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Circuits courts agroalimentaires de proximité en Limousin PDF

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Norois Environnement, aménagement, société  230 | 2014 Histoire de la géographie, mobilités étudiantes, circuits courts, maillage territorial, régénération urbaine, hydrographie Circuits courts agroalimentaires de proximité en Limousin : performance économique et processus de gentrification rurale Rural Gentrification and economic performance of local short food supply chain in Limousin Frédéric Richard, Marius Chevallier, Julien Dellier et Vincent Lagarde Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/norois/4997 DOI : 10.4000/norois.4997 ISBN : 978-2-7535-3509-1 ISSN : 1760-8546 Éditeur Presses universitaires de Rennes Édition imprimée Date de publication : 30 juin 2014 Pagination : 21-39 ISBN : 978-2-7535-3464-3 ISSN : 0029-182X Référence électronique Frédéric Richard, Marius Chevallier, Julien Dellier et Vincent Lagarde, « Circuits courts agroalimentaires de proximité en Limousin : performance économique et processus de gentrification rurale », Norois [En ligne], 230 | 2014, mis en ligne le 30 juin 2016, consulté le 13 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/norois/4997 ; DOI : https://doi.org/10.4000/norois.4997 © Tous droits réservés NOROIS N° 230, 2014/1, p. 21-39 www.pur-editions.fr Revue en ligne : http://norois.revues.org Circuits courts agroalimentaires de proximité en Limousin : performance économique et processus de gentrifi cation rurale Rural Gentrifi cation and Economic Performance of Local Short Food Supply Chain in Limousin Frédéric Ri chard* a , Marius Ch evallier a , Julien De llier a et Vincent La garde b * Auteur correspondant a G eolab – UMR 6042 CNRS, Université de Limoges, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, 39E rue Camille-Guérin, 87 036 Li moges cedex ( f [email protected] ) , ( m [email protected]) , (julien.dellier@ unilim.fr) b C REOP EA4332, Université de Limoges, IAE, 3 rue F.-Mitterrand, 87 031 Limoges Cedex 1 ( vincent.lagarde@ unilim.fr) Résumé : En 2011, la Direction Régionale Agriculture Alimentation Forêt du Limousin et le Conseil Régional Limousin ont mis en place une enquête complémentaire au Recensement Agricole auprès de 507 des 1422 producteurs pratiquant les circuits courts de proximité (CCP) dans la région. Les données économiques, comparées à celles du Réseau d’Information Comptable Agricole, montrent que les exploitations pratiquant les CCP sont plus performantes que celles ne les pratiquant pas. Dans une perspective inductive, l’analyse économique et fi nancière de ce différentiel de performance est complétée d’observations relatives aux dynamiques sociales et géographiques des CCP en Limousin. Il en ressort que l’appartenance des consommateurs et producteurs à une même classe sociale y favoriserait ainsi le développement et la performance des CCP. Le phénomène des CCP peut alors apparaître comme une manifestation du processus de gentrifi cation rurale. Abstract: In 2011, the DRAAF and Region Council of Limousin conducted an additional survey to the Agricultural Census with 507 of the 1422 producers involved in the short food supply chain (SFSC) in the region. The economic data, compared with the ones of the Farm Accountancy Data Network (FADN), show that the farms using local networks are more successful than those not using them. Developing an inductive approach, the economic and fi nancial analysis of this performance gap is completed by empirical material related to the social and geographical dynamics of the SFSC networks in Limousin. It shows that the development and the performance of the SFSC networks would be favoured when local producers and consumers belong to the social class. These networks could therefore appear as an expression of the rural gentrifi cation process. Mots clés : performance économique – circuits courts de proximité – agriculture – recomposition sociale – gentrifi cation rurale Keywords: economic performance – short food supply chain – agriculture – social change – rural gentrifi cation Article reçu le 18 octobre 2013 ; défi nitivement accepté le 23 avril 2014 21 CIRCUITS COURTS AGROALIMENTAIRES DE PROXIMITÉ EN LIMOUSIN Introduction a incité les services déconcentrés de l’État (Draaf) et la Région à lancer un programme de recherche Les circuits courts de proximité (CCP) 1, forme tra- soutenu fi nancièrement par le Ministère de l’agri- ditionnelle mais progressivement marginalisée de culture et scientifi quement par l’UMR Geolab 6042 commercialisation dans le domaine agroalimentaire, CNRS de l’Université de Limoges. Globalement, sont actuellement réinvestis en réponse aux