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C'était de Gaulle PDF

302 Pages·1994·53.675 MB·French
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DU~AUTEUR ALAIN PEYREFII IE Rue d'V/m, chronique.s de la 1·ie normalienne, 1946 (nouvelles éditions, 1964, de l'Académie franfaise 1978 et 1994). • • • t • ' u Senrimenr de confiance. cssai, 1947. l.Ls Ro.uauxfroissés. roman. 1948 (nouvclle édition, 1978; &lition de poche, 1985). Le M)lhe de Pénélope, essai. 1949 (nouvclle édition, 1977). Fau1-il parra11u /'Algirie ? essai, 1961. QM011d la Chine s'b•eil/ero ... le monde 1remblera. essai, 1973 (nouvettes éd111ons. 1980 et 1990 ; éditions de pochc, 1975. 1979, 1991). Le Mal fram;ais. essai. 1976 (édition de poche, 1978; nouvelle &lition, 1979). Ducours de rüep1mn a l'Académir /ronraist et Rlponse de Claude u,.¡. ,, Strouu. 1977 us Chewu.t du /a, l..adoga - /ajuitirt tntrt lts 11x1rtmts, essai, 1981 (édition C'ETAIT DE GAULLE de pochc, 191>12 ). QUJJJul la rcJS( se fimem. cssai, 1982 (édition de poche. 1984). Clune 1mmuable el ch<m11ean1e. album (texte de l'auteur, photographics de Machel Paquemal>. 1984. Encore un effnrr. Mons1eur le Prbidem. ... essai. 198S (édition de poche, 1986). a * Répom.e a11 discours de récep11011 l'Académit fronfaise de Georges Duby, 1988 L 'Empire 1mmob1le ou fr Choc des IPl()ndes. récit historiquc. 1989. Ducour< de remm du pri.t To«quedl/e a Oclal'io Paz. 1990. Répon<e au ducour:i de récep1ion a /'Académie franfaise de Jacqueline de « La France redevient la France » Rom1l/\. 1990. Lt1 Trt1Rid11: ,hmoue. cssai, 1990 (édition de poche. 1992). lmagr• dt /'Empire immobile, album (reproductions d'aquarellcs de William Alcunder et des Pcres Castiglione et Attiret, ainsí que de pcinture chínoíse anonymc sur w1e ; texw. de I'a uteur), 1990. Un choe dt cul111res. • La vision des Chinois, 1991. la france en dé.mrrm. 1992 ; édition de pochc, 1994. « Cet homme d'un caract~re si haut Répome au discours de rér:ep1ion a /'Académie franfaise de Jean-Franfois qu'on ne pouvaít ni l'estimer, ni le Denwu, 1993. craindre, ni l'aimer, ni le hai'r, ll demi.,. DIRECTION D'OUVRAGES COLLECTIFS BossUET, Oraison funebre th Michel Le Tellier, Q11 'esH·e que lt1 pnmcipa1io11 ? (auditions de Fran~ois Bloch-Lainé, José Bíde chancelier th Fra11ce gaan. Fran~oas Ceyrac, Eugenc Descamps ... , avec une introduction et des commentaires de l'auteur), 1969. la Dmgue Ccwosés du Pr Jean Delay. du Pr Deníker, du Pr Lebovici, du Dr Olie•cn~tein .•.. introduits el commentés par l'auteur), 1970. Décenrraliser les responsabili1és. Pourquoi ? Comment ? (rappons d'enqueLCs de Mache! Crozaer et Jean-Claudc Tho:nig, d'Octave Gélinier, d'~lie Sultan, prescntés par l'autcur), 1976 (&lition de poche. 1979). a Réponse,s la rio/ence. Rappon au pré:sidtnt dt la Républiq11t d11 Comité d'i1udes sur la 1·iolenct. la délint¡uance el la criminalité. p~ídé par l'auteur, 1977 h!dition de poche, 1977). L'Al'en1ure du XX' siecle, 1986 (nouvcllcs éditions, 1987, 1988, 1989. 1990. 1991. 1992. 1993. 1994). A PARAITRE la soc1é1é de confiance. essai •ur les origines et la naturc de la cívitisation andustrielle. Éditions de Fallois C'éta11 de Gaulle ... FAYARD n. A étt 11Ú DE CET OUVRAOE ONQUANTB EXEMPLAIRl!S SUR PAPIER VERCJé INORES DES PAPETERIES DE LANA, OONT 'BENTE EXEMPLAIRES N\JMDOIÚ DE 1 A 30 ET VINClT EXEMPUIRES HORS COMMl!Ra! NUMBOIÚ DE H.C. 1 Á H.C. XX, LE TOlTT CONS'ITTUANT L'éDITTON ORIOINAIJ! PROLOGUE Photo 4' d~ couv~rrurt : Francc-Soir © Éditions de Fallois/FAYARD, 1994 ISBN 2-213-02832-X Chapitre 1 « LES FOUCADES DU GÉNÉRAL » Je me méfie de la mémoire : elle flanche, comme clit la chanson. Je me méfie des Mémoires : ils reconsll1.lisent le passé a leur fayon. lnévitablement, ils remodelent les souvenirs en fonction de ce qui était alors un avenir inconnaissable, mais qui est devenu entre-temps un passé trop présent. Le seul mérite de ce livre, c'cst que les propos qu'il rappone *. ont été notés au jour le jour En les déchiffrant, j'a i eu la smprise d'y découvrir maints détails que j 'avais oubliés. Il en est auxquels j'aurais eu de la peine a croire, teUement ils contreclisent les idées reyues, si je ne savais que je me suis toujours imposé de les prendre avec ma sténographie person