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De Diophante a Fermat PDF

10 Pages·1996·0.616 MB·French
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M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli paire ← De Diophante à Fermat CHRISTIAN HOUZEL Le théorème de Fermat, récemment démontré, a son origine dans des problèmes qui datent du deuxième millénaire avant notre ère. S ur son exemplaire des Arithmé- dans le prochain numéro de Pour la rectangles, qui vérifient alors le théo- tiquesde Diophante, en marge du Science, montrera comment A. Wiles rème de Pythagore. problème 8 du livre II, le magis- a résolu le problème. trat toulousain Pierre de Fermat Le problème 8 du livre II de Dio- Une tablette babylonienne écrit : «Au contraire, il est impossible phante était : «diviser un nombre carré de partager soit un cube en deux cubes, en deux carrés». Cette équation qu’on L’étude de tels «triangles rectangles en soit un bicarré en deux bicarrés, soit en noterait aujourd'hui x2 + y2 = z2est dite nombres», c’est-à-dire dont les côtés général une puissance quelconque diophantienne, parce que l’on s’impose sont des nombres rationnels, était cen- supérieure au carré en deux puissances de trouver des nombres x, y, zqui soient trale dans l’analyse diophantienne tra- de même degré ; j’en ai découvert rationnels, c’est-à-dire exprimables ditionnelle ; elle remonte à une très une démonstration véritablement mer- sous la forme de fractions. Les tri- haute antiquité, puisque une tablette veilleuse que cette marge est trop étroite plets (x, y, z)sont également nommés babylonienne du début du IIemillé- pour contenir». pythagoriciens, parce qu’ils peuvent naire avant notre ère contient une table De nombreux mathématiciens ont être associés à des côtés de triangles numérique visiblement liée aux triplets cherché cette démons- pythagoriciens. Dans tration sans la trouver, son état actuel (voir la jusqu’à ce que, en figure 2), elle se com- 1994, Andrew Wiles, pose de 15 lignes, de l’Institut Newton, numérotées de 1 à 15 à Cambridge, utilisant dans la colonne de des outils mathéma- droite, avec trois tiques complètement autres colonnes ; des inconnus du temps de traces de colle, sur une Fermat, vienne à bout cassure, dans la de ce que l’on a colonne de gauche, nommé «grand théo- montrent qu’un mor- rème de Fermat», ceau de la tablette a été alors qu’il ne s’agis- perdu à l’époque sait que d’une conjec- moderne. Le titre de la ture. Quelle preuve première colonne n’est Fermat avait-il trou- pas lisible, mais la vée? On l’ignore, et deuxième colonne il y a peu de chances indique des «nombres que les historiens des de la largeur», la troi- mathématiques par- sième colonne indique viennent jamais à le des «nombres de la savoir. En revanche, diagonale», et la qua- on découvre encore trième colonne donne des fragments de un «nom». l’histoire du théorème Les nombres sont de Fermat, qui fut, écrits en notation pour les mathémati- sexagésimale (chaque ciens, une source ordre valant soixante d’inspiration. Dans fois le précédent), cet article, nous consi- sans indication de la dérerons l’histoire du position de la virgule, théorème de Fermat ; avec laquelle on 1.Pierre de Fermat, né en 1601 près de Toulouse, est le fondateur de la théorie un autre article, de des nombres.Fermat était magistrat, et il ne participa à la vie mathématique de sépare aujourd’hui les Yves Hellegouarch, son époque que par des correspondances privées avec d’autres savants. unités des chiffres 88 © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 PLS – Page 88 B C Y M M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli impaire → décimaux (les Babyloniens se repé- nombres de cette colonne décroissent poténuse c; le nombre associé, dans la raient grâce au contexte).Par exemple, régulièrement de la première ligne (1 première colonne, est alors le rapport 1, 59, 0, 15 peut signifier 1 ×(59/60) + 59/60 + 15/603= 1,9834...à la dernière c2/a2, encore égal à 1/sin2α, où aest + 0/(60 ×60)+ 15/(60 ×60 ×60), soit (1 + 23/60 + 13/602+ 46/603+ 40/604 l’autre côté de l’angle droit et αl’angle 1,9834... ; 1,59 peut signifier 1 ×60 + 59, = 1,387188...). Cette décroissance opposé au côté de longueur a. soit 119. s’éclaire si l’on interprète chaque Cette tablette comporte quelques Sur le bas de la figure 2, on a recons- nombre de la deuxième colonne comme erreurs indiquées en couleur sur la titué la première colonne, incomplète un côté bde l’angle droit d’un triangle figure, mais elle est remarquable : les en raison de la cassure, en notant entre rectangle, et le nombre correspondant valeurs du côté a(non indiquées dans crochets les chiffres manquants ; les de la troisième colonne comme l’hy- la table) sont toutes des nombres entiers 2. CETTETABLETTEBABYLONIENNE men- tionne des triplets pythagoriciens, c’est-à- dire qui peuvent être des longueurs de I II III IV côtés de triangles rectangles. La notation est sexagésimale.Certains chiffres man- [1,59,0,]15 1,59 2,49 1 quants sont indiqués entre crochets. La [1,56,56,]58,14,50,6,15 56,7 3,12,1 2 deuxième colonne contient des valeurs qui [1,55,7,]41,15,33,45 1,16,41 1,50,49 3 sont des côtés bde l’angle droit, la troisième [1,]5[3,1]0,29,32,52,16 3,31,49 5,9,1 4 colonne contient des valeurs de l’hypoténuse cet la première colonne contient des rap- [1,]48,54,1,40 1,5 1,37 5 ports c2/a2, où aest l’autre côté de l’angle [1,]47,6,41,40 5,19 8,1 6 droit. [1,]43,11,56,28,26,40 38,11 59,1 7 [1,]41,33,59,3,45 13,19 20,49 8 [1,]38, 33,59,3,45 9,1 12,49 9 1,35,10,2,28,27,34,26,40 1,22,41 2,16,1 10 1,33,45 45 1,15 11 c a 1,29,21,54,2,15 27,59 48,49 12 [1,]27,0,3,45 7,12,1 4,49 13 1,25,48,51,35,6,40 