Frédéric SOULU Mémoire présenté en vue de l’obtention du grade de Docteur de l'Université de Nantes sous le sceau de l’Université Bretagne Loire École doctorale : Sociétés, Cultures, Echanges (Nantes) Discipline : Epistémologie, histoire des sciences et des techniques – CNU 72 Unité de recherche : EA 1161 Centre François Viète d'Histoire des Sciences et des Techniques Développement de l'astronomie française 1.1.1 en Algérie (1830-1938) Soutenue le 14 décembre 2016 Astronomie de province ou astronomie coloniale ? Volume 1 JURY Président du jury Scott WALTER, Professeur des Universités, Université de Nantes Rapporteurs : David AUBIN, Professeur des Universités, UPMC - Université Pierre et Marie Curie - Paris 6 Philippe NABONNAND, Professeur des Universités, Université de Lorraine Examinateurs : Hélène BLAIS, Professeur des Universités, École Normale Supérieure Paris Martina SCHIAVON, Maître de conférences, Université de Lorraine Scott WALTER, Professeur des Universités, Université de Nantes Directeur de Thèse : Guy BOISTEL, Docteur HDR, Univ1e rsité de Nantes Remerciements : Au terme de ce travail, je souhaite remercier ceux qui par leur compagnonnage, leur amitié, leur soutien, ont contribué à la conduite du projet personnel et intellectuel que fut ma thèse de doctorat. À Nantes et Brest, le Centre François Viète, dirigé par Stéphane Tirard puis par Scott Walter, m’a accueilli et a encadré ce projet. Les rencontres avec mes collègues de l’école doctorale, et avec les enseignants-chercheurs du laboratoire ont été toujours très stimulantes. En son sein, le Groupe d’Histoire de l’Astronomie constitue un groupe de vieux amis vigilants, exigeants et fidèles. Parmi eux, Guy Boistel a dirigé cette thèse avec tact et bienveillance. À Alger, le Centre d’Etudes Diocésain des Glycines dirigé par p. Guillaume Michel, est un îlot de calme et une formidable plateforme d’échanges pour qui s’intéresse à un objet scientifique algérien. Sa bibliothèque et ses conférences ont été des outils indispensables. Je remercie tout particulièrement ceux qui ont nourri ma réflexion là-bas : Nacera Benseddik, Nabila Chérif, Berkahoum Ferhati, Ismet Touati, les chercheurs des Journées Ageron en décembre 2012 qui ont initié l’envie de ce projet de recherche, Malika Rahal qui en a aidé la formulation, tous les chercheurs rencontrés « aux Glycines » qui l’ont questionné et alimenté. À Lisbonne, Pedro Raposo et Charlotte Biggs, lors de l’ESHS 2014, m’ont permis de mettre mon étude en vis-à-vis de celles conduites par des collègues dans le domaine des observatoires coloniaux. À Lyon, lors de la SFHS 2014, Emmanuel Pécontal, Françoise Le Guet-Tully et Jérôme Lamy, ont acccueilli et discuté mes contributions à la session consacrée aux « Innovations instrumentales et méthodologiques dans les observatoires astronomiques années 1850 - années 1970 ». À Alger, l’accueil enthousiaste de ma contribution au colloque « Lumière et astronomie » par Amel Zaatri-Chabou et Youcef Hamid Sadsaoud m’a encouragé dans une démarche en connivence avec l’Algérie. À Manchester en 2013 et Turin en 2015, les rencontres de la Scientific Instruments Commission, et de sa grande famille de conservateurs, collectionneurs et chercheurs, m’ont conforté dans l’orientation patrimoniale. Martina Schiavon et Sylvie Thénault ont constitué le comité de suivi de ma thèse. Leurs remarques positives et constructives ont chaque année aiguillonné ma réflexion. Jérôme de La Noë, Anthony Turner, William Tobin, Emmanuel Pécontal, Nicolas Pouvreau, Loïc Péton et Guy Boistel ont généreusement partagé leurs archives. Je les remercie chaleureusement. Je remercie François Lagarde, petit-fils de Fernand Baldet, pour m’avoir 2 autorisé à utiliser librement pour ma recherche les clichés de son aïeul qu’il a restaurés et mis en ligne. Les conservateurs des fonds d’archives m’ont toujours accueilli avec courtoisie et professionnalisme : Florence Greffe et Isabelle Maurin-Joffre aux archives de l’Académie des sciences, Céline Davadan au Château-observatoire d’Abbadia à Hendaye, Laurence Bobis et Emilie Kaftan à la bibliothèque de l’Observatoire de Paris, Sabrina Tensi aux Glycines à Alger, Ourida Gater aux Archives Nationales d’Algérie, le personnel des Archives nationales de France (Sites de Pierrefitte et d’Aix-en-Provence), des Bibliothèques Nationales d’Algérie (site Franz Fanon) et de France, du Service Historique de la Défense, de la Bibliothèque centrale de la Wilaya d’Alger et des Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques. La recherche en histoire des sciences est facilitée par le nombre croissant de numérisation et de mise en ligne de fonds d’archives et de bibliothèques, particulièrement lorsque le chercheur réside dans les pays dits « du Sud ». Que leurs promoteurs en soient remerciés ! Je remercie les relecteurs- correcteurs de mon manuscrit, Hélène et Christian Soulu. Je remercie tout particulièrement enfin, Suzanne Debarbat, Françoise Le Guet Tully et Jérôme Lamy qui ont guidé mes premiers pas en histoire de l’astronomie. Ce projet, mené pendant une expatriation en Algérie, a engagé toute ma famille qui en a accepté les contraintes et partagé les joies. À Hélène, je dédie cette thèse qui n’existerait pas sans son engagement. 3 Table des matières Avant-propos .............................................................................................................................. 