CIEL ET TERRE. T T4, <(> C REVUE POPULAIRE D'ASTRONOMIE, DE METEOROLOGIE ET DE PHYSIQUE DU GEODE 4,4 REDACTION C. FIEVEZ, C. HOOREMAN, C. LAGRANGE, A. LANCASTER, L. NIESTEN, F. VAN RYSSELBERGHE, J. VINCENT, de l'Observatoire Royal de Bruxelles, E. LAGRANGE, L. MAHILLON, Lieutenants du Genie. QUATRIEME ANNEE ler MARS 1883 — 15 FEVRIER 1884. 3E3RT.T2C3EIJI,MS IMPRIMERIE X. HAVERMANS, GALERIE DU COMMERCE, 24-30. 1884 C1EL ET TERRE REVUE POPULAIRE d'Astronomie, de MaOorologie et de Physique du globe. Notes pour servir a I'histoire du Baromatre. Les principales proprietes de l'air atmospherique etaient completement inconnues des philosophes de l'antiquite. Aris- tote avait entrevu la pesanteur de l'air, mais sans en tirer aucu ne consequence. Seneque constata que l'air est elastique ( r) , toutefois c'est Heron qui, de tous les anciens, en fit la plus heureuse application a la fontaine qui aujourd'hui encore porte son nom. Les anciens, loin de soupconner la pesanteur de l'air le regardaient comme un corps qui, par sa nature, tend a s'ele- ver. La pesanteur de l'atmosphere ne fut veritablement reconnue que dens le courant du XVIIe siecle, apres les celebres expe- riences de Toricelli et de Pascal. Auparavant, on expliquait Pascension d'un liquide dans un corps de pompe par l'horreur que la nature a du vide, c'etait le «.fuga vacui » d'Aristote, qui faisait admettre cette loi : non datur vacuum in rerum na- tura. (Le vide n'existe pas dans la nature des choses\. Un jour, les fontainiers de Florence voulurent faire monter de l'eau, dans une pompe, a une hauteur inaccoutumee. Ils s'apercurent alors que malgre tous leurs efforts, le liquide ne s'elevait pas au-dessus de 32 pieds. Galilee, consulte a ce sujet, repondit que l'horreur que la nature ressent pour le vide etait limit& a une force egale au (1) Questions Naturelles de Seneque a Lucilius. Liv. II; Parag. VIII. 2 CIEL ET TERRE. poids de 32 pieds d'eau et it donna a cette hauteur le nom de la altessa limitatissima. (La limite extreme). En 1643, Toricelli fit l'experienee suivante, qui lui fit soupconner la veritable cause de l'ascension du liquide : it prit un tube de verre, ayant environ un metre de hauteur, qu'il remplit de mercure. Apres avoir brusquement renverse ce tube dans une cuve contenant du mercure, it vit le metal y descendre jusqu'a former une colonne dont la hauteur etait quatorze fois moindre que celle de l'eau. Toricelli etait doue d'un esprit profond, it raisonna l'expe- rience qu'il venait d'entreprendre; sachant que le mercure pese quatorze fois plus que l'eau, it conclut que la colonne mercu- rielle et celle de l'eau des pompes etaient soutenues dans les tuyaux par un meme contrepoids. Ii soupconna que l'air seul etait capable d'exercer une telle pression ; maiheureusement la mort vint mettre un terme a ses reflexions scientifiques. Le P. Mersenne, avait eu connaissance de ces experiences ; if les fit connaitre a Paris. Pascal les repeta, mais entraine d'abord par l'opinion du jour, it epousa l'idee de Galilee, l'horreur du vide. La verite ne tarda pas, pourtant, a s'offrir a lui. Il prepara un tube recourbe qu'il remplit de mercure et le construisit de telle sorte que l'air n'y avait aucune action, it remarqua alors que les colonnes atteignaient le meme niveau. Mais, ayant mis l'une d'elles en contact avec l'atmosphere, it vit que le niveau etait tout different du premier. Ces experiences rengagerent a tenter un essai, qui fut déci- sif. Il imagina de transporter le barometre a differentes hau- teurs afin de verifier si c'etait bien le poids de Fair qui deter- mine l'ascension du liquide dans le tube. Il ecrivit a ce sujet une lettre a un de ses parents, M. Perier, qui habitait Cler- mont, en Auvergne. a J'ai imagine, disait-il, de faire l'experience ordinaire du vide, plusieurs fois en un meme jour, en un meme tuyau avec le meme vif-argent, tanta en bas et tantOt au sommet d'une montagne elevee pour le moins de 5oo a 600 toises, pour CIEL ET TERRE. 