critiques les objectifs de la recherche consistaient dans un du modèle agro-industriel dominant (Goodman et premier temps à mieux connaître les producteurs Watts, 1997 ; Van der Ploeg et al., 2000 ; Lamine et recourant aux CCP, les dynamiques (notamment Perrot, 2008). Ils sont ainsi censés contribuer aux sectorielles et géographiques) et conditions d’ins- trois piliers du développement durable (T ransrural tallation, de diversifi cation et de développement de Initiatives , 2006, 2007). D’un point de vue environ- ces « nouvelles » formes de commercialisation pour, nemental, ils favoriseraient les pratiques culturales in fi ne , se doter des meilleurs outils pour encourager « raisonnées » et seraient plus économes en gaz à et soutenir effi cacement leur développement. effet de serre que les circuits conventionnels. D’un Paradoxalement, ce n’est qu’ a posteriori , grâce point de vue économique, la réduction du nombre aux données issues de l’étude (c f. infra ), combi- d’intermédiaires permettrait aux agriculteurs de nées à celles du Recensement Agricole 2010, que reprendre le contrôle de la valeur ajoutée et d’amé- nous sommes en mesure de valider le postulat de liorer leurs revenus. Enfi n, en termes sociaux, en départ d’une meilleure performance économique rendant plus accessibles des produits frais de qualité des exploitations commercialisant en CCP, consti- à un éventail toujours plus large de consommateurs, tuant par ailleurs un apport empirique relativement les CCP rapprocheraient les deux extrémités de la inédit au regard du corpus et de la méthodologie fi lière : ils reconnecteraient, voire réconcilieraient, retenue. Au-delà de ce résultat, l’étape suivante a producteurs et consommateurs, seraient un moyen consisté à déterminer les facteurs explicatifs de ce de renouer les échanges entre ruraux et citadins et différentiel de performance. Malheureusement, de rééquilibrer les rapports ville-campagne. pour volumineux qu’il soit, le corpus de données Nous proposons de réinterroger ici ces deux der- disponible a trop rapidement imposé les limites niers aspects, c’est-à-dire les revenus des produc- d’une analyse de type économique ou comptable. teurs et le rôle des échanges sociaux et ce, à partir Mais de fait, les circuits-courts constituent un objet d’une analyse de cas portant sur la région Limousin. protéiforme qui, par nature, devrait donner lieu à L’hypothèse selon laquelle les CCP permettent des recherches pluridisciplinaires. En l’occurrence, d’améliorer les revenus des agriculteurs a été peu les chercheurs engagés dans ce programme ont étudiée, ou plutôt peu approfondie. Pourtant, cet eu l’opportunité de s’appuyer sur d’autres travaux argument est suffi samment admis et partagé pour conduits en Limousin pour envisager une lecture être à l’origine de politiques publiques ou d’initiatives interprétative autre qu’économique pour tenter diverses en matière d’accompagnement des agricul- d’expliquer le développement et la bonne perfor- teurs intéressés par ce mode de commercialisation ; mance des CCP dans la région. Cette démarche il est en particulier avancé comme une réponse strictement inductive nous a ainsi conduits à ana- pertinente aux diffi cultés plus ou moins conjonctu- lyser la performance économique des CCP au tra- relles des producteurs. En Limousin par exemple, vers de leur articulation avec l’ensemble des muta- région aux résultats des exploitations agricoles les tions fonctionnelles, sociales et géographiques qui plus faibles de France (Allirot e t al. , 2012), l’accélé- affectent les espaces ruraux et plus explicitement ration des dépôts de bilan au début des années 2000 avec la gentrifi cation des campagnes françaises, ou a minima, de certaines d’entre elles. 1. L a notion de « circuit court » a été défi nie dans le Plan Barnier en 2009 par le nombre d’intermédiaires (un maximum) entre le producteur et le Concrètement, les CCP ne sont pas en « lévita- consommateur quelle que soit la distance kilométrique. En Limousin, par tion », ils sont au contraire inscrits, voire encastrés ordre d’importance, les modes de vente sont : à la ferme, commerçants, marchés, tournées alimentaires, points de vente collectifs, restauration (Hinrichs, 2000 ; Winter, 2003), au sein de terri- commerciale, grandes et moyennes surfaces, salons, correspondance, toires d’échelles variables et de structures sociales paniers, restauration collective. La notion de «circuit de proximité » fait référence au nombre de kilomètres entre le lieu de production et le lieu de localisées ou de sociétés locales dont ils sont issus consommation quels que soient le nombre d’intermédiaires. La présente étude s’intéresse aux circuits qui sont à la fois courts et de proximité. et qu’ils