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Dans les Maisons d'Accueil Spécialisé (MAS) PDF

22 Pages·2013·0.55 MB·French
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Dans les Maisons d’Accueil Spécialisé (MAS) : un travail d’humanisation Avec l’appui de : Rédaction : Etienne ANTELME, Doctorant, CIDES Document issu d’une recherche de thèse sur « Les évolutions des métiers dans le secteur médico-social ». Sous la direction de Gilles JEANNOT et Pascal UGHETTO (LATTS – UPEM/ENPC/CNRS) Thèse réalisée dans le cadre d’une bourse Cifre avec la Mutuelle CHORUM et son centre de ressources et d’action CIDES Mai 2013 « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 2 Sommaire Page Introduction 4 1 - Le contexte de la monographie 5 1.1 - Les maisons d’accueil spécialisé 5 1.2 - La MAS de l’ADAPEI 5 2 - Une activité faite de nombreux compromis 8 3 - Un travail collectif, coûteux physiquement et cognitivement 11 4 - L’engagement moral et affectif dans l’activité, menacé par l’évolution de la division du travail ? 14 5 - Une histoire de la Lanterne par ses équipements techniques et ses artefacts cognitifs 16 6 - Le travail d’humanisation - Composer la scène du travail pour tenir l’espace, et « se mettre à leur place » 18 Bibliographie 21 « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 3 Introduction Le travail doit être regardé comme un enjeu en tant que tel pour l’économie sociale et solidaire (ESS). Car en même temps qu’elle promeut des valeurs de démocratie, d’égalité et d’engagement altruiste, elle est aussi un univers où de nombreuses personnes exercent un travail, salarié ou bénévole. Pour nombre d’organisations de l’ESS, cependant, se reconnaître comme des lieux de travail à part entière n’est pas spontané. Se vivre comme engagé dans un univers du don et du désintéressement n’aide pas nécessairement à se percevoir comme ayant à affronter quotidiennement des enjeux de production, de réalisation de services, d’efficacité et de mobilisation de capacités individuelles et collectives de travail. Pourtant, divers indices portent à y voir, non seulement des espaces de travail, mais aussi des lieux ayant à connaître des tensions propres aux relations de travail entre les personnels et les structures qui les emploient, ainsi qu'à la conduite des activités. Composé principalement d’entreprises associatives, le secteur du handicap repose sur des régulations institutionnelles anciennes et éprouvées ; il emploie des personnels qualifiés ; les relations sociales et les institutions représentatives du personnel y sont activement entretenues. Les métiers sont, pour certains, ancrés dans une histoire longue et des pratiques professionnelles qui se transmettent. Cependant, diverses évolutions – qui seraient à inventorier mais peuvent englober les changements sociodémographiques des populations bénéficiaires, le vieillissement, les évolutions réglementaires, et bien d’autres facteurs sans doute – transforment les conditions d’exercice de l’activité. Les travailleurs du secteur paraissent exposés à des pénibilités, des difficultés, des tensions qui les laissent, dans certains cas, désarmés, voire avec le sentiment d’être en échec. Les violences, l’agressivité, l’accompagnement de personnes qui, malgré les soins, l’attention et les méthodes, n’en continuent pas moins de décliner, ces problèmes classiques sont aussi vécus désormais comme adoptant une intensité et des formes parfois nouvelles et déroutantes. Le sentiment progresse, parmi les professionnels, de conditions de travail difficiles à endurer sur toute une carrière. Les phénomènes d’usure sont considérés comme présentant une réelle actualité, tout en restant à mieux documenter. Ainsi, dans un secteur où les salariés – en grande majorité des femmes – sont d’âge relativement avancé, la problématique de la longévité dans le secteur préoccupe particulièrement les employeurs, de même que la thématique des risques psychosociaux. L’entrée sur le terrain présenté ici s’est faite à l’occasion d’un séminaire organisé par Chorum-CIDES, et intitulé « Prévenir le stress et les risques psychosociaux dans l’économie sociale ». J’y ai rencontré l’adjointe aux ressources humaines d’une Association Départementale des Amis et Parents de Personnes Handicapées Mentales, située en province, dans un département essentiellement rural. Souhaitant diversifier le contexte géographique des structures enquêtées, nous lui avons proposé une démarche d’accompagnement à la prévention des risques psychosociaux. Celle-ci s’est montrée très intéressée par notre proposition, particulièrement à propos d’un