29,31 53,49 14 α [1,]23,13,46,40 56 53 15 b © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 89 PLS – Page 89 B C Y M M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli paire ← dont 2, 3, 5 sont les seuls facteurs terminés, mais très simples, tandis que Les Arithmétiques auraient été com- premiers, de sorte que leurs inverses Diophante, avec ses problèmes très dif- posées de 13 livres, mais on ne connaît ont des expressions sexagésimales ficiles, est un auteur isolé dans la que certains d’entre eux. Six sont exactes : onpeut donc penser que les mathématique grecque : le seul pro- connus par leur texte en grec, à travers Babyloniens disposaient d’une blème diophantien difficile connu en de manuscrits dont les plus anciens méthode systématique pour obtenir dehors des œuvres de Diophante est remontent au XIIIesiècle ; quatre d’entre des triangles rectangles en nombres le problème des bœufs, attribué à Archi- eux, dont l’original grec est perdu, entiers, analogue à nos formules a= mède, qui conduit à l’équation du type ont été identifiés en 1971 par l’histo- 2pq, b = p2 – q2 et c = p2 + q2 (la pre- de Pell-Fermat : t2– 4 729u2 = 1 (ce rien français des mathématiques mière ligne serait donnée par p = 12, q problème concerne des bœufs qui pais- Roshdi Rashed et publiés en 1984. = 5, etc.). Le triangle de la onzième ligne sent dans un pré ; exprimé sous forme Aujourd'hui on dispose donc de 10 des a ses côtés (60, 45, 75) proportionnels d’un poème, il propose un système 13 livres : les trois premiers en grec (la au triplet pythagoricien le traduction arabe est perdue, plus simple (4, 3, 5). mais on la connaît par des Certains historiens ont commentaires du Xesiècle), prétendu que les Égyptiens les quatre suivants en arabe, connaissaient ce triplet avant et les trois derniers en grec. les Babyloniens. Ils n’en ont Dans les Arithmétiques, pas laissé de preuves. En Diophante examine diverses revanche, on sait que les espèces de nombres : les car- mathématiciens indiens, entre rés, les cubes et les espèces le Veet le IIesiècle avant notre que l’on obtient par combi- ère, étaient familiers de ces naison des deux premières triplets : le texte des Çulbasû- sortes (un carré-carré, par tramentionne explicitement exemple, est un carré dont que les triplets (4, 3, 5), (12, le côté serait un carré) ; il exa- 5, 13), (8, 15, 17), (24, 7, 25), mine des problèmes où ces (12, 35, 37) étaient utilisés pour espèces sont combinées par construire des rectangles. addition, soustraction ou multiplication, de manière à Les études donner des carrés ou des de Diophante cubes. Les nombres consi- dérés sont rationnels positifs La construction des triplets (et pas seulement des entiers, pythagoriciens est le seul comme dans la tradition résultat d’analyse diophan- euclidienne), et Diophante se tienne (avant Diophante) ramène toujours, par des présent dans les Éléments choix habiles, à ne conser- d’Euclide (vers 300 avant ver qu’un seul nombre notre ère) : c’est un lemme, inconnu, qu’il nomme sim- ou résultat préalable, pour la plement arithmos, c’est-à-dire proposition 28 du livre X. «nombre», en grec. Il se Le cas particulier où qest égal contente généralement de à p– 1 est d’ailleurs attribué trouver une solution pour par le philosophe Proclus à chaque problème. Par Pythagore (VIesiècle avant exemple, pour le problème 8 notre ère) et celui où q est 3.L’ARITHMÉTIQUE fut rédigée par Diophante au IIe ou au IIIe du livre II, il cherche à divi- égl à 1 à Platon. siècle de notre ère.Elle semble avoir été composée de 13 livres, ser 16 en une somme de deux De combien le travail de dont seulement dix sont en notre possession : six sont en grecs et carrés, et il prend l’un de ces quatre sont en arabe.En marge de ce texte, Fermat écrivit avoir Diophante est-il ultérieur? carrés inconnus comme carré trouvé une solution merveilleuse qui n’a jamais été retrouvée. Nul ne sait exactement, car du nombre (dunamis) , soit on ignore si ce mathématicien alexan- de sept équations à huit inconnues avec x2; l’autre carré est 16 – x2, drin vivait au IIesiècle de notre ère, quelques conditions). que Diophante cherche à égaler au carré ou plutôt au IIIesiècle. Une épigramme On connaît de Diophante une «d’un nombre quelconque d’arithmos de l’Anthologie palatine, recueil de œuvre intitulée Les Arithmétiqueset un diminué d’autant d’unités qu’il y a dans poèmes parfois anonymes écrits dans opuscule sur les nombres polygonaux, le côté de 16», par exemple à (2x– 4)2, les premiers siècles de notre ère, c’est- c’est-à-dire représentables par des som- ce qui donne l’équation 5x2 = 16x, d’où à-dire peu après la mort de Diophante, mets de polygones (par exemple, les x = 16/5. contient un problème d’arithmétique carrés sont les nombres carrés, que l’on Les manipulations de Diophante élémentaire qui met en scène sa vie.Le peut associer aux nombres de som- conduisent à ne conserver qu’une livre XIV de l’Anthologie palatine est mets de carrés emboîtés de plus en plus espèce égalée à une espèce : comme le constitué de devinettes et de problèmes grands) ; on lui attribue également des dit d’Alembert (à l’article «Diophante» arithmétiques, dont certains sont indé- Porismes aujourd’hui perdus. de l’Encyclopédie), il s’agit de «manier 90 © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 PLS – Page 90 B C Y M M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli impaire → tellement les inconnues ou l’inconnue, Les mathématiciens arabes fois dans un traité arabe anonyme, qui que le quarré et les plus hautes puis- ne sera publié qu’en 1861 par l’histo- sances de cette inconnue disparaissent, La traduction des Arithmétiques en