contribuent à produire. Parmi les trans- 22 Frédéric RICHARD et al. – NOROIS n° 230 (2014/1) p. 21-39 formations des espaces ruraux, le renouvellement tion de la valeur ajoutée par les exploitations devrait des populations, principalement sous l’effet des leur être profi table en termes de performance éco- dynamiques migratoires, constitue un fait majeur. nomique et de revenus. Paradoxalement, comme le Ces mouvements refl ètent et s’accompagnent de soulignent encore récemment les auteurs du rapport mutations fonctionnelles : d’espaces productifs, Short Food Supply Chains and Local Food Systems les espaces ruraux deviendraient peu à peu « post- in the EU. A State of Play of their Socio-Economic productifs » (Marsden e t al. , 1993), à vocation Characteristics , si les assertions allant dans ce sens essentiellement résidentielle et sont même parfois sont nombreuses, très peu sont étayées par des présentés comme des espaces « consommés ». Ces recherches empiriques. Lorsque celles-ci existent, mutations seraient en particulier le résultat des « the majority of evidence is qualitative, and based rapports qu’entretiennent les nouvelles populations on perceptions and experiences 3 » (Santini, Gomez résidentes avec les campagnes, nouvelles popula- y Paloma, 2013), la plupart du temps, à partir tions dont le profi l socio-économique et culturel d’études de cas locales. Par exemple, les analyses est souvent fondamentalement différent de celui questionnent souvent la place des revenus parmi des populations dites locales ou autochtones 2. Ce l’ensemble des motivations des agriculteurs ayant remplacement progressif des populations aux capi- fait le choix de recourir à la vente directe (Cartier, taux économiques et/ou culturels en moyenne plus 1994 ; Govindasamy et Nayga, 1996). modestes que ceux des nouveaux arrivants, a poussé Quant aux recherches plus quantitatives ayant un certain nombre d’auteurs à mobiliser le concept effectivement porté sur les résultats du change- de gentrifi cation rurale pour interpréter l’évolution ment de mode de commercialisation, elles s’ap- des campagnes (Phillips, 1993), y compris fran- puient essentiellement sur l’évolution du chiffre çaises (Raymond, 2005 ; Pistre, 2012). En résumé, d’affaires et n’autorisent que peu de comparaisons. l’objectif serait ici de réfl échir et de poser les jalons Par exemple, sur les 557 exploitations enquêtées de recherches ultérieures quant aux liens suscep- dans le New Jersey en 1992, celles qui pratiquent tibles d’être tissés entre, d’une part le processus de l’agrotourisme ou la vente directe dégagent un gentrifi cation rurale, et d’autre part, les CCP agroa- chiffre d’affaire par hectare plus élevé que les autres limentaires, leurs modalités de développement ainsi (Govindasamy et al. , 1999). Aux États-Unis tou- que leur effi cacité économique. jours, ces éléments ont été confortés par les données Dans cette perspective, nous avons fait le choix d’une enquête agricole annuelle publique natio- d’organiser cette contribution à l’image du chemi- nale (ARMS : Agricultural Resource Management nement intellectuel qui nous a progressivement Survey) conduite en 2002 et doublée d’une enquête amenés de la déconstruction statistique et comp- complémentaire en agriculture biologique. Ainsi, table de la performance économique des exploita- sur une population de 339 exploitations en agri- tions installées en CCP, à l’analyse des composantes culture biologique (soit 3 % d’un échantillon de sociales et économiques de la gentrifi cation rurale et 13 303 exploitations), celles qui recourent à la vente de l’infl uence de celle-ci sur le développement des directe présentent un chiffre d’affaires supérieur de circuits-courts en Limousin. 3,4 % à celles qui leur préfèrent les fi lières longues. Pour autant, faute d’information sur les charges, ces résultats ne peuvent être transposés en termes de Une meilleure performance revenu fi nal (Detre et al. , 2011). En France, une économique des exploitations vaste étude relative à « l’Élaboration d’un référen- pratiquant les CCP tiel technico-économique dans le domaine des CCP La faible connaissance des revenus de commercialisation » (Capt e t al. , 2011) a permis des agriculteurs pratiquant les CCP de rassembler les données comptables détaillées d’un échantillon de quatre-vingt exploitations en Logiquement, du fait de la réduction, voire de la maraîchage et quatre-vingt exploitations spéciali- suppression, des intermédiaires, la meilleure capta- sées en bovin lait localisées dans diverses régions 2. A vec toute la prudence et réserves susceptibles de s’appliquer à la notion 3. « La plupart des données sont qualitatives, basées sur les perceptions et (voir par exemple Girard