établissement parmi les vingt-trois gérés par l’association, une maison d’accueil spécialisée pour personnes polyhandicapées. En effet, celle-ci concentre la plupart des problématiques rencontrées par la direction de l’association, notamment en termes d’absentéisme et de turnover. « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 4 1 - Le contexte de la monographie 1.1 - Les maisons d’accueil spécialisé 1.1.1 - Les origines des MAS La création des maisons d’accueil spécialisé (MAS) a été prévue par l’article 46 de la loi du 30 juin 1975 d’orientation en faveur des personnes handicapées. Deux textes ont ensuite précisé leurs missions : un décret publié le 26 décembre 1978, et une circulaire le 28 décembre 1978. Cette dernière prenait acte de progrès de la médecine et de l’hygiène permettant que « les jeunes handicapés parviennent de plus en plus nombreux à l’âge adulte », tout en constatant une augmentation sensible des handicaps graves dus à des causes accidentelles, notamment chez les jeunes adultes. Elle soulignait alors que l’absence d’une réglementation adéquate avait conduit « à accueillir ces personnes soit dans les établissements hospitaliers […] généralement peu adaptés à leur épanouissement social, soit, au contraire, au sein d’établissements de caractère purement social où elles ne trouvent pas la surveillance sanitaire et la prise en charge que requiert leur état. » 1.1.2 - Les financements Les dépenses liées à l’activité sociale et médico-sociale des MAS sont prises en charge par l’assurance maladie, sous la forme d’un prix de journée, sous réserve du paiement du forfait journalier par l’intéressé lui-même ou par le biais de sa couverture maladie universelle complémentaire. Dans tous les cas, un minimum de ressources est garanti aux personnes handicapées sous forme d’un « reste à vivre » qui équivaut à 30 % de l’allocation adulte handicapé (AAH) à taux plein. 1.1.3 - Les orientations réglementaires Les maisons d’accueil spécialisé (MAS) reçoivent des adultes handicapés n’ayant pu acquérir un minimum d’autonomie et dont l’état nécessite une surveillance médicale et des soins constants (qui ne sont pas des thérapeutiques actives ni des soins intensifs). Elles reçoivent des personnes adultes qu’un handicap intellectuel, moteur ou somatique grave ou une association de handicaps intellectuels, moteurs ou sensoriels rendent incapables de se suffire à elles-mêmes dans les actes essentiels de l’existence et tributaires d’une surveillance médicale et de soins constants. Outre l’hébergement, les soins médicaux et paramédicaux, les aides à la vie courante et les soins d’entretien, les MAS doivent assurer de manière permanente des activités sociales, en particulier d’occupation et d’animation. 1.2 - La MAS de l’ADAPEI 1.2.1 - L’Unapei L’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei) est née en 1960. La fédération poursuit divers objectifs, précisés dans son projet associatif : • faire reconnaître le handicap mental (quels qu’en soient la nature, l’origine et le degré de gravité), en approfondir la connaissance et en définir les compensations, • susciter les recherches indispensables à une meilleure connaissance du handicap mental et de son accompagnement, « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 5 • représenter les personnes handicapées mentales auprès des pouvoirs publics nationaux et internationaux et affirmer la primauté de la personne sur toute autre considération afin de défendre leurs intérêts et obtenir les moyens financiers et juridiques de nature à leur garantir une authentique insertion sociale ainsi qu’une pleine citoyenneté ; • faire connaître et défendre le rôle, les droits et les besoins des familles ; • informer les associations et les soutenir dans leurs actions quotidiennes et dans leurs projets ; • fédérer les associations affiliées à l’Unapei et coordonner l’ensemble de leurs actions. Outre sa vocation militante, elle fédère une large part des employeurs du secteur du handicap. Parmi les associations qui y sont adhérentes, trois cent sont gestionnaires d’établissements et services, et quatre-vingt-six sont des associations tutélaires, ce qui correspond à un ensemble d’environ trois mille établissements et services. 