CAHIERS de l’ACADEMIE des ARTS LETTRES et SCIENCES de LANGUEDOC NOUVELLE SÉRIE, numéro 19, ANNÉE 2010 Sommaire Éditorial, page 2 La séance académique de Printemps, page 3 Accueil de la Présidente de séance, page 3 Les Prix littéraires 2010, page 4 Installation de Mme Marguerite-Marie Treffel, page 6 Installation de M. Jean Salles-Loustau, page 12 Vie de l'Académie, page 16 Une deuxième patrie, par M. Albert Tévoedjré, page 19 Règlement du concours littéraire, page 20 Photos de Geneviève Guitard. Belle et heureuse année 2011 à chacune, à chacun et à tous, dans l'amitié et la bonne santé. Cahiers de l’Académie des Arts, Lettres et Sciences de Languedoc. Abonnement pour trois numéros : 17 € (à verser au trésorier de l’Académie). Prix au numéro : 4 €. ISSN n° 1143-8819.- SIRET n° 520 604 885 000 19 Secrétaire perpétuel : Edmond Jouve. Responsable de la publication : Paul de Saint-Palais, président, directeur-gérant. Siège social : Centre des Provinces françaises, 2, rue Achille-Luchaire, 75014 Paris. Site internet : http://acad.languedoc.free.fr/ - Adresse courriel : [email protected] Éditorial LAISSERONS-NOUS SACCAGER NOS VILLAGES ? UNE fois n’est pas coutume. Aujourd’hui je vais vous raconter une histoire, mais cette histoire est triste. Elle concerne mon village natal : Nadaillac-de-Rouge. Ce pourrait être le vôtre. Du mien, je vous ai parlé de son église et de son château, de la chaleur torride de ses étés, de la pauvreté de ses landes, de la douceur angevine de son arrière-saison. Vous connaissez certains de ses personnages truculents : Ferdinand Lurel et sa gouaille, Henri Verdier et ses épouvantails, « Crabe nègre » et ses potions magiques… Voilà que, sous prétexte de progrès, on veut défigurer cette humble bourgade et l’un de ses espaces jusqu’ici inviolé : celui de la Garenne. Y trottent encore des lapins et des lièvres. Y gambadent des chevreuils et des renards. Y circulent des hardes de sangliers .Des compagnies de perdreaux s’envolent parfois de ses confins. Il est même arrivé que l’Histoire s’y arrête, comme en témoignent la route Napoléon, le sarcophage changé en lavoir et même les ombres des habitants du Fau, qui sont allées se poser sur le dallage de notre église pour y laisser leur nom ou leurs initiales. De quoi s’agit-il donc ? Tout simplement – si je puis dire – d’un projet d’implantation d’une centrale solaire impliquant l’installation de panneaux, sur une superficie de 11 ha. Ce projet est en cours. S’il doit être réalisé, des paysages seront détruits, un cadre de vie détérioré, sans parler de nuisances de toutes sortes… Je me suis rendu sur le site composé de prairies et de bosquets, avec, sur les hauteurs, barrant l’horizon, des granges périgourdines aux allures de manoirs. L’air était vivifiant et le silence impressionnant. Tout à coup le désastre programmé m’est apparu dans toutes ses dimensions : terrains défoncés, engins creusant des fossés, équipements destinés à la transformation et à l’injection du courant produit sur le réseau de distribution national. Et je me suis dit : où allons-nous ? Où allons-nous ? Nous le saurons bientôt en nous rendant dans la région de Cahors où « Valeco » construit une vaste ferme solaire sur une superficie… de 15 ha. Le directeur de La Vie quercynoise, Jean-Claude Bonnemère, écrit à ce sujet : « L’équipement photovoltaïque installé sur le site comportera une structure métallique d’une hauteur maximale de 2 mètres, 35 000 panneaux photovoltaïques assurant la production d’électricité ». Nous en étions là lorsqu’un événement d’une grande portée s’est produit. Le 14 septembre, dernier, le Conseil municipal de Nadaillac-de-Rouge a donné un avis favorable par 8 voix contre 2. J’en suis navré. Cette décision est nuisible pour la Commune (les 25 000 € attendus au titre de la taxe professionnelle sont un cadeau évidemment empoisonné). Il est aux antipodes du développement durable. Il est destructeur de terres cultivables (qu’en disent les paysans et les éleveurs qui travaillent sur ces terres ?). Que faire ? Un habitant de Nadaillac a pris l’initiative de lancer une pétition condamnant ce projet. Nombreux sont les compatriotes qui la signent. Je pense aussi que l’opinion (« la reine du monde », selon Pascal) doit être saisie. Ce que je fais avec cet éditorial, en espérant que des autorités compétentes sauront faire entendre leur voix pour que raison l’emporte. Edmond Jouve secrétaire perpétuel. 