nelle, ou de les jeter sur le papier tant que les mots résonnaient a "'*. mon oreille a Rien ne me destinait recueiJlir les confidences du Général. Je ne l'avais approché ni au cours de l'épopée de la France libre ou pendant le gouvemement provisoire, ni tanclis qu'il a menait l' assaut la tete du RPF contre la IVe République ou traversait le désert. J'ai attendu mars 1959 pour avoir avec lui mon premier entretien approfoncli. Des le début, j'a vais résolu de tenir joumal de toutes nos éventuelles rencontres; ultérieurement, je n'eus aucune peine a respecter cette discipline. J'étais pourtant loin de me douter qu' entre 1959 et 1969, j'a urais Ja chance de converser avec lui en tete a tete plus de trois cents fois ; sans compter davantage encore de conseils de gouvemement, au cours desquels, par le privilege de la fonction, puis par celui de l'babitude, je rele vais aussitót ses interventions. Ce chef d'État qui s'était fait une regle de ne pas accorder a d'interview un joumaliste - jusqu'a ce que, non sans peine, a nous l' eOmes décidé se faire interroger devant les caméras de • Les 1ex1es de 1993-l994 figuren! en retrait. commc ci-dessus (ou en notes de pied de page). Les caracieres en pleine page (comme au bas de la p. 10) correspon· dent h la transcription de noies griffonnées le jour meme ; chaque épisodc cst précédé de la date el du lieu oil il s'es1 déroulé. •• Et si je n'avais effec1ué des vérifications d'an:hives, gnke ~ l'aimable auto risation de l'amíral de Gaulle et des sccrélaires généraux successifs de l'Élysée et du gouvemement, ainsi que des directeurs des Archives nationalcs el des Archives du ministere des Affa:ires élrang~s. 9 la télévision par Michel Droit - m'en accorda au moins une Si Mme de Gaulle avait souhaité apporter la moindre gravure, iJ chaque semaine pendant pres de quatre ans ; a quoi s •a joute l'e n aurait dissuadée. Ils étaient de passage. » rent. au long de cette décennie, nombre de dialogues au cours Les livres-témoignages d' André Malraux et de Claudc Mauriac de voyages en province ou dans le monde, propos de table, sur Je Général, qui viennent de para1tre, font a peu pres seuls les audiences particulieres. frais de la conversation. Pompidou est aussi louangeur pour le Le pri x de ces entretiens me paraissait si grand, que je les second que sévere pour le premier. consignais scrupuleusement le jour meme. La vie diplomatique «Les Chines qu'on abat, parlons-en ! Faites votre enquete. m'avait appris qu'une conversation doit etre mise au net sur questionnez Courcel et d' Escrienne, qui étaient présents quand le-champ : faute de quoi. a la faveur d'une seule nuit. voire de Malraux a été re~u a Colombey, et dont il ne cite meme pas le quelques heures. sa trace se brouille, ou l'inconscient recom nom, comme s'il était le seul intcrlocuteur. Le tete-a-tete daos le pose ce qu •o n aurait aimé qui fíit dit. bureau n'a pas duré une demi-heure. 11 n'a pas pu s'y dire le a a Craignant les tours que le souvenir joue la bonne foi, je dixieme de ce que Malraux met dans la bouche du Général, jetais done les mots clés sur un carnet que je portais toujours supposer mSme qu'une seule de ces phrases ait été effectivement a sur moi ; calé sur la banquette de la voiture qui me recondui prononcée. Ensuite ils sont passés table, puis au café, avec les sait. je repl~ais les themes dans I'o rdre ou le Général les avait platitudes habituelles. Enfin, de Gaulle a raccompagné les visi a a abordés ; je marquais les reperes ; j'inscrivais la diable les teurs trois heures et quart, jusqu'a sa voiture qui les ramenait fonnules saillantes ou pittoresques ; enfin, je prenais le temps au train. Selon Malraux, le Général aurait dit alors, en montrant a qu'il fallait pour reconstiruer la conversation d'un bout l'autre. le ciel étoilé: "Les étoiles me parlent de l'insignijiance des Fascination? Hygiene mentale? Désir d'amasser de précieux choses." Des étoiles un début d'apres-midi, vous vous rendez documents pour plus tard ? Un peu de tout cela, sans doute. compte ! C' est destiné a faire croire que Malraux est resté toute Mais aussi, le sentiment qu'une compréhension aussi exacte la joumée avec le Général. Du reste, cette phrase est tirée textuel que possible de la pensée du Général devenait la condition de lement des dernieres pages des Mémoires de guerre. Daos les ma t.