1.2.2 - L’Unapei dans le département L’Association départementale de parents et d’amis de personnes handicapées mentales qui nous intéresse a été créée en 1965. C’est en 1969 qu’elle ouvre un premier établissement, un centre d’adaptation au travail (CAT, devenu aujourd’hui établissement et service d’aide par le travail – ESAT). Aujourd’hui, elle gère vingt-trois établissements salariant près de 650 salariés dans l’ensemble du département, ce qui lui permet d’accompagner environ 1200 enfants et adultes. La MAS dénommée la Lanterne a été ouverte en 1985. Le siège a connu un développement particulier depuis deux ans et demi, c’est-à-dire qu’un certain nombre de fonctions y ont été re-centralisées, notamment en ce qui concerne les aspects administratifs et les ressources humaines. Le budget de la MAS est mutualisé avec sept autres structures de l’association (deux instituts médico-éducatifs, quatre services d’éducation spécialisée et de soins à domicile et un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés), au sein d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) signé avec l’Agence régionale de santé (ARS). 1.2.3 - La Lanterne La Lanterne accueille soixante usagers, dont cinquante-deux sont résidents, et huit externes, répartis dans quatre unités différentes. Toutes placées sous tutelle, ces personnes sont dépendantes et très fragilisées par leurs pathologies. Celles-ci sont très variées, et le degré d’autonomie des bénéficiaires est lui aussi très variable. Nombre d’entre eux ne peut boire et manger sans aide, et la plupart ont besoin d’un fauteuil roulant pour se déplacer. Presque tous portent des protections urinaires, et ont besoin d’aide pour réaliser leur toilette. Certains parviennent à s’exprimer, mais la plupart sont incapables de parler, ou ne possèdent qu’un langage très limité. La plupart d’entre eux sont polyhandicapés, hémiplégiques, infirmes moteurs cérébraux, mais certains sont trisomiques ou même autistes. Leur handicap s’est manifesté à la naissance, ou a fait suite à un accident. L’âge moyen des résidents est de quarante-cinq ans (celui dans l’ensemble des MAS était de quarante ans, fin 2006). Celui-ci s’accroît, d’une part du fait de l’augmentation de l’espérance de vie des personnes handicapées, et d’autre part, du fait que les MAS accueillent les publics les plus lourdement handicapés au sein du secteur du handicap. A la différence de l’état de santé des publics accompagnés par d’autres types de structures, celui des personnes vivant en MAS est rarement susceptible de connaître des améliorations notables. La trajectoire des résidents s’inscrit le plus souvent dans un cycle dégénératif, et la plupart d’entre eux y connaissent leur dernière demeure. Selon des données recueillies en 2006 par la DREES, en 2005, près de 60% des usagers ayant quitté une MAS l’ont fait suite à leur décès, et 14,5% l’ont fait pour une autre MAS ou un foyer d’accueil médicalisé (type de « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 6 structure proche de la MAS, mais accueillant théoriquement des usagers légèrement moins dépendants). Le vieillissement des résidents de la Lanterne augmente tendanciellement le volume des soins requis. Ainsi, deux résidents sont désormais alimentés par gastrostomie, au sein de l’unité la plus médicalisée. Les crises d’épilepsie sont plus compliquées à gérer qu’avant, et depuis quelques années, des résidents sont victimes d’hypothermie. Le travail empirique sur lequel s’appuie ce texte comprend six entretiens individuels, menés respectivement avec la responsable des ressources humaines de l’association, et au sein de la MAS, le chef de service éducatif, la chef de service paramédical, la chef de service administratif, ainsi qu’avec une aide-soignante (AS) et une aide médico-psychologique (AMP). Dans le cadre de l’accompagnement à la prévention des risques psychosociaux, cinq entretiens collectifs ont été menés auprès d’une assistante administrative, d’une aide-soignante (AS) et de deux aides médico- psychologiques (AMP). Ils ont duré en moyenne deux heures. Par ailleurs, des entretiens informels ont eu lieu avec la directrice des ressources humaines et le directeur de la Lanterne. Ils ont été suivis d’une série d’observations de huit journées de travail (quatre en matinée et quatre l’après-midi, au sein de deux unités différentes), durant lesquelles je me suis concentré sur le travail d’équipes successives d’encadrantes, soit treize salariées différentes au total. Avec le terme d’encadrante1, je reprends l’appellation communément utilisée par les différentes catégories de salariés de la Lanterne, pour désigner indistinctement les AMP et les AS. Ces trente-neuf encadrantes – soit environ 60% de l’effectif de l’établissement – se relaient pour assurer les mêmes fonctions. Pendant la journée, elles assurent une présence continue auprès des résidents, organisées au sein d’équipes du matin et d’équipes du soir. Dans les quatre unités, le taux d’encadrement oscille entre