2 SÉANCE ACADÉMIQUE DE PRINTEMPS 4 JUIN 2010 La séance académique de printemps s'est tenue au palais du Luxembourg le vendredi 4 juin à 17 h 15. Elle a débuté, selon l'usage, avec l'accueil par le président de l'Académie, M. Paul de Saint- Palais, de la personnalité appelée à présider la séance, Mme le Professeur Millet-Gérard. Accueil par le président de Saint-Palais de Mme Dominique Millet-Gérard professeur de littérature française à la Sorbonne. « J'ai l'honneur, ce soir, d'accueillir Mme Dominique Millet-Gérard, qui va présider notre séance de Printemps. Vous êtes, Madame, ancienne élève de l'École normale supérieure de jeunes filles, docteur d'État en littérature française et comparée, docteur de troisième cycle en études latines, agrégée de l'université en lettres classiques et anglais, ancienne pensionnaire de la Fondation Thiers, licenciée de philosophie, titulaire d'un diplôme bilingue de russe et arabe de l'institut des Langues orientales. Vous pratiquez en outre le grec, l'allemand, l'espagnol et l'italien... Vous êtes actuellement professeur de littérature française à la Sorbonne et, à ce titre, outre les cours que vous donnez (ces derniers étant parfois, lors de grèves ou de la fermeture de la Sorbonne, assurés en réunissant vos étudiants dans les cafés du voisinage !) vous avez une grande activité de recherche, dont l'axe principal est Littérature et Spiritualité : expression poétique et sentiment religieux, image poétique et vérité théologique, Bible et littérature, paganisme et christianisme dans l'antiquité gréco-latine et littératures européennes... On n'est pas étonné que votre auteur de prédilection soit Paul Claudel, dont vous avez édité : la Correspondance avec les ecclésiastiques de son temps, Le Sacrement du Monde et L'Intention de Gloire, ouvrage monumental en trois volumes, que François Angelier, dans son article du Bulletin de la Société Paul- Claudel n° 193, caractérise comme « un périple érudit et une aventure intérieure de près de sept années, ouvrant par là même pour le lecteur claudélien chevronné (les trois volumes forment un ensemble de 1882 pages) un marathon de lecture déterminant. » De Claudel toujours vous avez publié Le Poète et la Bible, mais encore de nombreux ouvrages consacrés à cet écrivain, dont : Formes baroques dans « Le Soulier de Satin », Claudel thomiste, Paul Claudel, la beauté et l'arrière-beauté... Vous avez édité des textes d'Aloysius Bertrand (Gaspard de la Nuit), de Charles Baudelaire (Petits Poèmes en prose), de Joris-Karl Huysmans (En route), de Guillaume Durand, évêque de Mende (Le Sens 3 spirituel de la liturgie)... Vous avez publié Le Lis et la Langue (actes du colloque du centre « Poésie, poétique et spiritualité », Sorbonne, 17 mai 1997), Dictionnaire des citations, en collaboration avec Olivier Millet, Le Coeur et le Cri, variations sur l'héroïde et l'amour épistolaire. Vous avez écrit nombre d'articles comparatistes, participé à ou dirigé de très nombreux colloques, enfin vous êtes une grande conférencière... Pour clore cette liste déjà longue quoique non exhaustive, je citerai deux autres ouvrages : d'une part, Le Chant initiatique, Esthétique et Spiritualité de la Bucolique, qui me tient particulièrement à coeur, car, entre autres, il traite de deux poètes tarnais : Francis Jammes et Maurice de Guérin ; d'autre part, Le Lumineux Abîme du « Cantique des Cantiques », auquel vous avez participé par un chapitre, intitulé : Je suis noire mais belle (Ct 1, 4-5), - le mystère de la noirceur éclatante, Candida Nigredo, qui, me semble-t-il, illustre votre rigueur exégétique, permettant d'aboutir, à partir de deux versets, à votre conclusion, que je cite : « Nous nous trouvons ici au coeur de ce qui fait l'attrait sans pareil de ce poème aussi superbe qu'énigmatique : le chant de l'ardeur est aussi celui de la plus étincelante pureté, l'ombre de l'érotisme se fondant dans l'indicible clarté mariale et ecclésiale : Et nox illuminatio mea in tenebris meis ; le Cantique des Cantiques est bien une nuit transfigurée. » Vous allez présider notre séance de ce soir, au cours de laquelle vous pourrez voir que l'un de nos buts est de réunir des personnalités de grande culture, ayant