A., 2012). expériences des personnes interrogées » 23 CIRCUITS COURTS AGROALIMENTAIRES DE PROXIMITÉ EN LIMOUSIN de l’hexagone et toutes installées en circuits courts. l’enquête CCL, trois nous intéressent plus particu- Les auteurs ont ainsi pu élaborer une comptabilité lièrement ici : le chiffre d’affaires, les charges et les analytique permettant d’isoler les activités circuits annuités bancaires. Par ailleurs, le profi l des exploi- courts du reste des activités des exploitations, mais tations enquêtées, notamment en matière de surface là-encore sans être en mesure d’engager de compa- agricole utile (SAU), unités de travail annuel (UTA) raison avec les exploitations en fi lières longues. et effectifs animaux, a pu être directement complété Au total, il semble que l’invitation de Hennebery à partir du Recensement Agricole. et al. (2009) à travailler à l’évaluation précise du Or, tous ces éléments comptables et structurels chiffre d’affaires des exploitations afi n de mesurer ont la particularité d’être également disponibles au les impacts économiques des circuits courts garde à travers du Réseau d’Information Comptable Agricole ce jour toute sa pertinence. (RICA), rendant ainsi possible une démarche com- parative signifi cative entre d’un côté l’ensemble des exploitations 6, et de l’autre les seules exploitations Des revenus supérieurs pour les installées en CCP. Les résultats de cette compa- exploitations en CCP en Limousin raison sont donnés pour les moyennes et grandes En l’occurrence, les données produites en exploitations spécialisées en bovin viande. En effet, Limousin nous offrent cette double opportunité de d’une part le RICA ne concerne que les moyennes travailler sur les revenus fi naux des exploitations en et grandes exploitations 7. D’autre part, seules quatre CCP et de comparer les revenus des exploitations productions présentent un nombre significatif en fi lières courtes et longues. L’enquête dénom- d’exploitations agricoles enquêtées dans les deux mée Circuits Courts en Limousin (CCL ci-après) enquêtes CCL et RICA pour autoriser des compa- a été réalisée en 2011 par le Conseil Régional raisons (fi gure 1), les données n’étant suffi samment du Limousin et la Draaf Limousin 4, avec la par- robustes que pour le bovin viande 8. Cette double ticipation de Geolab. Menée par dix enquêteurs contrainte impose donc de réduire le champ d’ana- de la Draaf, elle offre un taux de sondage et une lyse qui reste toutefois pertinent : non seulement représentativité probablement inédits pour un ter- les moyennes et grandes exploitations représentent ritoire de cette échelle puisque 507 des 1 422 pro- 59 % des exploitations qui pratiquent la vente en ducteurs identifi és comme pratiquant les circuits CCP (avec 10,6 % d’entre elles qui commercialisent courts 5 à l’occasion du Recensement Agricole de tout ou partie de leur production contre 8,6 % pour 2010 ont pu être enquêtés (Allirot et al. , 2012 ; les petites) mais en outre, le bovin viande consti- Chevallier 2013a ; Chevallier 2013b ; Chevallier tue de loin la principale production en Limousin. et al. , à paraître). En complément de ce corpus Précisons par ailleurs que les données comparées quantitatif, une enquête qualitative s’est concréti- sous-estiment les écarts réels entre les exploitations sée par une quarantaine d’entretiens semi-directifs pratiquant les CCP et les autres. En effet, il n’a conduits auprès de consommateurs, producteurs, pas été possible d’exclure de l’échantillon RICA les commerçants et institutionnels. Tous engagés dans exploitations pratiquant les CCP : la comparaison se une démarche de CCP, ils ont été sélectionnés de fait donc entre des exploitations pratiquant les CCP manière à constituer un échantillon représenta- tif des acteurs et territoires limousins en fonction 6. L e différentiel de performance mesuré en faveur des exploitations en de critères de production (sept fi lières), modes de CCP est probablement supérieur dans les faits. En effet, l’échantillon commercialisation (cinq modes) et de localisation RICA comprend des exploitations à la fois en fi lières courtes et longues. Or, pour mesurer le différentiel de performance, il faudrait idéalement en (six zones géographiques en Limousin). Quoi qu’il exclure les exploitations en CCP. Cela aurait nécessité un appariement avec les données individuelles du RA auxquelles nous n’avons pas accès. en soit, parmi les 700 variables renseignées dans 7. C ela ne signifi e pas que nous reprenions à notre compte l’idée sous- jacente à la construction du RICA en 1965 que seules les moyennes et grandes exploitations seraient « professionnelles » : « L’enquête ne couvre 4. S ervice Régional de L’information Statistique, Economique et