rien des mathématiques F. Woepcke, et qu’il ne reste que l’inconnue au arabe avait été suscitée par un intérêt et il a été repris par de nombreux premier degré». croissant pour l’analyse indéterminée, mathématiciens. Dans la formulation Les problèmes qui se rattachent aux à partir de la première moitié du IXe d’al-Khâzin, il s’agit de «chercher un triangles rectangles en nombres ration- siècle (dans les problèmes d’analyse nombre carré tel que, si on lui ajoute nels sont nombreux dans les Arithmé- indéterminée, on cherche à résoudre, un nombre donné et si on en retranche tiques. Tantôt ces triangles interviennent en nombres rationnels, des systèmes ce nombre donné, la somme et la dif- comme auxiliaires pour résoudre un d’équations qui ont plus d’inconnues férence soient deux carrés» (ce pro- autre problème, comme dans le cas du que d’équations) ; le vocabulaire blème consiste à trouver trois nombres problème 9 du livre III : «trouver quatre employé est emprunté à l’algèbre. entiers x, y et y tels que x2+ a= y 2 1 2 1 nombres tels que le carré de leur somme, Cependant, à côté de cette lecture et x2– a= y 2). 2 augmenté ou diminué de n’importe algébrique de Diophante, il s’est déve- Al-Khâzin se réfère au problème 19 lequel d’entre eux, fasse un carré».À loppé au Xesiècle une lecture plus pro- du livre III de Diophante («trouver propos de ce problème, Diophante prement arithmétique, dont le quatre nombres tels que le carré de leur observe que si a2 + b2 = c2, alors c2 ±2ab représentant le plus éminent fut al- somme, augmenté ou diminué de n’im- = (a ±b)2.Il cherche alors quatre triangles Khâzin. Cette tradition s’intéresse aux porte lequel d’entre eux, fasse un rectangles numériques (dont on note problèmes en nombres entiers, et pas carré») ; par addition des deux équa- respectivement les deux côtés de l’angle seulement rationnels, et elle revient en tions, le double du carré cherché x2 droit (a , b ), (a , b ), (a , b ), (a , b )) ayant cela à la représentation euclidienne des est somme de deux carrés y 2+ y 2. Une 1 1 2 2 3 3 4 4 1 2 la même hypoténuse c ; tous ces entiers par des segments de longueur petite manipulation montre que ce nombres doivent alors vérifier c2= a 2 multiples d’une longueur de base. Elle carré est lui-même somme de deux car- 1 + b 2= a 2+ b 2= a 2+ b 2= a 2+ b 2. Il s’inscrit dans le cadre de la théorie rés, x2= u2 + v2, où uet vsont respec- 1 2 2 3 3 4 4 choisit habilement de chercher les des triangles rectangles en nombres tivement la demi-somme et la quatre nombres sous la forme 2a b x2, entiers (avec le concept de triangle pri- demi-différence de y et de y . Alors 1 1 1 2 2a b x2, 2a b x2, 2a b x2, où x est un mitif, c’est-à-dire dont les longueurs 2uvest la demi-différence des deux car- 2 2 3 3 4 4 nombre à déterminer, de façon que la des trois côtés n’ont pas de facteurs rés, c’est-à-dire le nombre donné a ; somme des quatre nombres soit cx, ce communs) et elle considère de nou- inversement, si u2 + v2 = x2et si 2uv = a, qui donne x= c/2(a b + a b + a b + veaux problèmes comme celui des en posant y = u + vet y = u– v, on 1 1 2 2 3 3 1 2 a b ). Il choisitcégal à 13 ×5, soit 65, nombres «congruents», que nous allons trouve y 2= x2+ aet y 2= x2– a. 4 4 1 2 car il sait que le produit de deux sommes examiner, ainsi que des problèmes Puisque les nombres x,u et vvéri- de deux carrés s’écrit de deux manières impossibles comme la division d’un fient la relation de Pythagore, xest l’hy- différentes comme une somme de deux cube en somme de deux cubes. poténuse d’un triangle rectangle et a carrés, et donc que 652est somme de Le problème des nombres (égal à2uv) est quatre fois l’aire de ce deux carrés de quatre manières. congruents est posé pour la première triangle ; la plus petite valeur de aest Tantôt Diophante cherche plutôt des triangles rectangles numériques qui vérifient des conditions supplé- mentaires. Le livre VI, dans la numé- rotation grecque, est entièrement consacré à ce genre de problèmes. Par exemple, le problème 3 du livre VI demande de «trouver un triangle rec- tangle en nombres, dont l’aire, aug- mentée d’un nombre donné, fasse un carré». Le nombre donné est 5 ; Dio- phante cherche le triangle sous la forme (ax, bx, cx), où (a, b, c) est un triplet pythagoricien, et le carré sous la forme (mx)2; avec ce choix, la condition du problème devient (m2– ab/2) x2= 5. Il faut trouver a, bet mde manière que m2– ab/2 soit le cinquième d’un carré. Diophante trouve à nouveau un chan- gement de variable astucieux : il prend a = 2, b= p2– 1/p2et m = p + 2 ×5/p, ce qui conduit au problème auxiliaire : trouver ptel que 100p2 + 505 soit un carré. Ce problème est résolu comme le problème 8 du livre II, en posant 4.DIOPHANTE FUT L’AUTEUR d’un opuscule sur les nombres polygonaux, représentables par 100p2 + 505 = (10p + 5)2, d’où p = 24/5 des sommets de polygones.Ici on a représenté des nombres triangulaires, des nombres et 1/5 ×(265/24)2x2 = 5, soit x = 24/53. carrés, des nombres pentagonaux et des nombres hexagonaux. © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 91 PLS – Page 91 B C Y M M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli paire ← le problème de Jean de Palerme avec x = 41/12. Les problèmes impossibles Un certain al-Khujandî, au Xesiècle, aurait proposé une démonstration incorrecte du fait que «la somme de deux nombres cubiques n’est pas un cube» ; on connaît un texte de cette époque, attribué à un Abû Ja‘far (ce qui est d’ailleurs un des noms d’al- Khâzin), qui pourrait bien être cette tentative. L’auteur établit géométri- quement que «pour deux nombres cubiques, leur différence est la somme du produit du carré du plus petit