des attaches méridionales ou dont les activités concourent à mettre en valeur et promouvoir la culture languedocienne. » oOo PALMARÈS DES PRIX LITTÉRAIRES 2010 « A deux occasions chaque année, l'Académie se fait un agréable devoir d'honorer des écrivains, des artistes, des chercheurs, au cours de ses séances solennelles, de printemps pour les premiers, d'automne pour les scientifiques. J'ai l'honneur de vous donner lecture du palmarès 2010 couronnant des œuvres littéraires et artistiques. Prix Enric-Mouly. Créé en hommage à Henri Mouly, romancier et dramaturge rouergat, majoral du félibrige et maître ès jeux de l'Académie des Jeux floraux. Il est décerné à M. Jacques Laporte, poète et réputé ferronnier d'art, pour son livre amoureux de la rivière Dordogne, dont on dit qu'elle est la plus belle de France – on le dit aussi du Lot ! - intitulé Ma Dordogne passionnément. Nous souhaitons à cet ouvrage, paru aux éditions Avenir Impressions, le succès que connaissent les enseignes de M. Laporte, qui contribuent à l'élégance de la ville de Souillac. Prix Pierre-Benoit. Ce Prix, créé en hommage à l'immortel Albigeois (avec le grand A du nom de ses héroïnes), récompense un roman d'auteur languedocien ou se déroulant en pays d'oc. Il est attribué à M. Roger Béteille, professeur émérite de l'université de Poitiers, déjà auteur de plusieurs romans, tous profondément imprégnés de ses origines rouergates. L'ouvrage récompensé, publié aux éditions du Rouergue. 4 s'intitule Noces bourgeoises. Remarquablement écrit, ce roman représente, nous dit le jury, « plus qu'un simple roman », du fait de sa forte insertion dans les thèmes de la sociologie historique des provinces d'oc. Prix Charles-Mouly. Ce Prix, créé cette année en hommage au grand Occitan que fut notre vice- président Charles Mouly, journaliste, écrivain, poète, auteur de théâtre, peintre et illustrateur, chanteur et auteur de chansons, est attribué au très remarquable album Cantem Nadal. Composé de textes de noëls occitans sur des musiques traditionnelles ou baroques, il bénéficie de l'interprétation fervente de trois compagnies méridionales : Les Passions, Les Sacqueboutiers et La Mounède. Le disque est accompagné d'un précieux livret présentant les textes et les thèmes mélodiques. Publié chez Ligia Digital, c'est un disque beau et joyeux à découvrir et à offrir. Prix d'honneur des Provinces de France. Il est décerné cette année au professeur honoraire Max Aussel. Passionné par l'histoire de son Quercy natal, auteur de plusieurs volumes d'histoire du pays et de nombreuses publications, déchiffreur et traducteur de parchemins latins et occitans, il a notamment transcrit et traduit en français les douze plus anciens registres consulaires de Gourdon, datés du XIVe et XVe siècles. Le Prix d'honneur de l'Académie entend récompenser M. Max Aussel pour l'ensemble de son œuvre. Grand Prix du Jury, attribué, pour l'ensemble de son œuvre, au professeur Albert Tévoédjré, de nationalité béninoise. Docteur ès sciences économiques et sociales, ancien ministre de son pays, M. Tévoédjré se plaît à s'affirmer citoyen d'une seconde patrie dont il est à la fois, ce sont ses mots, « fier et heureux », à savoir le Languedoc (il a été étudiant à la faculté de Toulouse ; c'est à Toulouse que sont nés ses enfants) et le Quercy (il a enseigné un temps à l'École normale de Cahors). Dans sa diversité, l'œuvre de M. Tévoédjré exprime notamment, en une très belle langue, une solide conviction, africaine et chrétienne, sur l'importance de la famille et un inconditionnel engagement humaniste dans la lutte contre la pauvreté et pour la dignité et la justice. Son dernier ouvrage, au titre généreux, Le Bonheur de servir, transmet, selon les termes de M. Kofi Annan, qui l'a préfacé, « les réflexions d'une vie souvent mise au service des autres. » [M. Tévoédjré comptait être des nôtres ce soir. Mais il a été retenu par des obsèques ; nous sommes tristes pour lui et pour les siens, nous regrettons profondément son absence. Son Excellence Monsieur l'Ambassadeur du Bénin qui nous honore de sa présence veut bien lui faire remettre le diplôme de l'Académie.] Grand Prix de l'Académie des Arts, des Lettres et des Sciences. Notre président vient de présenter notre présidente de séance, Madame le Professeur Dominique Millet-Gérard. Or, c'est