Territoriale toutefois pas l’ensemble des exploitations agricoles de l’Union mais uni- (SRISET), que nous remercions pour l’accès aux données et la contribu- quement celles ayant une dimension suffi sante pour pouvoir être consi- tion à l’analyse fi nancière. dérées comme professionnelles » ([ http://ec.europa.eu/agriculture/rica/ 5. I l s’avère en fait qu’en Limousin les circuits courts sont quasi exclusive- concept_fr.cfm] , consulté le 21 janvier 2014). ment de proximité comme en témoigne l’analyse des lieux de vente cités 8. L es données en ovin viande, pomiculture et bovin lait ne sont pas robustes et des kilomètres parcourus pour la commercialisation. Il est donc légitime statistiquement mais les résultats vont dans le même sens que celles pour a posteriori de parler de CCP. le bovin viande (Chevallier, 2013b). 24 Frédéric RICHARD et al. – NOROIS n° 230 (2014/1) p. 21-39 Figure 1 : Éléments de comparaison entre RICA et CCL Comparisons between RICA and CCL (CCL) et un ensemble d’exploitations tous modes sés à travers le tableau 1. Les chiffres de la partie de commercialisation confondus 9. supérieure du tableau confi rment l’hypothèse de Au fi nal, les principaux résultats issus des recou- la meilleure performance des exploitations écou- pements des deux bases de données sont synthéti- lant tout ou partie de leur production en CCP 10. 9. D ont on peut faire l’hypothèse qu’elles constituent 10,6 % de l’échantillon 10. 5 0 % en vente directe (30 % ferme, 15 % domicile, 5 % points de vente si l’échantillon RICA est représentatif de l’ensemble des moyennes et collectifs) et 50 % en vente indirecte (45 % bouchers, 5 % GMS), consti- grandes exploitations. tuant une moyenne de 20 % du CA réalisé en CC. 25 CIRCUITS COURTS AGROALIMENTAIRES DE PROXIMITÉ EN LIMOUSIN Tableau 1 : Résultats d’exploitation et principaux soldes intermédiaires de gestion comparés des exploitations limousines en bovin viande (exploitations en CCP/ensemble des exploitations) Comparison of operating results and main intermediate operating totals of beef farms in Limousin (short food supply chain farms/all farms) Concrètement, en Limousin, à chiffres d’affaires travail annuel non salariée est également supérieur équivalents (autour de 124 500 € en moyenne), d’au moins 18 % 11. elles dégagent un Excédent Brut d’Exploitation et Les données disponibles permettent d’engager un revenu respectivement supérieurs d’au moins une rapide ébauche d’analyse comptable visant 18 % et 44 % à ceux des exploitations commercia- lisant en fi lières longues. Le revenu par unité de 11. V oir Chevallier, 2013b, pour une analyse plus détaillée. 26 Frédéric RICHARD et al. – NOROIS n° 230 (2014/1) p. 21-39 à détailler les composantes de ce différentiel. vache nourrice en CCP sont inférieures d’au moins Globalement, les exploitations en CCP se carac- 6 % à celles observées en fi lières longues, et ce, en térisent par une meilleure productivité : alors que intégrant des frais de personnel pourtant supérieurs les SAU et quantités vendues (estimées à partir de (UTA supérieures de 22 % en CC). A ce stade, les la PBS 12 moyenne) sont respectivement inférieures modalités de cette apparente meilleure maîtrise des de 9 et 8 % à celles des exploitations aux modes de charges courantes restent à établir mais plusieurs commercialisation conventionnels, leur CA ramené pistes mériteraient d’être suivies à l’occasion de au nombre de vaches nourrices est en revanche recherches complémentaires. Dans quelle mesure supérieur de 3 %. Il semble bien que la réintégration les pratiques productives ou les investissements (les des fonctions de transformation et commercialisa- annuités sont sensiblement plus lourdes en CCP, cf. tion au sein des exploitations en CCP permet de se tableau 1) consentis par les producteurs en CCP réapproprier plus de valeur ajoutée. Parallèlement à bénéfi cient-ils à ces résultats ? De même, il se pour- ces recettes marchandes, les exploitations peuvent rait que le profi l des producteurs en CCP (beau- bénéfi cier de recettes non marchandes, sous formes coup plus diplômés que la moyenne notamment, cf. de primes et subventions. Malheureusement, les infra) puisse infl uencer le résultat de leurs exploi- bases de données disponibles ne permettent pas de tations, a fortiori au sein d’un secteur peu institu- les isoler au sein du résultat CA global des exploi- tionnalisé (Chevallier, 2013a), y compris en termes tations. Cependant, les exploitations en CCP et les d’accompagnement des exploitants (Lagarde, 2004). autres bénéfi cient de primes différentes qui corres- De manière générale, la performance des exploita- pondent souvent à des modèles de productions eux- tions en CCP repose donc peut-être davantage sur mêmes