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De l’ancien français au français moderne: Théories, pratiques et impasses de la traduction intralinguale PDF

210 Pages·2015·0.814 MB·French
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DE L’ANCIEN FRANÇAIS AU FRANÇAIS MODERNE THÉORIES, PRATIQUES ET IMPASSES DE LA  TRADUCTION INTRALINGUALE BIBLIOTHÈQUE DE TRANSMÉDIE sous la direction de Claudio Galderisi et Pierre Nobel Volume 2 De l’ancien français au français moderne Théories, pratiques et impasses de la traduction intralinguale Études réunies par Claudio Galderisi et Jean-Jacques Vincensini H F Cet ouvrage a été publié avec le concours de l’Action de recherches collaboratives (ARC) des universités de Poitiers et Tours : “Linguae : Lingua gallica ad Europam. Histoire des traductions françaises dans les langues de l’Europe médiévale” La journée d’étude dont ce volume est issu a bénéficié du soutien de l’ARC LINGUAE, de la Fédération des Études supérieures du Moyen Âge et de la Renaissance – FESMAR (FR 3482), de l’Université de Poitiers, du CESCM (UMR 7302) et du CESR (UMR 7323) Les deux demi-journées ont été animées et présidées par Pierre-Marie Joris et Cinzia Pignatelli. Les Index ont été établis avec la collaboration de Jérôme Devard. © 2015, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. ISBN 978-2-503-56517-0 D/2015/0095/155 Printed in the EU on acid-free paper THÉORIES ET MÉTHODOLOGIES Claudio Galderisi « UN TRUCHEMENT ME FAUT QUÉRIR… » PEUT-ON TRADUIRE POUR QUI NE CONNAÎT PAS LE FRANÇAIS MÉDIÉVAL ? Cependant, il me semble que traduire d’une langue dans une autre […], c’est comme quand on regarde les tapisseries de Flandre à l’envers, on voit bien les figures, mais elles sont pleines de fils qui les obscurcissent, et ne paraissent point avec l’uni et la couleur de l’en- droit. D’ailleurs, traduire d’une langue facile et presque semblable, cela ne prouve pas plus de l’esprit et du style, que copier et transcrire d’un papier sur l’autre. (Miguel de Cervantès, Don Quichotte, t. ii, chap. 62) La traduction du « même au même », selon la définition qu’en donnait Michel Zink en conclusion du colloque de Mulhouse sur la translatio1, est une invention de ces mêmes clercs médiévaux qui ont mis en communication, et parfois en communion, à travers la translatio studii deux horizons culturels et linguistiques. Certes la traduction intralinguale2, pour reprendre la défini- tion de Jakobson, se différencie sur le plan des enjeux éthiques, idéologiques et esthétiques de la translatio studii; elle n’en est pas moins l’une des manifestations sinon l’une des conséquences. Comme le mouvement de la translatio studii, elle est animée par une philosophie du transfert vivifiant et en partie, mais dans une 1 Michel Zink, « Du même au même. Traduire et récrire », dans Actes du colloque sur la translatio médiévale, études rassemblées par Claudio Galderisi et Gilbert Salmon, Mulhouse 11-13 mai 2000, Perspectives médiévales, supplément au no 26, 2000, p. 283-290. 2 Cf. Roman Jakobson, Essais de linguistique générale. I. Les fondations du lan- gage. Aspects linguistiques de la traduction, Paris, Éditions de Minuit, 1963, p. 79. De l’ancien français au français moderne. Théories, pratiques et impasses de la traduction intralinguale, éd. par Claudio Galderisi et Jean-Jacques Vincensini, Turnhout, Brepols, 2015 (BITAM 2), p. 7-32. © F H G 10.1484/M.BITAM-EB.5.107717 8 CLAUDIO GALDERISI moindre mesure, de la secondarité heuristique. Pour l’une comme pour l’autre, c’est la conscience d’une différence qui en est à l’ori- gine. Il ne s’agit pas seulement d’une différence linguistique dont les illitterati et la diglossie seraient les symptômes les plus visibles pour la translatio studii, et le dérimage et la syntaxe de la phrase les traces les plus évidentes pour la traduction intralinguale de l’ancien au moyen français. La cause première de l’une comme de l’autre est, me semble-t-il, moins linguistique qu’autotélique : le transfert est moins le résultat d’une nécessité, d’une contrainte externe, que la preuve à la fois d’une rupture soulignée et d’une continuité mise en scène. La traduction intralinguale constitue en effet la trace la plus manifeste de l’évolution d’un idiome au sein de ce que Cesare Segre appelle un diasystème linguistique. Dans ce sens, la formule du « même au même », qui ne rendrait pas parfaitement compte selon une approche purement linguistique de l’évolution mor- phologique et phonétique d’une des deux langues gallo-romanes traduit bien la volonté d’inscrire les stades successifs de la langue française dans un continuum culturel, dans un espace-temps qui, ne pouvant pas délimiter une seule réalité linguistique, définit rétrospectivement au moins une même identité supralinguistique, une même histoire littéraire. Reste à savoir si elle peut s’appliquer aussi sur un plan littéraire à la littérature d’oc, à l’autre langue gal- lo-romane. Nous savons qu’au Moyen Âge il n’y a eu que très peu d’exemples de traductions entre les deux langues gallo-romanes. On trouve surtout dans les chansonniers du domaine d’oïl quelques chan- sons occitanes partiellement teintées de formes françaises3, de même qu’il y a dans les manuscrits occitans des chansons de trou- 3 Cf. Gustav Ineichen, « Autour du graphisme des chansons françaises à tra- dition provençale », Travaux de linguistique et de littérature, vii, 1, 1969, p. 204- 208 et Robert A. Taylor, « Barbarolexis Revisited : The Poetic Use of Hybrid Language in Old Occitan/Old French Lyric », dans The Centre and its Compass. Studies in Medieval Literature in Honor of Professor John Leyerle, éd. Robert A. Taylor, Kalamazoo, Western Michigan University, “Studies in Medieval Culture” (33), 1993, p. 457-474. PEUT-ON TRADUIRE POUR QUI NE CONNAÎT PAS LE FRANÇAIS MÉDIÉVAL ? 