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Comores : Les nouveaux mercenaires PDF

174 Pages·1994·1.28 MB·French
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COMORES Les nouveaux mercenaires Du même auteur Liban : le complot, Éditions L'Harmattan avec Abdel Rahim Hijazi, 1989. Sauver Air France, Éditions L'Harmattan, 1994. Pascal PERRI COMORES Les nouveaux mercenaires Éditions L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 PARIS © L'Harmattan,1994 ISBN : 2-7384-2862-2 A Régina et Fadi Le sommet de Dakar traîne en longueur. Et pourtant tout paraissait joué d'avance. Français et Africains s'étaient mis d'accord en amont sur la dévaluation du franc CFA. Dans les salons de l'Hôtel Méridien à Dakar, Michel Roussin passe d'une table à une autre, rencontrant tour à tour, les chefs d'États de la zone franc et les grands argentiers du F.M.I. qui poussent à la dévaluation. La France a promis qu'elle accompagnerait la dépiéciation des monnaies africaines. Le ministre de la Coopération, chaud partisan de la dévaluation, a investi toute son énergie dans ce réajustement au point d'identifier sa carrière à la réussite de l'opération engagée 18 mois plus tôt. Bien avant l'arrivée d'Edouard Balladur à Matignon, le gouvernement de Pierre Bérégovoy jugeait inévitable une dévaluation du franc CFA. La France pourtant ne parle pas d'une seule voix. Edmond Alphandery ministre français de l'Économie y est hostile. Tout comme les experts africains de Jacques Chirac. Quoi qu'il en soit, le sommet de Dakar vient sanctionner la faiblesse des économies africaines de la zone-franc. Au passage quelques hommes d'affaires vont en profiter pour réaliser des opérations spéculatives de grande ampleur. Anticipant la dévaluation, ils ont emprunté des centaines de milliards de francs CFA remboursables en francs français. En l'espace de quelques semaines, ces initiés 7 de la finance internationale ont gagné la moitié de leur emprunt. Le 11 janvier 1994, dans la soirée, le franc CFA est dévalué de 50 %. En d'autres termes, le franc français est réévalué de moitié par rapport à son petit frère. Seule exception à la règle : le franc comorien. Saïd Mohamed Djohar, le président comorien a obtenu un traitement de faveur pour sa monnaie nationale. Elle ne sera finalement dévaluée que de 33 %. Un tiers de valeur en moins. C'est cependant suffisant pour accroître la misère dans les trois îles de la République fédérale islamique des Comores. La RFIC importe presque tout ce qu'elle consomme, à commencer par le riz. Ses exportations ont décrû et ne représentent plus aucune valeur marchande significative. De surcroît, la dévaluation du franc comorien - même plus modérée que prévu - creuse l'écart entre les îles de la République fédérale et Mayotte, collectivité territoriale française placée sous le régime du franc français. En terme d'immigration, les conséquences du sommet de Dakar se paieront au prix fort. Il suffit pour s'en convaincre de visiter le Nioumakélé, la région la plus pauvre du pays, situé sur l'île d'Anjouan, en vis-à-vis de l'Eldorado mahorais. Là-bas, dans cette vallée oubliée par Moroni, des dizaines de milliers de gens vivent dans le dénuement. En octobre 1993, j'ai rencontré dans cette région des fermiers qui survivent à peine et des enfants au ventre rond, victimes de la faim. Ce sont ainsi deux mondes qui coexistent, séparés par un bras de l'océan Indien. Ibrahim Hallidi, l'enfant du pays, ancien Premier ministre de la RFIC, a tenté de donner un coup de pouce à cette enclave de pauvreté. L'instabilité politique et les manoeuvres ne lui ont pas laissé le temps d'entreprendre les réformes nécessaires. Avec la dévaluation du franc comorien, le chômage et l'effondrement des cultures de rente, les candidats à l'immigration vers Mayotte vont être encore plus nombreux. En dépit du dispositif de lutte contre l'afflux des clandestins mis en oeuvre par le préfet Jean-Jacques Debbacq en 1993, les côtes mahoraises ne sont pas hermétiques. Bien qu'appartenant au même archipel, Mayotte et les trois îles de 8 la RFIC incarnent dans une unité de temps et d'espace le conflit entre le Nord riche et le Sud pauvre. Quoi qu'il en soit, la