9 Introduction .............................................................................................................................. 10 Définition de l’objet d’étude ...................................................................................... 11 Quelques choix méthodologiques .............................................................................. 14 Périodisation ............................................................................................................... 15 Bibliographie et sources ............................................................................................. 17 1 Le baromètre (1830 – 1855) : les sciences de l’observatoire au combat. ....................... 21 1.1 Les astronomes français en Algérie avant 1830 ......................................................... 21 1.2 1830 : la brigade topographique. ................................................................................ 30 1.2.1 Un moment initial. .............................................................................................. 30 1.2.1.1 Débarquer et mesurer .................................................................................. 31 1.2.1.2 Le pavillon de la zenkat Dar En-naas. ........................................................ 34 1.2.2 Militaires en mission .......................................................................................... 37 1.2.2.1 La brigade topographique ........................................................................... 37 1.2.2.2 La mission ................................................................................................... 39 1.2.2.3 Observer et se battre .................................................................................... 40 1.2.3 Des pratiques. ..................................................................................................... 44 1.2.3.1 Économie des hommes et des instruments .................................................. 44 1.2.3.2 Terrain et Dépôt .......................................................................................... 49 1.2.3.3 Des savoirs d'astronomie géodésique.......................................................... 52 1.2.3.4 Observations météorologiques .................................................................... 55 1.2.4 Patrimoine militaire méditerranéen : géodésie et météorologie en campagne. .. 58 1.3 Parcours d'expert : Georges Aimé, « le jeune physicien de l'Algérie » ..................... 61 1.3.1 L'Algérie plutôt qu'enseigner en Province ......................................................... 64 1.3.1.1 Formation .................................................................................................... 65 1.3.1.2 Le collège d'Alger et son observatoire ........................................................ 70 1.3.1.3 Les premiers travaux d'Aimé ...................................................................... 73 1.3.1.4 L'expert des services civils du Gouvernement Général .............................. 79 1.3.2 Le temps de l'Exploration scientifique de l'Algérie ........................................... 84 1.3.2.1 Un recrutement tardif .................................................................................. 86 1.3.2.2 Aimé au sein de la Commission d'exploration scientifique ........................ 90 1.3.3 Le temps de la maturité : publier et organiser l'avenir ..................................... 105 1.3.3.1 Un hôtel à Paris, une chaire à Alger. ........................................................ 105 4 1.3.3.2 Aimé et le premier réseau météorologique algérien ................................. 108 1.3.3.3 La doctrine météorologique militaire ........................................................ 111 1.3.3.4 Le réseau s'étend vers l'intérieur ............................................................... 115 1.3.4 Retour en Algérie ............................................................................................. 121 1.3.4.1 « Mort, pour ainsi dire, au champ de bataille » ........................................ 123 1.3.4.2 Conclusions : ............................................................................................. 126 1.4 Conclusion : de la rainette au baromètre .................................................................. 130 2 Le Grand télescope d'Alger (1855 – 1885) : Fonctions symboliques des sciences de l’observatoire. ......................................................................................................................... 139 2.1 « Être sur la carte » : ................................................................................................ 140 2.1.1 La demande des notables européens d'Alger.................................................... 141 2.1.1.1 Vialar, son astronome et son observatoire ................................................ 141 2.1.1.2 Réaction de la Marine ............................................................................... 146 2.1.2 La projection de l'Observatoire de Paris vers l'Algérie .................................... 149 2.1.2.1 Le délégué météorologique ....................................................................... 149 2.1.2.2 Le retour de la question astronomique ...................................................... 