ebook img

Chemins qui ne mènent nulle part PDF

2013·0.69 MB·french
Save to my drive
Quick download
Download
Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.

Preview Chemins qui ne mènent nulle part

Martin Heidegger Chemins qui ne mènent nulle part TRADUIT DE L’ALLEMAND PAR WOLFGANG BROKMEIER Nouvelle édition Gallimard Cet ouvrage a initialement paru dans les « Classiques de la Philosophie » en 1962. Titre original : HOLZWEGE © Vittorio Klostermann, Frankfurt/Main, 1949 – 6. Auflage 1980 © Éditions Gallimard, 1962, pour la traduction française. … Dans la forêt, il y a des chemins qui, le plus souvent encombrés de broussailles, s’arrêtent soudain dans le non-frayé. On les appelle Holzwege. Chacun suit son propre chemin, mais dans la même forêt. Souvent, il semble que l’un ressemble à l’autre. Mais ce n’est qu’une apparence. Bûcherons et forestiers s’y connaissent en chemins. Ils savent ce que veut dire : être sur un Holzweg, sur un chemin qui ne mène nulle part. NOTE PRÉLIMINAIRE Le titre allemand du présent recueil est Holzwege. Le titre est très ambigu. Si, en effet, le sens premier de Holzweg est bien celui de « chemin » (Weg) s’enfonçant en « forêt » (Holz) afin d’en ramener le « bois coupé » (Holz) – le sens premier étant donc : « chemin du bois », sens encore en usage de nos jours chez les bûcherons, forestiers, chasseurs et braconniers –, un autre sens n’a pas tardé, dès le XVe siècle, à éclipser le premier. C’est celui de « faux chemin », » sentier qui se perd ». Dans l’usage courant, c’est celui qui a prévalu, ne se rencontrant toutefois que dans la seule locution : auf dem Holzweg sein (mot à mot : « être sur le chemin “du bois”, sur le chemin qui ne sert à rien d’autre, qui ne mène pas ailleurs, qui ne mène “nulle part” ») – locution signifiant : « faire fausse route », « s’être fourvoyé », « ne pas y être », et cela surtout au sens figuré. Ainsi dira-t-on : da sind Sie auf dem Holzweg pour signifier : « là vous n’y êtes pas, là vous faites fausse route ». Lisant, au pluriel, et hors de l’expression stéréotypée, le mot Holzwege, le lecteur allemand est donc dès le départ dépaysé, mais non pas nécessairement choqué. Il a encore, face à ce titre, avec la façon de parler familière dans l’oreille, une vague consonance de « chemins en forêt profonde », de « sentiers plus ou moins inconnus ». Cette impression se confirme à la lecture de l’exergue, où Heidegger fait très subtilement jouer les nuances : « Bûcherons et forestiers s’y connaissent en chemins. Ils savent ce que c’est “auf einem Holzweg zu sein” – que d’être sur un Holzweg, et non pas “auf dem Holzweg”, comme dit toujours la locution. Heidegger, par le seul emploi de l’article indéfini, fait disparaître d’un coup toute familiarité de la locution, ce qui ravive aussitôt dans le mot Holzweg la présence du Holz c’est-à-dire de la forêt profonde, présence entièrement perdue dans la locution courante (ce pourquoi Heidegger dit bien, dans la première phrase de l’exergue, non traduite : Holz lautet ein alter Name für Wald, « bois est un vieux nom pour forêt ») – tout en sauvegardant par là même en toute sa force l’autre sens de « chemin perdu », à savoir « peu sûr », toujours exposé à un péril d’errance et de fausse route : car la forêt où sillonnent de tels chemins n’est autre que la forêt, le Holz, la Hylè, la sylve de l’être, c’est-à-dire de la vérité en son retrait toujours renouvelé. AVERTISSEMENT Lors de la publication de la première édition, en 1962, le traducteur étant absent de France, le travail matériel de mise au point du manuscrit a été effectué par F. Fédier, qui a en outre traduit le Supplément des pages 93 à 98. Pour la présente réédition, la traduction a été entièrement revue et corrigée par le traducteur, avec le concours précieux et pertinent de J. Beaufret, F. Fédier et F. Vezin. Les notes du traducteur, indiquées par des astérisques, sont toutes groupées en fin de volume. Wolfgang Brokmeier. L’origine de l’œuvre d’art Origine signifie ici ce à partir de quoi et ce par où la chose est ce qu’elle est, et comment elle l’est. Ce qu’une chose est en son être tel, le « quoi » en son « comment », nous l’appelons son « essence »1. L’origine d’une chose, c’est la provenance de son essence. La question de l’origine de l’œuvre d’art pose celle de sa provenance essentielle. D’après l’idée commune, l’œuvre surgit de et par l’activité de l’artiste. Par quoi cependant