Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens chrétiens N. 144 (2014/II) TABLE DES MATIÈRES LE PAPE FRANÇOIS ET L’ŒCUMÉNISME (juillet-décembre 2014) Visite à Caserte (Italie, 28 juillet 2014) ............................................................................................................................... 3 Voyage apostolique en Turquie (28-30 novembre 2014) ................................................................................................ 7 Audiences à des délégations œcuméniques ...................................................................................................................... 15 Délégation de la Conférence internationale des évêques vieux-catholiques de l’Union d’Utrecht (30 octobre 2014) ....................................................................................................................................................... 15 Délégation de l’Armée du Salut (12 décembre 2014) ................................................................................................ 17 Délégation de l’Église évangélique luthérienne d’Allemagne (18 décembre 2014) Autres déclarations du Pape François ................................................................................................................................ 21 NOUVELLES ŒCUMÉNIQUES Commission mixte internationale de dialogue théologique entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe dans son ensemble (Amman, Jordanie - 15-23 septembre 2014) ............................................................................ 28 Commission mixte de dialogue entre l’Alliance méthodiste mondiale et l’Église catholique (Assise, Italie - 10-17 octobre 2014) ............................................................................................................................. 30 DOCUMENTATION SUPPLÉMENTAIRE « Rencontrer le Christ, notre Sauveur : Église et sacrements » - Neuvième rapport du dialogue international entre le Conseil méthodiste mondial et l’Église catholique (Durban, 2011) .......................................................... 32 Commentaire du Rapport dans une perspective catholique par le P. Robert Christian, O.P. .................................. 70 « Du conflit à la communion » - Commémoration luthéro-catholique commune de la Réforme en 2017 Rapport de la Commission luthéro-catholique romaine sur l’unité ........................................................................ 79 Présentation du document à l’assemblée de la FLM à Genève (17 juin 2013) « Du conflit à la communion » : Principes et possibilités pour la poursuite du processus œcuménique Discours du Cardinal Kurt Koch ...................................................................................................................... 113 « Du conflit à la communion » : Renforcer notre témoignage commun aux niveaux global et local Discours de l’Évêque Munib A. Younan ......................................................................................................... 118 BUREAUX: Via della Conciliazione 5 – 00193 Rome (Italie) 1 Tel: +39.06.698.83 568 (Rédaction) Fax: +39.06.698.85.365 – Email: [email protected] RÉDACTEUR EN CHEF Fr. Hyacinthe Destivelle, OP ADRESSE POSTALE Conseil Pontifical pour la promotion de l’unité des chrétiens VA – 00120 Cité du Vatican 1 numéro du Service d’information déjà paru : US $ 9 - € 7 La reproduction totale ou partielle des textes publiés dans le Service d’information est autorisée. Néanmoins, nous prions ceux qui utilisent ces textes de bien vouloir nous envoyer un exemplaire de leur publication. 2 LE PAPE FRANÇOIS ET L’ŒCUMÉNISME VISITE DU PAPE FRANÇOIS À CASERTE (ITALIE) 28 juillet 2014 Le 28 juillet 2014 à Caserte (Italie), le Pape François a effectué une visite privée pour rencontrer le Pasteur pentecôtiste Giovanni Traettino e la communauté de l’Église pentecôtiste de la Réconciliation. Nous publions ci-dessous la traduction des discours du pasteur Traettino et la réponse du Saint-Père. DISCOURS ADRESSÉ AU PAPE tel qu’il est. De plus, dans notre cas, pour nous rendre PAR LE PASTEUR GIOVANNI TRAETTINO visite, vous vous êtes même infligé deux jours de fatigue : nous vous en sommes particulièrement Il est beau d’être devant le Seigneur, n’est-ce pas ? reconnaissants ! Il ne vous a pas suffi de confier votre (tous répondent : oui !). Il n’y a pas de plus beau lieu au cœur à un document ou à un message… De toute monde que d’être en présence de Dieu. Il y a un lieu évidence, vous avez beaucoup réfléchi sur l’Incarnation encore plus beau, c’est vivre en présence de Dieu ! C’est de Jésus Christ : vous avez voulu nous toucher, vous là que nous faisons l’expérience des joies les plus avez voulu venir en personne, nous embrasser en profondes, des joies les plus vraies ; c’est là que notre vie personne. Vous faites preuve d’un grand courage. est transformée et que nous devenons toujours plus Liberté et courage ! Et vous vous êtes confié vous- semblables à Lui. même, avec simplicité et faiblesse, à notre diversité, mais Je voudrais partager certaines considérations et, en aussi à notre baiser fraternel. Cher Pape François, avec particulier, très cher Pape François, mon frère bien-aimé, des hommes comme vous, il y a de l’espoir pour nous notre joie est grande pour votre visite, ma joie, chrétiens. Tous ! Avec un seul geste, vous avez ouvert la personnelle bien sûr, celle de ma famille, celle de notre porte, vous avez hâté la réalisation du rêve de Dieu. communauté tout entière et de notre famille spirituelle, Vous êtes devenu une partie de la réponse à la prière de de nos hôtes et de nos amis. Un don grand et inattendu, Jésus : « Afin que tous soient un ». Et vous l’avez fait impensable il y a peu de temps encore. Vous pourrez le avec la gloire sans laquelle il n’est pas possible de cons- lire dans les yeux des enfants et des personnes âgées, des truire l’unité. Je parle de la gloire de l’humilité. Comme jeunes et des familles. Nous vous aimons ! Il y a une l’a dit quelqu’un, l’humilité est au cœur de la gloire. Et il chose que vous devez savoir : il y a beaucoup d’affection ajoute : un peu de pouvoir suffit pour s’exhiber ; il en à l’égard de votre personne, même parmi nous, les faut beaucoup pour se retirer. Dieu a la puissance illimité évangélistes, et un grand nombre