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Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 1 sur 18 Chapitre 2 L'importance d'une exposition précoce ... PDF

18 Pages·2004·0.04 MB·French
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Chapitre 2 L’importance d’une exposition précoce au langage: la période critique s’applique au langage signé tout comme au langage oral Auteurs : Daphné A. Ducharme, Ph.D. , Université d’Ottawa, Ottawa, Ontario & Rachel I. Mayberry, Ph.D, McGill University, Montréal, Québec Depuis des années les éducateurs réfléchissent aux manières d’augmenter les compétences langagières des individus sourds. Nous avons fait du chemin depuis le Moyen Age lorsque la surdité n’était pas comprise et les termes ‘sourd et muet’ étaient source de honte durant toute une vie. À cette époque, les enfants sourds n’étaient pas éduqués et on les pensait incapables d’apprendre (Perreault, 1996). Aujourd’hui dans la plupart des pays industrialisés, les enfants sourds vont à l’école et se voient offrir l’occasion d’apprendre. En dépit des meilleures intentions des éducateurs cependant, la majorité de la population sourde a des difficultés à acquérir la langue majoritaire dans la société où ils vivent (Schirmer, 2000). Dans ce chapitre, nous considérons ce problème d’après une perspective unique faisant appel aux résultats de la recherche examinant l’importance de l’exposition précoce au langage. Selon Johnson, Liddell et Erting (1989), bien connaître une langue première, même signée, conduit à une meilleure acquisition d’une langue seconde. Nous soutenons qu’enseigner la langue des signes comme langue première doit être une priorité pour les éducateurs des enfants sourds si nous voulons qu’ils apprennent une langue seconde, et ce, dans une forme écrite. Notre argument se base sur les résultats de recherches menées depuis 15 ans qui montrent que les effets de l’âge d’acquisition s’appliquent aux langues des signes comme aux langues orales. Avant de discuter ce champ de la recherche, nous présenterons d’abord quelques commentaires historiques concernant le rôle joué par les langues des signes dans l’éducation des enfants sourds. Après avoir contextualisé le problème de l’éducation des enfants sourds, nous discuterons le concept de période critique. Puis, nous démontrerons que la période critique s’applique à l’acquisition de la langue des signes avant de comparer la compétence en langue des signes comme langue première ou langue seconde chez les adultes, celle-ci étant liée à l’âge Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 1 sur 18 d’acquisition de la langue première. Pour terminer, nous examinerons l’effet que l’âge d’acquisition d’une langue première peut avoir sur l’apprentissage d’une langue seconde. Contexte Historique Nous savons maintenant que les enfants sourds peuvent acquérir le langage ; cependant, le débat de longue date opposant éducation orale et utilisation des signes se poursuit à ce jour. Après que les signes aient été bannis des classes au congrès de Milan de 1880, les méthodes orales ont dominé les positions éducatives (Lane, 1989). Le travail révolutionnaire de Stokoe sur la structure de l'American Sign Language (ASL) dans les années 1960, a finalement mené les langues des signes à acquérir le statut de langues « réelles » à pied d’égalité avec les langues orales. Lentement, le signe est devenu accepté comme alternative à l'éducation orale dans divers pays, en particulier en Suède et au Danemark, tout comme aux USA et au Canada, parmi d’autres (Mahshie, 1995). Aux Etats-Unis, par exemple, les faibles performances scolaires des enfants sourds et en particulier leurs difficultés non seulement avec l’apprentissage de la parole mais aussi de la lecture et de l’écriture en anglais a conduit à l’approche Total Communication dans les années 1960 et 1970 (Lou, 1988). Cette approche incluait l’utilisation de tout moyen nécessaire pour que l’enfant apprenne, y compris par la parole, l’entraînement à l’audition, la lecture labiale, les prothèses auditives, la langue des signes, la dactylologie, la lecture et l’écriture (Moores, 1996). Les difficultés des enfants sourds à apprendre l’anglais ont aussi conduit à l’invention de bon nombre de codes correspondant à des représentations visuelles de l’anglais. Des codes tels que le Seeing Essential English (SEE I) (Anthony, 1971) ou le Signing Exact English (SEE II) (Gustason, Pfetzing, & Zawolkow, 1980) avaient un but commun : celui de représenter visuellement les traits linguistiques de l’anglais afin d’aider les enfants à apprendre la structure grammaticale de la langue orale et finalement apprendre à lire et à écrire. En fait, on pensait qu’apprendre un code manuel qui reflétait la structure de la langue orale pouvait aider les enfants à apprendre l’anglais (Holcomb, 1967, cité par Easterbrooks & Baker, 2002). Ceci contrastait avec l’utilisation de l’ASL qui a une structure très différente de l’anglais et était donc considérée comme un obstacle à l’apprentissage de l’anglais (Johnson, Liddell & Erting, 1989). Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 2 sur 18 Les critiques de ces codes se réfèrent à une utilisation en tant que parole soutenue par le signe (Johnson et al., 1989) et ont avancé comme argument que leur utilisation n’est pas naturelle. Ils ont également avancé que les signes produits sont souvent inintelligibles à quiconque n’ayant pas déjà une maîtrise de l’anglais. Ils expliquent que de tels codes n’ont pas la structure grammaticale, morphologique, phonologique ou lexicale de la Langue des Signes Américaine (Johnson et al., 1989). Au lieu de cela, le but de ces systèmes signés est de présenter simultanément les productions signées et parlées, les deux étant des représentations complètes de l’anglais. Une autre approche dans l’éducation des enfants sourds a débuté en Scandinavie il y a environ 20 ans. Elle implique l’utilisation de la langue des signes en classe. En Suède, par exemple, l’apprentissage de la langue des signes comme langue première par les individus sourds a été l’objet d’une politique nationale dès le début des années 1980. Les principes de ce programme national connu sous le nom d’éducation bilingue, sont que tous les enfants sourds auront la Langue des Signes Suédoise comme langue première, qu’ils auront des professeurs sourds et qu’ils liront et écriront le suéduois comme langue seconde (Mahshie, 1995). D’autres pays, dont l’Uruguay, le Vénézuela, le Liban, le Danemark, ont suivi cet exemple et adopté des programmes dans lesquels les éléments de l’expérience bilingue font partie du cursus (Johnson et al., 1989). Aux Etats-Unis, des programmes existent en Californie, au Massachussetts et en Pennsylvanie, qui épousent les principes de l’éducation bilingue. Cependant, la majorité des programmes aux USA n’utilisent toujours pas l'ASL dans les classes (Ramsey, 1997). De même, la Langue des Signes Québécoise (LSQ) qui est la langue première des sourds dans les régions francophones du Canada, principalement au Québec, dans certaines parties de l’Ontario, du New Brunswick et de l’Alberta n’est pas très utilisée dans les classes pour enfants sourds. Le Québec a une forte tradition oraliste et l’utilisation des signes dans les pratiques éducatives a mis du temps à être acceptée. L’utilisation du français signé (contre-partie du Signed English) dans les classes a largement supplanté l’utilisation de la LSQ, et ce pour les mêmes raisons que celles qui font que la Langue des Signes Américaine ou ASL (American Sign Language) n’est pas très utilisée dans les écoles ou les programmes américains pour sourds (Dubuisson & Daigle, 1998). Utiliser une langue des signes en classe pourrait être une façon d’améliorer les compétences langagières des individus sourds. La plupart des enfants sourds de parents entendants n’ont Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 3 sur 18 développé de compétence sophistiquée dans aucune langue native (signée ou parlée) au moment où ils entrent à la maternelle (année précédant la scolarisation en primaire). Leurs parents ne connaissent pas la langue des signes, donc on tend à s’adresser à eux à la maison en anglais ou français parlé. Lorsqu’ils entrent à l’école, ils sont en retard par rapport aux enfants entendants de leur âge sur le plan du développement langagier et du développement cognitif et social qui provient de l’interaction avec des parents et des pairs utilisant un langage naturel. Ils sont aussi en retard dans l’acquisition de la connaissance et des informations que les enfants de leur âge sont censés détenir. Enfin, ils sont aussi en retard par rapport aux enfants de leur âge qui acquièrent l’ASL naturellement en ayant des parents sourds ou des frères et sœurs sourds plus âgés, ce qui apporte une compétence native dans une langue naturelle et plusieurs