Convergemed dpirituelled et interculturel LES ROUTES D’AL-ANDALUS : CONVERGENCES SPIRITUELLES ET DIALOGUE INTERCULTUREL ‘La terre entière, dans sa diversité, est une, et les hommes sont tous frèrese t voisins”. (al-Zubaidi, précepteur d’al-Hakam II) Depuis sa fondation, l’UNESCO s’attache à promouvoir le dialogue entre les cultures comme un élément fondamental de l’édification d’une culture de paix. La coopération internationale qui s’est ainsi développée a permis de créer la notion de “patrimoine commun” de l’humanité, d’améliorer la connaissance mutuelle des peuples et de mobiliser les communautés intellectuelles autour de projets mettant en valeur la diversité et les interactions culturelles. Malgré ces acquis, renforcer le dialogue interculturel demeure une impérieuse nécessité. En effet, les processus complexes du monde actuel sont porteurs d’une dynamique qui recèle de graves dangers - comme l’attestent les nombreux conflits actuels -, mais qui peut tout aussi bien susciter un mouvement de convergence entre les cultures, appelées à découvrir un certain nombre de valeurs communes. L’UNESCO s’efforce donc de mettre l’accent sur les processus contemporains de convergence des cultures, de multiplier les espaces de dialogue entre des communautés appartenant à différentes aires culturelles ou religieuses, de mettre en évidence les processus d’emprunts et d’apports réciproques et de favoriser le renouvellement des perceptions, ainsi que l’approfondissement des solidarités. Dans cette perspective, le projet des “Routes dal-Andalus”, approuvé par la Conférence générale de l’UNESCO à sa vingt-huitième session (novembre 1995), vise à mettre en lumière les processus, les mécanismes et l’héritage du dialogue qui s’est développé dans l’Espagne médiévale et à analyser les conséquences actuelles des interactions dont elle a été le cadre. En effet, la coexistence des cultures et religions islamique, chrétienne et juive qu’a connue pendant presque huit siècles al-Andalus s’inscrit, certes, dans un cadre historique complexe, avec ses fractures et ses violences; mais cela ne diminue en rien son caractère d’exception. Al-Andalus apparaît comme un espace privilégié du dialogue et de la rencontre. Cette forme de coexistence, sans pareille en son temps, aura par ailleurs des conséquences d’une grande ampleur. Ce ne sera pas seulement la péninsule Ibérique ou le Maghreb, mais aussi l’Afrique subsaharienne et l’Occident européen, qui en auront été enrichis. A travers al-Andalus, les fondements de la culture grecque, en même temps que les apports philosophiques et scientifiques de l’Inde, de la Perse, de la Chine, ont été transmis à l’Europe. L’Espagne dal-Andalus aura ainsi relié l’Orient et l’Occident et fait la jonction entre le passé (YAntiquité) et l’avenir (la Renaissance). Il s’agit aussi, dans le projet de l’UNESCO, de jeter des ponts. Des ponts entre le judaïsme, le christianisme et l’islam; entre l’Occident, le monde arabe et l’Afrique subsaharienne; entre le passé et le présent en vue de construire un avenir d’échange et de respect mutuel entre des peuples, des cultures et des religions qui, jadis, malgré les difficultés, ont su vivre ensemble et s’enrichir mutuellement. Federico Mayor L’HÉRITAGE D’AL-ANDALUS “LES ROUTES D’AL-ANDALUS” Il est de plus en plus fréquent d’entendre parler d’al-Andalus, de ses créations artistiques et sociales, sa musique, les apports architecturaux, la science, la philosophie et de son influence dans la transmission de la pensée greco-romaine au reste de l’Europe. Lieu de rencontre, creuset entre les cultures, les races et les religions, sa capacité de tolérance et de coexistence créa une société qui rayonna de toute sa splendeur au Moyen-âge. En Andalousie, trois cultures, à travers trois religions, ont pu coexister, et ce malgré les obstacles. Les représentations théologiques et culturelles, les formes rhétoriques actuelles entre différentes religions et communautés trouvent leur origine dans