers comme le principal obstacle du vivre ensemble. Le désir en 2014. Du côté de la location entre particuliers des uns et des autres d’assouvir librement et prioritai- (location de logement, covoiturage...), certains sites rement leurs besoins et aspirations personnelles était très récents, font une progression remarquable depuis ainsi perçu comme le primat d’un « chacun pour soi » leur création (Blablacar, Airbnb, La ruche qui dit oui, antinomique avec toute possibilité d’une société unie. etc.). Deux nouvelles formes de consommation per- Si l’individualisme reste toujours en tête des facteurs de mettant de faire des économies se sont consolidées : les fragilité des liens sociaux, il inquiète beaucoup moins achats d’occasion et l’e-commerce (parfois confondus CAHIERS FRANÇAIS N° 396 5 DOSSIER - LA SITUATION ÉCONOMIQUE ET SOCIALE DES FRANÇAIS : LES CHIFFRES CLASSIQUES ET AU-DELÀ Graphique 7. Proportion d’achat et de vente éthiques : « J’ai mon permis depuis 7 ans mais je ne de produit d’occasion conduis pas, je trouve que ça pollue et quand je pars En % en voyage, je m’arrange avec quelqu’un ». Un autre 50 46 45 facteur intervient dans cette nouvelle consommation, 45 43 40 la recherche du lien social et le partage. Ces nouvelles 40 38 35 33 33 34 formes se développent rapidement et intensément grâce 30 27 aux plateformes Internet qui mettent en relation les 25 25 particuliers qui échangent des services et des objets : 20 16 17 « L’occasion existait avant Internet, c’était le journal, 15 l’annonce, le bouche à oreille » ; « Je n’ai jamais acheté 10 une voiture neuve. Je fais les petites annonces (…) la 5 0 dernière fois, c’était sur le journal. Maintenant j’irais Avez-vous déjà acheté un produit d’occasion Avez-vous déjà vendu un produit sur internet ? sur le Bon Coin » (H+55) ; « C’est vite fait pour trouver sur internet ? 2007 2009 2011 2012 2013 2014 2015 ce qu’on veut avec un moteur de recherche » (H40-54). (non disponible) Source : enquêtes « Tendances de Consommation », CREDOC. En arrière-plan, la consommation collaborative permet de consommer durable. Les enquêtes du CREDOC, dans une seule modalité : l’achat d’occasion sur Inter- « Tendances de consommation » montrent que si le net), cités respectivement par un quart et un tiers de la prix, les garanties d’hygiène et de sécurité ainsi que population (Siounandan et al., 2014). En cela la France l’exigence de qualité occupent une place très impor- se différencie de ses voisins, car la mise en place de tante dans l’esprit des consommateurs, les facteurs de la consommation collaborative y est plus développée : consommation plus engagée sont largement présents : par exemple, 63% des Français ont déjà acheté des mise en valeur des attributs des produits liés à l’origine produits d’occasion contre 59% pour une moyenne de locale (Made in France), aux modes de fabrication et 12 pays européens (Cetelem, 2013). Plus largement, de distribution. En 2016, le critère made In France les usages partagés (location, réemploi, troc et don) pour la première fois depuis 15 ans arrive en première se sont fortement développés en début de crise écono- position. Facteur de rassurance, les motivations d’achat mique (Colin et al., 2015). Ainsi, pour l’ensemble des durable font aujourd’hui jeu égal avec celles relatives à biens durables (hormis l’informatique), la part d’actes la marque et aux labels. Les garanties écologiques, la d’occasion progresse fortement. Les achats d’occasions fabrication dans la région ou le souci du fabriquant du se font avant tout de façon informelle entre particuliers. droit des salariés incitent plus les Français à se diriger vers tel ou tel produit que la marque ou la présence Le premier facteur explicatif de la consommation d’un label de qualité. collaborative est économique, les plus modestes sont ceux qui la pratiquent le plus. Vient ensuite le facteur générationnel. Au milieu de la crise économique, les BIBLIOGRAPHIE consommateurs ont pris le pouvoir sur le marketing, la conception, la distribution et l’usage des biens et ●●Bigot R., Brice L. et Hoibian ●●Hébel P. et Mathé T. (2012), « S. (2016), Quatre grandes ten- La consommation des jeunes au- services pour mettre en avant leurs convictions (Hébel, dances sociétales qui vont impacter jourd’hui et les quadras demain », 2012). Cela comporte une dimension politique dans la le monde HLM dans les prochaines dans : Les jeunes d’aujourd’hui : mesure où le consommateur est de plus en plus conscient années : le défi de la mixité sociale, quelle société pour demain ? », Intervention au Congrès de l’USH, Cahier de Recherche du CREDOC, de