d’entre nous prient de se retirer, de se cacher. C’est également à cela, peut- pour vous, même chaque jour. D’ailleurs, il est si facile être même surtout à cela, que l’on reconnaît les disciples de vous aimer. Beaucoup d’entre nous croient même que du Christ. votre élection en tant qu’Évêque de Rome a été l’œuvre « La vérité est une rencontre » : tel est le titre d’un des de l’Esprit Saint. Une bénédiction surtout à l’égard du derniers recueils de vos précieuses méditations du matin monde pour tout le christianisme : c’est ce que je pense à Sainte-Marthe. La vérité est une rencontre mais c’est personnellement. À travers votre geste, par ailleurs également une vérité centrale pour tout chrétien, pour inattendu et surprenant, qui a conféré un caractère quiconque s’est converti au Christ et a fait une rencontre visible et concret à ce qui apparaît toujours plus comme personnelle avec Lui. Combien de fois dans vos le fil conducteur de votre existence et donc de votre enseignements revient l’invitation à la conversion et à la ministère, parce que la vie précède toujours le ministère. rencontre personnelle avec le Christ ? Il est évident que En surmontant d’un seul coup les complications cette vérité est au centre de votre vie, matière vivante de protocolaires, vous savez aller directement au cœur de la votre expérience spirituelle, le motif qui inspire votre vie et des relations humaines et en particulier du rapport existence. Pour moi qui vous observe, il ne pourrait en avec ceux que vous reconnaissez comme frères : être autrement. Cela me remplit de joie, parce que le rencontrer le frère, le rencontrer là où il est, le rencontrer Christ est également la perle précieuse, pardon, il est la pierre précieuse de tous les chrétiens, également la nôtre, Liste des abréviations utilisées : ORF = L’Osservatore Romano, évangélistes. J’ai vu que vous en avez parlé avant-hier à édition hebdomadaire en langue française ; ORE = Caserte. Il est le centre et le cœur de notre vie, la raison L’Osservatore Romano, édition hebdomadaire en langue même de notre existence. Sans Jésus, nous serions anglaise ; OR = L’Osservatore Romano, édition quotidienne en perdus ! Notre unique raison de vivre et d’exister est langue italienne. Les autres sources des textes publiés seront Jésus ! Du reste, c’est précisément la passion que nous citées si nécessaire. Lorsque les traductions sont réalisées par avons pour le caractère central du Christ qui fait de nous le Service d’information, cela est indiqué. 3 des évangélistes, avec une conviction sereine et solide. est le périmètre fondamental de notre communion et C’est pourquoi nous vivons également et faisons c’est là que je crois pouvoir dire que réside la plus grande l’expérience d’une façon nouvelle d’être évangélistes, qui contribution – notamment historique et théologique – ne se nourrit plus d’anticatholicisme – comme cela a été de la prophétie de la Réforme d’abord et du monde le cas à un moment donné – mais qui, reconnaissant ses évangélique ensuite. Je crois qu’il s’agit de la prophétie propres origines et racines dans l’arbre historique du fondamentale au bénéfice de tout le Corps du Christ et christianisme, catholicisme et réforme compris, a appris de l’Église. Si l’histoire du christianisme a un sens… à se mettre en relation de façon constructive et L’apôtre Paul dit : « De fondement, en effet, nul n’en rédemptrice avec ceux qu’il reconnaît comme ses pères peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, c’est-à-dire et ses frères et à puiser de son trésor comme le scribe de Jésus Christ ». Le Christ donc ; placer le Christ comme l’Évangile – des choses nouvelles et des choses fondement ; édifier sur le Christ ; se rassembler autour anciennes. Il a appris – nous apprenons toujours plus – du Christ ; croître orientés vers le Christ. C’est Lui le qu’il doit acheter tout le champ, comme le dit également fondement de la vie du croyant. La conversion au Jésus ailleurs dans l’Évangile, pour entrer en possession Christ ; la relation personnelle avec le Christ ; l’imitation de tout le trésor. Il faut avoir tout le champ pour du Christ qui n’est pas possible sans la présence de la vie découvrir le trésor. Sans renoncer au travail de du Christ. De la vie du Christ, nous recevons la force discernement accompli à travers la Parole de Dieu, mais pour imiter le Christ, pour devenir saints. La formation en examinant chaque chose et en retenant le bien. De du Christ est rendue possible par la vie du christ en cette façon, nous sommes moins exposés au risque de nous. Il est le fondement sur lequel nous grandissons ; mépriser la contribution des frères, d’éteindre l’Esprit ou nous naissons à nouveau, mais après, nous grandissons. même d’attribuer à d’autres sources ce qui appartient en Et cela est le fondement sur lequel il faut construire revanche au Seigneur. Comme nous exhorte Paul, dans l’existence de l’Église, encore le Christ ; l’incarnation du la Lettre aux Thessaloniciens : « N’éteignez pas l’Esprit, Christ, comme méthode propre, comme style de vie ; ne dépréciez pas les dons de prophétie ; mais vérifiez l’identification avec le pauvre, avec la personne dans le tout : ce qui est bon, retenez-le ; gardez-vous de toute besoin, avec celui qui est en difficulté ; la vie du Christ, le espèce de mal ». style avec lequel il a vécu. Et si souvent, le christianisme La vérité est donc une rencontre et la rencontre avec de notre temps a besoin de repentir, de révision de vie le Christ est la rencontre de la vie : c’est ce qui confère la car on propose des modèles qui sont très éloignés de vérité et le fondement de toute autre rencontre. Telle est l’Évangile. La vie du Christ, la mort du Christ ; nous mon expérience. Mes rencontres et mes relations avec aussi, pour pouvoir vivre du Christ, nous devons mourir mon prochain sont profondément marquées par ma à nous-mêmes, afin que la vie de l’Esprit puisse exister rencontre avec Jésus. Tel est le message central, le noyau, en nous et donc la résurrection, l’ascension avec le l’ADN de l’Évangile ; cela est le cœur de la prédication couronnement de la descente de l’Esprit Saint qui nous évangélique ; cela est le terrain sur lequel construire tout est indispensable pour pouvoir vivre la vie chrétienne. dialogue possible entre nous et un chemin d’unité