les débats et les controverses de l’époque. Le Gouvernement Autonome de l’Andalousie, par le biais de “El Legado Andalusi” (YHéritage d’al-Andalus), est en train de réaliser un travail de récupération et de difKrsion de ce que fut notre passé andalusi. L’un de nos objectifs principaux est de promouvoir le dialogue entre les cultures comme facteur fondamental pour l’édification d’une culture plus juste, plus solidaire, une culture de la paix. La coopération et les échanges avec des organismes internationaux tels que l’UNESCO permettent l’émergence de cette notion de patrimoine commun de l’humanité, la connaissance mutuelle de cultures différentes et la mobilisation de groupes d’intellectuels autour de projets qui développent la diversité et les actions interculturelles. Dans ce contexte de dialogue interculturel toujours rénové, le Gouvernement Autonome de l’Andalousie se propose de promouvoir la création d’espaces de dialogue entre les communautés qui appartiennent à différentes aires culturelles ou champs religieux et partagent un patrimoine historique commun afin de développer la manifestation de certaines valeurs universelles. Il s’agit de mettre en relief les apports réciproques entre les cultures et approfondir les notions d’altérité, de vision de l’autre et de solidarité. Nous considérons le programme global “Les Routes dal-Andalus: convergences spirituelles et dialogue interculturel” comme une initiative nécessaire et digne d’intérêt. L’étude et l’analyse de la dynamique et des mécanismes de rupture et de convergence de ce que fut al-Andalus doivent être le levier permettant de nouveaux espaces de dialogue entre les cultures et les civilisations. Cette interculturalité peut et doit servir à apporter au monde actuel les clefs pour une meilleure connaissance entre les peuples et pour établir des liens de solidarité qui contribuent à un futur meilleur. Carmen Calvo Poyato Consejera de C&ura du Gouvernement Autonome de l’Andalousie INTRODUCTION Doudou DIENE Directeur de la Division des projets interculturales de 1’Unesco Un cadre géographique limité, la péninsule ibérique, un espace temporel considérable , plus de sept siècles, trois régions, le monde arabe, l’Europe et l’Afrique, et trois religions l’islam, le judaisme et le christianisme, brusquement mis en contact. Les conditions semblent ainsi réunies pour le développement d’un des plus prodigieux dialogues interculturels de l’histoire. En effet, la conjonction de l’histoire, de la géographie, de la culture et de la religion ont fait de l’Espagne médiévale “&Andalus”, la scène féconde d’interactions humaines, culturelles et spirituelles dont l’empreinte profonde est incontournable pour comprendre, dans la durée, les perceptions, les relations de l’Europe chrétienne avec le monde arabo-islamique, judaïque et africain. Les résultats culturels de cette rencontre sont bien connus: une esthétique, un art et des créations dont témoignent entre autres 1’Alhambra de Grenade, la musique et la poésie al-Andalus. Mais c’est précisément la mise en lumière quasi-exclusive d’une esthétique et d’un art de vivre qui fait problème. Problème d’abord parce que l’esthétique, les expressions artistiques d’al-Andalus semblent l’emporter sur l’éthique, les valeurs et convergences dans la mémoire collective sinon érudite, mais problème surtout par le regard quasi exclusivement historique porté sur cette expérience inouïe, sans que toutes les leçons n’en soient tirées. Une meilleure compréhension de l’expérience d’ al-Andalus nécessite donc que soit sollicité la Musulman et chrétienjo uant aux échecs. mémoire longue des mécanismes, des processus Livre deJ eux d’AlphonseX Le Sage. et des articulations qui, pendant plusieurs siècles, ont permis à trois ensembles culturels et à trois religions de pratiquer “in vitro” “un vivre ensemble” où conflit et dialogue se sont réciproquement fécondés. Parler de mémoire longue, et c’est le sens profond de la notion de “routes”, c’est précisément s’interroger sur les liens intimes d’une expérience qui s’est déroulée à l’époque médiévale, avec les interrogations, les perceptions et les pratiques actuelles entre ces trois religions et ces cultures. 