íiche : de parlementaire mandaté par mes électeurs pour le deux heures d'un déjeuner a la campagne, Malraux a injecté ce soutenir ; de ministre auquel il confiait des missions sur qu'il a pu glaner en vingt-cinq ans ; ou, le plus souvent, il a lesquelles i1 avait des vues fort précises - Infonnation, Rapa imaginé ce que de Gaulle aurait dit s'il avait été Malraux. triés, Recherche scientifique et questions atomiques et spatiales, « Claude Mauriac, c'est tout le contraire. II a repós des notes a Éducation nationale - ; et surtout. porte-parole du gouveme anciennes oii il avait jeté chaud les propos du Général. Il les a ment, c'est-a-dire essentiellement son porte-parole. mises bout a bout Il en a fait un livre utile, qui sort des sernpiter nelles rengaines sur le prophete, le sage, le héros, le saint. Un autre de Gaulle, ~a sonne juste. Les Chines qu'on abat, ~a sonne faux. » « N' essayez pas de singer Ma/raux, Se toumant vers moi : «Si l'envie vous prend d'écrire sur vos faites du C/aude Mauriac » entretiens avec Je Général, n'e ssayez pas de singer Malraux, faites du Claude Mauriac ! Soyez vrai ! » Élysée, 2 avril 1971. Claude et Georges Pompidou ont réuni, pour un diner intime, * Suzanne et Maurice Genevoix, Monique et moi, dans la petite «Le Général tel qu'il était » a salle manger que Claude Pompidou vient d'aménager au second étage de l'Elysée : murs peints en blanc, omés de tableaux Pornpidou est-il irrité par la distance qu'a prise Malraux depuis abstraits, mobilier modeme, table basse en verre sous laquelle est 1968? Malraux et Claude Mauriac sont tous deux pour tui de a placée une feuille d'or froissé qui envoie daos la piece des reflets vieux amis. Ils les a connus, apres la Libération, l'ombre du chatoyants. «Le Général, nous dit le Président, ne s'était pas Général. Il n'ajamais cessé de les voir pendant un quart de siecle. vraiment installé a l'Élysée. 11 y avait ses quartiers, comme un Pour J'un comme pour l'autre, il devrait etre plein d'indul officier qui va de garnison en garnison. 11 prenait le logement et gence. Or il ne vante l'un que pour mieux éreinter l'autre: le mobilier tels qu' ils étaient. 11 n' a pas déplacé un seul guéridon. « Claude Mauriac a ressuscité le Général tel qu'il était. avec ses coleres, son mépris, ses foucades, ses erreurs. de prévision, notamment en matiere électorale. Il vous annon~ait que la guerre • Ma femme. allait éclater incessamment, que les Russes fonceraient sur Brest. 10 11 que les cataclysmes allaient s'abattre S1;U' la Fr_ance 1. c:est comme nelle - enfants, vacances, cinéma, télévision. Mais si on avait ~a qu'il était ! C'est honnéte de le farre rev1vre 111ns1. Malraux. préparé avec soin la rencontre, il en allait tout autrement. c'est du roman. mais un roman fañelu. Certains ministres, tels Christian Fouchet et Roger Frey, - Moi. dil Maurice Geoevoix. ce n'est pas le cootenu que je décommandaieot tous leurs eogagemeots vingt-quatre heures a discuterais, mais je trouve que tous les deux parleot un peu vite. avant une audience, de maniere se concentrer sur ce qui allait l1s auraient pu attendre. lis oot J' air de se précipiter sur la tombe etre un moment fort de leur existcoce. du grand homme. Évidemment, plus on s'éloignera de la date, Pendant les quelque quatre années ou je fus porte-parole, moins ~a intéressera de gens. j'ai eu le privilege de l'iotcrroger sur les sujets les plus divers. u a - Et plus faibles seroot les tirages, reprend Pompidou. C'est m'est arrivé, comme d'autres, de chercher a lui faire la course a celui qui publiera le premier le Mémorial de Sainte partager une conviction, a défendre devant luí un projet ; mais, Hélene. Sera-ce Las Cases. Bertrand ou Montholon ? » le plus souvent, mon seul souci était de mieux le saisir, de le a De Gaulle et Pompidou: au fil des ans, j'ai pu observer la comprendre assez fond pour distinguer ce qui pouvait 8tre coofiance que le premier faisait au second, la loyauté que le communiqué a l'extérieur, de ce qui devait rester entre oous second vouait au premier ; mais aussi, des différences de tempé tout en m'éclairant On a souvent dit que le