en nous penchant sur son curriculum que nous avons eu la surprise et la chance de nous apercevoir d'une grossière et injuste omission. L'un de ses ouvrages, paru en Suisse aux éditions Ad Solem, livre capital sur le thème, qui lui est familier, de l'expression poétique du sentiment religieux, cet ouvrage, bien que salué par les clercs, est loin d'avoir reçu l'hommage mérité. Aussi l'Académie se donne-t-elle la fierté de décerner son Grand Prix à Mme Dominique Millet-Gérard pour Le Chant initiatique, esthétique et spiritualité de la bucolique. A travers un choix de poètes - Virgile, d'abord, dont les Bucoliques sont contemporaines de la naissance de l'Enfant divin destiné à rétablir l'âge d'or, jusqu'à Maurice de Guérin, cher à M. de Saint-Palais -, l'ouvrage de Mme Millet-Gérard témoigne que la poésie, après avoir célébré la beauté et l'harmonie de l'univers, devient naturellement théologie pour célébrer la beauté du créateur. Médaille Goudouli. Ce Prix, créé en hommage au grand poète occitan du XVIIe siècle Pierre Godolin, né à Toulouse, récompense un auteur ou une œuvre ayant contribué à l'illustration culturelle du pays d'oc. Il est attribué cette année à un musicien, le maître Gabriel Fumet. Flûtiste de réputation internationale, Gabriel Fumet, dans un entretien avec Jean-Claude Thévenon publié par les éditions Delatour et intitulé La Musique du Silence, rappelle entre autres la vie et la carrière, injustement oubliées, d'un grand Toulousain, fils de 5 Toulousaine « de pure souche », nous dit-il, dont il est le petit-fils, Dynam-Victor Fumet. Dynam-Victor Fumet, fut un grand organiste – notamment à Paris, à Sainte-Clotilde auprès de César Franck - et un compositeur fécond de symphonies, de messes, de motets, d'œuvres pour piano, orgue ou chant. L'ouvrage est accompagné d'un disque. (Je signale en outre qu'une œuvre de Dynam-Victor Fumet, Le Sabbat rustique, sera exécutée à Paris par l'orchestre symphonique de Saint-Pétersbourg en l'église Saint-Pierre de Chaillot le mardi 22 juin, 20 h 30, et le vendredi 25 juin dans l'église Saint-Germain-des-Prés). Voici comment l'éminent critique du Figaro Bernard Gavoty, dit Clarendon, lui-même titulaire du grand orgue des Invalides, présentait Dynam-Victor Fumet : « Il fut un organiste comme il n'y en a guère dans tout un siècle. Disciple de Franck, il avait reçu en héritage un don d'improvisation qui confinait au génie. Tout jeune en l'entendant, je reçus une des plus foudroyantes émotions de ma vie. Tous ceux qui entendu Fumet ont eu des impressions analogues à la mienne. Son nom ne s'est jamais effacé de ma mémoire. » Notre Académie est fière de raviver enfin ce souvenir d'un grand Toulousain et rend grâce à M. Gabriel Fumet de nous en donner l'occasion. M. Fumet a proposé de répondre à notre éloge en transfigurant, Madame la Présidente, le calame de son écriture en champêtre roseau de Tityre. » G.H. [M. Fumet interprète une pièce de Jean-Sébastien Bach.] oOo RÉCEPTION DE NOUVEAUX ACADÉMICIENS. Installation de Mme Marguerite-Marie Treffel. Discours du professeur Edmond Jouve. « Madame la Présidente, chère Madame, je vous connais – pardonnez-moi – sous le charmant diminutif de « Mimi » ! Car nous avons, au moins, un point commun : non pas d'être nés tous deux à Cahors, mais d'avoir accompli nos études secondaires dans l'un des deux grands lycées de la ville, pour vous le lycée Clément-Marot. Vous l'avez sans doute deviné, cette dénomination familière ne pouvait venir que de mes correspondants, M. et Mme Roger Soulié, qui connaissaient bien vos parents, M. et Mme Boutot, originaires des Quatre-Routes et dont le nom reste encore associé aux Docks de Cahors. Je ne vous surprendrais pas en vous disant que vous aviez la réputation d'être une excellente élève. Ainsi, tout naturellement, vous êtes partie faire vos études à la faculté des Lettres de Toulouse. En 1951 vous êtes étudiante, comme on disait alors, en « propédeutique ». Mais voilà qu'un prince charmant va vous enlever à la Ville Rose. Comme vous, il est né à Cahors et vous le rencontrez en 1951 dans la cité des Cadurques : c'est un jeune et brillant agrégé, déjà professeur, au lycée Malherbe de Caen, avec lequel vous allez partager votre destin à partir du 13 septembre 1952. Vous avez, vous-même, décrit ainsi votre première rencontre : « Dès le début, j'ai été fascinée par son sens des responsabilités, sa connaissance du monde contemporain et l'envie qu'il avait de l'améliorer. Il m'ouvrait un monde de possibilités auxquelles, à dix-huit ans, je n'avais moi-même jamais pensé. C'était merveilleux d'imaginer qu'à notre humble place nous pourrions apporter notre pierre en ce monde et tenter un peu de le transformer. » Vous allez vous en donner les moyens en poursuivant des études d'anglais à Caen et à Paris et en passant un diplôme d'études supérieures - un DES - sur John Galsworthy*. Votre mari étant nommé inspecteur d'académie adjoint à Lille en 1956 et un premier fils étant né - Jean-Francis –, vous choisissez de vous orienter * Romancier et dramaturge britannique ami de Joseph Conrad, Prix Nobel de Littérature en 1932. 6 vers une autre voie, particulièrement innovante : celle de la création du Centre régional de Documentation pédagogique de Lille. Avec ce CRDP il s'agissait de mettre à la disposition des enseignants une documentation pédagogique et toutes les ressources culturelles possibles : bibliothèque, médiathèque, expositions, conférences, colloques, lieux de rencontre et d'échanges. Autrement dit, vous voici en charge d'une mission nouvelle et exaltante : enrichir et moderniser l'enseignement. Votre action ne passa pas inaperçue. Au ministère de l'Éducation nationale, le directeur de l'Institut pédagogique national, M. Louis Cros, voulut donner des petits frères à l'Institut de Lille. On créa même de nouveaux concours. Vous serez reçue première à celui de « documentaliste et de chargé d'études documentaires ».Votre travail de pionnière va se poursuivre. Après Lille, en 1962, vous assurez la mise en place des Centres de documentation et d'information dans les lycées et collèges au ministère de l'Éducation. Puis, en 1972, vous êtes chargée de mission à la Direction des personnels enseignants, pour finir à l'Inspection générale en 1989. On reste confondu devant la carrière qui fut la vôtre, car il faut bien ajouter, maintenant, que vous vous êtes dévouée sans compter pour votre époux. Non seulement vous faisiez tout pour le décharger des problèmes domestiques afin qu'il puisse se consacrer au mieux à sa charge, mais vous participiez aussi aux incontournables obligations sociales qui étaient aussi les siennes. Vous voici donc en première ligne pour les visites scolaires des musées, des bibliothèques, des « heures joyeuses » dans les écoles primaires, des classes de neige, de la réalisation de diaporamas, des représentations théâtrales... et même les visites de chantier, lorsqu'il s'est agi de construire une nouvelle inspection académique dans le département du Nord : important bâtiment administratif de dix étages, dont M. Treffel voulait faire une construction d'avant-garde, tant sur le plan architectural que fonctionnel. Parallèlement, après la tourmente de 1968 – votre mari est devenu inspecteur de l'académie de Paris et la famille s'est enrichie d'un second fils, Frédéric – vous vous retrouvez dans la capitale en 1970. Devançant toujours votre temps, vous voulez tirer toutes les conséquences d'une vision prémonitoire de la Société de l'information et de la communication. Vos Centres contribuent à propager l'informatique et à apprendre le maniement des ordinateurs. En préparant cette présentation, j'ai eu la chance de tomber sur un texte qui vous dépeint bien et qui montre combien vous savez anticiper l'avenir. D'abord, il ne vous déplaît pas d'être poète à vos heures. Vous avez donné le nom d'« O.R.C.H.I.D.É.E. » à un système qui, autrement, eût pu paraître rébarbatif : le Système d'informatique documentaire pour micro-ordinateur... Il s'agit, en fait, d'un ensemble d'informatique documentaire réalisé à l'intention des Centres de documentation et d'information des collèges. Il comporte des programmes de gestion et d'information adaptés au traitement et à l'exploitation d'un fond documentaire de CDI. Je ne vais pas trop m'attarder sur le logiciel documentaire « Argus », tout en soulignant les différentes fonctions d'O.R.C.H.I.D.É.E. : création de bases de données, interrogation, édition. Le programme O.R.C.H.I.D.