Cent Ans Après, ou l’An 2000 ROMAN D’EDWARD BELLAMY Traduit de l’anglais par PAUL REY Éditions de l’Âge d’Or Looking Backward, from 2000 to 1887, by Edward Bellamy (1887). Cent Ans Après, ou l’An 2000, par Edward Bellamy. Ce texte provient de l’édition de 1891 publiée par E. Dentu à la Librairie de la Société des Gens de Lettres, dans une traduction de Paul Rey qui a été pour l’essentiel maintenue. Néanmoins, quelques éléments ont été remaniés quand il est apparu que le traducteur du siècle passé avait introduit des images ou références que le lecteur moderne comprendrait mal ; par exemple, pour invoquer la folie et les maisons de fous dans la ville de Boston, Paul Rey parlait des « Petites Maisons » et de Bicêtre… Cette édition contenait d’autre part une préface en forme « d’Avertissement, » par Théodore Reinach, qui consistait principalement en une redite des thèses exposées fort clairement dans le livre par Edward Bellamy ; il n’a pas été jugé opportun de la reproduire ici, car on suppose a priori que le lecteur moderne de ce texte lumineux n’a guère besoin qu’on guide ainsi ses pas. Par contre, la version en langue américaine du roman comportait une préface de l’auteur qui ne figure pas dans l’édition de 1891, et dont on trouvera ici une traduction sans doute originale. Le texte a été revu et corrigé à grand soin ; il se peut néanmoins qu’y subsistent des erreurs et fautes de natures diverses. Si vous en découvrez, nous vous saurons gré de nous les communiquer à l’adresse suivante : Éditions de l’Âge d’Or : http://age.d.or.free.fr. Enfin, ce roman, ainsi que la traduction que nous avons faite de la préface de l’auteur, peuvent être reproduits et distribués librement, sous réserve de porter la mention suivante — ou un équivalent : « Ce texte a été recueilli, numérisé et corrigé par Robert Soubie pour les Éditions de l’Âge d’Or <[email protected]>. » Edward Bellamy en 1889 (DP) Edward Bellamy Première page du manuscrit de Looking Backward (DP) 4 PRÉFACE DE L’AUTEUR Section d’Histoire de Shawmut College, Boston, le 26 décembre 2000. Nous vivons ces jours-ci l’année ultime du vingtième siècle, et nous bénéficions des bienfaits d’un ordre social si simple et si logique qu’il semble n’être que le triomphe du sens commun ; malgré tout, il est difficile, pour qui ne dispose pas d’une formation historique approfondie, d’appréhender le fait que l’organisation présente de notre société date en réalité de moins d’un siècle. Aucun fait historique, cependant, n’a été aussi fermement établi que le constat suivant : jusqu’à la fin du dix- neuvième siècle, on croyait généralement que l’ancien système industriel, avec toutes ses conséquences sociales choquantes, était destiné à durer, peut-être au prix de quelques amendements, jusqu’à la fin des temps. Qu’il nous paraît étrange, presque incroyable qu’une aussi prodigieuse transformation morale et matérielle ait pu avoir lieu en si peu de temps ! On ne saurait décrire de manière plus frappante la facilité avec laquelle les hommes s’adaptent, au quotidien, à l’amélioration de leur condition, qui, quand elle est anticipée, ne laisse plus rien à désirer. Quel exemple à présenter pour modérer l’enthousiasme des réformateurs qui compte trouver leur récompense dans la gratitude vibrante des générations futures ! L’objet de ce volume est de venir en aide aux personnes qui, tout en désirant acquérir une idée plus précise des contrastes sociaux qui existaient entre le dix-neuvième et le vingtième siècle, sont intimidées par l’aspect formel des ouvrages historiques qui traitent du sujet. Instruit par notre expérience d’enseignant que le fait d’apprendre est perçu par l’élève comme une atteinte à l’intégrité du corps, l’auteur a cherché à adoucir les qualités pédagogiques du livre en le présentant sous une forme romancée, dont il imagine qu’elle présente en soi un certain intérêt. Le lecteur, qui n’ignore rien des institutions sociales modernes Cent Ans Après, ou L’An 2000 et de leurs principes sous-jacents, pourra quelquefois estimer que les explications du Docteur Leete sont pour lui banales — mais il faut se rappeler que pour son hôte, elles n’étaient aucunement familières, et que ce livre est écrit dans le but d’induire également le lecteur à oublier qu’elles le sont pour lui. Encore un mot. Le thème presque universel des écrivains et des orateurs qui ont célébré cette époque bimillénaire a été le futur, plutôt que le passé. Non pas les progrès accomplis, mais les progrès