ebook img

De l’indignation PDF

135 Pages·2005·20.603 MB·French
Save to my drive
Quick download
Download
Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.

Preview De l’indignation

r ! lAAU-;J., ~ 11&dtJ 1(,8'22) [ 1 ,,(O> V DU MÊME AUTEUR ;9,'vb JEAN-FRANÇOIS MATTÉI J;Étranger et /e Simulacre. Essai sur lafondation de l'ontologie pla DE L'INDIGNATION tonicienne, Paris, PUF, 1983. La Métaphysique à la limite; Cinq essais sur Heidegger, avec Dominique Janicaud, Paris, PUF, 1983. Essai J;Ordre du monde. Platon, Nietzsche, Heidegger, Paris, PUF, 1989. La Naissance de la Raison en Grece, Actes du Congri:s de Nice de 1987,dir.,Paris,PUF, 1990. Les <Euvres Philosophiques, volume III de I' Encyclopédie Philoso phique Universelle, Paris, PUF, 1992. Pythagore et les pythagoriciens, Paris, PUF, 1993 ; 3' édition revue et corrigée, 2001. Platon et le miroir du mythe. De l'Âge d'or à l'Atlantide, Paris, PUF, 1996; réédition « Quadrige •>, 2002. Albert Camus et la philosophie, avec Anne-Marie Amiot, Paris, PUF, 1997. Le Discours philosophique, volume IV de l' Encyclopédie philoso phique universelle, Paris, PUF, 1998. La Barbarie intérieure. Essai sur /'immonde moderne, Paris, PUF, 1999 ; 3' édition augmentée, Paris, PUF, 2002 ; réé dition « Quadrige •>, 2004. Heidegger et Holderlin. Le Quadriparti, Paris, PUF, 2001. Philosopherenfrançais, dir., Paris, PUF, 2000. Civilisation et barbarie. Réfiexions sur le terrorisme contemporain, Paris, PUF, 2002, avec Denis Rosenfield. Heidegger et l'énigme de l'être, dir., PUF, 2004. '. • 1 l I' · ,,, ~, \1 c4 LA TABLE RONDE 14, rue Séguier, Paris 6e Sommaire INTRODUCTION. - Le temps des indignations . . . . . . . . . . 11 1. Némésis, ou de l'indignation philosophique . . . . . . . . 29 La scêne du drame, 31. -L'axiome de révolte, 35. - Le théâtre de l'indignation, 37. -Le spectacle du mal, 41. -Les arrêts du démon, 45. - Le visage de l'âme, 50. - Le partage de la !oi, 60. II. Ivan Karamazov, ou de l'indignation morale . . . . . . . 65 La scêne du drame, 68. -L'indignation tragique, 71. -L'indi gnation satirique, 77. - L'indignation religieuse, 83. - L'indi gnation pathétique, 89. - « The impartial Spectator », 96. - Le partage de la souffrance, 104. III. Alfred Dreyfus, ou de l'indignation politique . . . . . . . 113 la scêne du drame, 116. - L'horreur barbaresque, 119. - « Ultimi barbarorum >), 126. - L'indignation éclairée, 132. - L'indignation dialectique, 138. - « Homo indignatus ))' 145. - Le partage du mal, 152. IV. Attac, ou de l'indignation idéologique . . . . . . . . . . . . 161 La scene du drame, 164. - L'assentiment et le ressentiment, 168. -L'espace public de la mondialisation, 174. -L'indigna- tion humanitaire, 181. - La culpabilité collective, 187. - « Homo lacrimans r>, 195. -Le partage de l'hypocrisie, 202. V. Boronali, ou de l'indignation artistique . . . . . . . . . . . 211 La scêne du drame, 214. - L'horreur éthique, 217. - De << Immundo ,>, 223. - L'indignation esthétique, 229. - Le mot peint, 236. - << Homo vacuus >>, 243. - Le partage de l'indi gnité, 250. CONCLUSION. - Le temps des résignations 259 © Éditions de LaTable Ronde, Paris, 2005. Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273 ISBN: 2-7103-2687-6. <t L'indignation n'est pas du tout un refus de l'âme comme le mépris, l'indignation n'est pas le fait d'un cceur avare [ ... ] On méprise d'en bas, on ne saurait s'indigner qu'à partir d'une certaine hauteur oU i1 faut se mainte nir coute que coU.te, sauf à rougir de soi. Qui s'indigne ne peut échapper à la contrainte torturante de l'examen particulier dont la conclusion lui sera toujours défavorable puisque l'indignation n'est rien si elle n'est le cri spontané d'une conscience outragée par le scandale. )> Georges Bernanos, Les Enfants humiliés. Introduction Le temps des indignations Voici le temps des Assassins. << >> Arthur Rirnbaud, << Matinée d'ivresse )>, 1/luminations. À l'orée de la modernité, Rimbaud annonçait le temps des Assassins. Que la prédiction renvoie au Club des Haschichins de Théophile Gautier, qui cherchait l'<< électricité