une encadrante pour quatre résidents, et une pour six, selon les moments de la journée. Ces salariées assurent entièrement le lever des résidents, la réalisation de leurs toilettes, ainsi qu’une bonne partie de la distribution des médicaments. Le reste de l’effectif compte quatre infirmières, quatre éducateurs et moniteurs-éducateurs, des surveillantes de nuit, des agents de service (entretien et blanchisserie) et un pôle administratif. Trois chefs de service managent ces salariés : un chef de service éducatif, une chef de service paramédical, et une chef de service administratif. Une psychologue à temps partiel intervient pour soutenir les équipes dans leurs relations aux résidents, et dans la définition des projets personnalisés d’accompagnement de ces derniers. Eux-mêmes sont placés sous la responsabilité du directeur de la MAS. Dans le registre médical, un médecin généraliste – avec lequel l’établissement a signé une convention – assure une présence sur l’établissement, une matinée par semaine. Par ailleurs, un médecin de médecine physique et de réadaptation intervient mensuellement à la Lanterne, autour des questions d’appareillage (sièges-coquilles, fauteuils roulants, chaussures orthopédiques…). Les autres compétences médicales mobilisées (kinésithérapie, psychiatrie…) le sont dans le cadre de partenariats avec des établissements extérieurs.                                                                                                                           1 Les trente-neuf salariés occupant ce poste ne comptant que deux hommes, je prends le parti pris d’utiliser le féminin pour les désigner dans leur ensemble. « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 7 2 - Une activité faite de nombreux compromis Ce samedi matin, alors que j’arrive à la Lanterne, je me rends à l’unité du Mistral. L’unité du Mistral se compose d’un couloir qui donne sur plusieurs chambres en enfilade. Au mur, on peut voir des panneaux sur lesquels sont affichées de nombreuses photographies des résidents, prises au cours d’activités à l’extérieur. Une cuisine américaine est rendue inaccessible aux résidents par une petite porte que les encadrantes verrouillent à chaque fois qu’elles en sortent, afin de leur en empêcher l’accès. Sofia, une encadrante, me dit que c’est un peu difficile ce matin. Depuis un an, une organisation en « coupures » a été mise en place le week-end. Alors que la semaine, elles sont trois en matinée, puis deux en soirée, cette organisation voit débuter la première encadrante toute seule, de 7h00 à 8h00. Elle est ensuite rejointe par la salariée « en coupure », qui travaille de 8h00 à 13h30, puis de 16h00 à 20h30. La troisième encadrante travaille quant à elle de 14h00 à 21h15. Etant toute seule, Sofia ne peut servir les petits déjeuners dès le réveil des résidents, comme cela est d’usage sur l’unité. En effet, cette activité comporte trop de risques pour être réalisée seule. La distribution du petit déjeuner nécessite de pouvoir contrôler le comportement de chaque résident. En effet, selon leurs pathologies, les régimes de ceux-ci se répartissent entre « mixés », « moulinés » et « entiers ». Certains peuvent boire liquide alors que d’autres ne tolèrent que des substances préalablement gélifiées. Ainsi, toute inversion ou absorption par un résident d’un plat qui ne lui est pas destiné entraîne un risque pour sa santé, à travers un risque d’étouffement. De plus, au-delà de la santé du résident concerné, tout incident risque d’en générer d’autres, du fait de son effet sur la disponibilité des encadrantes à l’égard de l’ensemble des résidents. La semaine, une partie de l’équipe de l’unité commence à 7 heures, ce qui lui permet de disposer d’un temps de transmission orale avec les surveillantes de nuit, tandis que l’autre commence à 7 heures 30. Les encadrantes réveillent les résidents entre 7 heures 30 et 8 heures. Certains d’entre eux sont réveillés avant leur passage et crient : les encadrantes vont les chercher en priorité pour éviter qu’ils ne réveillent les autres. Elles servent ensuite le petit déjeuner dans les salles de vie de chaque unité, et distribuent les médicaments, ce qui les occupe jusqu’à 8 heures 15 environ, voire 8 heures 30 en cas de problème particulier à gérer. Elles réalisent ensuite les toilettes. Après chaque toilette, réalisée dans la salle de bain que comporte chaque unité (ou groupe, pour les unités issues du regroupement d’anciennes unités), les encadrantes doivent désinfecter la baignoire, ainsi que le chariot-douche qu’elles ont utilisé. Les unités ou groupes ont une organisation différente, en