qui restent encore à faire, toujours plus loin et plus haut, jusqu’à ce que notre race accomplisse son ineffable destin. C’est bien, tout à fait bien. Mais il me semble que nulle part, nous ne trouverons de meilleures bases pour anticiper le développement humain pendant les mille ans qui viennent, qu’en jetant ce « regard en arrière » sur les progrès accomplis pendant les cent ans qui viennent de s’écouler. Espérant que les lecteurs intéressés par les thèmes de ce volume sauront pardonner les déficiences du traitement, l’auteur se met maintenant de côté pour laisser s’exprimer M. Julian West. 7 I Boston, le 28 décembre 2000. J’ai vu le jour dans la ville de Boston, en l’année 1857. — 1857, dites-vous ? C’est une erreur ; il veut sans doute dire 1957. Je vous demande pardon, mais il n’y a pas d’erreur. Il pouvait être environ quatre heures de l’après-midi, le 26 décembre, le lendemain de Noël, en 1857 et non en 1957, quand je respirai pour la première fois le vent d’Est de Boston, et je puis vous assurer qu’à cette époque reculée, il possédait les mêmes qualités piquantes et pénétrantes qui le caractérisent en l’an de grâce actuel 2000. Maintenant, si j’ajoute que je suis un jeune homme d’environ trente ans, je ne peux en vouloir à personne de crier à la mystification. Je demanderai cependant au lecteur de lire les premières pages de mon livre pour se convaincre du contraire. Tout le monde sait que, vers la fin du dix-neuvième siècle, la civilisation, telle que nous la connaissons aujourd’hui, n’existait pas encore, bien qu’on sentit déjà fermenter les éléments qui devaient la produire. Aucun événement n’avait encore modifié les antiques divisions de la société. Le riche, le pauvre, l’ignorant, le lettré, étaient aussi étrangers l’un à l’autre, que le sont aujourd’hui autant de nations différentes. Moi, je jouissais de ce qui représentait le bonheur pour les hommes de cette époque : la fortune et l’éducation. Je vivais dans le luxe ; je ne me souciais nullement de me rendre utile à la société ; je trouvais tout naturel de traverser la vie en oisif pendant que les autres travaillaient pour moi. C’est ainsi qu’avaient vécu mes parents et mes grands- parents ; je m’imaginais donc que mes descendants, à leur tour, n’auraient qu’à faire comme moi pour jouir d’une existence facile et agréable. Edward Bellamy Vous me demanderez, comme de juste, pourquoi la société tolérait la paresse et l’inaction chez un, homme capable de lui rendre service ; à quoi je vous répondrai que mon grand-père avait accumulé une fortune qui servit d’apanage à tous ses héritiers. La somme, direz-vous, devait être bien grande, pour n’être pas épuisée par trois générations successives ? Erreur ! Dans le principe, la somme n’était pas forte. Elle a même beaucoup augmenté, depuis que trois générations en ont vécu. Ce mystère, qui consiste à user sans épuiser, à donner de la chaleur sans consumer de combustible, semble tenir de la magie; mais, quelque invraisemblable que cela paraisse, cela résulte tout naturellement du procédé d’alors, qui consistait à reporter sur le voisin la charge de votre entretien. Ne croyez pas que vos ancêtres n’aient pas critiqué une loi que nous trouverions, aujourd’hui, inadmissible et injuste. Une discussion, sur ce point, nous mènerait trop loin. Je dirai seulement que l’intérêt sur les placements de fonds était une espèce de taxe à perpétuité, prélevée, par les capitalistes, sur le produit de l’argent engagé dans l’industrie. De tout temps, les législateurs ont essayé de limiter, sinon d’abolir, le taux de l’intérêt. À l’époque dont je parle, fin du dix-neuvième siècle, les gouvernements, en présence d’une organisation sociale arriérée, avaient renoncé à la réalisation de ce projet, qu’ils considéraient comme une utopie. Pour exprimer ma pensée plus nettement, je comparerai la société à une grande diligence à laquelle était attelée l’humanité, qui traînait son fardeau péniblement à travers les routes montagneuses et ardues. Malgré la difficulté de faire avancer la diligence sur une route aussi abrupte, et bien qu’on fût obligé d’aller au pas, le conducteur, qui n’était autre que la faim, n’admettait point qu’on fit de halte. Le haut du coche était couvert de voyageurs qui ne descendaient jamais, même aux montées les plus raides. Ces places élevées étaient confortables, et ceux qui les occupaient discutaient, tout en jouissant de l’air et de la vue, sur le 10
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