côté par la différence des deux côtés, plus le produit de la somme des deux côtés par leur différence, en ensuite par le plus grand côté». Autrement dit : z3– y3 = y2(z – y) + (z + y)(z – y)z. Puis, entraîné par le langage géométrique, il affirme péremptoirement que cette expression n’est pas un cube (au sens géométrique), ce qui n’est évidemment pas une démonstration. Une liste de 33 problèmes impos- sibles considérés par Ibn al-Khawwâm al-Baghdâdî, à la fin du XIIIesiècle, est connue par le commentaire qu’en fait un élève, Kamâl al-Dîn al-Fârisî. Al- Baghdâdi écrit : «Nous ne préten- dons pas que nous pouvons établir leur impossibilité, mais nous affirmons que nous ne pouvons pas les résoudre». Parmi ces problèmes, le premier s’énonce : «Trouver deux carrés dont la somme et la différence soient des carrés». Autrement dit, un carré ne 5.LE FILS DE PIERRE DE FERMAT a publié e, 1670 les Arithmétiques de Diophante avec pourrait pas être congruent. Le troi- les annotations marginales de son père.Dans ces œuvres figure la mention du problème de sième problème est «trouver un tri- Diophante et le texte où Fermat annonçait avoir résolu ce problème. angle rectangle dont les côtés sont des carrés», et le 24-ième : «diviser un 24 (on cherche des nombres tous dif- est publié à l’occasion une question cube en deux cubes». Ce sont précisé- férents), qui correspond au triplet posée à Léonard de Pise par Jean de ment les équations de Fermat pour pythagoricien le plus petit (4,3,5). Palerme, à la cour de l’empereur Fré- les exposants 4 et 3. Al-Khâzin donne ensuite plusieurs déric II : trouver un carré x2qui, aug- méthodes relevant de l’algèbre pour menté et diminué de 5, donne toujours Fermat, enfin résoudre le problème en nombres un carré. Léonard commence par rationnels et non plus entiers ; les l’étude générale du problème en Diophante a été progressivement redé- nombres entiers apossibles sont dits nombres entiers, remplaçant 5 par un couvert en grec, dans le monde euro- congruents. Enfin il établit l’identité nombre entier a; il établit tout d’abord péen, à partir du XVIe siècle. Le (p2+ q2) (r2+ s2) = (pr + qs)2 + (ps– qr)2, que le nombre adoit s’écrire 4pq(p2– mathématicien italien Rafael Bombelli implicite dans le raisonnement de Dio- q2) (c’est quatre fois l’aire d’un triangle (1526-1572) a consulté un manuscrit phante sur les nombres représentables rectangle), puis il montre que ce des Arithmétiques à la bibliothèque du de plusieurs manières, comme somme nombre est nécessairement un multiple Vatican ; puis l’érudit W. Holzmann, de carrés. de 24. qui signait Xylander, en a publié une On retrouve cette identité dans le Livre Pour obtenir un nombre égal à cinq traduction en latin en 1575. Enfin le des nombres carrés (1225) de Léonard de fois un carré, il prend p = 5 et q = 4 ; il Français GaspardBachet de Méziriac Pise, encore connu sous le nom de Fibo- obtient alors a = 720 = 122×5, x = p2+ (1581-1638) a publié le texte grec avec nacci.Bien qu’écrit en latin, ce livre se q2= 41, tel que 412+ 720 = 492, et 412– un traduction latine en 1621, et c’est rattache aux mathématiques arabes ;il 720 = 312, ce qui permet de résoudre dans cette traduction que Fermat a pris 92 © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 PLS – Page 92 B C Y M M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli impaire → connaissance de Diophante. Dans les juin 1638 : trouver un triangle rectangle nombres ne peut être un carré(...) Si marges de son exemplaire personnel, en nombres, dont l’aire soit un carré ; l’aire d’un triangle était un carré, il y il a mis un certain nombre d’observa- trouver deux carrés-carrés (deux puis- aurait deux bicarrés dont la diffé- tions, et son fils Samuel a publié en sances quatrièmes) dont la somme soit rence serait un carré ; il s’ensuit qu’on 1670 le texte de Diophante complété un carré-carré, ou deux cubes dont la aurait également deux carrés dont la par les annotations paternelles.Ces somme soit un cube ; trouver trois somme et la différence seraient des car- observations sont une source d’infor- carrés en progression arithmétique rés(...) Donc si on donne deux carrés mations précieuse pour la connaissance (avec le même écart entre le premier dont la somme et la différence sont des des travaux arithmétiques de Fermat. et le deuxième carré qu’entre le carrés, on donne par là même, en Ce dernier, comme avant lui al-Khâ- deuxième et le troisième) sous la condi- nombres entiers, deux carrés jouissant zin, distingue entre l’analyse dio- tion que la différence de la progression de la même propriété et dont la somme phantienne en nombres entiers, dite soit un carré. est inférieure. Par le même raisonne- arithmétique, et l’analyse diophan- À ces problèmes, Fermat ajoute des ment, on aura ensuite une autre somme tienne en nombres rationnels, plus théorèmes : (1)Tout nombre est somme plus petite que celle déduite de la algébrique et que Fermat rejette du côté d’un, de deux ou de trois «triangles» première, et, en continuant indéfini- de la géométrie, c’est-à-dire de la (c’est-à-dire nombres triangulaires ; ment, on trouvera toujours des science des quantités continues. Dans voir la figure 4) ; d’un, deux, trois ou nombres entiers de plus en plus petits un défi qu’il lance aux mathématiciens quatre carrés ; d’un, deux, trois, quatre satisfaisants aux mêmes conditions. en 1657, il commence par ces mots : ou cinq pentagones ; d’un, deux, trois, Mais cela est impossible, puisqu’un «Il est à peine quelqu’un qui propose quatre, cinq ou six hexagones ; d’un, nombre entier étant donné, il ne peut des questions purement arithmétiques, deux, trois, quatre, cinq, six ou sept y