intellectuelle >> à travers les fumées de la drogue, ou à l'ivresse du haschich du jeune révolté, qui exilait ses dégoúts dans « une débandade de parfums », importe au fond assez peu. La méthode rimbaldienne, quand elle déclare sa foi au poison de ses veines, peut être comprise comme une métaphore de la vocation poé tique sous l'emprise d'une hallucination provoquée. Elle sait aussi prendre le visage, ou le masque, d'une moder nité - « il faut être absolument moderne » - qui a rompu avec les sobriétés anciennes pour s'adonner aux matinées d'ivresse. Le temps des Assassins serait donc, aux dires du poete, celui de l'enterrement de« l'arbre du bien et du mal •> et de la mort des « honnêtetés tyranniques •>. Cela doit-ilfinir, comme Rimbaud l'écrit à deux reprises, par des « anges de flamme et de glace » ? Ou bien cela doit-il inaugurer un nouveau temps, le temps des Indignations ? r 12 DE L'INDIGNATION LE TEMPS DES INDIGNATIONS 13 Car si notre époque a glorifié, par l'art ou !e commerce, paradoxalement d'un fait normatif : selon le vreu de Paul l'illusion des paradis artificieis, à défaut d'accéder à la Ricreur, quelque chose est dü à l'être humain du seu! << vérité du Bien et du Beau qui hantait encore Baudelaire, fait qu'il est humain »1*. elle n'en a pas moins condamné les atteintes à la dignité Quelle que soit la difficulté théorique à justifier en de l'homme comme s'il existait malgré tout quelque part, raison ce qui se présente comme unfait, à moins de poser non pas enterré mais transplanté, un arbre du bien et du d'emblée la dignité comme fait de la raison », nous << mal dont les fruits seuls nourrissent nos indignations. admettrons que ce qui est du à l'être humain est un res / Cela commence bien, pour suivre encore Rimbaud, par !e pect inconditionnel. Pour reprendre l'analyse kantienne, temps des Assassins ; cela finit naturellement, par la grâce qui concerne à vrai dire tout être raisonnable et non des anges de contradiction, feu et glace mêlés, par !e l'homme dans sa facticité, Kant refusant de dériver !e temps des Indignations. príncipe de la morale de la constitution particuliere de la << II faut en convenir. Le crime, réel ou simulé, et l'indi nature humaine »2, tout possede un prix ou une dignité gnation, véritable ou affectée, marchem de conserve dans dans l'ordre des fins que nous poursuivons. Ce qui a un les sociétés démocratiques qui restent peu sensibles à prix, qu'il s'agisse d'objets, de produits ou de services, leurs contradictions. Vouées à l'information, à la transpa peut toujours être remplacé par quelque chose d'autre rence et à la critique, qui jouent la carte du risque, mais qui en est l'équivalent lors d'un échange. Tout ce qui se aussi à la protection, à la sécurité et à l'assistance, qui se rapporte aux besoins matériels a un prix économique ; ce rassurent d'une précaution, nos sociétés hésitent sur la qui se rapporte à la satisfaction intellectuelle a un prix conduite à tenir à l' égard de ceux qui enfreignent la !oi. affectif; mais ce qui excede toute valeur, et donc n'a Certes, il ne s'agit plus de la !oi religieuse du peuple aucune équivalence possible, possede une dignité. Te! est hébreu ou de la !oi cosmique de l'homme grec, non plus sans nu! doute l'a xiome éthique majeur de l'humanisme de cette Loi énigmatique que !e Gardien de Kafka sous moderne : la dignité n 'a pas de prix, ce qui revient à dire trait à tous les regards. II s'agit de ce príncipe humain, et que l'être raisonnable, auquel l'homme s'est identifié seulement humain, qui fonde l'idée des droits de d' emblée, ne trouve pas de mesure en dehors de lui l'homme sur l'axiome universel de la dignité. Dans un même et s'établit ainsi comme fin en soi. La !oi est le rap monde asséché par la mort de Dieu et !e retrait de toute pel de cette exigence de dignité qui commande !e respect transcendance, ce qui révele, selon !e mot de Nietzsche, envers tous les êtres raisonnables. Ce qui est donc dü à que toutes les valeurs sont dévalorisées, il ne reste à sau !' être humain, pour compléter l'invocation de