années d’expérience de conversation sur le monde avec des adultes et des pairs. Est-ce une surprise donc, si les enfants sourds deviennent des adultes sourds ayant des difficultés langagières? Les statistiques récentes continuent de montrer que les adultes sourds atteignent un niveau moyen de lecture de 3ème ou 4ème année de scolarisation dans les pays anglophones (Allen & Schoem, 1997; Holt et al, 1998). Il y a une exception notable à ces statistiques, il s’agit des enfants sourds qui ont appris la langue des signes par leurs parents sourds et qui ont naturellement tendance à atteindre un meilleur niveau de lecture que leurs homologues sourds ayant des parents entendants (Mayberry & Chamberlain, 2002; Prinz & Strong, 1998). Ceci nous amène à la question que nous voulons traiter dans ce chapitre. Est-ce possible qu’une façon pour les enfants sourds d’apprendre à lire et à écrire dans une langue soit de maîtriser initialement la langue des signes à l’âge le plus précoce possible ? La recherche actuelle nous indique que la connaissance d’une langue première peut aider à l’apprentissage d’une langue seconde. Lorsque la premièrre langue acquise est la langue des signes, qui a toutes les propriétés d’une langue parlée, cette base linguistique soutient l’apprentissage d’une langue seconde. Pour les sourds dont la langue première est la langue des signes, apprendre à lire et écrire s’apparente à apprendre une langue seconde. Nous suggérons pour cette raison que les enfants sourds peuvent bénéficier de l’acquisition d’une langue des signes dès leur plus jeune âge et que cette acquisition précoce les aidera à apprendre à lire et écrire dans une langue seconde. Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 4 sur 18 Qu’est-ce que l’hypothèse d’une période critique pour l’acquisition du langage? Il est généralement accepté que plus nous sommes jeunes, plus il est facile d’apprendre une langue. Dans les années 1950, le travail pionnier du neurochirurgien Wilder Penfield conduisit à l’idée qu’il pourrait exister une période critique pour l’acquisition du langage. Penfield (1959) a suggéré que le cerveau de l’enfant était plastique, le rendant particulièrement performant pour acquérir une langue, et même pour acquérir simultanément plusieurs langues, à condition qu’une exposition opportune soit fournie. L’idée que l’acquisition du langage est un phénomène prisonnier de fortes contraintes temporelles a été développée plus avant par Eric Lenneberg en 1967. Il fit l’hypothèse que « l’acquisition du langage correspond à un certain stade de développement qui est rapidement dépassé à l’âge de la puberté. » (Lenneberg 1967, 142). Son argument se centrait sur la conviction que le cerveau de l’enfant n’était pas encore latéralisé, c’est-à-dire que les deux hémisphères du cerveau n’étaient pas encore spécialisés pour les fonctions cognitives et linguistiques, rendant l’acquisition du langage plus facile. L’idée défendue par Lenneberg sur la latéralisation cérébrale n’a pas été soutenue par les recherches ultérieures, ce qui suggère que si les enfants sont en effet plus compétents pour apprendre les langues précocement dans leur vie, la cause n’en est pas l’absence de latéralisation cérébrale (Mayberry, 1994 ; Leybaert & D’Hondt, cet ouvrage). Lenneberg se trompait-il en affirmant qu’il existe dans l’enfance une période critique pour l’acquisition du langage ? Une façon de tester l’hypothèse de la période critique est d’examiner les différentes conditions sous lesquelles un langage s’acquiert, en focalisant sur l’âge de début d’apprentissage qui varie naturellement. Ceci est possible en examinant l’acquisition du langage chez les individus sourds dont l’âge d’exposition à la langue des signes varie du fait des circonstances particulières liées à la surdité. Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 5 sur 18 Preuves issues de la recherche chez les personnes sourdes Plusieurs facteurs rendent compte des différents âges d’exposition au langage parmi la population sourde. D’abord, la plupart des sourds congénitaux naissent de parents entendants. Pour la majorité de ces parents, la naissance d’un enfant sourd est généralement le premier contact qu’ils ont avec la surdité. Cela signifie qu’initialement l’enfant a peu d’opportunités d’acquérir un langage parlé ou signé naturellement dans la mesure où il ne peut entendre ce que disent ses parents et que ces derniers ne connaissent pas la langue des signes. Deuxièmement, l’âge auquel la surdité est détectée varie grandement et souvent cette surdité est détectée après la première année de l’enfant ou plus tard. Cela signifie que l’âge auquel ces enfants commencent à recevoir des stimulations peut être extrêmement tardif comparé à celui d’enfants entendants (Mayberry, 2002). Un troisième facteur est le succès variable de l’apprentissage du langage oral. Dans de nombreux cas, lorsque les parents apprennent la surdité de leur enfant, leur première réponse est de trouver des moyens d’améliorer la perception de leur enfant pour qu’il ou elle puisse apprendre à parler. Malheureusement, cela conduit souvent à un échec après plusieurs années d’essai, au moment où une autre manière de communiquer est envisagée. Cela signifie que la langue des signes est introduite à des âges très variables, souvent dépendant du succès ou de l’échec de l’apprentissage du langage oral. Il y a une exception à ce scénario : les enfants sourds nés de parents sourds. Ces enfants acquièrent naturellement la langue des signes tout comme les enfants entendants acquièrent naturellement la langue orale de leurs parents. En fait, la recherche a montré que les bébés sourds qui acquièrent des langues signées progressent par les mêmes étapes que les bébés entendants qui acquièrent une langue orale. Ainsi, un babillage manuel est observé autour de 9 à 12 mois, puis les premiers signes apparaissent au moment où les premiers mots apparaîtraient chez un jeune enfant entendant (Petitto & Marentette, 1990). Les combinaisons de signes sont ensuite produites durant la seconde année, et la syntaxe et la morphologie suivent au cours de la troisième année (Lillo-Martin, 1999). Finalement, le discours est acquis au cours de la quatrième année. En résumé, le fait que l’âge de départ de l’acquisition de la langue des signes varie grandement dans les populations d’enfants sourds procure un contexte idéal pour tester l’hypothèse d’une période critique. Et c’est exactement ce qu’ont fait bon nombre d’études. Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 6 sur 18 Une période critique s’applique à la langue des signes Des études ont été conduites chez des individus sourds pour examiner si l’âge d’acquisition de la langue des signes était un facteur déterminant deleur niveau de compétence élevé dans cette langue. Ces études ont pour point commun d’avoir comparé les signeurs natifs et les signeurs non natifs, ces derniers étant souvent divisés en deux groupes, ceux ayant fait une acquisition précoce et ceux ayant fait une acquisition tardive de la langue des signes. L’hypothèse souvent soutenue a été que les signeurs natifs devaient être plus performants que les signeurs non natifs. Toutes les études que nous rapportons ici ont été de nature rétrospective, incluant des participants adultes qui au moment de la collecte des données avaient eu plusieurs années d’expérience d’utilisation de la langue des signes. Pour commencer, nous décrirons une étude conduite par Mayberry & Fisher (1989). Ces auteurs ont testé les habiletés en langue des signes de 55 étudiants universitaires de premier cycle dont les âges se distribuaient entre 18 et 35 ans. Tous étaient nés sourds mais leur âge d’acquisition de la langue des signes variait de la naissance à 18 ans. Les sujets ayant un âge d’acquisition tardif étaient aussi ceux qui avaient eu le moins d’expérience, au total, dans l’utilisation de la langue des signes. Dans cette étude, les participants devaient effectuer deux tâches : une tâche de rappel immédiat et une tâche de répétition simultanée de phrase. Dans la condition de rappel immédiat, les sujets regardaient des phrases signées courtes enregistrées par vidéo. Ils devaient les répéter immédiatement après les avoir vues. Dans la tâche de répétition simultanée de phrases, ils regardaient des phrases signées courtes présentées en vidéo et devaient les répéter en regardant simultanément les stimuli. La différence entre les tâches était que la répétition simultanée divisait l’attention dans la mesure où le participant ou la participante devait comprendre et produire le stimulus en même temps. Par contre, le rappel ne divisait pas l’attention mais produisait des contraintes plus fortes sur la mémoire à court terme, puisque le participant ou la participante ne pouvait répondre tant que le stimulus n’avait pas été présenté et devait donc mémoriser