avoir une infinité de nombres entiers il est à peine quelqu’un qui sache les heptagones, et ainsi de suite indéfini- qui soient plus petits...» résoudre. Est-ce parce que l’Arithmé- ment. (2) Un multiple de 8 diminué Traduisons algébriquement le dis- tique a plutôt été traitée jusqu’à pré- d’une unité se compose seulement cours de Fermat : pour le triangle rec- sent au moyen de la Géométrie que par de quatre carrés, non seulement en tangle de côtés de l’angle droit 2pq, elle-même? C’est la tendance qui appa- entiers, mais même en fractions». p2– q2, et d’hypoténuse p2+ q2, l’aire raît dans la plupart des Ouvrages D’autres sont énoncés en août 1659 pq(p2– q2) étant un carré, les nombres tant anciens que modernes et dans Dio- dans une lettre à Pierre deCarcavi, un p, q, p2– q2sont des carrés, car pet q phante lui-même. Car s’il s’est écarté magistrat parisien aveclequel Fermat sont supposés premiers eux (ils n’ont de la Géométrie un peu plus que les correspondait. pas de facteur commun) et de parités autres en astreignant son analyse à ne On n’a que deux exemples de différentes (sinon le facteur 2 serait fac- considérer que des nombres rationnels, démonstrations par descente infinie de teur commun) ; ainsi p = u2, q = v2et il ne s’en est pas dégagé tout à fait, la main de Fermat : l’une se trouve en p2– q2= u4– v4= (u2+ v2)(u2– v2) est comme le prouvent surabondamment marge d’un problème ajouté par Bachet un carré, donc u2 + v2= s2et u2 – v2 = les Zététiques de Viète, dans lesquelles à la fin du livre VI de Diophante : «Trou- t2. On déduit que s2= t2 + 2v2, et que la méthode de Diophante est étendue ver un triangle rectangle dont l’aire soit s = m2+ 2n2, t = m2– 2n2, et v = 2mn, à la quantité continue et, par suite, à un nombre donné». Fermat ajoute : de sorte que u2= t2+ v2= (m2)2+ (2n2)2 la Géométrie». Contrairement à Dio- «L’aire d’un triangle rectangle en et (2n2, m2, u) est un nouveau triangle phante, Fermat cherche à déterminer toutes les solutions de chaque problème indéterminé. y Le principe unificateur de son ana- lyse en nombres entiers semble être sa méthode de descente infinie : dans cette méthode, on part d’une solution en nombres entiers positifs d’une équa- tion ; on en déduit qu’il existe alors une autre solution, en nombres entiers posi- tifs, mais plus petits que les précé- dents ; puis en répétant cette construction sur la solution plus petite, 0 x C on trouve une solution encore infé- A B rieure, et on répète indéfiniment le pro- cessus.Comme toutes les solutions ainsi obtenues sont des nombres entiers positifs et qu’il n’existe pas de suite infinie décroissante d’entiers positifs (on s’arrête évidemment à 0), l’équa- tion ne peut avoir de solution. 6.LAMÉTHODE DE LA CORDE, inventée par Newton, fut appliquée à la fin du siècle dernier Les principaux problèmes qu’il à des courbes d’équation y2= P(x), où Pest un polynôme de degré égal à trois.Newton a remarqué qu’une droite qui passe par deux points de coordonnées rationnelles de la courbe est parvenu à résoudre par cette passe également par un troisième point rationnel. La méthode de la tangente correspond méthode sont déjà énoncés dans une au cas particulier où deux points sont confondus : la sécante devient une tangente, de lettre au père Mersenne, au début sorte qu’un point rationnel en détermine un autre. © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 93 PLS – Page 93 B C Y M M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli paire ← rectangle dont l’aire m2n2est un carré ; égal à deux. En supposant connue une pense qu’une somme de trois bicar- alors m2= u 4– v 4, avec des nombres solution rationnelle, il aborde la rés ne peut être un bicarré, tandis 1 1 u , v , tels que u 2±v 2soit carré, et on recherche des autres solutions d’une qu’une somme de quatre bicarrés peut 1 1 1 1 voit que u 2 + v 2 < u2 + v2. Cette manière analogue à celle de Diophante être un bicarré (l’équation correspon- 1 1 démonstration donne l’impossibilité pour le problème 8 du livre II, et il dante, x4+ y4+ z4+ t4= u4, ne sera réso- de l’équation de Fermat pour l’expo- remarque que la détermination des lue qu’en 1911 par le mathématicien sant 4. solutions entières exige la résolution américain M. Norrie). Euler croyait Dans sa correspondance ou dans d’une équation du type de Pell-Fermat. encore qu’une somme de quatre puis- ses travaux publiés, Fermat n’a jamais Un deuxième thème est l’étude des sances cinquièmes ne peut pas être une fait allusion à son équation pour équations de la forme y2= P(x), où P puissance cinquième, mais, en 1962, d’autres exposants que 3 et 4. Il est donc est un polynôme de degré égal à trois M. Birch a trouvé un contre-exemple permis de penser qu’il s’est aperçu ou quatre, et des problèmes apparen- par ordinateur, démontrant ainsi que après coup d’une difficulté dans la tés. On peut y rattacher l’impossibilité cette idée était fausse. démonstration qu’il croyait avoir pour de l’équation x4 + y4 = z2, qu’Euler Joseph Louis Lagrange (1736-1813) le cas général de sa conjecture. établit, en 1747, par descente infinie, a pris le relais d’Euler pendant la à la manière de Fermat, et dont il tire dizaine d’années où il s’est intéressé Les successeurs de Fermat une série de corollaires. à la théorie des nombres. Lagrange Les constructions d’Euler rela- obtient d’abord un résultat sur la Pendant le XVIIesiècle, l’analyse dio- tives à ces équations peuvent s’inter- périodicité des fractions continues de phantienne est restée un sujet à la mode préter géométriquement comme l’avait nombres quadratiques : les nombres qui a intéressé notamment Isaac New- fait Newton (méthode de la sécante ou quadratiques sont