Général, dans ses rament. des divergences d'appréciation, qui, au long du temps, entretiens, s'exe~ait a « faire des bailes » contre un mur. En a ont fait naitre des motifs d'agacement réciproque; et, apres mai lui donnant la réplique, puis en prenant ces notes la voléc et 1% 8, un véritable conflit. Ce soir, les piques de Pompidou contre enfin en les transcrivant, je n'ai eu d'autre ambition que d'etre Malraux n'épargnent pas tout a fait le Général. la surface plane qui renvoie les bailes saos les couper. Je me suis abstenu de faire « la course au premier Mémo rial ». Vingt-trois ans apres cene admonestation, j'ai entrepris « Mais je vous l'ai déja dit » de « faire du Claude Mauriac », saos essayer aucunement de "singer Malraux ». Et c'est pourtant le de Gaulle de Malraux Pour I 'entretieo apres le ConseíJ, l'a ctualité imposait ses qui est sorti du bain révélateur. questions. Les voyages en France, outre-mer et a l'é tranger, les A mesure que je transcris les comptes rendus de nos entre cepas dans l'intimité, laissaient plus de liberté ; l'histoire, la tiens. ce n'est pas un de Gaulle dédaigneux, proph~te de littérature, les spectacles, Jes poiots obscurs du passé me four a malheur. colérique, qui apparait C'est, a travers le parler fami nissaient ample matiere. Emoustillé par cet interrogatoire la lier et quelquefois rude, un de Gaulle semblable a celui des fois respectueux et complice, le Général se pretait au jeu. Chenes qu'on abat. Un vieil homme qu'habite le génie de la Toute question qu' i1 éludait, ou a laquel le il faisait une France ; un héros follement épris de sa patrie ; oscillant, réponse ambigue'. j~ la .réservais pour ';Ule autre OCCl1:5ion ..J e comme tous les amoureux, de la jubilation au dépit ; mais détenais, pour 111ns1 d1re en portefeu1lle, un questionnaire repreoant vite ses marques en relativisanl les péripéties ; incar proche - les problemes du jour - ; et un questionoaire loin nanl l'État, parce que c'est l'État qui doit soutenir la France et tain - les permanentes énigmes. inciter les Fran~ais a etre dignes d'elle face a l'univers ; se De temps en temps, je sentais que je frólais les límites <le Ja confondant avec: la France de toujours et de partout-celle de convenaoce. Je les avais dépassées, quand il me clouait au sol Clovis et de Clemeoceau, celle de l'Indépendance amérlcaine par un brusque: «Vous le savez bien ! » ou qu'il me rabrouait et de !'incendie de Moscou; s'installaot sur les hauteurs pour d'un : « Mais je vous l' ai déja dit ! » - car il avait cette en descendre de moins en moins souvent ; réaliste il long mémoire qu'on pret~ aux élé~hants. tavais ~rd~. Mais, ~lus terme, excessif et iojuste a l'occasion, jamais mesquin ni souvent il complétait, nuan~éllt ou meme comgeait une precé cynique ; un homme haoté par une idée plus grande que lui. dente réponse: j'avais gagné. J'avan~ais ainsí daos la connais Cette silhouette de plus en plus precise qui s'impose a moi, sance de son mystere. A est-ce seulement J'image de lui que je ponais en moi? L'attaché de presse de J'Élysée, Jean Chauveau, qui attendait chacuo son de Gaulle. Du reste, meme avec de Gaulle, un patiemment daos le bureau des aides de camp que je res-sorte a n a entretien se fait deux. était forcément différent avec chaque du « Salon doré» pour m'accompagner ma conférence de nouvel interlocuteur. Avec Malraux, la cooversation se hissait presse, me déclara des le mois de mai 1962, .ººº saos _ír?nie : aussitót sur les sommet'!. Avec la jeune femme d'un de ses « En somme, dorénavant, il y a deux Consells des mm1stres, collaboratcurs, elle ne sortait pas de la courtoisie convention- !'un que le Général tient avec tous ses ministres, et l' autre 12 13 qu'il tieot avCf vous seul. » Quelques jours apees, le secrétaire « Décidément, ils ne connaissent pas de Gaulle » géoéral de l'Elysée, Étieooe Burlo des Roziers, me servit la a meme formule. Lequel des deux l'avait suggérée l'autre? Si De Gaulle n'a nul besoio de la langue de bois d'uo mythe elle avait été inventée par le premier. elle ne devait traduire glorificateur, pour domioer ce siecle d'histoire de France. 