entre Je crois que dans le développement des espaces de les Églises. Comme il est écrit : « De fondement, en communion entre les diverses communautés également, effet, nul n’en peut poser d’autre que celui qui s’y trouve, nous parlons à nouveau du Christ, du retour à l’essentiel c’est-à-dire Jésus Christ ». Et encore : « Que chacun de l’Évangile, et là nous découvrons que cet espace est prenne garde à la manière dont il y bâtit ». encore le Christ, l’annonce du Christ – le « kérygme », Il y a quelque temps, en parlant des évangélistes, le l’enseignement du Christ – la « didaké » - la formation du Père Raniero Cantalamessa les avait définis des « chré- Christ en nous. Comme vous, je cite une très belle et tiens avec le charisme de l’essentialité ». Cette définition ancienne prière que, j’imagine, vous récitez chaque jour : me plaît beaucoup. Je la partage. Il y a quelques années, « Par lui, avec lui, et en lui, à toi Dieu le Père Tout- le Cardinal Piovanelli, de Florence, préconisait à qui lui Puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et demandait une prévision pour le troisième millénaire : toute gloire, pour les siècles des siècles ». Je pense que « Ce sera une époque où l’on reviendra aux principes cela est une bonne synthèse de la pensée que je voudrais fondamentaux du christianisme ». Je le pense moi aussi. souligner. Il est nécessaire, il est indispensable que nous retour- Un dernier mot. Nous sommes, nous vivons entre le nions aux principes fondamentaux. Le Cardinal Kasper, « déjà » et le « pas encore » – comme l’a dit quelqu’un – en revanche, dont je sais qu’il est votre ami, a parlé d’un et notre expérience est une expérience de souffrance, de « œcuménisme fondamental et d’un œcuménisme douleur, de fatigue pour avancer dans le dialogue entre spirituel » : ici aussi, nous sommes en accord. Il dit : chrétiens, dans l’expérience de la communion. Il y a le « Les chrétiens ne sont pas unis entre eux, mais ils sont plan de la foi : « Il y a un seul corps », dont a parlé hier le avant tout un avec le Christ. Et seule cette union en cher Jorge Himitian ; « afin que tous soient un », nous communion avec le Christ permet la véritable commu- sommes sur le plan de la foi ; « le Tabernacle de Dieu nion entre les hommes en Lui. Le centre de l’unité est le entre les hommes », dont parle l’Apocalypse 21. Cela est Seigneur. Et la force qui opère et ordonne cette unité est le plan de la foi, mais il y a également le plan de l’histoire. l’Esprit Saint ». Sans doute est-ce véritablement à partir Le plan de l’histoire est celui de notre expérience, où de cette compréhension que le chrétien doit repartir. Tel nous faisons l’expérience de la honte de la division, des 4 guerres entre chrétiens, des hostilités, des persécutions, DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS même en Italie ; malheureusement, pendant de très Bonjour, frères et sœurs. nombreuses années, nous avons fait l’expérience de Mon frère le pasteur Giovanni a commencé en par- persécutions, les pentecôtistes de façon particulière, dans lant du centre de notre vie : être en présence de Jésus. les années 1935 à 1955, la tristement célèbre Circulaire Et ensuite, il a dit « marcher » en présence de Jésus. Et Buffarini Guidi… Depuis, il y a eu le temps de la cela a été le premier commandement que Dieu a donné réconciliation, le temps de l’éthique si vous voulez ; le à son peuple, à notre père Abraham : « Va, marche en temps de l’amour, le temps de la responsabilité, qui doit ma présence et sois irréprochable ». Et ensuite, le être rempli par des hommes et des femmes de peuple s’est mis en marche : quelquefois en présence réconciliation. À travers votre visite ici, vous avez du Seigneur, de nombreuses fois sans la présence du démontré que vous prenez au sérieux la réconciliation, Seigneur. Il a choisi les idoles, les dieux... Mais le que vous êtes un homme de réconciliation, je dirais un Seigneur a de la patience. Il a de la patience avec le prophète de réconciliation. peuple qui marche. Moi, je ne comprends pas un chré- Dieu nous a réconciliés avec Lui – dit l’Apôtre Paul tien immobile ! Un chrétien qui ne marche pas, je ne le (deuxième lettre aux Corinthiens) – au moyen du Christ comprends pas ! Le chrétien doit marcher ! Il y a des qui nous a confié le ministère de la réconciliation. Notre chrétiens qui marchent, mais pas en présence de Jésus : famille spirituelle a choisi ce thème pour son existence : il faut prier pour ces frères. Pour nous aussi, quand à Église de la réconciliation. Mais il a confié à tous les certains moments, nous ne marchons pas en présence chrétiens le ministère de la réconciliation, à partir de de Jésus, car nous aussi nous sommes tous pécheurs, l’expérience qu’ils ont faite dans ce ministère. Il a semé, il tous ! Si quelqu’un n’est pas un pécheur, qu’il lève la a planté en nous – dit l’Apôtre Paul – la parole de la main... Marcher en présence de Jésus. réconciliation (2 Co 5,19). C’est à partir de cette parole Des chrétiens immobiles : cela fait mal, parce que ce de la réconciliation, qui est Jésus lui-même, c’est Lui la qui est immobile, ce qui n’avance pas, se corrompt. parole de la réconciliation en nous, qui nous nourrit de Comme l’eau stagnante, qui est la première eau à être Lui, de son esprit, de sa sensibilité, de sa mort, de lui- corrompue, l’eau qui ne coule pas... Il y a des chrétiens même, que nous pouvons être habilités à être des qui confondent marcher avec « tourner ». Ce ne sont hommes et des femmes de réconciliation. Ce qui signifie, pas des « marcheurs », ce sont des errants et ils courent parfois, faire le chemin du Calvaire : cela signifie, parfois, par ici et par là dans la vie. Ils sont dans le labyrinthe, et passer à travers la Croix ; cela signifie le malentendu, la ils errent, ils errent... Il leur manque la parrhesia, l’audace méprise, cela signifie l’incompréhension parce qu’il y a pour aller de l’avant ; il leur manque l’espérance. Les tant de chrétiens qui sont tellement identitaires qu’ils ne chrétiens sans espérance tournent dans la vie ; ils ne réussissent pas à laisser une place à l’amour, ils ne sont pas capables d’aller de l’avant. Nous ne sommes réussissent pas à vivre l’amour. Et nous, nous voulons sûrs que quand nous marchons en présence du sortir de cette prison, nous voulons