É.E. est 7 accompagné d'un livret de trente pages, décrivant, de manière détaillée, toutes les opérations autorisées et les commandes à utiliser. Cependant, me semble-t-il, la grande affaire de votre vie sera les hautes fonctions que vous exercerez auprès de l'AMOPA (l'Association des Membres de l'Ordre des Palmes académiques). Vous en parlez d'ailleurs comme d'une « aventure ». Celle-ci commencera en 1973, lorsque l'inspecteur général Jacques Treffel deviendra président national de l'AMOPA, alors qu'il était directeur de cabinet du secrétaire d'État chargé des constructions scolaires. En dépit de charges écrasantes, vous trouvez le temps d'écrire. Seule ou en collaboration, vous donnez Royaume candide (1965), Vent du Nord (1966), A la découverte des villages de France (1980), Les Nouvelles Technologies de la documentation et de l'information (1985), L'Hôtel de Rochechouart (1989), Châteaudun (1997), Si l'AMOPA m'était contée (1998)... Comme si tout cela ne suffisait pas, vous avez écrit de nombreux articles, réalisé des films et des montages audiovisuels, organisé de très nombreuses expositions. Après le départ en retraite du président de la section AMOPA du 7e arrondissement, vous assurez la succession du général Louis Dumont. Vous remplirez ces fonctions pendant plus d'une dizaine d'années. Vous y faites un excellent travail, animant de nombreuses manifestations, en particulier le « Printemps de la Poésie » et le « Cross du Bicentenaire ». Lorsque, à son tour, M. Fernand Samier prendra sa retraite, vous devenez rédactrice en chef de la Revue de l'AMOPA, qui sous votre autorité, contribuera au prestige et au vaste rayonnement de votre - de notre - association. En même temps, vous devenez en quelque sorte une présidente nationale bis, attentive à tous et à chacun. Avec votre mari, vous organisez la magnifique année du Bicentenaire, dont le président Treffel était, à juste titre, si fier. Après qu'il nous ait quittés subitement, le 7 décembre 2008, alors qu'il se préparait à se rendre à une assemblée générale de la section de Rouen, c'est tout naturellement vers vous que se sont tournées les instances dirigeantes de l'AMOPA. La femme de devoir et au grand cœur que vous êtes a cru, en effet, qu'elle devait reprendre le flambeau, en vue, notamment, de conserver cet esprit d'entente, d'amitié et de passion qu'avec votre époux vous aviez su insuffler à notre association : ce « joyau rare » qui mérite assurément égards et sacrifices. Le Languedoc est fier de compter dans ses rangs une femme comme vous. C'est pourquoi, dans un premier temps, notre compagnie vous a attribué le Prix Clémence-Isaure, au vu duquel nous vous avons faite membre titulaire de notre académie. Certains que nous sommes que votre présence contribuera à son rayonnement et à son éclat. Soyez donc la très bienvenue ! » Réponse de Mme Marguerite-Marie Treffel. - Éloge de Jean Deschamps. « Madame Jean Deschamps, chère amie ; Mme la Présidente d'honneur de l'Académie, Mme Simone Tauziède ; M. le Président, M. de Saint-Palais ; M. le Secrétaire perpétuel, M. le professeur Edmond Jouve ; M. le Secrétaire général Georges Hacquard ; Mme la présidente de cette séance, Mme le professeur Dominique Millet-Gérard. Je voudrais saluer aussi M. l'ambassadeur du Bénin et quelques amis très fidèles que je reconnais dans la salle : M. le doyen de l'inspection générale des langues vivantes, M. François Monnanteuil, M. le recteur Jean Saurel, Mlle Marie-Christine Cavigneaux, professeur de classes préparatoires au lycée de Sèvres, M. Georges Reynaud-Dulaurier, ex-directeur du département des Atlas aux éditions Larousse, et les nombreux membres de l'AMOPA présents, qui savent l'amitié que je leur porte et tout le plaisir que me fait leur présence. Mesdames, Messieurs, l'Académie des Arts, Lettres et Sciences de Languedoc m'a fait l'honneur et le plaisir de m'admettre en son sein. M. le professeur Edmond Jouve, secrétaire perpétuel, vient de faire une très aimable et trop élogieuse présentation de ma personne. Je lui dis ma gratitude et mon émotion. J'occuperai le fauteuil n° 8, qui était celui d'un brillant compatriote du Quercy, Jean Deschamps, un immense acteur. Croyez que je suis heureuse, confuse et flattée à la fois de succéder à un aussi illustre prédécesseur. En effet, non seulement Jean Deschamps était un compatriote quercynois, mais il était aussi un camarade de classe de mon cher et regretté mari, Jacques Treffel. Ils avaient été