11 ne qu'un humour bieoveillant. Si elle était due au secood. elle fut pas infaillible. Il fut lui-meme : avec ses qualités, ses sigoifiait silrement une mise en garde, iospirée par le souci de défauts, son immensité, son étrangeté. protéger le temps du Géoéral. Pourtant. celui-ci ne brusqua Daos les premieres semaines de mes fonctions, Georges a jamais ces entretiens - dont les joumalistes, l' affat, mesu Pompidou me répétait : « Vous ne conoaissez pas encore le a raient la longueur la minute pres : souvent. il fallait que Général. » Ou encore : « Le Général est spécial. » Et le Général l'aide de camp entrouvdt a plusieurs reprises la porte, pour lui m'a dit souvent, en parlant de ses adversaires, ou meme de ses rappeler qu'une autre obligatioo l'attendait. p~enaires : « Décidémeot, ils ne conoaissent pas de GauUe. » Pmssent les lecteurs le connaitre un peu mieux, apres avoir Ju ses réponses a mes questioos ... « Alors, pratiquement, qu 'est-ce qu 'on fait ? » Qui prétendrait, pourtaot, percer les secrets du for intérieur ? Les personnalités dont les idées étaient le plus opposées aux L'emploi du temps me faisait bénéficier en géoéral d'un siennes sortaient de son bureau coovaincues qu'il était moment de grace : quand le Général se pretait A mes questions, d 'accord avec elles. De fait, en les faisaot parler, il découvrait il venait de foumir un effort pour lequel il avait dQ tendre son ce qu'elles pensaient, et montrait par de petits signes d'app.ro énergie. en dirigeaot un Conseil devant deux douzaines de bation qu'il avait compris ce qu'elles voulaient dire; ce qui ne ministres attentifs. C' était aussi le cas apres une allocution a signifiait nullement qu'il partageait leur jugement, mais qu'il rddiotélévisée. ou une harangue la foule, ou encore une était cootent de s'instruire et d'observer par quel mécanisme conférence de presse d'une heure et demie : il lui arrivait de a mental on pouvait arriver de pareilles conclusions - meme s'isoler avec moi, pour m'indiquer comment il convenait de si, lui, il les rejetait absolument, ce qu'il ne dévoilait guere. répondre aux interrogations que ses propos n'allaient pas a Lui qu 'oo disait solitaire, il cherchait déceler la part de manquer de susciter. a vérité que recele toute opinion. Mais il se considérait ensuite TI se déteodait alors proportion de la tension qu'il s'était imposée. Quand il avait été, en Conseil, sévere, voire hous comme totalement libre des conséquences qu'il tirerait de cette pilleur, il était mainteoant serein et mame enclin a rire, comme conversation, laquelle ne I'e ogageait en rien. Ce fut la source s'il avaitjoué un bon tour. 11 se lao~ait daos des fresques paoo de malentendus sans nombre. ramiques. On eOt dit qu'il survolait la terre en ballon et aper Avec d'autres interlocuteurs qui avaient sa confiance, il cevait a ses pieds les minuscules humains. Notre entretien était fonnulait successivement des propositions contradictoires, le reflet dilaté de ce qui venait de se dire au Conseil. U disser qu'il voulait essayer sur eux. en meme temps qu'il essayait son tait. par petites phrases inlassables, sur le seos de l'État et l'art interlocuteur sur elles. De-ci, de-la, il glissait quelques bons de gouvemer. D'autres fois, il me convoquait en semaine saos mots qu• i l souhaitait que l'o o chuchotat, assuré qu •i ls feraient préavis, ou meme me téléphonait, parce que la presse, la radio, leur chemin. la télévision. lui paraissaient trop mal onentées, ou au Enfin, avec quelques intimes, il travaillait daos une entente contraire trop bien inspirées ... 11 se faisait alors plus iocisif. qui se passait de développements. Les échanges pouvaient se a a On serait d~u si l'on cherchait daos ces pages une doctrine. réduire de breves phrases, une mimique qui aurait été a De Gaulle était le contraire d'un doctrinaire : un pragmatique imperceptible pour d'autres, une compréhension silencieuse. qui fuyait les abstractions, la théorie et, davantage encore, C'était daos les secondes oil il ne disait rien, que de Gaulle se I' idéologie. En Conseil restreint. des qu· un ministre faisait transmeuait le mieux. Saos doute par cette sorte de communi a mine de s'évader daos les généralités, de Gaulle le ramenait cation intuitive que les Chinois, pour caractériser les relations a la réalité : « Alors. pratiquement? Qu'est-ce qu'on fait? » Ce mystérieuses de maitre disciple, appcllent « la lransmission qu'il voulait. en réunion de travail, ce n'était pas qu'on élaborit de la lampe». une théorie. mais qu'on adoptil une conduite. En revaoche, Mais comment pourrait-on etre sOr d'avoir bien re~u la daos ses moments de détente, il aimait réfléchir tout haut. lampe et d'en propager la lumiere ? 