Ricreur, ver, en ces temps de crime de masse, que l'improbable c' est le respect en tant que valeur inconditionnée et abso dignité de l'homme. Que ce même homme, en tout cas lue. II manifeste l'autonomie native de l'ensemble des l'homme d'aujourd'hui, soit juge et partie en ce débat, êtres raisonnables et, par là même, de l'ensemble des celui qui octroie la dignité et celui qui la reçoit, à l'image êtres humains. de Napoléon se couronnant lui-même à Notre-Dame, ne change rien à cette exigence absolue qui est la pierre de touche de nos sociétés. Tout tient à ce nouveau droit issu * Les notes sont reportées en fin d'ouvrage (page 273). 15 14 DE L'INDIGNATION LE TEMPS DES INDIGNATIONS II résulte de cet axiome humaniste, puisque nous dique, renvoie à quelque chose d_e co_mp_arable d~ns. les avons réduit le champ de la nature raisonnable, visé par civilisations anciennes, qu'elles so1ent md1enne, chmo1se, Kant, à la seule nature humaine, que la moindre atteinte égyptienne, grecque ou romaine. Pour en rester à I_a se~le à « la dignité inhérente à tous les membres de la familie considération de la civilisation européenne, la « d1grute >> humaine •>, selon les termes de la Déclaration universelle grecque, he axia, marque la considération due à une per des droits de l'homme, ne saurait susciter que l'indigna sonne de haut rang, et, plus précisément, aux charges et tion. L'énoncé de l'article premier de la Déclaration de aux honneurs attachés à sa juridiction. Ainsi la dignité de 1948 suffit à légitimer !e sentiment qui s'empare de nous chef d'un <leme, to démarchikon axioma, ou nous décou quand nous sommes les témoins d'une offense à l'égard vrons un premier usage du mot << axiome », renvo!e ~ une de la dignité humaine : dignité d' ordre politique. La langue grecque ne d1stmgue d'ailleurs pas, dans !e terme he axia, « le pri~ >>, _<•.!e <{Tous les êtres humains naissent Iibres et égaux en salaire ,, << la valeur marchande », de << la d1gn1te >> dignité et en droits. Jls sont doués de raison et de cons humain~, comme !e fera Kant en opposant de façon radi cience et doivent agir les uns envers Ies autres dans un cale les deux formes de valeurs. esprit de fraternité. )> Les dignités des dirigeants ne sont autres q~e le_s ?ºn~ neurs liés à leurs responsabilités officielles ; rien 1c1 qm Nous comprendrons donc, dans un premier temps, appelle Ia dignité abstraite commune à tous les membre~ l'indignation comme !e sentiment que nous éprouvons de J'humanité, notion d'ai!leurs inconnue des Grecs qm face au déni de dignité dont souffre injustement un parlent généralement, en les opposant a~x dieux i~mor homme ou un groupe d'hommes. C'est la dignité, tels, d' hoi thnétoi, des mortels ». Hot anthropot, par << comme príncipe premier de l'humanité qui justifierait exemple chez Platon, désigne bien !' ensemble des hom l'indignation, comme sentiment second d'humanité. mes mais non I' essence d'une humanité distincte de ses Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples. enr;cinements linguistiques, politiques et géographi Poser la dignité comme premiere souleve deux difficultés ques. De façon semblable, à Rome, !e mot de dignitas majeures, !'une de fait, l'autre de droit. Que la dignité désigne !e mérite attaché à une fonction ou à un office et, soit reconnue en tant que principe d'humanité du seu! par conséquent, la considération et !'estime que l'on fait que l'être humain est humain, autrement dit est ce porte à celui qui en est digne. La dignité et l'honorabilité qu'il est, ne justifie en rien !e saut du fait au droit ou de - on se souvient que, pour Antoine, « Brutus is an honou l'être au devoir être. La preuve en est, d'une part, que rable man ,, et les conjurés qui ont assassiné César !e sont l'immense majorité des êtres humains, aux siecles passés tous, « ali honourable men »3 - concernent de façon élec ou à notre époque, ne se sont pas pensés sous la catégorie tive Jes titulaires des charges publiques dont la grandeur tardive de la « dignité », et, d'autre part, n'ont jamais personnelle se trouve reconnue par