être des hommes et Seigneur Jésus. Il nous éclaire, Il nous donne son Esprit des femmes de réconciliation. pour bien marcher. Je voudrais conclure ces réflexions par une pensée de Je pense au petit-fils d’Abraham, Jacob. Il était tran- François d’Assise, et je suis certain que vous l’aimez quille, là, avec ses fils ; mais à un certain moment, la beaucoup, de toute évidence, étant donné que vous avez famine est venue et il a dit à ses fils, à ses onze fils, choisi le nom de François. Mais je veux vous dire que les dont dix étaient coupables de trahison d’avoir vendu évangélistes aussi aiment beaucoup François, notamment leur frère : « Allez en Égypte, marchez jusque là-bas du point de vue historique. Si je pense aux vaudois, par pour acheter de la nourriture, parce que nous avons de exemple, qui ont une sensibilité profondément – dirais-je l’argent, mais nous n’avons pas de nourriture. Prenez – franciscaine, ils avaient le même type d’idéal, de l’argent et achetez-en là-bas, où on dit qu’il y en a ». Et sensibilité, de spiritualité et nous sommes liés à cette ces derniers se sont mis en route : et au lieu de trouver histoire-là, nous sommes liés à cette sensibilité… de la nourriture, ils ont trouvé un frère ! Et ceci est très Certaines formes modernes de sensibilité ne nous beau ! plaisent pas dans le vécu du chrétien. François dit : « Commencez à faire le nécessaire, puis faites ce qui est Quand on marche en présence de Dieu, on arrive à possible et tout à coup, vous vous surprendrez à faire cette fraternité. Mais quand nous nous arrêtons, que l’impossible ». Cela semblait une chose impossible ! Que nous nous regardons trop l’un l’autre, on trouve un Dieu vous bénisse ! autre chemin... mauvais, mauvais ! C’est le chemin du commérage. Et on commence : « Mais toi, tu ne sais À présent, nous laissons la parole au Pape François, pas ? ». « Non, non, tu ne me l’as pas dit. Je le sais d’un qui voudra partager avec nous certaines pensées, ce qu’il tel, d’un autre... » ; « Je suis à Paul... » ; « Moi a dans le cœur… Il n’y a rien d’organisé. C’est une d’Apollo » ; « Moi de Pierre »... Et ainsi, ils commen- rencontre « pentecôtiste », nous faisons donc appel à cent, c’est ainsi que dès le premier moment a com- l’Esprit Saint, afin qu’il guide le Pape François. Je vous mencé la division dans l’Église. Et ce n’est pas l’Esprit laisse la parole. Saint qui fait la division ! Il fait une chose qui lui res- ORF, 7-14 août 2014 semble assez, mais pas la division. Ce n’est pas le 5 Seigneur Jésus qui fait la division ! Celui qui fait la divi- comprend pas l’amour pour le prochain, on ne com- sion, est précisément l’envieux, le roi de l’envie, le père prend pas l’amour pour son frère, si l’on ne comprend de l’envie : le semeur de zizanie, Satan. Celui-ci pas ce mystère de l’Incarnation. J’aime mon frère parce s’immisce dans les communautés et crée les divisions, que lui aussi est le Christ, il est comme le Christ, il est la toujours ! Depuis le premier moment, depuis le premier chair du Christ. J’aime le pauvre, la veuve, l’esclave, moment du christianisme, dans la communauté chré- celui qui est en prison… Pensons au « protocole » selon tienne, il y a eu cette tentation. « Je suis à celui-ci » ; « Je lequel nous serons jugés : Matthieu 25. Je les aime tous, suis à celui-là » ; « Non ! Je suis l’Église, tu es la parce que ces personnes qui souffrent sont la chair du secte »… Et ainsi, celui qui y gagne c’est lui, le père de Christ, et à nous qui sommes sur cette route de l’unité, la division. Pas le Seigneur Jésus, qui a prié pour l’unité cela fera du bien de toucher la chair du Christ. Aller (Jn 17), il a prié ! vers les périphéries, précisément là où il y a tellement de besoins, ou – disons-le mieux – il y a tellement Que fait l’Esprit Saint ? J’ai dit qu’il fait une autre d’indigents, tellement de pauvres… Qui ont aussi be- chose, dont peut-être on peut penser que c’est la divi- soin de Dieu, qui ont faim – mais pas de pain, ils en ont sion, mais qui ne l’est pas. L’Esprit Saint fait la « diver- tellement du pain – de Dieu ! Et aller là, pour dire cette sité » dans l’Église. La première Lettre aux Corinthiens, vérité : Jésus Christ est le Seigneur et Il te sauve. Mais chapitre 12. Il fait la diversité ! Et vraiment, cette diver- toujours aller toucher la chair du Christ ! On ne peut sité est si riche, si belle. Mais ensuite, le même Esprit pas prêcher un Évangile purement intellectuel : Saint fait l’unité, et ainsi l’Église est une dans la diver- l’Évangile est vérité, mais il est aussi amour et il est sité. Et, pour utiliser une belle parole d’un évangéliste aussi beauté ! Et cela est la joie de l’Évangile ! Cela est que j’aime beaucoup, une « diversité réconciliée » par le précisément la joie de l’Évangile. Saint-Esprit. Il fait les deux : il fait la diversité des cha- rismes et ensuite l’harmonie des charismes. C’est pour- Sur ce chemin, nous avons fait si souvent la même quoi, les premiers théologiens de l’Église, les premiers chose que les frères de Joseph, quand la jalousie et pères – je parle du IIIe ou du IVe siècle – disaient : l’envie nous ont divisés. Ils sont d’abord arrivés à vou- « L’Esprit Saint, Lui est l’harmonie », parce qu’il fait loir tuer leur frère – Ruben a réussi à le sauver – et puis cette unité harmonieuse dans la diversité. à le vendre. Le frère Giovanni a lui aussi parlé de cette triste histoire. Cette triste histoire où l’Évangile, pour Nous sommes à l’époque de la mondialisation, et certains, était vécu comme une vérité et ils ne se ren- nous pensons à ce qu’est la mondialisation et à ce que daient pas compte que derrière cette attitude, il y avait serait l’unité dans l’Église : peut-être une sphère, où de mauvaises choses, des choses qui n’étaient pas du tous les points sont équidistants du centre, tous égaux ? Seigneur, une mauvaise tentation de division. Cette Non ! Ça, c’est l’uniformité. Et l’Esprit Saint ne fait pas triste histoire, dans laquelle on a fait la même chose que l’uniformité ! Quelle forme pouvons-nous trouver ? les frères de Joseph : la dénonciation, les lois de ce Pensons au polyèdre : le polyèdre est une unité, mais peuple : « Cela va à l’encontre de la pureté de la avec toutes les parties différentes ; chacune a sa parti- race… ». Et ces lois ont été promulguées par des