et par où l’artiste à son tour est-il ce qu’il est ? Par l’œuvre ; car si « à l’œuvre on connaît l’ouvrier », c’est que c’est bien l’œuvre seulement qui fait de l’artiste un maître de l’art. L’origine de l’œuvre d’art, c’est l’artiste. L’origine de l’artiste, c’est l’œuvre d’art. Aucun des deux n’est sans l’autre. Néanmoins, aucun des deux ne porte l’autre séparément. L’artiste et l’œuvre ne sont en eux-mêmes et en leur réciprocité que par un tiers qui pourrait bien être primordial : à savoir ce d’où artiste et œuvre d’art tiennent leur nom, l’art. Si l’artiste est nécessairement d’une autre manière l’origine de l’œuvre d’art que celle-ci, l’origine de l’artiste, il est certain que l’art est encore d’une autre manière à la fois l’origine de l’artiste et de l’œuvre. Mais l’art peut-il donc être une origine ? Où et comment y a-t-il de l’art ? L’art, ce n’est plus qu’un mot qui ne correspond à plus rien de réel. A la rigueur, ce n’est plus qu’une idée d’ensemble dans laquelle nous rassemblons ce qui seul dans l’art est réel : les œuvres et les artistes. Même si ce mot d’art désignait un contenu plus dense qu’une idée d’ensemble, ce qui est évoqué par ce mot ne saurait être qu’en vertu de la réalité des œuvres et des artistes. Ou bien ne serait-ce pas le contraire ? N’y a-t-il des œuvres et des artistes que dans la mesure où il y a l’art, en tant que leur origine ? Quelle que soit la réponse, la question de l’origine de l’œuvre d’art devient celle de l’essence de l’art. Mais comme il nous faut bien laisser en suspens la question de savoir si, et comment, d’une manière générale, l’art est, nous tâcherons de trouver l’essence de l’art là où, indubitablement et réellement, il règne : dans l’œuvre. L’art se trouve dans l’œuvre d’art. Mais qu’est-ce qu’une œuvre d’art, et comment est-elle ? Ce qu’est l’art, il nous faut le saisir à partir de l’œuvre. Ce qu’est l’œuvre, nous ne le recueillerons que par la compréhension de l’essence de l’art. N’est-il pas clair que nous tombons dans un cercle vicieux ? Le bon sens ordonne d’éviter ce cercle qui défie la logique. L’art, on croit pouvoir le saisir à partir des différentes œuvres d’art, en une contemplation comparative. Mais comment être certains que ce sont bien des œuvres d’art que nous soumettons à une telle contemplation, si nous ne savons pas auparavant ce qu’est l’art lui-même ? Pas plus que le cumul d’indices empiriques, la déduction à partir de concepts supérieurs n’est capable de nous donner l’essence de l’art : car cette déduction à son tour vise a priori les déterminations qui suffisent à faire se manifester comme tel ce que nous prenons d’avance pour une œuvre d’art. L’accumulation d’un certain nombre d’œuvres aussi bien que la déduction à partir de principes s’avèrent ici également impossibles ; celui qui les pratique ne fait que s’illusionner lui-même. Il nous faut ainsi résolument parcourir le cercle. Ce n’est ni un pis aller, ni une indigence. S’engager sur un tel chemin est la force, y rester est la fête de la pensée, étant admis que penser soit un métier (Handwerk). La démarche première de l’œuvre vers l’art, en tant que démarche de l’art vers l’œuvre, n’est pas seule un cercle ; chaque démarche que nous allons tenter circulera dans ce cercle. Pour découvrir l’essence de l’art résidant réellement dans l’œuvre, nous allons rechercher l’œuvre réelle et l’interroger sur son être. Tout le monde connaît des œuvres d’art. On trouve sur les places publiques divers monuments construits ou sculptés ; dans les églises et dans les maisons, il y a des peintures. Les œuvres d’art des époques et des peuples les plus divers sont logées dans les collections et les expositions. Si nous considérons dans ces œuvres leur pure réalité, sans nous laisser prendre par la moindre idée préconçue, nous nous apercevons que les œuvres ne sont pas autrement présentes que les autres choses. La toile est accrochée au mur comme un fusil de chasse ou un chapeau. Un tableau, par exemple celui de Van Gogh qui représente une paire de chaussures de paysan, voyage d’exposition en exposition. On expédie les œuvres comme le charbon de la Ruhr ou les troncs d’arbres de la Forêt Noire. Les hymnes de Hölderlin étaient, pendant la guerre, emballés dans le sac du soldat comme les brosses et le cirage. Les quatuors de Beethoven s’accumulent dans les réserves des maisons d’édition comme les pommes de terre dans la cave. Toutes