5 eprouver si la hauteur du vif-argent suspendu dans le tuyau se trouvera pareille ou differentes dans ces deux situations. S'il arrive que la hauteur du vif-argent soit moindre en haut qu'au bas de la montagne, il s'en suivra necessairement que la pesanteur et pression de l'air soit la seule cause de cette sus- pension du vif-argent et non pas l'horreur du vide, puisqu'il est certain qu'il y a beaucoup plus d'air qui pese sur le pied de la montagne que sur son sommet. Au lieu qu'on ne saurait dire que la nature abhorre le vide au pied de la montagne plus que sur son sommet ». Cette lettre fut ecrite le 1 5 novembre 1647, mais ce ne fut que le 19 septembre de l'annee suivante que Perier se trouva en mesure d'executer le &sir de Pascal. II se procura a cet effet 16 livres de mercure qu'il introduisit d'apres le precepte de Toricelli dans deux tubes, ayant environ 4 pieds de long et hermetiquement fermes a une extremite. Tandis qu'il mon- tait lui-méme au sommet du Puy-du-Dome, situe a 5oo toises d'altitude, il confia un des barometres au P. Chastin qui l'ob- serva de temps a autre dans une des parties les plus basses de Clermont, le Jardin des Minimes. Arrive au but de son ascen- sion, Nrier remarqua qu'il ne restait plus dans le tube de Toricelli que 23 pouces 2 lignes de mercure. Comparant dans la suite, ce resultat avec celui obtenu au meme instant par le P. Chastin, au bas de la montagne, il trouva 3 1/2 lignes de difference entre l'observation de Clermont et celle du sommet du Puy-de-Dome. Cette experience est de celles qui ont exerce une influence considerable sur la marche de la science. La prevision de Pascal etait confirmee, l'air reconnu pesant et l'idee de l'hor- reur du vide etait definitivement rejetee. La nouvelle decouverte puisa d'ailleurs un nouvel argument dans le fait de l'augmentation de volume d'un ballon conte- nant de l'air a mesure qu'il etait place dans des couches plus elevees de l'atmosphere. C'dtait la encore une preuve de l'existence de la pression atmospherique. 4 CIEL ET TERRE Lorsque les resultats obtenus par Perier furent porta a la connaissance de Pascal, it les soumit a une nouvelle verifica- tion. Il fit a cet effet l'ascension de la tour St-Jacques de la Boucherie, a Paris, et reconnut que le tube barometrique marquait deux lignes de moms au sommet que dans la rue. D'apres ce que nous venons de voir, ce serait Pascal qui aurait decouvert la pesanteur de l'air. Tout recemment, divers documents historiques sont venus mettre en doute les pretentions du célèbre geometre ; a cet egard, M. Nourrison, professeur de philosophie et membre de l'Academie des sciences Morales et politiques, a signals une lettre interessante de Descartes, êcrite en r631, c'est a-dire 12 ans avant l'experience de Toricelli : « L'air est pesant, disait Descartes ; on peut le comparer a un «vaste amas de lame qui enveloppe la Terre jusqu'au-dela des «nues, c'est-a-dire a une distance indeterminee mais conside- «rable) ; c'est le poids de cette lame qui presse la surface du o mercure dans la cuve et n'agit point sur la surface du mer- «cure dans le tuyau, qui empéche la colonne mercurielle de «descendre. Toutefois ce poids est limits et it n'empechera la Odescente qu'autant que le poids de la colonne sera moindre a que le sien. Pour detacher le mercure du tuyau, it faudra «une force superieure a celle que represente le poids de la «lame, c'est-h- dire la force de l'air qui sollicite la force du 4 mercure, c'est son propre poids ; le poids de la colonne 0 refoule au-dessus du niveau de la cuve est donc egal au «poids de Fair sur une portion de surface de la cuve egale a 0 la surface de la colonne dans le tuyau. » Lorsque les celebi es experiences de Pascal furent connues de Descartes, celui-ci ecrivit les lignes suivantes a M. de Carcavi : « Ce n'est pas de vous, mais bien plutOt de M. Pascal que «je devais attendre ces nouvelles, puisque depuis plus de a deux ans je l'ai sollicite d'entreprendre l'experience, lui «certifiant que, quoique je ne l'eusse pas faite, je ne doutais CIEL ET TERRE. 