bapti- cularité, son charisme. Telle est l’unité dans la diversité. sés ! Certains de ceux qui ont fait cette loi et certains de C’est sur cette route que nous, chrétiens, faisons ce que ceux qui ont persécuté, dénoncé les frères pentecô- nous appelons du nom théologique d’œcuménisme : tistes, parce qu’ils étaient « enthousiastes » presque nous essayons de faire en sorte que cette diversité soit « fous », qu’ils abîmaient la race, certains étaient catho- plus harmonisée par l’Esprit Saint et devienne unité ; liques… Je suis le pasteur des catholiques : je vous de- nous essayons de marcher en présence de Dieu pour mande pardon pour cela ! Je vous demande pardon être irréprochables ; nous essayons d’aller trouver la pour ces frères et sœurs catholiques qui n’ont pas com- nourriture dont nous avons besoin pour trouver notre pris qu’ils étaient tentés par le diable et qui ont fait la frère. Tel est notre chemin, telle est notre beauté chré- même chose que les frères de Joseph. Je demande au tienne ! Je me réfère à ce que mon frère bien-aimé a dit Seigneur qu’il nous donne la grâce de reconnaître et de au début. pardonner… Merci ! Ensuite, il a parlé d’autre chose, de l’Incarnation du Ensuite, le frère Giovanni a dit quelque chose que je Seigneur. L’apôtre Jean est clair : « Celui qui dit que le partage entièrement : la vérité est une rencontre, une Verbe ne s’est pas incarné, n’est pas à Dieu ! Il est au rencontre entre des personnes. La vérité ne se fait pas diable ». Il n’est pas des nôtres, c’est l’ennemi ! Parce en laboratoire, elle se fait dans la vie, en cherchant qu’il y a eu la première hérésie – disons le mot entre Jésus pour le trouver. Mais le mystère le plus beau, le nous – et c’est celle-là que l’apôtre condamne : que le plus grand est que quand nous trouvons Jésus, nous Verbe n’est pas venu dans la chair. Non ! L’incarnation nous rendons compte que Lui nous cherchait le pre- du Verbe est à la base : c’est Jésus Christ ! Dieu et mier, qu’Il nous a trouvés en premier, parce qu’Il arrive homme, Fils de Dieu et Fils de l’homme, vrai Dieu et avant nous ! Moi, en espagnol, j’aime dire que le vrai homme. Et c’est ainsi que l’ont compris les pre- Seigneur nous primerea. C’est un mot espagnol : il nous miers chrétiens et ils ont dû se battre beaucoup, beau- précède, et il nous attend toujours. Il est avant nous. Et coup, beaucoup, pour garder cette vérité : le Seigneur je crois qu’Isaïe ou Jérémie – j’ai un doute – dit que le est Dieu et homme ; le Seigneur Jésus est Dieu fait Seigneur est comme la fleur de l’amandier, qui est la chair. C’est le mystère de la chair du Christ : on ne 6 première qui fleurit au printemps. Et le Seigneur nous rencontrer et chaque jour se laisser chercher par Jésus attend ! C’est Jérémie ? Oui, c’est ça ! Il est le premier et se laisser rencontrer par Jésus. qui fleurit au printemps, il est toujours le premier. Nous sommes sur ce chemin de l’unité entre frères. Cette rencontre est belle. Cette rencontre nous Quelqu’un sera étonné : « Mais, le Pape est allé chez les remplit de joie et d’enthousiasme. Pensons à la ren- évangélistes ». Il est allé voir ses frères ! Oui ! Parce que contre des premiers disciples, André et Jean. Quand – et ce que je dirai est la vérité – ce sont eux qui sont Jean-Baptiste dit : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève venus en premier me trouver à Buenos Aires. Et ici, il y les péchés du monde ». Et ils suivent Jésus, ils restent a un témoin : Jorge Himitian peut raconter quand ils avec lui tout l’après-midi. Puis, quand ils sortent, quand sont venus, ils se sont approchés… Et c’est ainsi qu’a ils reviennent chez eux, ils disent : « Nous avons en- commencé cette amitié, cette proximité entre les pas- tendu un rabbin »… Non ! « Nous avons trouvé le teurs de Buenos Aires, et maintenant ici. Je vous re- Messie ». Ils étaient enthousiastes. Certains riaient… mercie beaucoup. Je vous demande de prier pour moi, Pensons à cette phrase : « De Nazareth, quelque chose j’en ai besoin… pour qu’au moins je ne sois pas si de bon peut-il venir ? ». Ils ne croyaient pas. Mais ils mauvais. Merci ! avaient rencontré ! Cette rencontre qui transforme ; ORF, 7-14 août 2014 tout vient de cette rencontre. C’est le chemin de la sainteté chrétienne : chaque jour, chercher Jésus pour le VISITE APOSTOLIQUE DU PAPE FRANÇOIS EN TURQUIE 28-30 novembre 2014 À l’occasion de la fête patronale de l’Église de Constantinople, le Pape François a effectué un voyage apostolique en Turquie, les 28-30 novembre 2014. Après avoir rencontré les autorités politiques à Ankara, le Pape s’est rendu le samedi 29 novembre à Istanbul, où il a célébré la Messe à la cathédrale catholique du Saint-Esprit, puis a participé à une prière œcuménique ave le Patriarche œcuménique à l’église Saint-Georges au Phanar. Le dimanche 30 novembre, le Saint-Père a assisté en cette même église à la Divine liturgie, à l’issue de laquelle il a signé une déclaration conjointe avec le Patriarche Bartholomée. Nous publions ci-dessous la traduction des principales interventions du Saint-Père et du Patriarche. HOMÉLIE LORS DE LA MESSE rencontrer, les écouter, les aider, c’est l’Esprit de Dieu DANS LA CATHÉDRALE DU SAINT-ESPRIT qui nous a poussés. Quand nous découvrons en nous 29 novembre 2014 une capacité inconnue de pardonner, d’aimer celui qui ne nous aime pas, c’est l’Esprit Saint qui nous a saisis. À l’homme assoiffé de salut, Jésus dans l’Évangile Quand nous passons outre les paroles de convenance se présente comme la source où puiser, le rocher d’où et que nous nous adressons aux frères avec cette ten- le Père fait jaillir des fleuves d’eau vive pour tous ceux dresse qui réchauffe le cœur, nous avons été certaine- qui croient en lui (cf. Jn 7,38). Avec cette prophétie, ment touchés par l’Esprit Saint. proclamée publiquement à Jérusalem, Jésus annonce à l’avance le don de l’Esprit Saint que recevront ses dis- C’est vrai, l’Esprit Saint suscite les différents cha- ciples après sa glorification, c’est-à-dire sa mort et sa rismes dans l’Église ; apparemment, cela semble créer du résurrection (cf. v. 39). désordre, mais en réalité, sous sa conduite, cela consti- tue une immense richesse, parce que l’Esprit Saint est L’Esprit Saint est l’âme de l’Église. Il donne la l’Esprit d’unité, qui ne signifie pas uniformité. Seul