Atomes - Une guerre de cent ans

100 Pages·1997·23.36 MB·French

by  Collectif

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PALMYRE... CUZCO... LHASSA...
CORDOUE... VENISE...
Querelle autour
DE L'INVISIBLE
Existaient-ils ou non ?En France, ce fut un
blème, évidemment, était qu'on ne pouvait dire
long débat. Une affaire plus théorique que de combien d'atomes était formée ce qu'on
pratique. Lesdébatteurs purenten effets'invecti appelleraitaujourd'hui lamolécule d'eau.
ver pendant des décennies sans que l'avance C'était un hicde taille, maisqui n'impliquait pas
ment de leur science, la chimie, en soit finale qu'il failleabandonner ladimension calculatoire
ment affecté. Que la matière fût ou non formée de cette théorie. Elle permettait en effet d'écrire
d'atomes n'empêcha pas letravail à lapaillasse, la chimie sous forme concise, selon des formules
l'analyse et lasynthèse de substances de compo respectant les quantités élémentaires en jeu dans
sition de plus en plus complexe. Que l'on songe les combinaisons.
aux progrès de lachimie organique en Europe au
En s'appuyant sur l'expérience, c'est-à-dire
XIX® siècle : un Dumas, un Berthelot, anti-ato-
mistes militants, y ont leur place. Presque logi l'analyse méthodique des compositions
quement, est-on tenté de dire, c'est des physi quantitatives des corps, les chimistes, pendant
ciens, non des chimistes, que vint leterme de cet des années, cherchèrent donc à calculer des
affrontement. poids atomiques, supposés libres de toute hypo
Ne tenant qu'à une définition, particule ultime thèse. Il fallut pourtant déchanter. De nouvelles
et indivisible de la matière, l'atome avait tout méthodes d'analyse aboutissaient en effet, pour
pour générer des propos définitifs. Du haut de certains éléments, à des valeurs de poids ato
sa chaire du Collège de France, legrand chimiste miques différentes de cellesqu'on avaitjusque-là
Dumas déclare en 1836 :« Sij'en étais le maître, tenues pour exactes. Dans le même temps, le
j'effacerais le mot atome de la science, persuadé nombre de composés découverts allant crois
qu'il vaplus loinque l'expérience... » Parce qu'il sant, la nécessité de s'entendre sur une écriture
était en effet invisible, ceux qui en posaient de leurformule commune à tous les chimistes se
l'hypothèse furent soupçonnés d'avoir des faisaitde plusen plus impérieuse.
visions. Hors l'expérience, point de salut. D'elle, L'hypothèse atomique couplait deux échelles :
pourtant, étaitvenue l'idée à un physicienanglais lamacroscopique et lamicroscopique. Dans la
d'exhumer ce mot de l'ancienne physique deuxième moitié du XIX® siècle, la recherche
grecque. d'explications microscopiques à des phéno
Que disait-elle, l'expérience ?Depuis les mènes macroscopiques allaitprendre pied sur un
débuts de lachimie quantitative, que les corps, à autre terrain que la chimie : la thermodyna
l'échelle macroscopique, se combinaient selon mique. Cette recherche, initiée parJames Clerck
des proportions fixes ou des multiples de ces Maxwell et développée par Ludwig Boitzmann,
proportions, brefselon des quantités discrètes. donna naissance à lamécanique statistique. Parce
Introduite par Dalton en 1805, l'hypothèse ato qu'elle traitait des grandeurs macroscopiques,
mique était destinée à l'expliquer. Ellesupposait telles que l'entropie, comme larésultante statis
que la matière était, à l'échelle microscopique, tique d'interactions entre des milliards de parti
constituée d'unités élémentaires et insécables, cules microscopiques, cette théorie fut autant
chacune se combinant en duo ou en trio et dont, décriée chez les physiciens que l'hypothèse ato
sous réserve de conjectures, le poids pouvait mique l'était chez les chimistes.
être calculé. Si l'eau était formée de deux L'une et l'autre avaient en commun de rendre
atomes, l'un d'oxygène, l'autre d'hydrogène, il compte du visible en modélisant l'invisible. Sous
suffisait de diviser les proportions macrosco peu, ce dernier allait accéder à une réalité expé
piques des deux constituants l'une par l'autre rimentale. L'atome insécable du XIX® siècle vit le
pour obtenir leurs poids atomiques respectifs : I jouravec le nôtre, où l'on n'allait pas tarder à le
pour l'hydrogène, 8 pour l'oxygène. Le pro casser en morceaux. J-P I
Edito 1
LA RÉVOLUTIOM ACCOMPLIE
La preuve par les nombres 6
Par Mary-Jo Nye
MISEAUPOINT Professeur au département d'histoire,
Oregon state university, États-Unis
Dansnotreprécédentnuméro, nous
avons traduit lestitreetfonction de