les œuvres sont ainsi des choses par un certain côté. Que seraient-elles sans cela ? Mais peut-être sommes-nous choqués par cette vue assez grossière et extérieure de l’œuvre. Ce sont là, n’est-ce pas, des façons de voir dignes d’un expéditeur ou de la femme de ménage du musée. Il faut prendre les œuvres telles qu’elles se présentent à ceux qui les « vivent » et en jouissent. Mais l’expérience esthétique, si souvent invoquée, ne peut pas non plus négliger la chose qui est dans l’œuvre d’art. Il y a de la pierre dans le monument, du bois dans la sculpture sur bois. Dans le tableau, il y a la couleur, dans les œuvres de la parole et du son (poésie et musique), il y a la sonorité. Le caractère de chose est même à ce point dans l’œuvre d’art qu’il nous faut plutôt dire : le monument est dans la pierre ; la sculpture sur bois est dans le bois ; le tableau est dans la couleur ; l’œuvre de la parole est dans le phonème ; l’œuvre musicale est dans le son. Cela va de soi, nous répondra-t-on. Sans doute. Mais qu’est-ce que cette choséité qui va de soi dans l’œuvre ? Ou bien devient-il superflu de se poser cette question parce que, de toute façon, l’œuvre d’art est encore autre chose, en plus et au-dessus de sa choséité ? Car c’est cet Autre qui y est qui en fait une œuvre d’art. L’œuvre d’art est bien une chose, chose amenée à sa finition, mais elle dit encore quelque chose d’autre que la chose qui n’est que chose : ἄλλο ἀγορεύει. L’œuvre communique publiquement autre chose, elle nous révèle autre chose ; elle est allégorie. Autre chose encore est réuni, dans l’œuvre d’art, à la chose faite. Réunir, c’est en grec συμβάλλειν. L’œuvre est symbole. L’allégorie et le symbole fournissent le cadre dans la perspective duquel se meut, depuis longtemps, la caractérisation de l’œuvre d’art. Mais cette unité dans l’œuvre qui révèle autre chose, qui réunit à autre chose, c’est bien le côté chose de l’œuvre d’art. Il semble presque que la choséité soit, dans l’œuvre, comme le support sur lequel l’autre – c’est-à-dire le propre de l’œuvre – est bâti. Et n’est-ce pas précisément cette choséité de l’œuvre que l’artiste crée grâce à son métier ? Nous voudrions bien saisir la réalité immédiate et entière de l’œuvre d’art ; car ce n’est qu’ainsi que nous trouverons en elle l’art en sa véritable réalité. Il nous faut donc considérer d’abord le côté chose de l’œuvre. Pour cela, il est nécessaire de savoir d’une façon suffisamment claire ce qu’est une chose. C’est alors seulement que nous pourrons dire si l’œuvre d’art est une chose, mais une chose dont autre chose encore fait partie, ou bien si l’œuvre est d’une façon générale autre chose, sans jamais être une chose. LA CHOSE ET L’ŒUVRE Qu’est donc, en vérité, une chose, dans la mesure où elle est chose ? La question ainsi posée veut nous faire connaître l’être-chose (la choséité) de la chose. Il s’agit de comprendre en quoi la chose est pourvue de ce caractère d’être chose. Pour cela, il faut connaître la région où se rassemblent tous les étants que nous désignons par le terme de chose. La pierre sur le chemin est une chose, ainsi que la motte de terre dans le champ. La cruche est une chose, ainsi que la fontaine au bord du chemin. Mais qu’en est-il du lait dans la cruche et de l’eau dans la fontaine ? Ce sont aussi des choses, si l’on a raison d’appeler de ce nom le nuage dans le ciel, le chardon des champs, la feuille dans le vent d’automne et l’autour au-dessus de la forêt. Tout cela, en effet, il faut bien le nommer chose, si l’on désigne par ce terme même ce qui ne se montre pas manifestement, comme ce que nous venons d’énumérer, c’est-à-dire ce qui n’apparaît pas. Une telle chose qui n’apparaît pas, à savoir une « chose en soi », c’est, d’après Kant, par exemple, le Tout du Monde ; une telle chose, c’est même Dieu lui-même. Les choses en soi ainsi que les choses qui apparaissent, tous les étants qui sont, s’appellent, dans le langage philosophique, des choses. Avions et postes de radio font partie, de nos jours, des choses les plus proches ; mais quand nous parlons des choses dernières, nous comprenons tout autre chose. Les choses dernières ce sont la mort et le jugement. En somme, le mot chose désigne ici tout ce qui n’est pas rien. En ce sens,

See more

The list of books you might like

Most books are stored in the elastic cloud where traffic is expensive. For this reason, we have a limit on daily download.