vie, il suscite les différents charismes qui enrichissent le l’Esprit Saint peut susciter la diversité, la multiplicité et, peuple de Dieu et surtout, il crée l’unité entre les en même temps, opérer l’unité. Quand nous voulons croyants : de beaucoup il fait un seul corps, le corps du faire la diversité, et que nous nous arrêtons sur nos Christ. Toute la vie et la mission de l’Église dépendent particularismes et sur nos exclusivismes, nous appor- de l’Esprit Saint ; c’est Lui qui réalise toute chose. tons la division ; et quand nous voulons faire l’unité La même profession de foi, comme nous le rappelle selon nos desseins humains, nous finissons par appor- Saint Paul dans la première lecture d’aujourd’hui, est ter l’uniformité et l’homologation. Si au contraire, nous possible seulement parce qu’elle est suggérée par nous laissons guider par l’Esprit, la richesse, la variété, l’Esprit Saint : « Personne n’est capable de dire : ‘Jésus la diversité ne deviennent jamais conflit, parce que Lui est Seigneur’ sinon dans l’Esprit Saint » (1 Co 12,3b). nous pousse à vivre la variété dans la communion de Quand nous prions, c’est parce que l’Esprit Saint sus- l’Église. cite en nous la prière, dans notre cœur. Quand nous La multitude des membres et des charismes trouve brisons le cercle de notre égoïsme, que nous sortons de son principe harmonisateur dans l’Esprit du Christ, que nous-mêmes et nous approchons des autres pour les 7 le Père a envoyé et qu’il continue d’envoyer, J’envoie une pensée affectueuse au Patriarche arménien pour accomplir l’unité entre les croyants. L’Esprit Saint apostolique Mesrob II, en l’assurant de ma prière. fait l’unité de l’Église : unité dans la foi, unité dans la Frères et sœurs, tournons notre pensée vers la charité, unité dans la cohésion intérieure. L’Église et les Vierge Marie, la Sainte Mère de Dieu. Avec elle qui a Églises sont appelées à se laisser guider par l’Esprit prié dans le cénacle avec les Apôtres dans l’attente de la Saint, en se plaçant dans une attitude d’ouverture, de Pentecôte, prions le Seigneur pour qu’il envoie le Saint- docilité et d’obéissance. C’est Lui qui harmonise Esprit dans nos cœurs et nous rende témoins de son l’Église. Il me vient à l’esprit cette belle parole de Saint Évangile dans le monde entier. Amen ! Basile le Grand : “Ipse harmonia est”, il est Lui-même l’harmonie. ORF, 4 décembre 2014 Il s’agit d’une perspective d’espérance, mais en même temps laborieuse, puisqu’il y a toujours en nous PRIÈRE ŒCUMÉNIQUE DANS L’ÉGLISE la tentation de résister à l’Esprit Saint, parce qu’il bou- SAINT-GEORGES AU PHANAR leverse, parce qu’il secoue, il fait marcher, il pousse 29 novembre 2014 l’Église à avancer. Et il est toujours plus facile et plus commode de se caler dans ses propres positions sta- tiques et inchangées. En réalité, l’Église se montre fi- DISCOURS DU PATRIARCHE dèle à l’Esprit Saint dans la mesure où elle n’a pas la Nous vous accueillons avec joie, honneur et recon- prétention de le régler ni de le domestiquer. Et l’Église naissance, car vous avez eu la bonté de porter vos pas se montre aussi fidèle à l’Esprit Saint quand elle laisse de l’antique à la nouvelle Rome, en jetant un pont sym- de côté la tentation de se regarder elle-même. Et nous, bolique, avec votre geste, entre l’Occident et l’Orient, chrétiens, nous devenons d’authentiques disciples-mis- vous qui apportez l’amour du protocoryphée vers son sionnaires, capables d’interpeller les consciences, si propre frère, le premier appelé. nous abandonnons un style défensif pour nous laisser conduire par l’Esprit. Il est fraîcheur, imagination, nou- Nous saluons donc avec plaisir et une grande consi- veauté. dération, la venue de Votre Sainteté ici, comme un fait historique et de bon augure pour l’avenir. Nos défenses peuvent se manifester par le retran- chement excessif sur nos idées, sur nos forces – mais Ce lieu sacré, où depuis des siècles, entre les di- ainsi nous glissons dans le pélagianisme –, ou par une verses vicissitudes historiques, les patriarches œcumé- attitude d’ambition et de vanité. Ces mécanismes dé- niques ont toujours célébré et célèbrent le mystère sa- fensifs nous empêchent de comprendre vraiment les cré de la divine Eucharistie, est l’héritier d’autres lieux autres et de nous ouvrir à un dialogue sincère avec eux. de culte illustres dans cette ville, qu’ont fait resplendir Mais l’Église, née de la Pentecôte, reçoit en consigne le d’éminentes figures ecclésiastiques appartenant au feu de l’Esprit Saint, qui ne remplit pas tant la tête groupe des grands pères de l’Église universelle. Parmi d’idées mais incendie le cœur ; elle est investie du vent ceux-ci se trouvent les prédécesseurs de notre humilité, de l’Esprit qui ne transmet pas un pouvoir, mais habi- les Saints Grégoire le théologien et Jean Chrysostome, lite à un service d’amour, à un langage que chacun est dont les saintes reliques reposent dans ce temple sacré, en mesure de comprendre. avec celles de Saint Basile le Grand, de Sainte Euphémie mégalomartyre, celle qui a confirmé la thèse Sur notre chemin de foi et de vie fraternelle, plus du quatrième Concile œcuménique, et d’autres saints de nous nous laisserons guider avec humilité par l’Esprit l’Église – et cela grâce à la noble restitution de celles-ci du Seigneur, plus nous dépasserons les incompréhen- au Patriarcat œcuménique de la part de l’Église de sions, les divisions et les controverses et plus nous se- Rome. En célébrant cette année le dixième anniversaire rons signes crédibles d’unité et de paix. Signes crédibles de cet événement béni, nous exprimons à Votre que Notre Seigneur est ressuscité, est vivant. Sainteté nos remerciements chaleureux pour ce geste Avec cette joyeuse certitude, je vous salue tous avec fraternel de votre Église à l’égard de notre Patriarcat affection, chers frères et sœurs : le Patriarche syro-ca- œcuménique. Que ces saints pères, sur l’enseignement tholique, le Président de la Conférences épiscopale ; le desquels s’est fondée notre foi commune pendant le Vicaire apostolique Monseigneur Pelâtre, les autres premier millénaire, soient des intercesseurs auprès du évêques et exarques, les prêtres et les diacres, les per- Seigneur, afin que nous puissions retrouver la pleine sonnes consacrées et les fidèles laïcs, appartenant aux communion entre nos Églises, en accomplissant ainsi différentes communautés et aux différents rites de sa sainte volonté, à une époque difficile pour l’Église catholique. Je désire saluer avec une fraternelle l’humanité et le monde. affection le Patriarche de Constantinople, Sa Sainteté Bartholomée Ier, le Métropolite syro-orthodoxe, le ORF, 4 décembre 2014 Vicaire patriarcal arménien apostolique et les représen- tants des Communautés protestantes, qui ont voulu prier avec nous durant cette célébration. Je leur ex- prime ma reconnaissance pour ce geste fraternel. 