les racines d’équa- ton et Wilhelm von Leibniz. Au pre- de la tangente), mais Euler n’en dit rien. tions du deuxième degré dont les coef- mier, on doit une note remarquable Le lien avec le calcul intégral ne lui ficients sont des nombres entiers (par dans un cahier de 1670, où il interprète avait peut-être pas échappé, car, vers exemple, √3 est un nombre quadra- l’équation diophantienne y2 = P(x), 1780, il transforme l’équation y2=P(x) tique, parce qu’il est solution de où Pest un polynôme de degré égal à en une autre équation analogue à l’équation x2– 3 = 0).On peut écrire trois (de la forme ax3+ bx2+ cx + d), celle qui donne l’addition des «inté- ces nombres sous la forme de frac- comme la recherche des points à coor- grales elliptiques».Ces intégrales ne tions continues, de la forme géné- données rationnelles sur la courbe défi- s’expriment pas par des fonctions rale 1 + 1/(a + 1/(a + 1/(a + 1/(...))) ; 0 1 2 nie par cette équation. Newton élémentaires (les quatre opérations, notamment √3 s’écrit sous la forme explique comment une sécante qui joint l’exponentielle, le logarithme et les 1 + 1/(1 + 1/(2 + 1/1 + 1/2...)) dont deux points rationnels (c’est-à-dire dont fonctions sinus et cosinus) ; elles sont la périodicité est égale à deux : les 1 l’abscisse et l’ordonnée sont des égales aux aires comprises entre l’axe et les 2 alternent aux dénominateurs nombres rationnels) recoupe la courbe des abscisses et les courbes de la forme successifs. en un troisième point rationnel, mais y = R(x, √P(x)), oùR est une fonction Àpartir de ce résultat, Lagrange cette interprétation par la géométrie rationnelle et oùP est un polynôme à établit la possibilité de l’équation de algébrique reste isolée, à l’époque (voir une variable de degré trois ou quatre). Pell-Fermat dans le cas général. Puis la figure 6). Euler a donné une démonstration il obtient un critère d’existence d’une Leibniz avait découvert que cer- du théorème de Fermat pour l’expo- solution pour les équations diophan- taines manipulations de l’analyse dio- sant égal à 3 ; il y fait une première allu- tiennes de degré deux (critère qui phantienne conduisant à exprimer sion dans une lettre à Goldbach, en août sera amélioré par Adrien Marie rationnellement, en fonction d’un para- 1753, puis, en 1759, dans un article Legendre). Lagrange n’aborde les équa- mètre, des quantités xet yliées par une consacré aux formes quadratiques a2 tions de degré trois ou quatre que dans relation algébrique f(x,y)= 0, pouvaient + 3b2et m2+ mn + n2: on passe de l’une un article de 1777, où il utilise, sous être employées pour obtenir des inté- à l’autre en posant m = a + bet n = b – a, une forme exclusivement algébrique, grales de y en fonction de x (l’aire et Euler annonce que si t3est représenté la méthode de la tangente. sous la courbe donnée par l’équation par la seconde forme, il en est de même y = f(x)). On trouve une remarque de t, ce qui lui permet d’amorcer une L’analyse diophantienne analogue dans des lettres du mathé- démonstration par descente infinie. Il au XIXe siècle maticien suisse Daniel Bernoulli (1700- publie une démonstration dans son 1782) à Christian Goldbach (1690-1764), Algèbre, en 1770, où il utilise des Au XIXesiècle, de nouveaux cas de la en décembre 1723 et en mars 1724. nombres complexes de la forme a + b√–3 conjecture de Fermat sont progressi- C’est précisément par Goldbach (où aet bsont des nombres entiers), vement établis : Peter Dirichlet (1805- que l’attention du Bâlois Léonard Euler en admettant que ces nombres ont une 1859), alors étudiant à Paris, démontre (1707-1783) a été attirée sur les travaux décomposition en facteurs premiers en 1825 l’impossibilité de l’équation arithmétiques de Fermat, à partir de comme les entiers ordinaires : tout x5 ±y5 = 2mz5, avec mpositif, par une 1730. Euler a beaucoup étudié le grand nombre de cette forme se décompose descente infinie fondée sur les pro- théorème de Fermat, et beaucoup de en un produit unique de nombres «pre- priétés des nombres de la forme a + b√5. ses travaux sont consacrés à des miers» du même type. La même année, Legendre démontre démonstrations de résultats annon- Cependant il remarque que l’équa- le théorème de Fermat pour l’expo- cés par Fermat. tion x3+ y3+ z3= t3est possible : c’est sant 5. Puis, en 1832, Dirichlet éta- Le premier thème est l’étude des le problème 16 du livre V de Diophante, blit le cas de l’exposant 14 au moyen équations diophantiennes de degré qu’il étudie dans un article de 1756. Il de l’arithmétique des nombres de la 94 © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 PLS – Page 94 B C Y M M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli impaire → forme m + n√–7, où m et n sont nombres entiers, et Gabriel Lamé (1795-1870), en 1839, obtient une démonstration P4 pour l’exposant 7. P'2 Dans les mêmes années, Legendre, P3 P1 Niels Abel (1802-1829) et Sophie Ger- D2 main (1776-1831) mettent au point des méthodes élémentaires pour atteindre D3 des résultats sur l’impossibilité du premier cas de l’équation de Fermat xp + yp + zp= 0, avec ppremier impair D1 ne divisant aucun des nombre x, y, z. Sophie Germain démontre que ce cas est impossible s’il existe un nombre premier qtel que pne soit pas une puis- sance p-ième modulo q: lorsque 2p + P'3 1 est premier, par exemple si p = 11 P2 (2p + 1=23), on peut prendre q = 2p + 1 parce que 11 n’est pas une puis- sance onzième modulo 23 (tout nombre 7.SUITE DE POINTS créée à partir d’une solution P1 de l’équation associée à la courbe en compris entre 1 et 22, élevé à la puis- rouge.P1 serait une solution dite «de torsion» si l’une des droites Détait verticale.Les points sance 11, est