la phrase entière, et non pas juste un mot ou une expression. Les résultats de cette étude ont révélé qu’une expérience moins importante de la langue était corrélée à des performances générales plus pauvres. L’analyse des erreurs a montré une différence entre les signeurs plus expérimentés et les signeurs moins expérimentés. Plus la Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 7 sur 18 période d’utilisation de la langue des signes était longue, plus le participant avait de chances de produire des substitutions lexicales liées au sens de la phrase, et moins il ou elle avait de chances de faire des substitutions lexicales liées seulement à la forme du signe ; et vice-versa. Ce phénomène fut interprété comme l’indice des difficultés dans les processus de décodage de la langue. De ces résultats, les auteurs ont conclu que l’expérience ou le manque d’expérience linguistique avec la langue des signes avaient des effets prononcés sur l’habileté de traitement de la langue des signes. Une faiblesse de cette étude était que les années d’expérience et l’âge d’acquisition étaient confondus, ce qui permettait difficilement de discerner si les différences de traitement étaient dues à l’âge auquel la langue des signes était acquise. Une étude ultérieure de Mayberry & Eichen (1991) a examiné si l’âge d’acquisition avait des effets à long terme sur le traitement de la langue des signes, lorsque la quantité totale d’expérience était à la fois prolongée et contrôlée. L’étude engageait 49 adultes sourds congénitaux dont l’âge d’acquisition de la langue des signes allait de la naissance au début de l’adolescence. Trois groupes ont été observés : les signeurs natifs (signes acquis depuis la naissance) ; les signeurs ayant fait une acquisition précoce (signes appris entre 5 et 8 ans) ; et les signeurs ayant fait une acquisition tardive (signes appris entre 9 et 13 ans). L’expérience antérieure avec la langue des signes allait de 21 à 60 ans avec une expérience moyenne de 42 ans. Les participants devaient effectuer deux tâches : rappel de phrases longues et complexes (10 à 12 mots) ; rappel de listes de signes isolés (mesure de l’empan). Les résultats ont montré que la tendance à donner des réponses acceptables sur un plan grammatical en ASL déclinait à mesure que l’âge d’acquisition augmentait. La similitude du sens des phrases entre les réponses des sujets et les stimuli augmentait avec l’âge d’acquisition et il y avait moins de paraphrase dans le groupe dont l’âge d’acquisition était plus tardif, ce qui suggérait une compréhension moins profonde chez ces participants. Ces découvertes corroborent celles de Newport (1984, 1990) qui avait trouvé que l’âge d’acquisition prédisait la réussite dans la compréhension et la production de morphologie en ASL. Ce travail a examiné des participants qui se distribuaient en trois groupes d’âge de première exposition. Les signeurs natifs ont été exposés à l’ASL depuis leur naissance dans leur foyer par leurs parents sourds signeurs, puis entre l’âge de 4 et 6 ans par leurs camarades sourds à leur entrée en école spécialisée pour enfants sourds. Les apprenants d’âge précoce ont été exposés à l’ASL entre l’âge de 4 et 6 ans par leurs camarades sourds également à leur entrée en école Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 8 sur 18 spécialisée pour sourds. Les apprenants d’âge tardif ont été exposés à l’ASL pour la première fois après 12 ans, par leurs pairs qui étaient des signeurs sourds. Tous les participants avaient un minimum de 30 ans d’exposition quotidienne à l’ASL. Le travail de Newport a examiné la production sollicitée et la compréhension de morphologie complexe des verbes de mouvement ainsi qu’une variété de structures syntaxiques et morphologiques de l’ASL. Les résultats ont montré des effets consistants et significatifs de l’âge d’apprentissage sur les mesures de morphologie : les signeurs natifs surpassaient les apprenants précoces, qui eux-mêmes surpassaient les apprenants tardifs. De même, l’étude de Mayberry et Eichen (1991) a montré que l’âge d’acquisition avait un effet sur la production de morphèmes attachés de telle sorte que les signeurs sourds qui avaient acquis l’ASL dans leur enfance précoce avaient tendance à modifier la structure morphologique lorsqu‘ils devaient retenir des phrases ASL complexes tandis que les apprenants tardifs avaient plutôt tendance à en simplifier la structure morphologique. Elle