le peu~le._ ~en _non appliqué un te! principe dans les conflits qui les ont plus, dans !e droit romain, qui évoque la d1grute u~ve; 1\J opposés. II est douteux que notre concept de dignité, selle des droits de l'homme, ni la valeur absolue attr1buee , dans son acception courante comme dans son sens juri- aux Jibertés de la personne. Au demeurant, ces sociétés 1 16 DE L'INDIGNATION LE TEMPS DES INDIGNA TIONS 17 sont toutes esclavagistes. Qu'en est-il alors du fait que (<< tous les êtres humains naissent libres et égaux ») n'a de l'être humain est humain quand tous lesfaits, quine tou sens que si l'on introduit une médiation entre l'homme chent point à la question dirait Rousseau, n'offrent que et la dignité. Qu'on en convienne ou non, cette média !e spectacle de l'indignité humaine dans l'histoire ? tion ne peut être que transcendante, et non immanente à La seconde difficulté paralt plus redoutable parce l'être humain lui-même. qu'elle est de droit. Et !e philosophe, chez Rousseau ou On le constate avec Pie de La Mirandole, dans son De chez Kant, n'a pas pour maniere de raisonner d'<< établir dignitate hominis oratio, comme on le verra avec Pascal ou toujours !e droit par !e fait »4 • Déclarer en effet que << tous Kant. Pour !e philosophe florentin, l'homme est les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en dépourvu à la création de toutes qualités afin qu'il prenne droit » suppose que nous sachions d'entrée définir l'être l~i-même, librement'. un~. a !i-1 pne apparence ou un humain et la dignité de droit qui !ui est consubstantielle. role selo~ se_s s?u~~lt~\j ~ Q"es êtres ont une Or, ce que la Déclaration universelle des droits de nature d,efin1e a 1 . ur~s . \ se1:1l l'homme, l'homme présente comme « un idéal commun à atteindre « enferme dans auc chem~1!trqit ·r,rra sa nature par tous les peuples et toutes les nations » constitue à e~ fonction de so .itre píWre_:. f\.in 1J J urra-t-il dégé l'évidence une pétitioo cleprincipe, oude rationalité. Les nerer vers « les cJQ s b~-t9!u 1as >~. bien rena!tre 1, rédacteurs considerent dans !e Préambule que la dignité vers << les choses dj 's d'en::blut s e jugement de ~e est inhérente à tous les membres de l'humanité, donc son esprit. II serait · _ 'bié tire texte fameux, fondent la dignité sur l'homme, puis, dans l'article pre la conclusion que 1' . .facticité brute, est mier, avancem que tous les êtres humains naissent libres libre de s'accorder ou n · nité et de jouer, avec et égaux en dignité et en droits, donc fondent l'homme Sartre, au diable ou au bon dieu. Ce serait oublier que ce sur la dignité. Dans !e premier cas, la dignité est reconnue n'est pas Pie de La Mirandole qui s'adresse à l'homme, comme !e privilege de l'homme, et non, par une exclu mais le Créateur ou Grand Artisan qui tient un discours sion implicite, des animaux, des plantes ou des pierres ; à sa créature. La dignité de l'homme, qui consiste en sa dans !e second cas, l'humanité est reconnue comme le liberté de choisir entre !e haut et le bas, !e bien et le mal, prédieat de la dignité, et non, par une exclusion tout !ui a été octroyée par Dieu lorsqu'il l'a créé et placé au aussi implicite, des autres propriétés de !'animal centre du monde. La dignité n'est donc pas due à l'être humain : la rationalité, selon Aristote, !e rire, selon Rabe humain << du seu! fait qu'il est humain >>, disions-nous lais, la pensée, selon Pascal, !e jeu, selon Schiller, la plus haut avec Ricreur, mais du seu! fait, et on peut ici volonté de puissance, selon Nietzsche, l'être-pour-la parler de fait avec l'action fabrieatriee de l'A rtisan divin, mort, selon Heidegger. Si l'homme est bien, comme le qu'il a été créé. II n'y a pas ici de cercle logique entre voulait l'auteur du Zarathoustra, !'animal qui n'est pas l'humanité et la dignité puisque Dieu, qui tient les deux encore fixé, c'est-à-dire un être qui n'a pas d'essence pro bouts de la cha!ne, intervient comme le médiateur. Pas pre, alors on ne peut !ui accorder sans faire violence à la cal n' enseignera pas autre chose. Si toute la dignité