8 DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS DIVINE LITURGIE EN L’ÉGLISE SAINT-GEORGES 30 novembre 2014 Sainteté, Frère très cher, Le soir porte toujours avec lui un sentiment mé- DISCOURS DU PAPE FRANÇOIS langé de gratitude pour la journée vécue, et d’anxieuse Sainteté, très cher Frère Bartholomée, confiance devant la nuit qui tombe. Ce soir mon âme Souvent, comme Archevêque de Buenos Aires, j’ai est remplie de gratitude envers Dieu qui m’accorde de participé à la Divine Liturgie des communautés ortho- me trouver ici pour prier ensemble avec votre Sainteté doxes présentes dans cette ville ; mais, me trouver au- et avec cette Église sœur, au terme d’une intense jour- jourd’hui en cette Église patriarcale Saint-Georges pour née de visite apostolique. Et en même temps, mon âme la célébration du Saint Apôtre André, le premier des est en attente du jour que nous avons liturgiquement appelés et le frère de Saint Pierre, patron du Patriarcat commencé : la fête de Saint André Apôtre, le œcuménique, est vraiment une grâce particulière que le Fondateur et le Patron de cette Église. Seigneur me donne. À travers les paroles du prophète Zacharie, le Nous rencontrer, regarder le visage l’un de l’autre, Seigneur nous a donné encore une fois, dans cette échanger l’accolade de paix, prier l’un pour l’autre sont prière vespérale, le fondement qui est à la base de notre des dimensions essentielles de ce chemin vers le réta- tension entre un aujourd’hui et un demain, le rocher blissement de la pleine communion à laquelle nous solide sur lequel nous pouvons ensemble porter nos tendons. Tout ceci précède et accompagne constam- pas avec joie et avec espérance ; ce fondement sur le ment cette autre dimension essentielle de ce chemin roc est la promesse du Seigneur : « Voici que je sauve qu’est le dialogue théologique. Un authentique dialogue mon peuple, de l’Orient et de l’Occident… dans la est toujours une rencontre entre des personnes avec un loyauté et la justice » (8,7.8). nom, un visage, une histoire ; et pas seulement une Oui, vénéré et cher Frère Bartholomée, alors que je confrontation d’idées. vous exprime mon sincère « merci » pour votre accueil Cela vaut surtout pour nous chrétiens, parce que, pour fraternel, je sens que notre joie est plus grande parce nous, la vérité est la personne de Jésus Christ. L’exemple que la source est au-delà ; elle n’est pas en nous, elle de Saint André – qui, avec un autre disciple, a accueilli n’est pas dans notre engagement ni dans nos efforts – l’invitation du divin Maître : « Venez et vous verrez », et « même s’il y en a, comme il se doit – mais elle est dans ils restèrent auprès de lui ce jour-là » (Jn 1,39) –, nous la confiance commune en la fidélité de Dieu, qui pose montre avec clarté que la vie chrétienne est une le fondement de la reconstruction de son temple qui est expérience personnelle, une rencontre transformante avec l’Église (cf. Za 8,9). « Voilà une semence de paix » Celui qui nous aime et veut nous sauver. De même, (Za 8,12) ; voilà une semence de joie. Cette paix et cette l’annonce chrétienne se répand grâce à des personnes qui, joie que le monde ne peut donner, mais que le Seigneur amoureuses du Christ, ne peuvent pas ne pas transmettre Jésus a promises à ses disciples, et qu’il leur a données, la joie d’être aimées et sauvées. Encore une fois, l’exemple une fois ressuscité, dans la puissance du Saint-Esprit. de l’Apôtre André est éclairant. Après avoir suivi Jésus là André et Pierre ont écouté cette promesse, ils ont où il habitait et s’être entretenu avec lui, « il trouva d’abord reçu ce don. Ils étaient frères de sang, mais la rencontre Simon son frère et lui dit : ‘Nous avons trouvé le Messie’ avec le Christ les a transformés en frères dans la foi et – ce qui veut dire Christ – et il l’amena à Jésus » (Jn 1,40- dans la charité. Et en cette joyeuse soirée, en cette 42). Il est clair, par conséquent, que même le dialogue prière des vigiles, je voudrais dire surtout : frères dans entre chrétiens ne peut se soustraire à cette logique de la l’espérance – et l’espérance ne déçoit pas ! Quelle grâce, rencontre personnelle. Sainteté, de pouvoir être frères dans l’espérance du Ce n’est donc pas un hasard si le chemin de récon- Seigneur ressuscité ! Quelle grâce – et quelle responsa- ciliation et de paix entre catholiques et orthodoxes a bilité – de pouvoir marcher ensemble dans cette espé- été, en quelque sorte, inauguré par une rencontre, par rance, soulevés par l’intercession des Saints frères une accolade entre nos vénérés prédécesseurs, le Apôtres André et Pierre ! Et savoir que cette commune Patriarche œcuménique Athénagoras et le Pape Paul espérance ne déçoit pas, parce qu’elle est fondée, non VI, il y a cinquante ans, à Jérusalem, événement que pas sur nous ni sur nos pauvres forces, mais sur la fidé- votre Sainteté et moi-même avons voulu récemment lité de Dieu. commémorer en nous rencontrant de nouveau dans la Dans cette joyeuse espérance, remplie de gratitude ville où le Seigneur Jésus Christ est mort et ressuscité. et d’attente impatiente, j’adresse à Votre Sainteté, à Par une heureuse coïncidence, ma visite a lieu toutes les personnes présentes, et à l’Église de quelques jours après la célébration du cinquantième Constantinople, mes vœux cordiaux et fraternels pour anniversaire de la promulgation du Décret du Concile la fête de leur Saint Patron. Et je vous demande une Vatican II sur la recherche de l’unité de tous les chré- faveur : de me bénir ainsi que l’Église de Rome. tiens, Unitatis redintegratio. Il s’agit d’un document fondamental par lequel a été ouverte une voie nouvelle ORF, 4 décembre 2014 pour la rencontre entre les catholiques et les frères d’autres Églises et Communautés ecclésiales. 