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Des dialogues de cinéma PDF

307 Pages·2004·29.707 MB·French
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Des dialogues de cinéma Champs visuels Collection dirigée par Pierre-Jean Benghozi, Raphaële Maine, Bruno Péquignot et Guillaume Soulez Une collection d'ouvrages qui traitent de façon interdisciplinaire des images, peinture, photographie, B.D., télévision, cinéma (acteurs, auteurs, marché, metteurs en scène, thèmes, techniques, publics etc.). Cette collection est ouverte à toutes les démarches théoriques et méthodologiques appliquées aux questions spécifiques des usages esthétiques et sociaux des techniques de l'image fixe ou animée, sans craindre la confrontation des idées, mais aussi sans dogmatisme. Dernières parutions Priska MORRISSEY, Historiens et cinéastes, rencontre de deux écritures, 2003. R. GARDIES et M.C. TARANGER (sous Ia dir.), Télévision : notion d'oeuvre, notion d'auteur, 2003 Dominique BOULLIER, La télévision telle qu'on la parle : trois études ethnométhodologiques, 2003 Sous la direction de D. CHAPERON et P. KAENEL, Points de vue Pour Philippe Junod, 2003. Christophe TREBUIL, L'oeuvre singulière de Dimitri Hirsanoff, 2003. Yoann CALVET, Cinéma, imaginaire, ésotérisme, 2003. Frédéric SOJCHER, Quel modèle audiovisuel européen ?, 2003. Jean-Louis PROVOYEUR, Le cinéma de Robert Bresson, 2003. Sébastien GENVO, Introduction aux enjeux artistiques et culturels des jeux vidéo, 2003. Roland SCHNEIDER, Cinéma et spiritualité de l'Orient extrême : Japon et Corée, 2003. M.-T. MATHET (dir.), L'incompréhensible. Littérature, réel, visuel, 2003. Fabienne COSTA, Devenir corps : passages de l'œuvre de Fellini, 2003. Hervé PERNOT, L'atelier Fellini, une expression du doute, 2003. Patrick BRUN, Poétique(s) du cinéma, 2003. Nikita MALLIARARKTS, Mayo : un peintre et le cinéma, 2002. Jean Samouillan Des dialogues de cinéma Préface de Guy Chapouillié L'Harmattan L'Harmattan Hongrie L'Harmattan Italia 5-7, rue de l’École-Polytechnique Hargita u. 3 Via Bava, 37 75005 Paris 1026 Budapest 10214 Torino FRANCE HONGRIE ITALIE © L'Harmattan, 2004 ISBN : 2-7475-5923-8 EAN : 9782747559232 À Kaeliok Fonenimum Varka DES DIALOGUES DE CINEMA Préface Le cinéma qui parle Le moment où le Cinéma a parlé, c'est l'avènement d'un cadeau que seul le meilleur des mondes pouvait nous faire. C'est une nouveauté, que dis-je ? un événement criblé qui s'établit dans un flux éternel que l'entrée et la sortie continuelles d'éléments agitent, mais qui demeurera la singulière qualité donnée aux hommes pour construire autrement leur regard. Le cinéma qui parle était donc venu ; aujourd'hui il insiste, persiste et libère, car à la manière des vivants qui préhendent l'eau, la terre et l'air, le cinéma préhende la force de la bouche pour faire de la parole un parler effectif, c'est-à- dire un ensemble de gestes ou bien même un ensemble de passions jouées dans un espace et un défilement nouveaux ; de sorte que la parole en film intervient comme le continu d'un système discontinu de photogrammes et d'intervalles en se logeant singulièrement dans un temps et un espace conquis, habité, enfin plein, aux limites du vivant parlant, là où s'élaborent progressivement les idées par la conversation. Pourtant, dès son apparition, le parlant n'a pas fait l'unanimité, et pendant longtemps une célébration douteuse de la mutité a joué les bruits contre les dialogues dans la crainte d'un glissement théâtral. Même quelques chauds partisans de la révolution sonore opposèrent le contrepoint orchestral au synchronisme labial qu'ils réduisirent à la pente de toutes les facilités. Cette tendance a rendu sourds certains chroniqueurs pour qui le cinéma aurait mis plus de trente ans à façonner son appareil phonatoire. À la suite de Christian Metz, pour qui Marcel Pagnol échappa seul au paradoxe du cinéma parlant, mais loin de toute linguisterie, PREFACE l'ouvrage de Jean Samouillan sauve les dialogues de films d'une sorte de conspiration du silence et en instaure l’efficace grâce à l'exposition et au croisement de presque toutes les richesses de cet opérateur filmique majeur, petit-fils de l'art oratoire, qui déplie les corps dans une infinité de gestes et surtout d'intonations de voix où germine une autre manière d'être du sensible ; il s'agit là d'un tome nourricier qui explique pourquoi certains parlaient des limites du parlant, tout simplement parce qu'ils ne savaient pas le faire parler et qu'ils n'ont pas senti que, lorsque les films se sont mis à