14 Chapltre 2 tio~s que moi. Parmi eux, ce sont les politiques qui se sont a a déc1dés, la loogue. lever le voile; les fonctionnaires s'en « TENIR SA LANGUE ,. sont, pour la plupan, abstenus. Comme pone-parole, j' appris que, si ma fonction élait de parler, mon devoir étail de me taire. Comment concilier ces deux impératifs 7 Depuis lors, j'avais pris le pani de me taire. Élysée, 14 avril 1965. .. Comment 7 Vous avez noté des centaincs d'entrctiens avec Le Général me jeue: «Vous avez vu ~ 7 C'est scandaleux ! » de Gaulle et vous ne les publicz pas ']Vous devez il l'Histoire 11 me montrc sur son bureau un petil livre qui vient de paraitre •. a ce témoignage de premi~re nwn, qui esl unique el qui le «Un ministre participe une négociation pour le compte du restera. ,. Mainto; édneurs •. historiens. joumalisles m'o n1 lenu gouvemement. au nom de la France, et, deux ou trois ans apres, ce langage depuis la mon du Général, me faisanl vaJoir que il Ji vre au public des secrets d' État sur une mission qui lui a été parmi les livres parus sur de Gaulle - trois mille, dil-on, il ce confiée ! Quel manque de sens de l'État ! C'est honteux ! » jour - la plupan onl été écrilS par des gens ~ui ne l'ont pu Le Général était emponé par une de ces coleres froides qu'il renconlré. Plusieurs de ses proches, apres s Strc résolus il contr61ait fon bien; elle se renfo~ait d'etre contenue. publier d'irrempl~ables lémoignages, m'onl encouragé il en AP : « Aux Affaires étrangeres, nous sommes tenus de garder faire au1an1. Je m'y élais 1oujours refusé. trente ans les secrets auxquels nous avons eu part. GdG. - Trente ans, je n'en demande pas lant L'Histoire • C'est .~candalew: ! C'est hontew: ! » s'accélere. .. Mais dix ans, c'est bien le moins ! ,. Matignon, 21avril1962**. « Dix ans ,. : je me suis imposé de tripler ce délai. De Gaulle Georges Pompidou : « Vous savez, il arrive au GénéraJ de ne ne pensail pu comme Fran~ois Mitterrand, pour qui, « de nos pas détester les cancans : mais il méprise celui qui les lui jours, il n'y a plu.o; de secrets d'État ,., mais comme Louis XIV, rappone: un jour, il finit par ne plus le supponer. Un de ses aides qui avait fait graver en 1661 une médaille sur «le secret des de camp l'a appris il ses dépens. Le Général le laissail parler, Conscils du Roi ,., représentant « Harpocrate, dieu du Silence, jusqu'au jour oo il l'a viré méchamment. 11 s'est dit, puisque cet qui pone le doigt sur sa bouche ». Comes consiliorum, dil la officier lui racontait des indiscrétions sur les autrcs, qu'il devait légcndc latine : le silence est Je « compagnon des Conseils » ••. en raconter aux autres sur lui. Si le Général m'apprécie un 1ant soit peu. c'est qu'il me sait capable de tenir ma langue.,. ll a évidemment voulu. a sa maniere subtile, me mettre en «Le scandale, c'est qu'il s'agissait de mon lit» garde. Provins, 17 juin 1965 •••. Le Général et Georges Pompidou m'oan t inculqué la religion A la fin de notre déjeuner, Mme de Gaullc raconte a Monique : du secret, comme ils I'o nt inculquée tous leurs collabora a «Un jour, en entrant dans notre chambre l'Élysée, j'ai surpris teurs. Ceux qui onl élé les plus proches de De Gaulle depuis une nouvcllc fcmme de chambre en trdin de prendre une photo de ~on relour « aux affaires ••• ,. ont ressenti les mames hésita- notre lit. Pourtant. tout était en ordre, le des.~us de lit était bien tiré. Qu'cst-cc qu'elle pouvait bien faire de cette pho10 7 J'ai tout • En 1971, les prcmteB. Charles Omiao. dírccteur de Fayard. et 8emlnl de Falloís. aloo d1n:c1eur du L1vre chez Hachcae. JOU"'· •• Depuis sax Geor¡es Pompidou est Pn:míer minisw, et mo1-11~me ~re d"éat A l'lnformatoon. pone-parole • Rollcrt Buron. Ca~ts politiq~s de la gutrre d'Afgirie. «par un signataire ••• Ses trn1s Prem1crs m1msires : Michel ~. Oeorges Pompidou et Mmsic:e des accords d'É"ian •.Pion. 1965. Cou•e de Murvillc: ses trois secrétaires gbl&awt successifs : Oeoffroy de Coun::el. •• Midtiilles sur I~ principaux événemenu du regne de Louis·le-Grand, Éuenne Bunn des Rozien el Bemanl Tricot : son pennmient secmaire gál&.i pour Académie royale des médailles et des inscriptions. Paris. 