distincts. Par exemple, en règle générale, les les caractéristiques individuelles des dirigeants et exploitations en bovin viande pratiquant les CCP notamment leur profi l entrepreneurial (Lagarde, « fi nissent leurs animaux » (c’est-à-dire qu’ils y sont 2006). Plus précisément, par définition dans le élevés jusqu’à être abattus). A ce titre, elles peuvent domaine des circuits-courts, la réussite du projet bénéfi cier de primes supérieures à celles qui, en cir- dépend de la capacité des producteurs à entrer en cuits conventionnels, privilégient l’élevage de brou- relation avec leurs clients afi n, à la fois de réaliser tards (« engraissés » par d’autres structures, parfois des échanges économiques (trouver et approvision- à l’étranger). Mais comme, inversement, ces exploi- ner une clientèle) et d’optimiser ces échanges en tations spécialisées en broutard sont plus souvent fi délisant la clientèle et en garantissant une bonne localisées dans des zones à contraintes naturelles à marge. l’origine de dispositifs spécifi ques de soutien dans En l’occurrence, ces éléments de réfl exion relatifs le cadre du 2e pilier de la PAC (Leyssenne, 2012), aux liens entre performance économique des CCP au fi nal, l’impact de ces primes ne serait susceptible et relations producteurs/clientèles ont fait écho à un d’expliquer la bonne performance des exploitations certain nombre d’observations et résultats issus de en CCP que dans une proportion marginale. diverses recherches conduites en Limousin depuis En revanche, et de manière sensiblement moins la fi n des années 2000, notamment sur les nouvelles attendue 13, le différentiel de résultat global pourrait populations en milieu rural 14. De cette confronta- s’expliquer en partie par les niveaux de dépenses des tion entre premiers résultats et questionnements exploitations. En effet, les charges d’exploitation par 14. La première, réalisée en 2010, portait sur les relations entre environne- 12. L a PBS (production brute standard) est une estimation du chiffre d’af- ment et populations néo-limousines à partir d’une étude de cas (Plateau faires des exploitations réalisées à partir des données structurelles (sur- de Millevaches) et a permis de constitué un corpus de 30 entretiens face agricole, cheptel, etc) en fonction de moyennes constatées. Elle (personnes ressources) et 120 questionnaires auprès d’un échantillon sous-estime certainement la réalité du chiffre d’affaires des exploitations d’anciens et nouveaux résidents (Richard et Dellier, 2011). Deux autres qui pratiquent les CCP puisque ces moyennes ne sont pas révisées en concernaient plus précisément les CCP et ont consisté en la production fonction des prix supérieurs que les exploitants peuvent dégager en ven- (en 2013), d’une part de 226 et 274 questionnaires passés auprès de dant en CCP. consommateurs résidants, respectivement dans 4 communes du sud de 13. L es activités de transformation et commercialisation nécessitent en la Creuse ( [https://plateaudegentioux.wordpress.com/creation-dactivite-2/ effet des dépenses supplémentaires. Toutefois, on peut faire l’hypothèse relocalisation-de-lalimentation/] , consulté le 22 janvier 2014) et au sein que les dépenses pour la production peuvent être moins élevées si les de l’agglomération de Limoges (document interne, licence de géographie agriculteurs pratiquant les CCP s’inscrivent dans une agriculture plus de l’Université de Limoges). Enfi n, les analyses quantitatives sont tirées « durable » vantant un mode de production plus « économe » car plus d’une dernière étude constituée notamment d’un corpus de 1 024 ques- « autonome » (moins d’intrants). Nous remercions un relecteur pour tionnaires (sur 5 831 adressés par courrier) auprès de résidents des bas- cette remarque. sins de vie d’Argentat, Dun-Le-Palestel et Nexon (Dellier et Al. 2013). 27 CIRCUITS COURTS AGROALIMENTAIRES DE PROXIMITÉ EN LIMOUSIN a émergé l’idée selon laquelle l’analyse strictement al., 2008). Dans le détail, considérant les singula- fi nancière des facteurs de performance gagnerait à rités des espaces ruraux, sensiblement plus vides être enrichie d’une mise en contexte sociogéogra- (parfois parce que vidés suite à une plus ou moins phique. En particulier, nous posons l’hypothèse longue période d’exode), les travaux nuancent néan- selon laquelle les échanges économiques pourraient moins l’importance du déplacement pour privilégier bénéfi cier d’une certaine proximité entre produc- celle du remplacement des populations d’origine par teurs et consommateurs, de leur appartenance à un de nouvelles catégories d’habitants, y compris par même groupe socio-culturel, voire de leur apparte- l’entremise des constructions neuves. De même, la nance à une même classe