157 2.1.3 Une station astronomique pour Alger .............................................................. 161 2.1.3.1 Les soirées chez Foucault ......................................................................... 165 2.1.3.2 Charles Bulard .......................................................................................... 167 2.1.3.3 Tensions communautaires et terrain algérien ........................................... 171 2.1.4 Conjonction ...................................................................................................... 175 2.2 L'astronome et les soldats : ...................................................................................... 177 2.2.1 Changement de bannière .................................................................................. 178 2.2.1.1 La coexistence transitoire ......................................................................... 178 2.2.1.2 De l'Instruction publique au Gouverneur général ..................................... 182 2.2.1.3 Les parrains Pélissier et Vaillant ............................................................... 187 2.2.2 Pratiquer l'astronomie physique sous bonne garde .......................................... 192 2.2.2.1 Traces de la production d'astronomie physique ........................................ 192 2.2.2.2 Bulard dans sa communauté ..................................................................... 196 2.2.2.3 Les moyens militaires ............................................................................... 201 2.2.3 Les pratiques de Bulard : un exemple de régime régulatoire ........................... 206 2.2.3.1 Des points et des frontières ....................................................................... 208 2.2.3.2 Une heure pour l'Algérie ........................................................................... 212 2.2.3.3 Le champ magnétique terrestre au service de la politique foncière .......... 218 5 2.2.4 « C’est fabulard ! » ........................................................................................... 221 2.3 Représenter et prédire le temps : .............................................................................. 223 2.3.1 « N'est point astronome qui veut, encore moins météorologiste » : Œuvre météorologique de Charles Bulard ............................................................................... 224 2.3.1.1 L'observatoire initiatique de Midhurst ...................................................... 224 2.3.1.2 Projet de réseau algérien ........................................................................... 227 2.3.1.3 L'observation continue et le panorama météorologique ........................... 239 2.3.2 Tensions ........................................................................................................... 246 2.3.2.1 « Mr Bulard s'est fait, en matière de météorologie, une théorie personnelle » 246 2.3.2.2 « La catastrophe Bulard », facteur de désordre météorologique............... 250 2.3.2.3 Bulard le polémiste ................................................................................... 253 2.3.3 Reprise en main de la météorologie algérienne par la métropole .................... 256 2.3.3.1 Les docteurs de la « Société climatologique » .......................................... 257 2.3.3.2 La conquête algérienne de Le Verrier ....................................................... 259 2.3.3.3 Les concurrents de la Société Météorologique de France ........................ 264 2.3.3.4 Les concurrents du Génie militaire ........................................................... 270 2.3.4 « Donner, s’il se peut, à l’observatoire une direction plus sûre » .................... 273 2.4 Conclusion : astronomie et propagande ................................................................... 277 3 Les lunettes d'astrométrie (1885 – 1939) ...................................................................... 281 3.1 « Le triomphe des colons » : .................................................................................... 281 3.2 Le raccordement franco-algérien : ........................................................................... 285 3.2.1 Convergences : le Bureau, l’Observatoire, le Dépôt. ....................................... 285 3.2.1.1 « Faire avancer la Géodésie en France » .................................................. 287 3.2.1.2 Sur terre : le capitaine François Perrier et la méridienne .......................... 292 3.2.1.3 Sur mer : l'amiral Ernest Mouchez et l'hydrographie de l'Algérie ............ 298 3.2.2 L’observatoire permanent d’astronomie géodésique de la colonne Voirol ...... 303 3.2.2.1 Un observatoire à vocation permanente .................................................... 304 3.2.2.2 Des techniques nouvelles .......................................................................... 307 3.2.2.3 Des observatoires abandonnés .................................................................. 311 3.3 Appuyer l’édification de l’empire français .............................................................. 318 3.3.1 Un marin à la tête de l’astronomie française .................................................... 319 3.3.1.1 Mouchez, l’Observatoire de Montsouris et l’empire ................................ 320 3.3.1.2 Des marins de la mer au désert ................................................................. 