fonction du type de handicap ou de pathologie des résidents : lorsque la plupart des résidents sont incapables de marcher, afin d’éviter un nombre de manipulations trop important, les toilettes y sont réalisées avant le petit déjeuner. A l’inverse, la présence de diabétiques parmi les résidents nécessite de les nourrir rapidement après le réveil, et amène donc l’équipe à privilégier le service du petit déjeuner dans un premier temps. Dans un établissement médico-social, le rythme de travail consacré à la production du service requis est contraint par des temporalités de différents ordres. Dans le cadre d’observations en EHPAD, des ergonomes (Bonnemain, Vidal-Gomel, Bourmaud, 2010) ont distingué un temps de l’institution, correspondant au temps alloué à la réalisation des tâches par la prescription, un temps de la réalisation des tâches par les personnels, et enfin, une temporalité qui est celle du rythme propre aux résidents. L’hypothèse qui découle de ce constat est alors que les tensions ressenties par les personnels sont issues de compromis insatisfaisants entre ces différentes temporalités. Ainsi, les encadrantes ne peuvent mener leur activité selon l’ordre prescrit lever/petit déjeuner et médicaments/toilette, correspondant à un déroulement chronologique idéal, favorisant les possibilités d’entraide entre elles. Bien souvent, au moment de leur réveil, elles découvrent que certains résidents sont souillés, et doivent alors les emmener réaliser une toilette. Suzanne nous explique que dans le groupe sur lequel elle travaille, elles sont très souvent deux à opérer, et non plus trois, comme c’était le plus souvent le cas il y « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 8 a quelques années. Dans cette situation, pendant que l’une réalise une toilette, l’autre se retrouve seule à devoir gérer la distribution des petits déjeuners et des médicaments. Sur l’unité du Mistral, Sofia nous explique que la plupart du temps, elles se retrouvent à être deux salariées pour réaliser onze toilettes, dès qu’une collègue est absente et non remplacée. Pour un certain nombre de résidents, elles doivent être terminées à 9 heures 30, heure à partir de laquelle ils partent faire des activités. Pour ceux qui restent au foyer, ces toilettes peuvent être terminées au plus tard pour midi, mais le sont généralement au plus tard vers 10 heures 30. D’autres sorties matinales auxquelles les encadrantes doivent adapter leur travail sont les rendez-vous médicaux, avec le médecin ou encore avec le kinésithérapeute. L’ordre des toilettes est donc en partie programmé en fonction de ces différentes obligations, affichées sur un planning hebdomadaire. Mais cette planification peut vite être bousculée, par exemple quand un résident fait ses besoins dans un couloir, ou qu’un autre arrive en courant, nu, exigeant qu’on réalise sa toilette. Ici, on peut voir s’entrechoquer le temps de l’institution, fait d’un planning régulé par d’autres groupes professionnels, que cela concerne les activités ou les rendez-vous médicaux, le temps de réalisation des tâches, c’est-à-dire le temps nécessaire pour réaliser l’ensemble des tâches avec des résidents vieillissants, fragiles, mais aussi parfois peu coopératifs ou même agressifs, et le temps des résidents, lié à leur état ou comportement du moment. En effet, lorsqu’un résident se salit, il bouscule le compromis entre le temps nécessaire à la réalisation des tâches, et celui issu d’obligations externes aux tâches elles-mêmes, compromis qui consiste à réaliser l’ensemble des tâches pour certains résidents en priorité. Avant dix heures, une autre contrainte liée à l’organisation générale est la venue d’un agent administratif, pour recueillir une fiche répertoriant les résidents présents pour le déjeuner, ces informations devant être transmises à la cuisine. Cette salariée considère que l’organisation la met en difficulté, en lui demandant de recueillir des informations dans un moment inapproprié, lors des toilettes. C’est une tension entre le temps de l’institution et le temps de réalisation des tâches des encadrantes qui est à même d’émerger, comme cela ressort dans les propos suivants : L’agent administratif - Bah moi, je tombe un peu comme un cheveu dans la soupe, et puis bah moi je suis gênée, hein, c'est ce que je vous disais la dernière fois. Je me sens gênée, parce que même quand y a des rideaux, moi je vois les résidents. Même si je ne regarde pas, mais à un moment donné... […] Emilie - Oh bah oui. Vous imaginez, y a un résident qui est en train de vous taper, et y a quelqu’un qui vient vous demander une feuille. « On s’en