parler, le rôle de celui qui écoute est devenu tout aussi important que le rôle de celui qui parle. Par certains côtés, c'est aussi un traité de proxémique propre à l'audiovisuel où l'analyse des rapports de places dégage à l'infini les possibilités de l'utilisation de l'espace, du cadre au montage, par les personnages dans leurs relations, et les significations qui en découlent ; il est utile de rappeler qu’on se devine en mille occasions dans la conversation plutôt qu’on ne s’entend et les petits riens sont souvent d’ingénieuses bagatelles. C'est encore une auscultation minutieuse de l'entrelacs complexe des conflits qui opposent par exemple la position basse à la position haute grâce à des exemples pertinents et dont le mérite, qui n'est pas le moindre, est aussi de recenser les inventions que la création des dialogues a fait venir en film : /es excuses que présente César à Escartefigue pour l'avoir traité de cocu sont infléchies par le petit sourire dont il ne se départit pas, et par la promptitude avec laquelle il les présente, signalant ainsi qu'elles ne lui coûtent rien. Pour cette raison, Escartefigue les refuse et prévient qu'il viendra les récupérer le lendemain, car il veut des excuses réfléchies. Les arguments ne manquent pas pour établir les contours de l'économie nouvelle des dialogues en films où, d'accélération par coupes intempestives en assemblages coulés, sont dévoilés des mouvements physiques inattrapables comme certains états d'âme non-décelables autrement. C'est une lecture qui m'a mis au meilleur de moi-même et offert de revisiter le cinéma de mon choix ; alors, en fermant les yeux, j'ai revu les personnages de Gertrud, de Carl Th. Dreyer (1964), souvent côte à côte, dans la froideur d'un courant qui ne passe plus ; je les ai revus ne pas se regarder et parler pour prendre les spectateurs à DES DIALOGUES DE CINEMA témoin de leurs illusions perdues ou bien les convaincre de la nécessité vitale pour Gertrud de gagner le grand large, pour fuir le monde peu glorieux des hommes sans cœur. Installés frontalement, leur voix n'est plus celle du bout des lèvres, mais, sur le lieu de l'écran, leur appel au secours est hors d'atteinte ; j’ouvre alors les yeux pour échapper à cette impossibilité. En outre, entre littéralité et oralité, ce livre montre que ça parle en film comme nulle part ailleurs par le truchement d'une figure singulière de parole ; une figure qui intrigue, qui arrête et qui déplie, qui inverse aussi. Alors, dans la nuit expérimentale d'une projection audiovisuelle, la parole me fait voir différemment et j'entends des voix, lueurs à travers mes paupières. C'est précisément la révélation qu'eut Marcel Pagnol, à Londres, en présence du film Broadway Melody d’Harry Beaumont (1928), ce film dont Jean Mitry a pensé qu'il était le premier à faire entendre avec les yeux et voir avec les oreilles, où l'image de Mademoiselle Bessie Love parle d'une voix plaisante mais surtout sanglote comme un petit chien dans un tonneau. C'est une aimantation irrésistible qui conquiert Marcel Pagnol et l’entraîne dans une forme d’épopée où les épreuves se résument à voir le film plusieurs fois avant de rentrer à Paris la tête échauffée de théories. Pour lui, la messe est dite et l'écriture mise en sommeil, car /e mariage de l'idéographie, sous sa forme cinématographique, et de l'écriture phonétique, sous sa forme phonographique, nous a donné le film parlant, qui est la forme presque parfaite, et peut-être définitive, de l'écriture. Telle est la base de ma théorie, qui fut si malgracieusement accueillie par la presse et les cinéastes de 1933, sauf Jean Renoir qui tenait Pagnol comme le plus grand auteur cinématographique d'aujourd'hui. Beaucoup ont parlé de lui, peu l'ont écouté, alors qu'il pensait en cinéma le dos tourné à la scène avec le casque sur les oreilles pour mieux saisir le son, pour mieux mêler les paroles avec le cri des cigales et le sifflement du vent, afin de donner au cinéma parlant la qualité majeure d'une vérité du cadre dans la simultanéité du vivant, sa succession et sa durée. A son tour, Jean Samouillan a vu et écouté les films de l’importun du midi avant d’avancer de telle manière que les dialogues y circulent et agissent comme l'eau fertilise les collines jusqu’à réguler les PREFACE paralogismes sans heurts par un feu nourri de conversations auxquelles participent les personnages nombreux et variés, emblèmes de tout un pays. Avec ce choix de la conversation, le métier le plus précieux de l’homme, le (Cinéma des dialogues devient encore