M. MiwaoMatsumoto, enaccordavec QUERELLES DE CHIMISTES
ie Robert-Collins, parMaîtredeconfé
rencesà l'universitédeTokyo.
M. MiwaoMatsumoto nousa toutefois
LES DÉBUTS D'UNE LONGUE QUERELLE 16
faitsavoirque le libellédesongrade
universitaire necorrespondaitpasà Par Catherine Kounelis
cettetraduction. Le Harrap's, il est Centre de ressources historiques, École supérieure
vrai, traduitAssociateProfesserpar DEPHYSIQUE ETCHIMIE INDUSTRIELLES, PARIS
professeuradjoint.
ET Patricia Chairqpoulos
DanslasecondemoitiéduXIX^
siècle,inspirésparlestravauxde la
cristallographie,leschimistes
représententlesmoléculessous
formedepolyèdres(ci-contre,des
moléculesdeméthane).
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La Révolution accomplie
En 1913, obtenant par des chemins différents
treize valeurs du même ordre pour le nombre
d'Avogadro, Jean Perrin conclut :«Jecrois qu'il
sera en conséquence très difficile de défendre avec
des arguments rationnels une position hostile à
l'égarddes hypothèses moléculaires. »Faisant le
lien entre les travaux des chimistes et ceux des
physiciens, ses expériences mettent un terme à
ime querelle d'uusiècle.
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Parvenu, par des voies expérimen
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tales différentes, à déterminer des
C^i valeurs du nombre d'Avogadro très
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î>\ proches les unes des autres, Jean
Perrin ne doute pas que cette
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concordance ait une cause
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commune. En parlant de i< réalité
moléculaire >>, il vient mettre un * «s. ^ % ..' A
terme à un siècle de controverses.
Par Mary-Jo Nye
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[(cid:127)'f: -M
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Découvertsurdesgrainsdepolfen
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-' (cid:127)(cid:127)
ensuspension,lemouvement
î- î'ss'«(cid:127)
brownienvapermettreàJeanPerrin -V
d'apporterlapreuveexpérimentalede k.
l'existencedel'atome
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VC-A.-,-
(cid:127)V'^.
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La preuve par les aomrres
En 1913, presque exacte
Cesvaleurssontcomprises entre confère«uneprobabilitéà laréalité
ment un siècle après 6.0 X10"et 7.5 x 10". Pour neuf moléculaire qui frise la certitude...
qu'Avogadro ait formulé d'entre elles, la fourchette est La théorie atomique a triomphé ».
l'hypothèse qui porteson encore plus serrée :entre 6.2 et Triomphé de quoi?Dedécennies
nom, le physicien français Jean 6.9X10". Perrin ne doute pas que de polémiques.
Perrin publie un ouvrage au titre l'obtention, par des voies expéri Ausiècleprécédent, les savants
limpide :LesAtomes. 11y présente mentales différentes, devaleurs de - le fait peut surprendre- ont en
treizevaleurs du nombre d'Avoga- Naussiprochesles unes des autres effet passé leur temps à parler
dro (M), chacuneobtenuede façon puisse passer pourincroyable. Nul d'atomesetdemoléculessansvrai
expérimentale, à partir d'un phé miraclelà-dedans, prend-ilsoinde ment croire à leurexistence. Pour
nomènedifférent. préciser. Ce résultat, écrit-il, de nombreux chimistes, dont le
Français Berthelot, ou physiciens,
tel l'Allemand Mach, ce qu'on
appelait r« atome »renfermait en
effet unestructureinterne.A s'en
tenirà ladéfinitionstrictedumot-
ce qui est indivisiblene peut être
coupé-1'« atome»ne pouvaitdonc
exister, ni dans la réalité, ni même
comme hypothèse. En France,
Berthelot, fort de ces convictions
et de son entregent dans les
milieuxéducatifs, aréussi àempê
cher la seule présence de ce mot
dans les amphithéâtres et les
sujetsd'examen.
AlafinduXIX®siècle, iln'esttou
tefois pas leseulmilitant de l'anti-
atomisme. Les physico-chimistes
WilhelmOstwald etPierreDuhem,
plaidant pour une refonte com
plète de la chimie autour du
concept d'énergie, sont euxaussi
pour l'abandon, dans cette
science, de toute référence aux
notions d'atomes et de molécules.
Aleurs yeux, les poids caractéris
tiques impliquésdans les réactions
chimiques n'ont rien à voir avec
unequelconquediscontinuitéde la
matièreàl'échellemicroscopique.
Quelquesvoix,nonsanscourage,
s'étaient élevées contre de telles
propositions. Ainsi, celle du chi
misteanglais Thorpe qui, dans ses
Essays in Historical Chemistry,
publiés en 1894,faisait partde son
effarement. Ou, de façon encore
plus critique, celle du physicien