7 I -il- l Il s’agit, en définitive, par le projet “Les Routes d’al-Andalus”, de faire en sorte que histoire et modernité, valeurs et arts se conjuguent pour littéralement construire et conforter, ici et maintenant, “Une Culture de la paix”, l’idée nouvelle du Directeur général de l’UNESCO. Lire en filigrane les rapports entre hommes et entre religions, guerre et paix, commerce et culture, c’est dans l’esprit du mandat de l’UNESCO, mettre en lumière, à travers une réappropriation plus profonde de l’expérience d’al-Andalus, la construction progressive d’une identité plurielle et d’un patrimoine commun dont la compréhension des mécanismes permet peut-être de mieux répondre aux questions actuelles dans les rapports entre l’islam, le judaïsme et le christianisme, le monde arabe, l’Europe et l’Afrique. Profondeur et durée, ses caractéristiques majeures ont fait de l’Espagne d’al-Andalus un champs culturel sous tension. C’est parce que le politique et le militaire, l’antagonisme et l’attraction ont dû se transmuter, se résoudre ou se traduire en inventivité culturelle constante, que l’espace al-Andalus a atteint une “masse critique” culturelle qui a littéralement rayonné dans l’espace et le temps. Mais il est urgent de faire en sorte que, par sa lumière, l’Espagne d’al-Andalus ne soit pas seulement Mappemonded ’ut-Idrissi( XlFs.) vue comme une scène esthétique ancienne, mais perçue et vécue comme une expérience de dialogue interculturel dont l’actualité s’impose. En dernière analyse, l’UNESCO, en réponse à la théorie dominante du clash des civilisations, met en exergue, pour “construire la paix dans l’esprit des hommes”, le processus dynamique de nourrissement réciproque des cultures qui obéit aussi à la vieille loi de l’énergie selon laquelle “rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme”. 8 I’ 1~ T DIALOGUES INTER-RELIGIEUX EN ANDALOUSIE Haïm ZAFRANI Le dialogue des idées, des cultures et des religions qui est au centre de nos préoccupations, plonge ses racines dans un passé lointain, celui de la littérature sapientiale biblique, une littérature d’essence universaliste, un lieu de rencontre privilégié des civilisations et des peuples anciens : les Juifs, les Arabes et les autres, une littérature de caractère suprahistorique et source du monothéisme. Les conquêtes arabes entre 632 et 711 créent, en Méditerranée orientale, un immense espace qui réunit, sous la bannière islamique, des peuples précédemment soumis à l’empire de Perse, de Byzance et de Rome, un espace qui connut un mode de vie spécifique aux époques omeyyade et abasside, poursuivant son cours en Occident musulman sur les terres fécondes du Maghreb et de l’Andalousie durant huit siècles jusqu’en 1492, survivant après cette date tragique dans la conscience historique et culturelle judéo-musulmane, durant les quatre derniers siècles, y demeurant la référence privilégiée et sans doute un modèle à imiter. Nous fondant sur le collationnement d’écrits parallèles juifs et musulmans, nous avons scruté les profondeurs des textes porteurs de cultures, de civilisations et de sagesse en Maqrlmât d’al-Harîrî (XIIPr.) l’occurrence, démontant les mécanismes de la pensée de leurs auteurs pour découvrir des analogies et les éléments d’une symbiose comme on n’en a jamais connu de pareille durant plus d’un millénaire et demi de vie juive en terre chrétienne, sauf en quelques brèves périodes de l’histoire d’une Espagne héritière de civilisation arabe, quand quelques-uns de ses monarques se proclamaient empereurs des deux ou des trois religions. Nous avons construit ainsi des modèles, tracé des contours d’espaces où juifs, chrétiens et musulmans pouvaient exercer le mieux et librement des activités diverses ou communes : espaces socio-économiques, linguistiques et littéraires, philosophiques ou théologiques, voire religieux, mystiques et kabbalistiques, juridiques et décisionnaires, folkloriques, poétiques et musicaux, autres lieux où s’exerce l’imaginaire social et ses représentations marquées du sceau de la religion et de la magie (les rites de passage, notamment, comme la naissance, le mariage ou la mort). 