plus annoncCiateur, grâce aux figures de personnages qui parlent pour s’affirmer et s’insérer librement dans l’histoire. Car c’est un fait, la nature humaine incline les hommes à une communauté de langage et de vie, l’être ensemble, et toute misère, de position basse ou surtout de privation de paroles, engendre de véritables souffrances sociales jusqu’au pire. De ce point de vue, tous les films cités par Jean Samouillan ne sont pas en parfaite santé, mais beaucoup sont le lieu de disputations propres à une petite aristocratie philosophique qui partage, parfois de manière orageuse, l’usage vital de la parole et transforme ainsi le film en une petite cité supérieure si chère à Aristote. Ainsi, le village de couillons de La femme du Boulanger devient une sorte d’île des bienheureux par le croisement d’actions physiques et de paroles où toute la communauté villageoise est à l’œuvre pour ranimer temporairement le levain. Le cinéma parlant a tout ce qu’il faut pour figurer une meilleure maison de l’être, mais sa destination ne tient qu’à la vigilance du réalisateur. Le bavardage peut réprimer tout questionnement et tout débat nouveau en utilisant l’apparence d’une conversation ordinaire sans les enjeux d’une histoire réelle ; or, tout sujet parlant est toujours déjà jeté dans une orientation préalable tracée par la langue qu’il parle et son accent colle à la voix comme à la peau la couleur. Le réalisateur n’est trahi que par lui-même, par ses choix de voix, ses choix de mots mis en bouche, lui seul a quelque chose à dire et, le sachant, connaît le poids du silence. S’il est à peu près certain que l’existant ne parle jamais pour ne rien dire, même aux limites de l’intelligibilité et parce que la voix est souvent plus éloquente que les paroles qu’elle véhicule, en revanche, bien des personnages de films ré(rai)sonnent creux et ne font que du bruit par hasard. Dans Martha, Rainer Werner Fassbinder va en revanche s’appuyer délibérément sur l’idée qu’un langage dépourvu de sens ne serait absolument pas un langage, mais plutôt 10 DES DIALOGUES DE CINEMA comparable au bruit d’une machine, au fracas de la technique, aux formes de la barbarie. Sous l’emprise totalitaire du mari, Martha va apprendre par cœur quelques passages d’un livre sur la statique des barrages où 1l n’est question que de résistance des matériaux et d’une étrange pureté du béton. Lorsqu'elle s’exécute et récite, pour la preuve de sa lecture, un extrait éloquent, elle atteint l’ultime stade de la soumission, celui de l’abandon de toute liberté ; elle est la chose d’un mari comblé dans le bruit d’une articulation qui n’articule plus la pensée, mais l’anéantissement de l’être. Le mari totalitaire peut alors se jeter comme une bête sur sa femme, la mordre, la meurtrir, dans un rugissement qui prolonge les précisions matérielles du barrage. Rainer Werner Fassbinder traque la bête immonde qui loge toujours dans l’homme et pense au dialogue pour mieux l’identifier, soigneusement articulé à des images dont le confort et le conformisme bourgeois étouffent les cris de la victime. Et c’est dos à dos qu’ils se parlent ou plutôt qu’ils ne se parlent pas, une situation complexe comme celles que Jean Samouillan étudie au cœur de faisceaux très fournis en déterminations et en qualités de voix. En effet, désormais, l’aptitude oratoire fait partie des qualités du héros, au même titre que les yeux, le profil, la dégaine qu’elle majore souvent. La voix a du corps et le corps une voix dont l’effet au cinéma n’est pas éloigné de celui que décrivait Homère, en d’autres circonstances, À peine avait-il laissé sa grande voix sortir de sa poitrine, avec des mots tombant pareils aux flocons de neige en hiver, aucun mortel alors ne pouvait plus lutter avec Ulysse. Une importance dont Pagnol n’a pas ignoré le rôle puisque, à la mort de Raimu, son acteur fétiche, il constate que par bonheur, il nous reste des films qui gardent ton reflet terrestre, le poids de ta démarche et l'orgue de ta voix... D'ailleurs, je n'ai jamais su parler et c'était Raimu qui parlait pour moi. Ainsi, l’action de parole consiste dans l’usage de la voix pour convaincre, bouleverser en cherchant la douceur, le vif, le cri, le souffle, le rythme et toutes les libertés avec les règles qui sanctionnent un certain triomphe de la chair. Par conséquent, l’art du comédien ou du réalisateur qui le dirige pour agir en dialogues est aussi du côté de l’intonation de la voix, d’une expression du visage, d’une 11

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