de logique une dignité inhérente à son être. Le postulat d'une l'homme consiste dans la pensée, c'est parce que dignité essentielle, ou, si l'on préfere, d'une dignité native l'homme est une créature divine. Comme chez Pie, 'lf'' 18 DE L'INDIGNATION LE TEMPS DES INDIGNATIONS 19 l'homme pascalien n'a pas de nature, oscillant sans suprême •>. Le postulat de la souveraineté de Dieu, s'il ne cesse entre la dignité de l'ange et l'indignité de la bête, fait pas l'objet d'une connaissance démonstrative mais Plus gravement, lorsque l'homme prend la posture de d',une_foi de faii:aison, fonde donc en derniere instance la l'ange, dans l'inconcevable vanité de sa belle âme, il valeur inconditionnée ou la dignité de l'homme. Et !e res sombre dans !'imposture de la bête, montant et descen pect que nous !ui devons, et que chacun de nous doit dam alternativement jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il avoir pour les autres hommes, est, précise Kant, << !e seu! est « un monstre incompréhensible ». [mot] qui fournisse l'expression convenable de !'estime Fonder la dignité sur l'homme ou l'homme sur la qu'un être raisonnable doit avoir pour cette valeur6 •>. dignité sans instaurer de médiation, !e Grand Artisan C'est dire que la raison pratique est obligée d'admettre chez Pie de La Mirandole, Jésus-Christ chez Pascal, 'l:ue la dignité de l'homme ne se réduit pas à un fait empi l'Être divin chez Rousseau, !e Maltre suprême chez Kant, nque, sous la forme d'un décret proprement humain . . ' c'est succomber à la pétition de principe qui consiste à mais renvo1e a ce que Kant nomme, en soulignant sa) fonder la raison sur elle-même. On peut qualifier ce prín phrase, << un monde intelligible >> qui contient « le Jondement cipe, sur leque! s'articule la morale, d'<< autonomie de la du monde sensible et par suite aussi de ses !ois ,>7. La dignité volonté et rejeter avec Kant tout recours à une source n'est donc pas plus le prédicat premier de l'homme que >> hétéronome. II n'en demeure pas moins, et c'est !à !'une l'~o~n_ie une manifestation directe de la dignité ; la des croix du kantisme, que le regne des fins envisagé par mediauon de la !oi morale, en ouvrant !e regne des fins Kant, en tant que liaison systématique de tous les êtres se rapporte@'e façon ultime et fondatrice(à l'existence d: Dieu. - raisonnables par des !ois universelles, ce qui revient à reconnaitre à tous les êtres humains une égale dignité, ne Nous voyons qu'il est illusoire de considérer la dignité prend son sens que s'il est couronné par un << chef » ou comme une donnée immédiate de la conscience que « maitre suprême » (Oberhaupt). Si l'homme, ou l'être nous devrions établir sur le seu! fait que l'être humain est raisonnable, appartient bien en qualité de membre au humain. L'expérience historique le montre à satiété regne des fins et peut y demeurer, en qualité de chef, L'homme ne cherche à brutaliser, humilier ou détruir; lorsqu'il n'est pas soumis à une volonté étrangere, il ne l'homme que parce qu'il est humain. Quelle que soit la \ saurait cependant prétendre à << la place du chef >> car il difficulté, ou l'impossibilité, à la définir, c'est bien ' n'est jamais << un être pleinement indépendant, sans l'humanité qui est bafouée dans l'homme quand on besoins, et avec un pouvoir qui est sans restriction adé s'attaque injustement à !ui. À ce titre, !e crime contre quat à sa volonté >>5• l'humanité, selon la définition d' André Frossard con En d'autres termes, Dieu seu!, être indépendant et siste à tuer quelqu'un pour le seu! motif qu'il est ~é et à sans besoin, occupe la place de << chef » ou de « Maitre nier en !ui son humanité8• Dans la mesure ou l'histoire suprême ». Kant est alors autorisé à voir dans ce regne nous montre que la dignité humaine, dont la gestation a des fins, accordé à la dignité de tous ses membres, un ét,é longue, est plus un aboutissement qu'un point de idéal à réaliser par la Jiberté sous la forme d'une commu depart, la plupart des sociétés ignoram aussi bien !e mot nauté d'êtres raisonnab!es << unis sous un Maitre