1. En Castille,A lphonseV I (XPs.), AlphonseX Le Sage( XIll~s.), Pedrod e Castilla, appelé“ Le Cruel” (XIVes.),qrrifrappe une monnaieà te nom, et en Aragon,J aime 1 (XlII~s.). 9 A i Deux itinéraires exemplaires de I’Age d’or hispano-maghrébin: Averroès et Maïmonide Averroès et Maïmonide, deux fils de Cordoue, sont les produits d’une même civilisation, d’une même société symbiotique, d’une culture qui avait atteint à l’époque un très haut degré de raffinement et qui était à son apogée. Ce sont deux maîtres de la science juridique, deux médecins et deux philosophes. Ce sont aussi deux contemporains. Le premier, Maïmonide, a vécu entre 1135 et 1204, le second, Averroès, entre 1126 et 1198, donc sous le même régime, le régime instauré par la dynastie almohade. Ce sont deux vies parallèles (dans le sens que Plutarque donnait à ce mot) qui, sans se rencontrer, sans proximité immédiate, étaient absolument homologues au plan des activités intellectuelles, voire professionnelles, et peut-être aussi au niveau d’une répression qu’ils subirent également sur le plan religieux; je pense au plan doctrinal surtout, s’agissant d’Averroès, bien qu’il ait vécu à la cour des Almohades, et qu’il ait exercé des fonctions officielles. Miimonide, lui, a souffert parce qu’il était juif, parce qu’il n’appartenait pas à la religion dominante. Averroès exerça les fonctions de qadi et grand qadi (cadi al- quda), fonction éminemment religieuse dans la société musulmane, en rapport étroit avec la connaissance de la loi révélée, de ses développements théologiques et ses prolongements juridiques et jurisprudentiels. Il fut, d’autre part, un philosophe et, à ce titre, il reçut du sultan la mission d’expliquer Aristote. A ces deux charges spirituelles et intellectuelles pour ainsi dire, il convient d’ajouter celle, temporelle, de médecin royal, attaché à la personne du souverain almohade Abu Ya’qub Yusuf. Retenons que ces trois fonctions capitales, nous les percevons à des niveaux parallèles, dans la biographie de Maimonide, lui aussi maître de la pensée juridique et pilier de la kalakkan (droit rabbinique), philosophe et médecin à la cour royale de Fostat. Le modèle philosophique C’est bien évidemment, l’essor de la philosophie juive en Terre d’Islam qui a retenu davantage l’attention et on en arrive au modèle dit philosophique, un modèle qu’il n’est, du reste, pas facile de dissocier des autres modèles, des autres démarches, des autres modes d’expression, de la pensée, des composantes théologique, mystique, éthique, poétique voire juridique et politique, toutes intimement associées à doses variables selon les dominantes de l’oeuvre. A cet égard, sont exemplaires les figures et les oeuvres de Saadya, d’Ibn Gabirol, de Bahya Ibn Paquda, de Maimonide, de Juda Halévi, et de leurs homologues musulmans, Al-Kindi, Al-Farabi, Ibn Sina, Al-Ghazali, Ibn Baja, Ibn Taufayl, Ibn Rushd, etc. [I 1' En matière de philosophie, l’un des phénomènes les plus frappants de la symbiose judéo-arabe est “l’kellénisation de la penséej uive par l’intermédaire de l’islam”. Les relations d’un grand nombre de Juifs de la Diaspora avec le monde gréco-latin, bien qu’illustrées par Philon, n’avaient eu qu’une influence superficielle. Mais, de même que les traducteurs juifs avaient transmis au monde chrétien les sciences et la philosophie arabes, c’est par le truchement de la littérature arabe que la science et les méthodes de pensées grecques ont fait irruption dans l’univers juif. La pensée philosophique juive suivit le même itinéraire intellectuel que la pensée musulmane, adoptant les données les plus avancées des nouvelles