un multiple de 23 aug- de torsion forment des groupes dont on a exploré les relations avec les points rationnels. menté ou diminué de 1). Et Legendre étend ce résultat au cas où 4p + 1 est premier, par exemple si p = 13 (4p + avec, au second membre, λnombres en facteurs premiers.Cela a conduit 1=53). sans facteurs communs ; on aurait Kummer à élaborer, dans ses travaux Le premier travail d’Ernst Kummer déduit que ces facteurs devaient être suivants, sa théorie des «nombres pre- (1810-1893), en 1837, sur l’équation tous des puissances λ-ièmes, ce qui miers idéaux», qu’il ne définissait de Fermat se rattache au même ordre aurait permis d’amorcer une descente d’ailleurs pas comme des nombres : il d’idées ; il établit d’abord que si l’équa- infinie. donnait seulement les conditions pour tion x2λ+ y2λ= z2λa une solution telle Toutefois Kummer découvrit en qu’un entier cyclotomique soit divi- que λ n’ait pas de facteur commun avec 1844 que l’arithmétique des entiers sible par une puissance donnée d’un le produit xyz, alors λa un reste égal cyclotomiques était délicate : il n’existe tel nombre idéal.En termes modernes, à 1dans la division par 8. pas toujours de décomposition unique les nombres idéaux de Kummer peu- Apparemment Kummer a initia- de ces nombres en facteurs cycloto- vent s’interpréter comme des fonctions lement cru qu’il pourrait démontrer miques premiers.Pour se raccrocher associant un nombre entier naturel à le théorème de Fermat pour un expo- à l’arithmétique des entiers naturels, chaque entier cyclotomique, avec des sant λ premier impair quelconque Kummer considère la norme des conditions particulières ; l’exposant de par une méthode de descente infinie, entiers cyclotomiques f(α) = a + a α la puissance du nombre idéal qui divise au moyen de l’«arithmétique des + a α2+ ... + a αλ–2: cette norm0e, dé1fi- l’entier cyclotomique est précisément 2 λ–2 nombres cyclotomiques engendrés par nie par le produit f(α)f(α2)...f(αλ–1), cette fonction. α, une racine λ-ième de 1», envisagée est toujours un nombre entier naturel Kummer définit les produits par Gauss dans la septième section , et la norme d’un entier cyclotomique d’idéaux (on les appellerait aujourd’hui de ses Disquisitiones arithmeticae : les premier est un nombre premier ordi- des diviseurs), qu’il groupe en un nombres cyclotomiques sont les naire, de reste égal à 1dans la division nombre fini hde classes.En reprenant nombres de la forme a + a α + a α2+ entière par λ des idées de Dirichlet, il étudie ce ... + a αλ–2, où les nom0bre1s a , a2, a ... Réciproquement, pour les nombre de classes au moyen d’une λ–2 0 1 2 a sont des nombres entiers, et où α nombres premiers inférieurs à 1 000, fonction analogue à la fonction zêta λ–2 est une racineλ-ième de l’unité, c’est- Kummer a laborieusement calculé de Riemann (le produit, sur tous les à-dire unnombre complexe vérifiant (à la main, parce qu’il ne disposait idéaux ppremiers, de termes de la forme l’équation xλ= 1 ; un tel nombre est alors pas d’ordinateur) des tables de 1/(1 – n(p)-s), où n(p) représente la représentable par un point du cercle factorisation en entiers cyclotomiques norme de p).La finitude du nombre de de rayon centré sur l’origine (on peut premiers des nombres premiers ordi- classes permet d’écrire les facteurs x + considérer que l’arc de cercle qui se naires ayant pour reste 1 dans la divi- αkyde zλcomme des puissances λ-ièmes trouve entre 1et αest la λ-ième partie sion entière par λ, pour tous les multipliées par des facteurs ne pouvant de tout le cercle).Si les entiers cyclo- nombres λ inférieurs à 24.Il a ainsi prendre qu’un nombre fini de valeurs. tomiques avaient admis une décom- découvert que, pour λ égal à 23, le Lorsque λne divise pas le nombre de position unique en facteurs premiers, nombre premier ordinaire 47 (deux classes, on peut poursuivre la démons- une solution (x, y, z)de l’équation de fois 23plus 1) n’est pas la norme d’un tration comme dans le cas où h est Fermat pour l’exposant λ, sans facteur entier cyclotomique, de sorte que les égal à 1 (celui de l’arithmétique ordi- commun avec x, yet z, aurait conduit entiers cyclotomiques engendrés par naire) ; on dit alors que λest un nombre à l’égalité : une racine 23-ième de l’unité n’ad- premier régulier, et Kummer a donné zλ= (x + y)(x + αy)...(x + αλ–1y) mettent pas de décomposition unique un critère pour reconnaître les nombres © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 95 PLS – Page 95 B C Y M M Y C B 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % 100 % 80% 60 % 40 % 20 % 10 % 5 % pli paire ← premiers réguliers.Les seuls nombres égal à zéro et de degré ndéfinies sur suite de nombres rationnels) , sur la fini- premiers irréguliers inférieurs à 100 l’ensemble des nombres rationnels à tude du nombre de solutions entières sont 37, 59 et 67. une droite ou à une conique, et inver- d’une équation de la forme F(u,v) = m, sement. En réduisant ainsi le degré où Fest un polynôme homogèneen Analyse diophantienne d’une équation diophantienne, ils arri- (u,v), c’est-à-dire dont le degré total, et géométrie algébrique vent au degré 1 ou 2, que l’on sait pouruet pourvsoit égal pour tous les résoudre. termes du polynôme(par exemple, le Le travail de Newton précédemment Puis, en 1901, Henri Poincaré polynôme uv3+ u2v2+ 4v4est homo- évoqué à propos de tangentes et de (1854-1912), sans connaître appa- gène , et de degré égal à quatre) ; mais sécantes (inconnu jusque dans les remment le travail de Hilbert et de cette méthode était inopérante en degré années 1960) était resté sans suite, mais Hurwitz, consacre un article impor- quatre. la connexion de l’analyse diophan- tant à l’analyse