9 vères partiellement mises en langue d’oc4. La forme de la réécri- ture semble donc se substituer au Moyen Âge à celle du transfert linguistique. Mais cette compréhension réciproque muette qui est celle des xiie et xiiie siècles n’est plus d’actualité déjà à la fin du Moyen Âge, et encore moins aujourd’hui. La langue d’oc apparaît comme une autre langue et non comme un état ancien d’une des langues de la France médiévale ; sa l}ittérature aussi semble avoir été rejetée dans les limbes d’une sorte d’extraterritorialité litté- raire, à tel point qu’elle paraît désormais plus proche de la poésie lyrique médiévale transalpine que des lettres gothiques. C’est évi- demment une question de formes, de genres poétiques, mais c’est aussi sinon surtout une question de phonétique, de prononciation, qui semble faire des lettres occitanes une littérature sans identité nationale, autre par rapport au même que représente le français. Du « même au même » ? La question de l’identité formelle, de la tenue à elle-même d’une langue, est la première des questions qu’il convient sans doute de se poser lorsqu’on parle de traduction intralinguale. Elle induit toute une série de questions qui sont rarement formalisées dans l’histoire de cette translatio particulière, mais qui sont loin d’avoir des réponses univoques. En voici quelques-unes. Quand est-ce qu’une langue peut se définir comme telle par rapport à la langue-mère dont elle est l’une des évolutions possibles, mais aussi par rapport à des parlers régionaux qui en constituent autant des états que des étant ? Autrement dit, quand est-ce que du « même » on passerait à l’« autre » et qui déciderait d’un tel passage ? Les gardiens d’une orthodoxie linguistique que l’altérité linguistique naissante rend de plus en plus minoritaires ou la mul- titude des nouveaux illettrés ? Si l’inaccessibilité linguistique est le 4 Cf. Manfred Raupach and Margret Raupach, Französierte Trobadorlyrik : zur Überlieferung provenzalischer französischen Handschriften, Tübingen, M. Niemeyer, 1979, p. 12-49, et plus particulièrement les p. 148-156, et Robert A. Taylor, art. cit. 10 CLAUDIO GALDERISI premier critère définitoire de la traduction, nul doute que certains manuscrits qui recopient dans le français de l’Île de France des versions lorraines ou wallonnes jugées par les copistes autrement incompréhensibles par un public francien peuvent être considérés comme les premiers exemples de traduction intralinguale fran- çaise, ou du moins de transfert inter-dialectal5. Les copistes sont, souvent sans avoir la conscience, les premiers acteurs de la traduc- tion intralinguale, et les copies qu’ils réalisent constituent indis- cutablement un degré zéro de ce type de transfert6. C’est ce que rappelait entre autres Cesare Segre, lorsqu’il affirmait en parlant de ces passeurs médiévaux que : Par transitions insensibles, notre scribe est devenu éditeur, auteur, se considérant aussi comme détenteur d’un goût esthétique dont il s’autorise pour remanier son modèle, à une époque où les droits d’auteur ne sont pas reconnus, où l’exploitation du travail littéraire d’autrui est non seulement permise, mais digne d’éloge à l’intérieur de l’idéologie de l’auctoritas7. On pourrait en dire du même de l’enveloppe sonore des mots. L’incompréhension n’est pas seulement le fait d’une autre langue, elle peut aussi exister au sein d’un même diasystème phonique. La prononciation peut produire les mêmes difficultés d’accès au sens que la langue de l’autre. Comment oublier la scène burlesque, si bien décrite par Érasme dans le De recta latini graecique sermonis pronuntiatione, où quatre ambassadeurs de différentes nationa- lités saluent l’empereur Maximilien dans un latin relativement 5 Karen Korning Zethsen, « Intralingual Translation : An Attempt at Description », Meta : journal des traducteurs / Meta : Translators’ Journal, 54, 4, décembre 2009, p. 795-812. 6 Voir par exemple Bernard Guenée, « L’historien par les mots », dans Le Métier d’historien au Moyen Âge. Étude sur l’historiographie médiévale, éd. Bernard Guenée, Université de Paris i, Centre de recherches sur l’histoire de l’Occident médiéval, Publications de la Sorbonne, “Série Études” (13), 1977, p. 6-7. 7 Cesare Segre, « Critique textuelle, théorie des ensembles et diasystème », Bulletin de la Classe des Lettres et des Sciences Morales et Politiques de l’Académie Royale de Belgique, 5. Série 62, 1976, p. 279-292.

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