posséder un « pouvoir par ses achats » de nature à 28 septembre (http://www. n° 292, janvier. provoquer des changements à l’échelle de la société. Il credoc.fr/pdf/Sou/Tendances_ societales_2016_HLM_Note_de_ ●●Recours F., Hébel P., Berger a l’impression de pouvoir maîtriser quelque chose dans synthese.pdf. R. (2008), Effets de générations, un système d’échange économique, le marché, sur lequel d’âge et de revenus sur les arbi- ●●Chauvel. L. (1998), Le destin trages de consommation, Cahier il semblait n’avoir jusque-là aucune prise. À travers ses des générations. Structure sociale de Recherche du CREDOC, n° 258, différentes manifestations et possibilités d’action, la et cohortes en France au XXe siècle, décembre. Paris, PUF. consommation éthique et solidaire espère ainsi exercer ●●Siounandan N., Hébel P., une influence sur le fonctionnement du marché. En voici ●●Hébel P. (2012), La révolte des Colin J., En marge de la crise : moutons : les consommateurs émergence d’une frugalité choisie, quelques exemples sur divers registres : Le co-voitu- prennent le pouvoir, Paris, Édition Consommation et modes de vie, rage, même amical, peut avoir aussi des motivations Autrement. CREDOC, avril 2014. 6 CAHIERS FRANÇAIS N° 396 MARCHÉ DU TRAVAIL : POURQUOI L’EMPLOI NE DÉCOLLE-T-IL TOUJOURS PAS VRAIMENT EN FRANCE ? Yannick L’Horty Professeur d’économie à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée Si, avec la crise, le chômage a fortement augmenté en France depuis 2008, il était déjà à un niveau élevé depuis au moins trois décennies du fait d’une mauvaise correspondance entre l’offre et la demande de travail. L’étude des variations concernant le nombre des demandeurs d’emploi selon qu’ils relèvent des catégories A, B ou C permet de mettre en évidence une montée de la précarité associée à la multiplication des contrats courts ou à temps partiel. Yannick L’Horty insiste sur le fait que, nonobstant la progression du chômage, le niveau d’emploi en 2016 reste sensiblement plus élevé qu’au milieu des années 2000. Cela traduit une certaine efficacité de l’organisation du marché du travail, mais la dégradation de la qualité de l’emploi rend impérative une réflexion sur les moyens de créer davantage d’emplois à temps plein et mieux rémunérés. C. F. Le thème de l’emploi occupe une position centrale l’assurance chômage, de l’organisation de la formation dans l’ensemble des débats économiques et politiques. professionnelle, ou encore des exonérations de cotisations D’un côté, il s’agit d’un objectif très consensuel : tout sociales(1). Sur tous ces sujets et bien d’autres en rapport le monde s’accorde pour considérer qu’il est essentiel avec l’emploi, des clivages existent entre la gauche et d’améliorer l’emploi et de lutter contre le chômage. Dans la droite, entre les organisations syndicales et patro- le contexte de crise persistante et de dégradation continue nales, entre les tenants de l’intervention publique et les du marché du travail depuis le début de 2008, il apparaît défenseurs du marché, entre les partisans des aides aux encore plus essentiel de créer de nouveaux emplois et de entreprises et ceux des aides aux ménages. Beaucoup sauvegarder ceux existants. Cet objectif figure toujours d’acteurs du débat public ont des idées assez arrêtées et en tête de liste dans la hiérarchie des priorités des acteurs le plus souvent antinomiques sur les politiques à mener. publics, et c’est le principal objectif poursuivi par tous Ces désaccords sur les actions à mettre en œuvre ont de les candidats déclarés à l’élection présidentielle de 2017. nombreuses causes qui sont d’ordre idéologique, politique, Mais d’un autre côté, les divergences sont grandes économique… Parmi toutes ces causes, la méconnaissance sur les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. De multiples désaccords existent sur la nature et l’ampleur (1) Pour des exemples récents de proposition de réforme radi- des actions à mener, dans le domaine des politiques de cale des politiques sociales, voir Delors et Dolé (2009), Carbonnier l’emploi, de la réforme du code du travail, de celle de et al. (2014) ou encore, Lehmann et L’Horty (2014). CAHIERS FRANÇAIS N° 396 7 DOSSIER - MARCHÉ DU TRAVAIL : POURQUOI L’EMPLOI NE DÉCOLLE-T-IL TOUJOURS PAS VRAIMENT EN FRANCE ? des faits joue sans doute un rôle. En effet, beaucoup d’idées en 2007 à 9,9 % en 2009, avant de diminuer fortement fausses circulent sur les questions d’emploi. On peut sans pour atteindre 5,6 % fin 2014. Le taux de chômage aux doute aller jusqu’à affirmer que le thème de l’emploi États-Unis a ainsi dépassé le niveau français et euro- est