dévaluation du franc CFA et du franc comorien est généralement perçue comme un lâchage. « La France s'est débarrassée de son fardeau africain en livrant ses partenaires de la zone franc aux institutions financières multilatérales », écrit Albert Bourgi dans Jeune Afrique. « En termes diplomatiques, la dévaluation se traduira vraisemblablement par une perte d'influence de la France en Afrique ». Pour les Comores, le choc de la dévaluation sera amplifié par la signature de l'accord du GATT en décembre 1993. Ainsi, les pays qui importent de grandes quantités de produits agricoles pour nourrir leurs populations seront frappés de plein fouet par la hausse des produits agricoles consécutive à l'accord de Blair House. Tous les experts reconnaissent que l'Afrique ne sera pas en état de tirer profit de l'Uruguay round. Le continent noir ne représente plus que 2,6 % du commerce mondial (1,9 % sans l'Afrique du Sud). Selon la Banque mondiale, en 2002, quand la totalité des accords de l'Uruguay round sera appliquée, l'Afrique verra diminuer de plus de 4 % ses termes de l'échange. Autrement dit, ses exportations auront perdu de la valeur et ses importations seront de plus en plus chères. C'est dire si l'enjeu du redressement économique est capital pour tous les pays africains et singulièrement pour un petit État comme les Comores. Malheureusement, la République fédérale ne parvient pas à trouver un second souffle politique. A peine sortie de l'épisode des mercenaires, le pays est frappé par la corruption et l'inefficacité de l'État. A l'issue des élections législatives de décembre 1993, la famille politique du président Djohar remporte la majorité des sièges à l'Assemblée. « Mascarade électorale » commente la presse internationale. Les élections ont fait trois morts, une trentaine de blessés et donné lieu à de multiples fraudes. Au mois de janvier 1994, Saïd Mohamed 9 Mchangama, le gendre du président de la République, est élu à la présidence de l' Assemblée. En coulisse, la France exprime son émotion. Le scrutin a été émaillé d'incidents sérieux et monsieur Mchangama n'est pas en odeur de sainteté à Paris, où on lui reproche d'avoir conduit des opérations financières douteuses. Depuis 1989, l'archipel aux parfums, est au centre d'un véritable chassé-croisé diplomatico-financier doublé d'une crise politique et institutionnelle endémique. Bob Denard est parti mais de nouveaux aventuriers ont pris sa place. Il n'est d'ailleurs pas dit que l'ancien chef de la garde présidentielle ait renoncé à jouer un rôle. Pour preuve, au printemps 1994, Denard « consultait » à Paris. Ses visiteurs, parmi les plus inattendus, représentent la presque totalité de l'échiquier politique comorien. La géopolitique de l'Afrique australe a changé mais l'ancien mercenaire reste un interlocuteur pour de nombreux responsables politiques comoriens. Denard sait, sans doute, qu'il ne reviendra pas à Moroni mais il dispose encore sur place d'une fortune immobilière pour laquelle il espère obtenir une compensation substantielle. Ses projets pourraient être favorisés par les circonstances politiques locales. Depuis avril 1994, Saïd Mohamed Djohar laisse clairement entendre qu'il sera candidat à un nouveau mandat. En Conseil des ministres, le Président n'a pas hésité à asséner à un auditoire médusé qu'il était tout à la fois le numéro 1, le numéro 2 et le numéro 3 du régime. Djohar candidat à sa propre succession, après les graves irrégularités qui ont marqué son premier septennat ? Les parrains français du processus de démocratisation aux Comores seraient peu enclins à accepter une telle hypothèse. A Moroni, ce cas de figure contrarie les projets du gendre Djohar. Saïd Mohamed Mchangama se prépare depuis plusieurs années à la succession de son beau-père depuis plusieurs années. Djohar lui aurait-il laissé faire « le sale boulot » pour finalement garder la main ? Autrement dit, le ticket Djohar-Mchangama survivra-t-il à la course effrénée pour le pouvoir ? Une seule 10 conclusion s'impose. A plus de 80 ans, S.M. Djphar s'est découvert une vocation tardive de président à vie. Paris, le 30 juin 1994 11

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