tous deux, à deux ans de distance, élèves du lycée Gambetta de Cahors, Jean Deschamps étant l'aîné. 8 Nous n'avons pas suivi les mêmes chemins, mais nous ne nous sommes jamais perdus de vue et nous avons assisté à de nombreux spectacles de Jean au théâtre et, s'il était en représentation dans un lieu proche de celui où nous nous trouvions, nous ne manquions jamais d'aller le voir et le féliciter, car, à chaque fois, il nous émerveillait. Je pense que, selon la tradition de votre noble Compagnie, vous attendez de moi que je rappelle sa vie et son œuvre et c'est ce que je vais essayer de faire de mon mieux. TNP : Cinna TNP : Ruy Blas (Don Salluste) Jean Deschamps est né en 1920, le 23 juin, il y a presque quatre-vingt-dix ans jour pour jour, et il nous a quittés en 2007 à Toulouse. Originaire du Lot comme moi-même, il est né à Strenquels, dans le nord du département, auprès des Quatre-Routes, village natal de mon père, où, enfant, je me suis souvent rendue avec mon frère pour des vacances inoubliables chez nos grands-parents. C'est une très belle région verdoyante, non loin de Martel, Turenne ou Brive. Jean Deschamps lui restera toujours profondément attaché. Il fait ses études au lycée Gambetta de Cahors, d'excellente réputation. Puis il suit à Toulouse des cours de philosophie, des cours de peinture et d'architecture et des classes de théâtre au conservatoire d'art dramatique. Il obtiendra les premiers Prix de tragédie et de comédie, ainsi qu'une médaille d'or des Beaux-Arts. Ces formations à la peinture, à l'architecture, à la littérature et à la réflexion philosophique le prépareront au théâtre, où toutes concourent à l'effet scénique. Il débute dans les premiers rôles tragiques au théâtre du Forez, dirigé par Alexandre Arquillière. Il joue Le Cid, Ruy Blas, Cinna, Nicomède. Puis, « montant » à Paris, il rejoint la troupe du théâtre du Palais de Chaillot dirigée par Aldebert. Il y joue toujours les premiers rôles. A partir de 1951 il intègre la troupe d'acteurs prestigieux qui se retrouvent autour de Jean Vilar. C'est la grande époque du TNP. Mon mari et moi étions très occupés et, pour sortir, comme nous avions un enfant jeune, il fallait le faire garder. Aussi était-ce souvent au dernier moment que nous décidions d'aller au théâtre sans avoir pu réserver. Quand nous arrivions au guichet, toutes les places étaient prises. On n'avait plus que « des marches » à nous proposer ! Alors, on louait des marches et nous assistions aux grands spectacles donnés alors dans la grande salle du théâtre du Palais de Chaillot, et l'enthousiasme suppléait à l'inconfort, nous étions ravis ! En 1956, Jean Deschamps rejoint la Comédie-Française et, pour ses « débuts » interprète le rôle de Titus de Bérénice au côté d'Annie Ducaux. Reprenant sa liberté, il joue sur les scènes parisiennes les grandes pièces à succès. Il tourne dans des films, notamment pour la télévision, qui le fera connaître surtout dans la série Les Rois maudits, d'après l'œuvre de Maurice Druon, où il incarne Charles de Valois. 9 Entre-temps, il enregistre les grands rôles du répertoire classique et romantique dans l'Encyclopédie Sonore, dirigée par son ami Georges Hacquard, collection de disques qu'il a contribué à créer et qui obtiendra la consécration de huit Grands Prix du Disque. Pour moi, à cette époque, avec mon mari qui était inspecteur d'académie, je créais le CRDP de Lille. Il comportait ce que l'on commençait tout juste à appeler une « médiathèque », c'est-à-dire un lieu de ressources diverses, où, à côté de la bibliothèque étaient aménagées une discothèque et une cinémathèque. La mise à la disposition des enseignants des disques de l'Encyclopédie sonore représentait une manne merveilleuse. Je me demande d'ailleurs si l'engouement que l'on constate chez beaucoup de jeunes qui participent à de nombreuses troupes de théâtre amateur ne vient pas un peu de là. De toutes façons, ce fut une initiative géniale, qui contribua grandement à la diffusion et à la connaissance des grands textes, dits notamment par la voix d'airain, magnifique, de Jean Deschamps. Après s'être illustré sur les scènes les plus prestigieuses, Jean Deschamps décidera de créer ses propres lieux de spectacle, en revenant dans le Midi, auquel il est toujours resté attaché. Comme à sa langue maternelle. Jean Deschamps