1702. les Alfa.ores afncaincs et malgaches. bcquea Foccan : teS ltois directeun de cabinet : Reno! Brou1llct. Georg~ Gahchon et XaVlel' de la Olevalerie: son ministre de l'I• ••• Le général e1 Mme de Gaulle avaienl íail haltt dan• CCllC sous-préfec1ure de ncur. Roger Frey. el i.on •011'11!1llct e~ de la pohuque intmeure. Olivier Seine-et-Mamc, donl j'élai• maire depuis 1ruis mois e1 qui leur &it déjl famili~re. Gu1dwd , son <hef de <ahmet. puis comeillct technique, Picnc L.efrmic sur le chemin de Colombey. 16 17 raconté aussitot au Général, qui m'a dit : "Elle ne doit pas rester gnons, a qui je lui suggérais de faire appel pour une opération une heure de plus." de relations publiques, il s'écriait : « Votre X ... , il commence a GdG. - C'était l'époque de l'OAS. Est-ce qu'on peut savoir? me courir. » D'un autre, qui était pourtant un de ses ministres Peut-Ctre la pboto allait etre utilisée pour organiser un attentat ? préférés : « C'e st un roseau peint en fer. » Ou encore : « C'e st Ou peut-etre pour un joumal a scand!l1es ? » . . un porte-avions avec un moteur de Vespa. » Je prends le risque Monique demande quel scandale 11 y a a montrer un ht qui de nuire a la vivacité de mes récits, plutOt que de susciter des n'est meme pas défait. chagrins inutiles. GdG: «Le scandale, Madame, c'est qu'il s'agissait de mon lit. J'ai aussi éliminé de mes récits des expressions qu'il a Mme de O. - Peut-Ctre qu'elle voulait tout simplement, quand prononcées devant moi et qui ont été depuis loes ressassées. a elle se serait mariée. montrer ces pbotos ses enfants en leur Mais j'ai tenu a apporter mon témoignage pour confinner des disant : ··c·est moi qui faisais la chambre du général et de clires déja signalés par un autre, s'i l était resté isolé. Ce qui ne Mme de Gaulle." m'empecbera pas d'indiquer, en revancbe, pourquoi je trouve GdG. - Peut-etre, Yvonne, mais elle aurait dO vous demander sujet a caution te! autre mot qu'on lui a preté. «Un témoi r autorisation ! » gnage, me dit un jour André Malraux, ce n'est qu'un témoin. Deux témoignages, c'est l'Histoire. » Quand Roger Stépbane L'interdit m'a longtemps retenu. Souvent, j'ai commencé ll prete au Général cet aveu : « J'ai fait le 18-Juin parce que transcrire mes carnets. Bien vite, trois fantómes surgissaient : j'étais un ambitieux », il est sOrement sincere. 11 l'a peut-etre a un aide de camp, un ancien ministre, une femme de chambre. entendu; il l'a peut-etre revé depuis lors. J'ai du mal me Trois épisodes qui me faisaient chacun l'effet d'un avertisse représenter le Général tenant un propos pareil. En revanche, si ment d'outre-tombe. Ma main tremblait; et je cassais ma un autre interlocuteur avait surpris, a la ml!me époque, le plume. Je ne l'ai pas reprise sans que fOt éteinte la prescrip meme propos. il serait plus difficile de rester sceptique. tion trentenaire. Ni saos prendre certaines précautions. De Gaulle est ici tel qu'il fut avec moi; tel que je l'entendis La premiere : suivre de pres le cours des événements. Les a la table du Conseil ou en particulier - les tete-a-tete apres propos se placent ainsi naturellement daos leur contexte. De les conseils de gouvemement prolongent, amplifient et tradui quoi expliquer ce qu'ils ont de circonstanciel, et emp&ber de sent en tangue famili~re ce qui venait de se dice daos une considérer tel mot comme un dogme intemporel. Mais cette tangue plus cbatiée *. Je prends le risque que ses interventions méthode fait aussi ressortir la permanence des principes, et soient comparées aux comptes rendus officiels, quand ils l'étonnante capacité du Général a donner un sens a tout événe seront ouverts au public entre les années 2019 et 2029**. ment. Mais qu'on n'oublie pas que ces libres propos sont seule a Dans ce cadre chronologique, ou l'actualité mete plaisir ment les brouillons de sa pensée ; les esquisses par lesquelles tous les sujets. il a fallu organiser le matéáau par themes. le peintre prépare un tableau. D