une réalité somme toute assez mal connue. Dans cet péen en 2009 et 2010, ce qui n’était pas arrivé depuis article, nous proposons de passer en revue un petit nombre le début des années 1980. de faits essentiels que devraient connaître tous ceux qui veulent améliorer le fonctionnement du marché du travail … du fait d’un mauvais appariement en France. Pour chacun de ces faits, nous tentons d’en tirer entre l’offre et la demande de travail des conséquences pour les politiques publiques. Ce constat est important du point de vue des poli- Les effets aggravants de la crise sur tiques publiques. Les mouvements du chômage dans un taux de chômage déjà élevé… le temps sont souvent reliés aux actions de court et de long terme mises en œuvre. Dans un contexte de À l’épreuve de la crise, les trajectoires de l’emploi crise grave, il convient de mobiliser pleinement les et du chômage ont subi des inflexions très nettes dans instruments de politique conjoncturelle pour lutter tous les pays. De nouvelles sources de divergences contre le chômage. Ces instruments à la fois massifs et ont été constatées selon les économies, en fonction rapides sont les politiques monétaires avec les baisses des écarts de croissance et des dissemblances dans des taux d’intérêt et les politiques budgétaires avec le les politiques publiques mises en œuvre, qui ont été déficit public. Ces deux ensembles d’instruments sont très contrastées d’un pays à l’autre. La crise est ainsi utilisés aujourd’hui au-delà des limites du soutenable à l’origine de différences nouvelles entre les pays et et l’on a sans doute atteint, voire dépassé, les plafonds elle a sans doute accentué partout l’attention portée au admissibles d’interventions monétaires et de déficits chômage. Ce dernier s’est imposé comme un thème publics. Il importe de développer également des actions permanent des discours politiques et un passage obligé structurelles pour agir sur la composante de long terme des débats électoraux, tandis que la définition des poli- du chômage. Sa progression et sa persistance bien avant tiques publiques de l’emploi a été partout confirmée la crise de 2008 signalent une défaillance du processus comme un enjeu central de l’action des gouvernements. d’appariement entre offre et demande de travail. Ni la quantité, ni la qualité des offres et des demandes ne Dans le cas de la France, la crise n’explique pas coïncident, dans un contexte d’insuffisante mobilité tout, loin de là. Il est clair que la situation du marché géographique et professionnelle de la main-d’œuvre. du travail s’est fortement dégradée depuis 2008, avec Le coût du travail, y compris le coût d’embauche et une augmentation de l’ordre de trois points du taux de le coût de licenciement, dépasse la productivité des chômage, tandis que le nombre de chômeurs au sens emplois. Dans un tel contexte, la politique de lutte du Bureau international du travail (BIT) est passé de contre le chômage doit nécessairement combiner des 1,9 million au premier trimestre 2008 à 2,9 millions actions macroéconomiques et des réformes structurelles. début 2015, soit une hausse de plus de 40 %. Mais le niveau du chômage était déjà élevé avant la crise LE CHÔMAGE AU SENS DU BIT (graphique 1). Le taux de chômage en France n’est pas descendu sous la barre des 7 % depuis plus de 30 ans. Un chômeur au sens du Bureau international du tra- En baisse tendancielle depuis le milieu des années 1990, vail est une personne en âge de travailler (c’est-à-dire il était parvenu à un point bas de 7,1 % début 2008, ayant 15 ans ou plus) qui n’a pas travaillé, ne serait- avant d’augmenter sous l’effet de la crise. En 2015, il ce qu’une heure, au cours de la semaine de réfé- dépasse 10 % et retrouve ainsi son niveau le plus élevé rence, et qui est disponible pour travailler dans les deux semaines et a entrepris des démarches actives atteint près de vingt ans plus tôt. Le mouvement est de recherche d’emploi dans le mois précédent (ou a globalement le même pour la moyenne des 28 pays trouvé un emploi qui commence dans les trois mois). membres de l’Union européenne, avec des trajectoires La part des chômeurs au sein de la population totale contrastées selon les pays. Depuis 2007, le taux de diffère et est inférieure au taux de chômage, qui est le chômage a augmenté de plus de 15 points en Grèce rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre de et en Espagne, alors qu’il a baissé en Allemagne et personnes en activité (en emploi ou au chômage). au Royaume-Uni. Aux États-Unis, il est passé de 5 % 8 CAHIERS FRANÇAIS N° 396

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