9 En particulier, par ce Décret, l’Église catholique re- vail. Comme chrétiens nous sommes appelés à vaincre connaît que les Églises orthodoxes « ont de vrais sa- ensemble cette mondialisation de l’indifférence qui au- crements, – principalement, en vertu de la succession jourd’hui semble avoir la suprématie, et à construire apostolique : le Sacerdoce et l’Eucharistie, – qui les une nouvelle civilisation de l’amour et de la solidarité. unissent intimement à [elle] » (n. 15). En conséquence, Une seconde voix qui crie fort est celle des victimes on affirme que, pour garder fidèlement la plénitude de des conflits dans de si nombreuses parties du monde. la tradition chrétienne et pour conduire à terme la ré- Cette voix nous l’entendons très bien résonner d’ici, conciliation des chrétiens d’Orient et d’Occident, il est parce que des nations voisines sont marquées par une de la plus grande importance de conserver et de soute- guerre atroce et inhumaine. Je pense avec une profonde nir le très riche patrimoine des Églises d’Orient, non douleur aux nombreuses victimes de l’attentat inhu- seulement en ce qui concerne les traditions liturgiques main et insensé qui, en ces jours, a frappé les fidèles et spirituelles, mais aussi les disciplines canoniques, musulmans qui priaient dans la mosquée de Kano, au entérinées par les saints pères et par les conciles, qui Nigeria. Troubler la paix d’un peuple, commettre ou règlent la vie de ces Églises (cf. nn. 15-16). consentir toute espèce de violence, spécialement sur les J’estime important de rappeler le respect de ce prin- personnes faibles et sans défense, est un péché très cipe comme condition essentielle et réciproque au réta- grave contre Dieu, parce que c’est ne pas respecter blissement de la pleine communion, qui ne signifie ni l’image de Dieu qui est dans l’homme. La voix des vic- soumission l’un à l’autre, ni absorption, mais plutôt ac- times des conflits nous pousse à avancer rapidement cueil de tous les dons que Dieu a donnés à chacun pour sur le chemin de la réconciliation et de la communion manifester au monde entier le grand mystère du salut entre catholiques et orthodoxes. D’ailleurs, comment réalisé par le Christ Seigneur, par l’Esprit Saint. Je veux pouvons-nous annoncer de manière crédible l’Évangile assurer à chacun de vous que, pour arriver au but désiré de paix qui vient du Christ si, entre nous, continuent de la pleine unité, l’Église catholique n’entend pas im- d’exister des rivalités et des querelles (cf. Paul VI, poser une quelconque exigence, sinon celle de la pro- Exhortation apostolique Evangelium nuntiandi, 7n. 7) ? fession de foi commune, et que nous sommes prêts à Une troisième voix qui nous interpelle est celle des chercher ensemble, à la lumière de l’enseignement de jeunes. Aujourd’hui, malheureusement, il y a beaucoup l’Écriture et de l’expérience du premier millénaire, les de jeunes qui vivent sans espérance, vaincus par le dé- modalités par lesquelles garantir la nécessaire unité de couragement et la résignation. Beaucoup de jeunes, de l’Église dans les circonstances actuelles : l’unique chose plus, influencés par la culture dominante, cherchent la que désire l’Église catholique, et que je cherche comme joie uniquement dans la possession de biens matériels et Évêque de Rome, « l’Église qui préside dans la cha- dans la satisfaction des émotions du moment. Les rité », c’est la communion avec les Églises orthodoxes. nouvelles générations ne pourront jamais acquérir la Cette communion sera toujours le fruit de l’amour « qui vraie sagesse ni maintenir vivante leur espérance si nous a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui ne sommes pas capables de valoriser et de transmettre nous a été donné » (Rm 5,5), amour fraternel qui donne l’authentique humanisme qui surgit de l’Évangile et de expression au lien spirituel et transcendant qui nous l’expérience millénaire de l’Église. Ce sont justement les unit comme disciples du Seigneur. jeunes – je pense par exemple aux multitudes de jeunes Dans le monde d’aujourd’hui se lèvent avec force orthodoxes, catholiques et protestants qui se rencontrent des voix que nous ne pouvons pas ne pas entendre, et dans les rassemblements internationaux organisés par la qui demandent à nos Églises de vivre jusqu’au bout le communauté de Taizé, ce sont eux qui aujourd’hui nous fait d’être disciples du Seigneur Jésus Christ. demandent de faire des pas en avant vers la pleine La première de ces voix est celle des pauvres. Dans communion. Et cela non parce qu’ils ignorent la signification des différences qui nous séparent encore, le monde, il y a trop de femmes et trop d’hommes qui souffrent de grave malnutrition, du chômage croissant, mais parce qu’ils savent voir au-delà, ils sont capables de recueillir l’essentiel qui déjà nous unit. du fort pourcentage de jeunes sans travail et de l’augmentation de l’exclusion sociale, qui peut conduire Cher Frère, très cher Frère, nous sommes déjà en à des activités criminelles et même au recrutement de chemin, en chemin vers la pleine communion et déjà terroristes. Nous ne pouvons pas rester indifférents nous pouvons vivre des signes éloquents d’une unité devant les voix de ces frères et sœurs. Ils nous réelle, bien qu’encore partielle. Cela nous conforte et demandent, non seulement de leur donner une aide nous soutient dans la poursuite de ce chemin. Nous matérielle, nécessaire en de nombreuses circonstances, sommes sûrs que le long de cette route nous sommes mais surtout que nous les aidions à défendre leur di- soutenus par l’intercession de l’Apôtre André et de son gnité de personne humaine, de sorte qu’ils puissent re- frère Pierre, considérés par la tradition comme les fon- trouver les énergies spirituelles pour se relever et être dateurs des Églises de Constantinople et de Rome. de nouveau protagonistes de leur histoire. Ils nous de- Invoquons de Dieu le grand don de la pleine unité et la mandent aussi de lutter, à la lumière de l’Évangile, capacité de l’accueillir dans nos vies. Et n’oublions ja- contre les causes structurelles de la pauvreté : l’inégalité, mais de prier les uns pour les autres. le manque d’un travail digne, d’une terre et d’une mai- ORF, 4 décembre 2014 son, la négation des droits sociaux et des droits du tra- 10
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