325 6 3.3.1.3 L'élimination de Bulard et le nouvel observatoire de Kouba .................... 329 3.3.2 Assistance à explorateurs ................................................................................. 333 3.3.2.1 Astrométrie et exploration ........................................................................ 334 3.3.2.2 Le service de l'heure : de la ville à l’Empire ............................................. 337 3.3.2.3 L’observatoire de la Bouzaréah : formation et traitement de données ..... 343 3.3.3 La tradition astrométrique ................................................................................ 350 3.3.3.1 La Carte du Ciel comme programme fondateur ....................................... 351 3.3.3.2 Redéfinition socio-technique d'un observatoire ........................................ 358 3.3.3.3 Émergence et consolidation d'une tradition astronomique ....................... 364 3.4 L’Université d'Alger : sujétions et opportunités. ..................................................... 373 3.4.1 L’École préparatoire à l'enseignement supérieur des sciences......................... 374 3.4.1.1 Une tutelle administrative pour l'Observatoire ......................................... 377 3.4.1.2 Un partenaire financier ............................................................................. 385 3.4.1.3 Un espace de mobilité. .............................................................................. 391 3.4.2 Effets de cisaillement dans les sciences de l'Observatoire ............................... 396 3.4.2.1 Gonnessiat reprend la main sur le SMA ................................................... 396 3.4.2.2 Développement de la Physique du Globe à l'Observatoire ....................... 400 3.4.2.3 Le siphonage par l'Institut de météorologie et de physique du globe d'Algérie 405 3.5 Conclusion : de Paris à Tamanrasset ........................................................................ 412 4 Conclusion .................................................................................................................... 419 4.1 Régimes de spatialité de l’astronomie française en Algérie : .................................. 419 4.2 Astronomie provinciale ou astronomie coloniale ? .................................................. 423 4.2.1 Un contracteur étatique militaire ...................................................................... 423 4.2.2 La discontinuité territoriale .............................................................................. 424 4.2.3 La fonction symbolique des sciences de l’observatoire ................................... 426 4.2.4 La sous-administration coloniale ..................................................................... 427 4.3 Méthode et résultats ................................................................................................. 429 4.4 Axes de recherche à développer ............................................................................... 431 5 Bibliographie ................................................................................................................ 433 5.1 Sources primaires manuscrites ................................................................................. 433 5.2 Sources primaires imprimées ................................................................................... 441 5.3 Sources secondaires : ............................................................................................... 467 Instruments scientifiques .......................................................................................... 487 7 6 Table des acronymes ..................................................................................................... 492 7 Index ............................................................................................................................. 493 Abstract ......................................................................................................................... 497 Résumé .......................................................................................................................... 497 8 Annexes ........................................................................................................................ 499 8.1 Annexe 1 : Chronologie des astronomes de l'observatoire d'Alger ......................... 499 8.2 Annexe 2 : Liste des instruments de la pratique des sciences de l'observatoire en Algérie (1830 - 1938) ........................................................................................................ 509 8.3 Annexe 3 : Textes législatifs et réglementaires se rapportant spécifiquement à l'observatoire d'Alger ......................................................................................................... 523 8.3.1 Arrêté du 3 octobre 1856 : érection provisoire de l’Observatoire d'Alger en succursale de l'Observatoire de Paris. ........................................................................... 523 8.3.2 Arrêté du 26 novembre 1858 : création de la station astronomique. ................ 524 8.3.3 Décret impérial du 6 juillet 1861 : rattachement de l’observatoire au Gouvernement général. ................................................................................................. 524 8.3.4 Circulaire du 23 février 1864 : création du réseau météorologique algérien. .. 