5 «point de son succés, mais comme it est l'ami de M. Rober- «val, qui fait procession de n'étre point le mien, j'ai lieu de «croire qu'il en suit les passions. D De ces revelations it resulte clairement que Descartes avait soupconne avant Pascal l'action de la pesanteur de Pair dans le tube de Toricelli. Pascal, lui, a la gloire d'avoir fait le premier l'experience demeuree justement célèbre ; mais la veille encore, it etait in- decis entre l'horreur du vide et la pesanteur cie l'air. La publi- cite n'existait pas chez nos ancetres, les ouvrages scientifiques, edites avant notre siecle, etaient tires en petit nombre d'exem- plaires et le defaut de communication aidant, on accordait bien aisement la paternite d'une decouverte scientifique a celui qui fort souvent n'avait ete que l'humble collaborateur de celui a qui en revenait toute la gloire. Notre but n'est evidemment point de chercher a amoindrir les merites de l'illustre Pascal ; nous avons eu plutOt en vue de faire remarquer une fois de plus combien it est diflicile de retrouver le veritable auteur des plus grandes decouvertes. J. PALMARTS. La couleur des Eaux. (Suite et fin). Je me suis propose de determiner la couleur de l'eau pure ainsi que de connaitre les variations de teintes produites par la presence de diverses matieres. J'ai monte, pour cet examen, deux tubes en verre de 5 metres de long et de ont,o4 environ de diametre interieur , ils etaient fermes par des plans de verre et munis a chaque bout d'un ajutage en verre destine a l'introduction des li- guides. Les tubes passaient par une gaine noire interceptant completement l'eclairage lateral ; ils etaient places perpendi- culairement a un carreau depoli d'une des fenetres du labo- ratoire et recevaient, par consequent, de la lumiere diffuse, dans la direction de leur axe. 6 CIEL ET TERRE. L'emploi simultane de deux tubes etait necessaire pour comparer les teintes des liquides divers que j'examinais. Cet arrangement rappelle celui que prit M. V. Meyer pour montrer a ses eleves la couleur de l'eau. Le chimiste Suisse vit l'eau distill& vert bleu ; la veritable couleur de l'eau est cependant le bleu pur. On trouvera, par la suite, a quoi it faut attribuer le ton vert de l'eau distill& ordinaire. J'ai rempli d'abord les tubes d'eau distillee, preparee pour les usages courants du laboratoire. La premiere fois, cette eau etait d'un vert clair reproduisant assez bien la teinte d'une solution &endue de sulfate ferreux. Quelques jours apres, les tubes furent remplis d'eau fraichement dis- tillee, comme la premiere, dans l'alambic du laboratoire. On put observer, cette fois-ci, une teinte bleu celeste assez pure ; mais apres soixante-dix heures de sejour environ dans les tubes, cette eau etait devenue aussi verte que la premiere, sans rien. perdre cependant de sa limpidite. Cette experience preliminaire montre bien que l'eau distill& des laboratoires est loin d'etre pure ; elle renferme des substances qui subis- sent des changements avec le temps, puisqu'une eau bleue devient verte petit a petit. Ces matieres etrangeres peuvent etre de nature minerale ou de nature organique ; it ne serait pas impossible meme qu'elles fussent de nature organisee et vivante. Voici une observation qui tendrait a le prouver. L'un des tubes a ete rempli d'eau distill& ordinaire, la lumiere transmise etait bleue, et l'autre tube a ete rempli de la meme eau additionnee de i/io 000 de bichlorure de mer- cure. Cette faible quantite de sel n'a change en rien la cou- leur de l'eau, it n'y avait aucune difference a saisir entre le bleu des deux tubes. Or, apres six jours, l'eau du premier tube etait devenue verte, tout en restant limpide, tandis que l'eau additionnee de bichlorure de mercure conserva sa teinte bleue d'une maniere immuable : meme apres trois se- maines de sejour dans le tube, on ne put saisir la trace d'au-
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