a aussi souligné des schémas de substitution lexicale similaires à ceux trouvés dans une étude antérieure (Mayberry & Fischer, 1989), à savoir que plus l’âge d’acquisition est tardif, plus grande est la proportion de substitutions lexicales liées uniquement à la structure phonologique de surface des stimuli signés. Inversement, plus l’âge d’acquisition était jeune, plus grande était la proportion d’erreurs lexicales liées au sens des stimuli et phrases signées, indépendamment de la forme phonologique. Ces études ont été par la suite corroborées par le travail de Emmorey et ses collègues, et plus récemment par celui de Boudreault et Mayberry (2002). Emmorey et Corina (1990) rapportent deux expériences séparées conduites sur la reconnaissance lexicale en langue des signes. Dans les deux expériences, les sujets étaient 16 adultes (8 signeurs natifs et 8 signeurs tardifs en ASL). Ils devaient observer des vidéo-clips montrant un signeur natif produisant des signes isolés puis, identifier chaque signe correctement. Leurs réponses étaient enregistrées en vidéo pour être ensuite transcrites et analysées. Les résultats ont montré que les signeurs natifs reconnaissaient correctement les stimuli plus vite que les signeurs tardifs. Emmorey, Bellugi, Friederici & Horn (1995) rapportent également une différence de sensibilité grammaticale entre signeurs natifs et non natifs. Dans une première expérience, une tâche de repérage d’erreurs de signe était présentée à 11 signeurs natifs et 10 signeurs ayant un âge Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 9 sur 18 acquisition tardif (premier contact avec l’ASL entre 4 et 20 ans). Les sujets devaient identifier dans une phrase un signe cible qui pouvait éventuellement contenir une erreur. Les résultats ont montré que les signeurs natifs identifiaient les cibles significativement plus lentement lorsque celles-ci suivaient une erreur dans l’accord verbal spatial. Les signeurs ayant un âge d’acquisition tardif ne montraient pas cette même sensibilité. Dans une seconde expérience, en plus de la tâche de repérage de signe, une tâche de jugement grammatical était présentée à trois groupes de sujets. Les trois groupes étaient des signeurs natifs, des signeurs ayant un âge d’acquisition précoce (exposés à l’ASL entre les âges de 2 et 7 ans) et des signeurs ayant un âge d’acquisition tardif (exposés à l’ASL entre 10 et 20 ans). Tous avaient un minimum d’expérience des signes de 10 ans. Les résultats ont indiqué que les signeurs natifs étaient sensibles aux erreurs à la fois dans l’accord des verbes et à l’aspect, mais que les signeurs ayant acquis la langue des signes à un âge précoce et ou à un âge tardif étaient sensibles seulement aux erreurs dans l’aspect morphologique. Boudreault & Mayberry (2002) ont également étudié les effets de l’âge d’acquisition sur les jugements grammaticaux de phrases en ASL, avec des phrases ASL de complexité grammaticale croissante. Les participants étaient 30 adultes sourds dont la langue première de communication était l’ASL et tous avaient au moins 12 ans d’expérience d’utilisation de cette langue. Ils étaient divisés en trois groupes en fonction de leur âge de premier contact avec l’ASL. Le premier groupe était composé de 10 signeurs natifs ayant acquis l’ASL d’un ou de deux de leurs parents depuis la naissance ; le second groupe était composé de signeurs ayant appris l’ASL à un âge précoce, soit entre 4 et 7 ans ; le troisième groupe était composé de signeurs ayant appris l’ASL à un âge tardif, soit entre 8 et 13 ans. La tâche consistait à regarder des vidéo-clips de phrases en ASL présentées sur un écran d’ordinateur et à décider si les stimuli étaient ou non grammaticalement corrects en appuyant sur une touche. Les résultats ont confirmé que, à mesure que l’âge d’acquisition augmentait, les performances des réponses correctes indiquant une sensibilité grammaticale déclinaient et les temps de réaction augmentaient, quelle que soit la complexité syntaxique. L’ensemble de ces études démontre que le traitement du langage est établi à un âge très précoce et que sa pleine maîtrise est difficile à atteindre lorsque le langage est acquis après le début de l’enfance. Ces résultats soulignent aussi de façon probante qu’une période critique d’acquisition du langage s’applique à la langue des signes. Chapitre 2. Ducharme & Mayberry Page 10 sur 18

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