sociale. Autrement expri- multiplication des travaux empiriques a permis de mée, cette hypothèse renvoie à la notion et au pro- conclure à une certaine hétérogénéité des popula- cessus de gentrifi cation des espaces ruraux, lequel tions susceptibles d’être qualifi ées de gentrifi eurs aurait un impact particulièrement signifi catif vis-à- (Stockdale, 2010 ; Smith, Phillips, 2001 ; Richard, vis des CCP et de leur performance économique. Dellier, 2011). Deux éléments, partiellement liés l’un à l’autre sont à souligner ici. En premier lieu, Gentrification rurale les gentrifi eurs peuvent se caractériser en tant que et circuits courts de proximité tels au travers d’une série de capitaux (fi nanciers, culturels, sociaux, etc.) et/ou de combinaisons Processus de gentrifi cation rurale variables de ces capitaux. De la même manière, et transformations des campagnes selon les options de catégorisation socioprofession- Apparu dans la littérature scientifi que sous la nelle, les nomenclatures disponibles pour esquisser plume de R. Glass en 1964, le terme de gentrifi ca- les contours des middle classes et/ ou des classes tion décrivait alors les mutations sociales et urbanis- moyennes et supérieures, le regard porté au pro- tiques à l’œuvre dans les quartiers centraux et péri- cessus de gentrifi cation variera (Hoggart, 1997 ; centraux de la métropole londonienne des années Phillips, 2007) En second lieu, la gentrifi cation 1950-60. Si la gentrifi cation urbaine, à travers ses apparaît comme une notion relative en ce sens que modalités et enjeux, a été à l’origine d’une abondante les gentrifi eurs peuvent être identifi és en tant que littérature dès les années 1980, la gentrifi cation tels dès lors qu’ils disposent de capitaux supérieurs rurale a en revanche été plus lente à susciter l’inté- aux populations antérieurement implantées, faisant rêt des chercheurs en sciences sociales. En l’occur- ainsi peser des pressions très inégales selon les pro- rence, les géographes et sociologues britanniques se fi ls respectifs des uns et des autres. De fait, il est sont progressivement emparés de cet objet dans les exceptionnel qu’une publication mentionne expli- années 1980 (Parsons, 1980 ; Pacione, 1984 ; Little, citement le déplacement (effectif, physique) direc- 1987) et surtout 1990 (Phillips, 1993 ; Cloke et al. , tement impliqué par l’implantation de gentrifi eurs 1995 ; Smith, 1998). Puis les années 2000 ont été ruraux. Il s’agit plutôt d’une mise et d’un maintien à celles d’une diffusion sensiblement plus massive au l’écart des populations les plus modestes. Dès lors, sein de la sphère académique internationale (Curry considérant ces divers éléments, les auteurs sus et al. , 2001 ; Ghose, 2004 ; Darling, 2005), y compris cités évoquent des types originaux de gentrifi eurs, française (Raymond, 2005 ; Perrenoud, 2008, 2012 ; tels que les marginal gentrifi ers, les super gentrifi ers, Cognard, 2010 ; Richard, 2010 ; Pistre, 2011, 2012). main stream, etc. Par ailleurs, des approches plus Concrètement, la gentrifi cation rurale pourrait théoriques ont enrichi cette défi nition en précisant être assez basiquement défi nie comme « p rocesses par exemple la nature (et son évolution) des espaces whereby middle or service class households are moving de la gentrifi cation, en particulier au regard des into villages and displacing local, working class étapes ou de l’état d’avancement du processus de groups, and often in the process also refurbishing, gentrifi cation. Bryson et Wickock (2010) ou Hines extending and converting properties 15 » (Phillips et (2010, 2012) ont ainsi pu souligner le fait que les fl ux migratoires, vecteurs du changement social, 15. «  processus par lequel les ménages des classes moyennes ou de service déménagent vers des villages, déplacent les populations locales apparte- visaient les «  predominantly working class, primary nant aux classes populaires et, souvent dans la même dynamique réno- vent, agrandissent ou convertissent les logements ». production-oriented rural communities, economies 28 Frédéric RICHARD et al. – NOROIS n° 230 (2014/1) p. 21-39 and labour markets 16    » (Argent e t al. , 2009). De fait, Gentrifi cation rurale et circuits courts de en même temps qu’ils font l’objet de cette gentrifi ca- proximité agroalimentaires en Limousin tion, les territoires concernés voient leurs fonctions Associer le processus de gentrifi cation rurale et évoluer pour progressivement favoriser leurs dimen- les CCP agroalimentaires ne va pas spontanément sions récréatives : « g entrifi cation is not only a dis- de soi, notamment parce que les CCP sont très sou- placement of social classes and persons, but also brings vent présentés et analysés dans une