fout de ta feuille ! », c’est ça. Certaines encadrantes sont parfois appelées à accompagner les résidents se rendant à l’extérieur pratiquer des activités, à condition qu’au moins l’une d’entre elles reste sur l’unité pour la surveiller et réaliser les tâches restantes. Après les toilettes, les encadrantes désinfectent les chariots-douches, font la vaisselle, et se consacrent à la gestion du linge. A 11 heures, il faut emmener aux toilettes ceux qui sont propres, et changer les protections de ceux qui ne le sont pas, ce qui exige à nouveau une manipulation des corps des personnes. A partir de 11 heures 30, les encadrantes mettent la table, adaptant les couverts aux capacités de chaque résident à s’en servir. Le repas du midi se déroule entre 12h00 et 13h00, dans la salle de vie de l’unité. C’est le moment où il faut donner les médicaments, et aussi surveiller que le régime alimentaire de chacun soit bien respecté, par exemple adapté aux diabétiques ou hypoglycémiques. Il faut également éviter qu’un résident absorbe la nourriture prévue pour un autre, et aider certains à se nourrir. La distribution des médicaments est une matière encore plus sensible du point de vue des conséquences sur la santé des résidents d’éventuelles erreurs. Elle est de ce fait « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 9 réglée par un protocole précis. Il indique que le médicament ne doit pas être posé, et qu’il doit être donné immédiatement au résident, dont le traitement a été vérifié au préalable. Ce règlement préconise un mode opératoire selon lequel la personne chargée de cette tâche doit s’y consacrer entièrement, et ne pas être sollicitée par une collègue durant ce laps de temps. Selon une AMP s’exprimant lors d’un CHSCT auquel j’ai assisté, le détachement d’une salariée pendant une demi-heure pour la distribution des médicaments génère une augmentation importante de la tension, du fait de la réduction de l’effectif qu’elle entraîne pour les autres tâches. Néanmoins, Lucie nous explique que l’exigence de se consacrer entièrement à cette tâche est parfois battue en brèche, au moment du petit déjeuner. Les autres collègues étant occupées par la réalisation des toilettes, elle doit alors s’occuper à la fois du petit déjeuner et de la prise des médicaments. Dans ces cas-là, elle donne au résident son petit déjeuner, avant de lui donner son traitement. Ce traitement compte parfois jusqu’à huit médicaments pour un résident. En raison de leur infirmité, ils doivent être broyés à l’aide d’un moulin pour certains usagers, ce qui laisse « en miettes » les poignets des encadrantes. Après le repas, qui s’achève vers 13h00, un nouveau change des résidents est effectué. Une partie des équipes achève sa journée à 14h00, et une autre à 14h30, ce qui permet à celle-ci de réaliser des transmissions avec les équipes travaillant l’après-midi. Le travail exigé l’après-midi est considéré comme moins intense que celui ayant lieu en matinée. Il commence par une séquence consacrée à la gestion du linge, durant laquelle les encadrantes préparent le linge et les changes nécessaires, pour la nuit et pour le lendemain. A 14h30, une partie des résidents s’en va participer à des activités, et une autre va faire la sieste, ce qui occasionne de nouvelles manipulations, telles que l’enlèvement de la coquille facilitant le maintien de nombreux résidents en position assise. D’autres déambulent dans le foyer, ou participent à des activités organisées dans la grande salle. Quand elles sont suffisamment nombreuses sur l’unité, une des encadrantes a la possibilité d’accompagner le groupe de résidents en activité à l’extérieur. Tout au long de leur journée de travail, les encadrantes réalisent également un ensemble de petits soins tels que l’administration de crèmes, de vernis, de gouttes dans les yeux des résidents, ou encore nettoient leurs ongles. En cas de besoins de soins plus importants, elles appellent les infirmières sur leur téléphone, ou attendent le moment de leur passage sur l’unité, qui a lieu chaque matin. Les temps attribués à chacune des tâches sont variables, et ne peuvent être définis précisément. Aussi, bien souvent, la réduction du temps accordé à un résident en fonction des diverses contraintes évoquées peut être mal vécue par l’encadrante, ou faire l’objet d’une certaine culpabilité, ou encore de reproches entre collègues, lorsque certains considèrent que la répartition du travail n’a pas été équilibrée. « Dans les MAS : un travail d’humanisation » - CIDES – Université de Marne-la-Vallée – LATTS – Page 10

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