que la chose, il me parait plus avisé de chercher un autre 20 DE L'INDIGNATION LE TEMPS DES INDIGNATIONS 21 príncipe, ou un autre fait générateur, pour en justifier par la société concernée. Pensons à la mênis d' Achille, l'exigence. Les hommes se sont indignés avant de conce que l'on traduit généralement par « colere >>, alors qu'il voir la notion de dignité et, plutôt que croire aveuglément serait plus juste de parler d'« indignation >>, voire de en la prímauté de ce príncipe, il faudrait s'étonner de la << ressentiment >>, lorsque le fils de Pélée découvre tardivité de son apparition. On peut le faire remonter, qu'A gamemnon lui a ravi sa captive, la belle Chryséis. d'une part, à la conception sto1cienne, dans l'homme, Dans cet épisode décisif, l'affront fait au héros le plus d'une droite iaison identifiée à la figure de Zeus et à la loi valeureux des Achéens entraine moins sa colere, he orgé, du monde ; elle implique, avec J'émergence de la per laquelle ne se nourrit que d'elle-même, que son indigna sonne morale, l'unité d' ensemble de l'humanité ou, selon tion, he mênis, laquelle ne s'excite que devant l'injustice. l'expression de Cicéron, de << la société universelle du II n'est jamais question, dans l' Iliade et dans 1'0dyssée, de genre humain9 >>. Et d'autre part, à la tradition chrétienne dignité de la conscience, d'autonomie de la volonté ou de qui integre la loi divine dans J'homme intérieur du fait de loi morale universelle, et Homere ne peut passer pour un l'incarnation, et, chez Paul, refuse de distinguer entre juif précurseur de Kant. Mais l'âme indignée, et par là mal et grec, esclave et homme libre, homme et femme, car heureuse, est déjà présente au spectacle de l'affront, de chacun des êtres créés est fils de Dieu et un en Jésus l'offense et de l'injustice faits aux hommes. Christ. Homo, agnosce dignitatem tuam " répétera sans se << Je propose ici l'hypothese selon laquelle le sentiment lasser la tradition chrétienne comme on le voit par exem d'indignation a précédé, et précipité ensui~e concept ple chez Bernard de Clairvaux10• de dignité en permettant l'é closion de ce que nous nom II n'en reste pas moins vrai, pour reprendre une mons, depuis Rousseau, la conscience morale. Cette der expression de Heidegger, que la durée d'incubation du niere, qui s'avere in.séparqb)êdê façroyance eri la justice, principe de dignité a été aussi longue, et sans doute plus ne s'éveille et ne se déploie que devant l'injustlce. C'est douloureuse, que celle du principe de raison. II a faliu bien l'outrag~ fag_ à la justice univçrs~JJ.i:, qu'il s'agisse de attendre l'humanisme de la Renaissance, avec Pie de La celle des dieux ou de celle des hommes, de Thémis ou de Mirandole, puis les pensées de Rousseau et de Kant, Dike, qui donne prise à l'indignation et permet à la rai- dont on retrouve les échos dans la Déclaration des droits son d'élaborer le concept de dignité au long de l'histoire. de l'homme de 1789, pour que ce príncipe soit expressé L'homme n'est pas indigné parce qu'un acte vil a porté ~-. ment établi dans la culture morale et politique de atteinte à une dignité abstraite ; il proclame son exigence ) l'Europe avant de s'imposer en 1948 au reste du monde. de dignité parce qu'il a éprouvé des indignations réelles. / Or, il est de fait- et ce n'est pas là un << fait de la raison >>, mais un fait du sentiment - que, sous diverses formes, ce En dépit des protestations de l'entendement, qui veut que nous appelons aujourd'hui du nom d'« indignation" connaitre et juger de tout, c'est bien le sentiment qui est a largement précédé l'apparition du concept de premier et qui, élu par la justice, en un élan d'indignation « dignité >>. La littérature universelle nous offre un flori qui se rebelle devant l'outrage, conduit la raison à penser, lege de ma_nifestations de révolte devant des paroles, des si elle ne peut jamais la démontrer, la dignité de situations ou des actes considérés comme inacceptables l'homme.

See more

The list of books you might like

Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.