sciences, amis conservant une attitude d’indépendance sur les questions fondamentales de la religion. Ce qui permit aux grandes oeuvres des théologiens et philosophes des Xe, XIe et XIIe siècles de demeurer des classiques du judaïsme orthodoxe, malgré les contreverses soulevées par certaines, le “Guide des Perplexes”2 notamment. Statue de Marmonide A titre d’exemple, une figure, parmi bien d’autres philosophes et savants: Samwal a1 Maghribi, un juif islamisé sur le tard, savant, intellectuel de grand renom, créateur des mathématiques nouvelles, auteur de “1’Algèbre al-Bahir”. Il avait pour maître un penseur juif du XIIe siècle, Abn-Al-Barakat al- Baghdadi, surnommé Awhad al-Zamam, “l’unique de sa génération”, dont la critique de la Physique d’Aristote préfigurait la science moderne. Converti très tard à l’islam, il fut considéré comme l’un des plus grands philosophes musulmans de tous les temps. L’espace mystique: un lieu de sagesse privilégié. C’est à l’école du sufisme que bon nombre d’ascètes et mystique, juifs ont fait l’apprentissage d’une certaine forme de spiritualité qu’ils ont léguée à la culture juive et à son ethique, dans la langue arabe originelle d’abord, dans les traductions hébraïques et autres vernaculaires juifs ensuite. Ce sont : Bahya Ibn Paquda, Abraham Abulafya, Abraham et Obadya, fils et petits-fils de Maïmonide et bien d’autres encore. Les leçons d’Ibn al-‘Arabi et les pratiques du sufïsme andalou font apparaître des points de rencontre, des pôles de similitude, et nous apprennent l’existence d’espaces de convergence où se trouvent ésotérisme et spiritualité juifs et musulmans. L’enseignement d’Al-Ghazali eut un immense retentissemnt et exerça une influence considérable sur l’histoire de la pensée, en Orient et en Occident, parmi les élites d’Europe, spécialement parmi les penseurs et les auteurs juifs; pour eux, ses oeuvres et ses enseignements furent une leçon à apprendre et son expérience spirituelle un exemple à suivre. Cette influence se situe à deux niveaux et concerne 2. Maimonide 11 deux périodes. Durant les 12e et 13e siècles, elle s’exerça sur les auteurs juifs pensant et écrivant en arabe. C’est le cas de Judah Halévi, qui en est le premier réceptacle et le plus fervent disciple, des enseignements du maïtre adoptant, d’entrée de jeu, le reproche d’incohérence qu’Al-Ghazali fait aux philosophes en général et à la philosophie aristotélicienne en particulier, percevant, comme lui, le grand danger qu’elle constitue pour les religions révélées ; fidèle à la pensée du Maître, il en cite directement les textes à partir d’un récit précoce qu’Al-Ghazali incorpora à son Ikya ‘trlt(m al-Din et qui résume les fondements doctrinaux sur lesquels reposent les dogmes qui y sont enseignés. Il est admis que Maïmonide ait connu les oeuvres d’Al-Ghazali et qu’il ait lu son Takdfït al-@asi@. Ce qui surprend, c’est que le code maïmonidien, le hlisknek Torah, le seul ouvrage que son auteur ait rédigé en langue hébraique, puisse présenter, à l’analyse, des analogies remarquables avec l’lkyu ‘crlrlm al-Din d’A1 Ghazali; les deux oeuvres d’essence exclusivement juridico-religieuse et destinées à revitaliser en quelque sorte les sciences religieuses, comportent, l’un et l’autre, autant de sujets analogues et commencent tous les deux par un prologue substantiel portant le même titre, “Le Livre de la Connaissance”, S’efr ha-madda pour le premier, Kitab al-‘ilm pour le second. La théologie spirituelle de Bahya Ibn Paquda et ses affinités avec celle d’lbn Arabi. Le premier auteur, considérable en lui-même et par l’influence qu’il a exercé sur la spiritualité juive ultérieure, dans l’enseignement duquel l’apport de la mystique musulmane joue un rôle capital, est ce juif andalou de la deuxième moitié du XIe siècle, Bahya Ibn Paquda, dont l’ouvrage célèbre, Introdtrction aux devoirs des coeurs,d evint très vite un livre de dévotion très populaire au sein du judaïsme d’Occident et d’Orient, dans sa traduction hébraique