diophantienne.Poin- Mordell s’est aperçu qu’elle lui don- tienne avec le calcul intégral fut expli- caré voulait classer les problèmes nait un procédé de descente conduisant cité pour le cas des intégrales elliptiques diophantiens en problèmes équiva- à établir que les points rationnels s’ob- par Carl Jacobi (1804-1851) dans une lents par certaines transformations tiennent à partir d’un nombre fini courte note publiée en 1834.Jacobi y adaptées à la nature du problème. d’entre eux par la construction des interprète la méthode d’Euler pour Comme il s’intéressait à l’analyse dio- tangentes et des sécantes ; c’est alors construire des solutions rationnelles phantienne rationnelle, les transfor- seulement qu’il cite Poincaré et qu’il for- de l’équation y2= P(x), où Pest un poly- mations birationnelles à coefficients mule sa célèbre conjecture, sur la fini- nôme de degré égal à 4, au moyen de rationnels se présentèrent naturelle- tude du nombre de points rationnels la multiplication par un entier de l’in- ment, et le genre, qui n’est pas modi- pour les genres strictement supérieurs tégrale de la fonction 1/√P(x). fié au cours de telles transformations à un. James Sylvester (1804-1897), à (on dit que c’est un invariant bira- André Weil, en 1929, a réinter- l’Université de Londres, a consacré des tionnel) a une signification que n’a prété le résultat de Mordell en termes travaux remarquables à l’étude des pas le degré.Poincaré traite d’abord du groupe des points rationnels d’une équations diophantiennes de degré le cas du genre zéro, obtenant le même courbe elliptique. La conjecture de égal à 3 par la géométrie algébrique. résultat que Hilbert et Hurwitz ; puis Mordell a fini par être démontrée en Il annonce ses résultats dans une note il passe au genre un, qui occupe l’es- 1983, par l’Allemand Gerd Faltings, de 1858 et il les développe dans une sentiel de son mémoire. qui a suivi une autre voie.Comme la série de mémoires en 1879 et en 1880. Poincaré montre que les courbes courbe de Fermat est de genre supé- Sa méthode consiste à construire des de genre un qui ont un point rationnel rieur à un lorsque l’exposant est stric- points rationnels d’une courbe cubique sont birationnellement équivalentes à tement supérieur à trois, le théorème (voir la figure 5) à partir d’un point la cubique déjà considérée, d’équation de G.Faltings indique que l’équation rationnel donné en se servant de tan- y2= 4x3– ax – b. Il introduit les fonctions de Fermat n’a au plus qu’un nombre gentes et de sécantes. dites elliptiques afin d’exprimer les coor- fini de solutions. En 1890, le dernier mathématicien données des points de ces courbes. Le théorème de Fermat propre- capable d’embrasser l’ensemble des Un ensemble de points rationnels ment dit est sorti de son isolement mathématiques, David Hilbert (1862- d’une cubique plane est dit stable par plus récemment, en 1987, quand on 1943), et son professeur Adolf Hurwitz la construction des tangentes et des s’est aperçu qu’il se déduisait de (1859-1919) étudient systématiquement sécantes si cette construction ne fait pas conjectures formulées de manière les équations diophantiennes à l’aide sortir de l’ensemble.Dans une suite d’ar- complètement indépendantes. de la notion de genre d’une courbe, ticles publiés entre 1906 et 1908, Beppo Notamment un théorème de Kenneth introduite par Rudolf Clebsch (1833- Levi cherche ces systèmes stables.En Ribet a montré que le théorème de 1872), à la suite de travaux de Bern- termes modernes, il s’agit de détermi- Fermat est une conséquence d’une hard Riemann : on étend la méthode ner quels sont les groupes de torsion conjecture de M. Taniyama et de de la corde en remplaçant la sécante possibles dans le groupe des points A.Weil sur les courbes elliptiques ; (de degré 1) qui coupe la cubique (de rationnels (voir la figure 7).La détermi- c’est cette conjecture que A. Wiles degré 3, soit 1+2) par une courbe de nation complète a été faite par Bruno vient de démontrer. degré inférieur de deux unités au degré Mazur, en 1978, et il est remarquable nde la courbe étudiée et en imposant que Levi s’en soit approchée. que cette courbe passe par tous les Contrairement à Poincaré, L.Mor- Christian HOUZEL est professeur de points singuliers (points doubles, dell s’intéressait à l’analyse diophan- mathématiques à l’IUFMde Paris. points de rebroussement, etc). On lui tienne entière ; en 1922, il voulait établir O.NEUGEBAUERet A.SACHS, Mathe- impose en outre de passer par un cer- la finitude du nombre de solutions matical Cuneiform Texts, New Haven, 1945. tain nombre de points ordinaires.Si p entières d’équations diophantiennes de est le genre, ce nombre de points impo- la forme y2= P(x), oùPest un polynôme DIOPHANTE, Les Arithmétiques, 4vol., Édi- tions Allard et Rashed, Paris, vol.3 et 4, sés doit être égal à n– 2 + p, et il reste de degré trois ou quatre.Pour le degré 1984 ; vol.1et 2 à paraître. ppoints d’intersection. Hilbert et Hur- trois, la théorie des nombres algébriques witz se limitent au genre égal à zéro ; lui permettait de se ramener à un théo- G.TERJANIAN, Fermat et l’analyse dio- phantienne, Sém.d’Hist. des Math. de Tou- ils trouvent que l’on peut passer, par rème d’Axel Thue, lié à la théorie des louse 8, pp.57-66, 1986. des quotients de polynômes à coeffi- approximations diophantiennes (com- P.RIBENBOÏM, 13 Lectures on Fermat’s Last cient rationnels (des «transformations ment estimer la rapidité de l’approxi- Theorem, Berlin, 1979. birationnelles»), de courbes de genre mation d’un nombre irrationnel par une 96 © POURLASCIENCE - N°219JANVIER 1996 PLS – Page 96 B C Y M

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