ressent son identité occitane. Il fonde le Théâtre du Midi, qui devient Centre national du Languedoc-Roussillon, contribuant grandement à la décentralisation culturelle. Il crée des festivals, d'abord, en 1957, celui de Carcassonne, dans le cadre duquel il représentera La Chanson de Roland dans une transposition de Georges Hacquard, puis celui des Baux, en Provence, où il montera Miréio en provençal. Il construit à Sète le Théâtre de la Mer qui fut plus tard dédié à Jean Vilar et, dans le parc de son château de Serres, dans l'Aude, un théâtre de verdure qui sera distingué par le Prix Architecture et Musique de La Demeure historique. Il achète aux Baux la dernière carrière en sous-sol, dont il gère l'exploitation et dont une excavation pourra permettre d'aménager un théâtre troglodyte. Dans le cadre de ces festivals, comme au château de Collioure et à la citadelle de Sisteron, il dirige les plus grands comédiens, qu'il appelle « les athlètes de la voix ». Mais la grande aventure de Jean Deschamps restera Carcassonne. « J'étais à Paris, racontera-t-il, quand j'ai créé le festival. Je jouais avec Gérard Philipe et Maria Casarès. Je n'étais pas absolument satisfait de mon sort, même si je jouais les premiers rôles. Mais je suis un provincial et je voulais faire quelque chose pour cette région qui n'avait pas de théâtre. » Il réalisera son rêve : rénovation du théâtre de la Cité et création du festival, sans financement de l'État, en associant sept villes du Midi. Il avait dû convaincre ses interlocuteurs, en plus de les rassurer sur les risques financiers, du bon choix des œuvres représentées. Quand on lui demande : « Sans doute avez-vous prévu des pièces à succès ? » il répond que non, il refuse la carte de la facilité, il propose des spectacles que l'on ne peut voir nulle part ailleurs et il mise sur la coopération du public, en faisant du spectateur un partenaire actif, curieux de découvrir des œuvres inédites. Guidé par l'idée que « la culture est certes ce que l'on sait, mais plus encore ce que l'on peut ajouter », un festival, selon lui, doit affirmer une personnalité originale en osmose avec son animateur et le répertoire qu'il propose doit être en exacte harmonie avec le caractère du lieu qui lui servira de cadre. Acteur, metteur en scène et bâtisseur, Jean Deschamps aura cherché, comme l'a écrit Gérard Jouve, maire des Baux, à « mettre le spectateur face à l'histoire (Carcassonne), face à la mer (Sète), face à la nature (Serres), face à la minéralité tellurique (aux Baux) ». « Vingt ans de galère, avouera- t-il, imposant, de jour en jour, un combat acharné pour faire face à la multiplicité des tâches et des responsabilités, travail minutieux, tributaire d'innombrables aléas, allant des caprices de la météo au coup dur que constitue l'enrouement subit de l'acteur principal ! » Couronnement d'une carrière, Jean Deschamps sera nommé directeur de l'École nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, la célèbre école de la rue Blanche. Il va pourvoir y jouer à plein son rôle d'éducateur et de pédagogue, ayant été acteur au service des grands rôles du répertoire, chargé de transmettre à un large public les textes fondateurs ; ayant été bâtisseur de lieux renouant avec les origines mêmes du théâtre ; ayant enregistré sur disques les grands textes du patrimoine et laissant ainsi une trace durable de son talent. Sans oublier qu'en collaboration avec des universitaires, il avait fondé à Paris l'Université internationale du Théâtre. A cette époque, Jacques Treffel, en présence des seuls intimes de Jean Deschamps, son épouse et M. et Mme Hacquard, lui remettait, au hameau de Boulainvilliers, les insignes de chevalier de la Légion d'honneur. « Dans le spectacle comme dans tout autre domaine d'activité, le souci primordial, quand on a à cœur de maintenir la noblesse de son métier, est de ne pas transiger sur la rigueur qui doit guider la recherche de la qualité », disait-il. Énergie, créativité, ardeur au travail, il portait tout cela dans ses gênes, hérités de ses ancêtres paysans. Élevé dans une ferme où l'on ne parlait que le patois « carcinol », son éducation reposait sur la tradition terrienne, qui inculque le sens des réalités concrètes et l'amour du travail bien fait. 10
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