perspective très changes in leisure and retail activities, consumption urbano-centrée 19. Une étape préalable à la suite de patterns 17 » (Solana-Solana, 2010). Plus précisé- l’argumentation sur les classes sociales consisterait ment, les chercheurs font le constat selon lequel il donc ici à nuancer, en tout cas dans le contexte y a « a tendency to displace longtime residents, com- limousin, cette articulation de type ville/campagne modify space, and involve a shift in landscapes of pro- qui structurerait nécessairement les CCP. duction to landscapes of consumption 18 » (Bryson et Wyckoff, 2010 : 55). Cet argument selon lequel les espaces ruraux seraient devenus ou deviendraient à Un regard moins urbano-centré sur les CCP la fois des espaces et/ou des biens de consommation De fait, le Limousin présente un certain nombre est semble-t-il unanimement partagé par les cher- de caractéristiques géographiques qui ne sont cheurs, et ce, par-delà les nuances, voire exceptions peut-être pas étrangères à nos interrogations et possibles, liées à de quelconques spécifi cités géo- positionnement. Outre le fait d’être peu peuplée graphiques. (742 800 habitants en 2010), la région est fortement Précisons par ailleurs, que la nature (ou « l’ex- polarisée, impliquant un profond déséquilibre démo- périence de la nature » pour certains, cf. Hines, graphique. En résumé, plus des deux-tiers de la 2012), les paysages et, plus globalement « l’environ- population sont concentrés sur moins du tiers sud- nement » au sens large, jouent un rôle fondamen- ouest du territoire, autour d’un axe Limoges-Brive- tal dans cet ensemble de transformations (Richard, la-Gaillarde. Inversement, à l’exception de quelques 2010 ; Richard, Dellier, 2011), au point d’inciter petites unités urbaines, le reste du Limousin est très D. Smith et D. A. Phillips à évoquer la notion de peu occupé, en particulier la montagne limousine, greentrifi cation  en lieu et place de celle de gentri- mais pas seulement. Les pôles urbains de Limoges fi cation rurale (Smith, Phillips, 2001), soulignant et Brive abritent 35 % de la population totale. En ainsi les interactions entre stratégies résidentielles dehors de ces deux pôles, le Limousin ne compte des gentrifi eurs et la nature (ou sa représentation), que 4 villes de plus de plus de 10 000 habitants, 7 aussi bien en amont qu’en aval de leur installation si l’on prend le seuil des 5 000 habitants. En outre, il proprement dite. Plusieurs recherches ont porté sur n’est pas inutile d’ajouter que les périphéries immé- les conséquences de cette greentrifi cation vis-à-vis diates des deux principales agglomérations offrent des activités susceptibles d’avoir un impact environ- elles aussi un visage indiscutablement marqué par nemental, y compris paysager, dont naturellement le sceau de la « ruralité », avec par exemple des l’agriculture. En l’espèce, au regard de leur contri- densités inférieures à 20 et même 10 habitants/km2 bution supposée en termes de bonnes pratiques pour des communes pourtant éloignées de moins environnementales et de développement durable, de quinze minutes des villes-centres. Autrement les CCP pourraient mériter une attention toute exprimé, une grande partie de la clientèle poten- particulière. tielle des producteurs recourant aux CCP réside en campagne, majoritairement « à proximité » des pro- ducteurs dont la distribution géographique est quant à elle relativement homogène sur l’ensemble du ter- 16. «  des communautés, des économies et des marchés du travail ruraux ritoire régional (fi gure 2). En ce sens, l’enquête CCL majoritairement populaires et plutôt orientés vers le secteur primaire. » 17. «  la gentrifi cation n’est pas seulement un déplacement de personnes et des classes sociales, elle apporte également des mutations dans les 19. C f. par exemple le dossier spécial de N orois (224, 2012) consacré aux loisirs, les activités commerciales et les modèles de consommation. » Circuits courts et aux agricultures paysannes. Les contributions respec- 18. «  u ne tendance à déplacer les anciens résidents, à “marchandiser” l’es- tives de J. Blanc et M. Houdard et al. s’appuient ainsi sur des cas d’étude pace et impliquer une évolution des paysages de production vers des périurbains et/ou plus généralement à l’interface ville/campagne (Blanc, paysages de consommation ». 2012 ; Houdard et al., 2012). 29

Description:
Frédéric Richard, Marius Chevallier, Julien Dellier et Vincent Lagarde, « Circuits courts inductive, l'analyse économique et i nancière de ce différentiel de performance est complétée d'observations relatives aux dynamiques sociales et cii ques qui, sans que ce soit un objectif en soi, s'
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