communiquait ses idées encore a a Certains chapitres ci-apres sont consacrés un seul entretien informes, quitte ensuite, pour arreter son texte, tenir compte continu. D'autres se composent de menus propos sur le ml!me des réactions que leur ébauche avait suscitées. L' reuvre de De a sujet, tenus des dates différentes : il est précieux de mettre Gaulle est achevée : ce furent sa vie, son action, ses discours ces breves répliques en regard les unes des autres, saos se publics, ses ouvrages publiés. On ne trouvera ici qu'une laisser emprisonner daos le calendrier. a Je me suis refusé censurer : il faut reproduire les paroles de De Gaulle avec leur brutalité, la familiarité typiquement militaire de leur fonne, des lors que l'on entend le faire revivre • Quand j'avais établi mes comptes rendus de conversations, j'en lisais des tel qu'il était. Si j'ai dO sacrifier une part importante de mes passages a des joumalis1es amis, sachan! qu'ils en feraieni bon usage: Jean Maunac: notes, qui auraient demandé au moins six ou sept volumes Henri Marque. Pierre Charpy, Jean-Raymond Toumoux. Tous quaire en ont noum Jeurs analyses, le demier ses livres, e1 le prcmier a inspiré plus d"un «bloc· notes» pour etre publiées intégralemenl, je l'ai fait en éliminant de son pere. nombre de répétitions pures et simples. On ne trouvera guere ici, appliqués a des victimes désignées, •• Pour le Conseil des ministres, les Conseils restreims. les Conseils de défense, les rencontres avec les hommes d'Étal étrangers, les archives otlicielles doivent e1re de ces mots crucis que de Gaulle n'auraitjamais publiés et qui ouvenes au bout de soixanle ans. Je donne rendez.vous aux historiens de ce 1emps· seraient blessants pqur les survivants ou les proches. 11 en était 111. oil mes os auront blanchi. Quand mon travail sera ienniné, je déposerai mes pourtant prodigue. A propos d'un de ses plus anciens compa- pro¡nes notes aux Archives nationales. 18 19 pensée en train de se constituer, une réflexion en travail, une a pédagogie instantanée l'intention de ses ministres, des invi a tations provocantes aller plus loin et plus profond. Mais aussi des vues cavalieres sur l'histoire de France et sur sa relation avec I'a ctualité : de fulgurantes analyses de la conjoncture ; des fresques sur I' avenir du monde : des jugements a I 'emporte-piece sur les personnages contemporains ; des réflexions sur le destin des civilisations : et surtout de patientes l~ons pratiques, comme s'il voulait qu'apres lui, rien ne ftlt perdu de l'incomparable expérience qu'il lui avait été donné a d'accumuler travers des événements extremes, et au long d'unc vie consacrée au service du pays. 1 Le présent tome rctracc d'abord rapidement l'itinéraire qui, de 1940 a 1962, m'a fait entrer dans la zone d'attraction de De « COMPAGNON » a GaulJe et m'a amené devenir son porte-parole (lre partie, " Compagnon .. ). Ensuite, c'est «Le grand toumant" (JIC partie): celui qui, apres la démission des ministres MRP, au milieu des derniers soubresauts tragiques de la guerre d' Algérie, conduit le Général, aidé par les conjures en embuscade au Petit-Clamart, a et contre toute l'ancienne classe politique. faire approuver par les Fran~ais leur droit a élire eux-mames le Président me Avec la partie ( .. La France est maintenant souve raine »), c'est de GaulJe, acteur de la France face au monde. La ¡ye partie ("Le peuple et l'État sont disormais souve rains ") montee, apres le succes des élections de novembre 1962, de GaulJe installant véritablement sa République et la mettant au travail. Le livre s'acheve (Ve partie) sur l'épreuve de la greve des mineurs - épreuve pour le Général, qui tient bon, et pour le Premier ministre, qui s'affirme. Apres ce premier tome, une suite, si Dieu me ptete vie, nous a conduira 1970 en passant par 1965, sur ce chemin oil, depuis 1940, de tragédie en épopée, d'obstacle en obstacle, d'espoir en déception, de GaulJe cooduit la France, sans jamais raleotir le pas, I'r eil fixé sur le cap. Et si les Fran~ais se penchent a aujourd'hui sur ce passé, ils o'y trouveront rien dont ils aient rougir, mais beaucoup oil ils pourront, longtemps encore, puiser inspiration et fierté.

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