526 8.3.5 Décret présidentiel du 26 décembre 1873 : retour de l’observatoire sous l’autorité de l’Instruction publique. .............................................................................................. 527 8.4 Annexe 4 : Quelques pièces relatives à l’état de l'observatoire d'Alger entre 1861 et 1880 528 8.4.1 Bulard Charles, 1866, Exposé sur la situation de l'observatoire d'Alger. À messieurs les membres du Conseil du Conseil Supérieur de l'Algérie, Alger, Imprimerie de L'Akhbar, 16p........................................................................................................... 528 8.4.2 Situation de l’observatoire d’El Biar. Alger, 9 avril 1874. LAS du recteur Salves au ministre de l’Instruction publique. ........................................................................... 537 8.4.3 Situation de l’observatoire d’Alger à Mustapha, 27 juillet 1877. LAS de l’inspecteur Hanriot au Directeur de l’Enseignement supérieur. .................................. 541 9 Illustrations ................................................................................................................... 544 Résumé .......................................................................................................................... 563 Abstract ......................................................................................................................... 563 8 Avant-propos Avant de débuter mon étude, je souhaite évoquer en quelques mots le contexte particulier dans lequel elle a été réalisée, me livrer à ce que l'historien Henri-Irénée Marrou appelle une « psychanalyse existentielle1 ». Consacrer trois années à une étude d'histoire des sciences ne relève pas d'une occupation dilettante, d'un passe-temps exotique. Ce fut une façon engagée de rencontrer un pays, un espace, celui de l'Algérie qui accueillait ma famille pour un contrat d’expatriation. Quand on est Français en Algérie, il est difficile, y compris dans la vie quotidienne, de s'affranchir de l'époque coloniale. Le paysage, les relations interpersonnelles ou l'actualité vous interpellent sur ce thème qui demeure à vif chez nos voisins. Travailler sur la période coloniale est donc une façon de vivre l'Algérie, de la connaître et de partager avec ses habitants. J’ai essayé de conjuguer cette période avec la poursuite d’un parcours personnel et professionnel autour des instruments scientifiques comme outils de la construction de connaissances, y compris dans leur dimension historique et patrimoniale. 1 Cité par Prost Antoine, 2010, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Editions du Seuil, (coll. « Points Histoire »), 1er éd. 1996, p.92-100. 9 Introduction Le discours officiel franco-algérien est marqué par un paradoxe. Rupture par la guerre de libération nationale coexiste avec continuité de certaines institutions, particulièrement scientifiques. Là, résident mes questionnements initiaux. Un site internet, géré par le ministère de l’Intérieur de l’Algérie, présente l’actuel Centre de Recherche en Astronomie Astrophysique et Géophysique (CRAAG) comme « issu de la création de l’Observatoire d’Alger en 1890 et puis de l’IMPGA en 19312 ». Le laboratoire actuel s’identifie donc à ses homologues et prédécesseurs de l’époque coloniale. Cette homologie, et prétendue continuité, est mise en doute par certaines des pratiques actuelles du CRAAG. En 2013, par exemple, l’État lui a confié la détermination de la direction de la Qibla de la Grande Mosquée d’Alger, écartant les imams et chouyoukh traditionnellement associés à cet acte3. Cette pratique me semblait relever plutôt d’une pratique de l’astronomie médiévale arabe, au service du sultan, que de celles des astronomes français en Algérie pendant la période coloniale. Pour sonder la réalité de ces tensions apparentes, la définition de l’objet « observatoire d’Alger » dans son rapport à l’État, pendant la période coloniale, était un passage nécessaire. La problématique de recherche a été façonnée par deux évènements. Tout d’abord, un projet de recherche monographique sur l’observatoire d’Alger et son patrimoine préexistait au mien. Mené par Françoise Le Guet Tully, Jean Davoigneau, Youcef Hamid Sadsaoud, avec la collaboration de Anthony Turner et de Marc Heller, ce programme de recherche s’attachait à inventorier et documenter le patrimoine astronomique de l’observatoire d’Alger dans le cadre d’une mission française d’inventaire national et d’une convention avec le ministère des Affaires étrangères. Une mission conduite à Alger en 2000 était à l’origine de plusieurs articles et communications4. En 2010, la diffusion par l’UNESCO auprès de ses états membres d’une initiative pour le patrimoine astronomique, dans le cadre du classement au patrimoine mondial, a relancé les intérêts algérien et français pour la collection de l’observatoire d’Alger. La thèse 2 Site internet : www.craag.dz/presentation.html [consulté le 29 janvier 2013] 3 M.M., 2013, « Détermination de la Qibla de la Grande Mosquée d’Alger. La science prend le dessus sur la tradition », Le Soir d’Algérie, 06 février 2013, [consulté en ligne le 24 mars 2013 : www.lesoirdalgerie.com/articles/2013/02/06/article.php?sid=144848&cid=2] 4 L’article princeps est : Le Guet-Tully Françoise, Sadsaoud Hamid, Heller Marc, 2003, « La création de l'observatoire d'Alger », Revue du Musée des Arts et Métiers, n°38, p.26-35. 10
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