et dans les langues juives d’Orient et d’Occident, y compris le judéo-arabe maghrébin3. Le tissu littéraire et les idées ascétiques que Bahya développe dans cet ouvrage de piétisme appartiennent au sufisme, c’est-à-dire aux sources même de la mystique de l’islam. La théologie spirituelle, que Bahya a construite à l’intention de ses coreligionnaires, utilise de préférence des matériaux musulmans même là où il aurait pu trouver des données équivalentes dans sa propre tradition religieuse, empruntant à la mystique musulmane l’itinéraire qui conduit l’âme au pur amour divin et à l’union avec la “lumière suprême” de Dieu, jugeant bon de se munir d’un cadre idéologique, d’un tissu mystique, d’un style conforme aux goûts de ses lecteurs juifs profondément marqués par la lecture arabe... Bref, il y a chez Bahya, adaptation réfléchie, marquée par une incontestable sympathie, de la mystique musulmane à la spiritualité juive. Manuel de vie intérieure d’une spiritualité très pure et très élevée, introduction aux devoirs des coeurs, il est aussi un témoin précieux de l’étonnante réceptivité de l’esprit juif qui, non content de s’incorporer 3. Babya écrivitc e livre en arabe,l ui donnantp our titre Kltab al-Hidaya ‘ila fara’id al-qulub. Ort puet dire à ces ujet queA I-Ghazali, dans son Mizam al’Ama1, s’occupbee aucoupd e la “sciencdee sC OU~~hSé”r itéed eA I-Haran al-Basri. 12 l’héritage de la pensée grecque, transmis et enrichi par les musulmans, se mit aussi en devoir d’extraire de l’ascèse islamique ce qu’il pouvait intégrer dans les cadres de ses propres croyances. Bahya semble s’être nourri d’ouvrages ascétiques (zuhd) de provenance orientale. En cette matière, comme en d’autres, l’Occident était encore tributaire de l’Orient. Mais l’Espagne musulmane connaissait aussi au 1 le siècle, bon nombre d’écrivains ascétiques, un courant d’ascétisme qui circulait aisément dans le monde islamique. Les dix principes du Kitab al-hid+a’ila farci’id al-qulûb, “Introduction aux devoirs des coeurs”, sont énoncés par son auteur, d’entrée de jeu, dans le plan qu’il trace lui-même de son ouvrage: la profession sincère de l’unicité de Dieu (ikhl& al-tawhid), la considération des créatures (al-i’tibar bilmakhldqin), l’obéissance à Dieu (ta’at Allah), l’abandon (tawakkul, “le principe de s’en remettre entièrement à Lui”), la sincérité de l’acte (ikhlcîs), l’humilité (tawddu?, le repentir (tawba), l’examen de conscience permanent (muharaba), l’abstinence et l’ascèse (zuhd), l’amour de Dieu (mahabba). (maqadt) Ces différentes étapes de la vie spirituelle se retrouvent, dans un ordre sensiblement analogue ou complètement different dans les ouvrages des autres mystiques musulmans d’Occident et d’Orient (Ibn ‘Arabi, spécialement), et dans les description qu’ils font des expériences des sufi-s, de ce qu’ils appellent “demeures” (mandzil) et “états” (‘ahwal) spirituels. Le modèles poétique hispano-arabe. Manuscritd e la MishnehT orah “DeuxièmeL oi” Dans ce domaine aussi, c’est à l’école des sciences linguistiques de Maïmonide et des humanités arabes que les poètes juifs hispano-maghrébins ont fait l’apprentissage de leur art. C’est au patrimoine élaboré à 1’Age d’Or andalou que la poésie juive doit l’essentiel de ses techniques prosodiques, sa métrique étant, en dépit de contraintes propres à la langue hébraïque, une relique de la métrique arabe. Un “traité d’art poétique”, destiné à faire bénéficier la poésie hébraïque des acquis de la rhétorique des Arabes, fut composé par Moïse Ibn Ezra (1070 - 1140), “illustre poète en langue hébraique et savant juif de langue arabe”, pour qui “l’art de bien dire était devenu l’apanage de tout le monde arabe”. “La langue arabe, écrit un poète qu’il cite, est, parmi les langues comme le printemps parmi les saisons”. Point de vue contesté par d’autres lettrés juifs pour qui la précellence littéraire demeure celle de l’hébreu et des écritures saintes. 13 --
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