Art et littérature Le voyage entre texte et image FAUX TITRE 286 Etudes de langue et littérature françaises publiées sous la direction de Keith Busby, M.J. Freeman, Sjef Houppermans et Paul Pelckmans Art et littérature Le voyage entre texte et image Sous la direction de Jean-Loup Korzilius AMSTERDAM - NEW YORK, NY 2006 Conception couverture: Carole Thonnelier - [email protected] The paper on which this book is printed meets the requirements of ‘ISO 9706: 1994, Information and documentation - Paper for documents - Requirements for permanence’. Le papier sur lequel le présent ouvrage est imprimé remplit les prescriptions de ‘ISO 9706: 1994, Information et documentation - Papier pour documents - Prescriptions pour la permanence’. ISBN-10: 90-420-2052-0 ISBN-13: 978-90-420-2052-8 © Editions Rodopi B.V., Amsterdam - New York, NY 2006 Printed in The Netherlands SOMMAIRE 7 > 30 Introduction - Résumés 31 > 60 Jean-François Kosta-Théfaine Du récit de voyage et de sa mise en image: l’exemple du manuscrit de New York (Pierpont Morgan Library M.723) du Devisement du Mondede Marco Polo 61 > 86 K.Michelle Hearne Le Voyage de Gênes: The Queen’s Perspective 87 > 114 Véronique Boucherat Le journal de voyage et les dessins de Dürer aux Pays-Bas (1520-1521): des lectures complémentaires 115 > 136 Frank Muller Vers “la belle et féconde Italie, riche en nobles constructions...” : un prince et un architecte allemand en pèlerinage artistique à la fin du XVIe siècle 137 > 168 Léna Widerkehr Au fil du Rhin : invitation européenne au voyage entre texte et image de1570 à1660 169 > 194 Sophie Linon-Chipon Itinéraire d’un “viator pictor” : le regard de Corneille Le Brun, dans son Voyage du Levant(1674 -1693) et la mise en image de Smyrne/Izmir 195 > 216 Richard Parisot L’oeuvre d’art dans les récits de voyage de pasteurs germanophones à la fin du XVIIIe siècle: jeux d’images et d’influences 217 > 252 Jean-Loup Korzilius Entre imaginaire et réalité: l’Italie décrite et peinte chez Arnold Böcklin et Hans Von Marées 253 > 274 Gabriele Padberg Heinrich Vogeler : Ala recherche du “paradis sur terre” 275 > 294 Chloé Conant Les voyages photolittéraires de la plasticienne Sophie Calle: une cartographie plurielle 295 > 314 Annick Lantenois et Luc Dall’Armellina Texte et hypertexte. Du voyage à l’errance Page laissée blanche intentionnellement Art et littérature : le voyage entre texte et image Articles réunis et présentés par Jean-Loup Korzilius INTRODUCTION Depuis l’Antiquité, le mot, l’image et leurs relations exercent sur les esprits une fascination particulière. Souvenons-nous d’Horace qui, dans son célèbre vers “Ut pictura poesis”, maria pour des siècles les deux entités tout en consignant ainsi leur nature supposée distincte. Est- ce à cause de leur antinomie formelle qui s’est imposée de façon si radi- cale en Occident? Que dire, par ailleurs, de la grande diversité des sup- e ports plastiques surtout depuis la fin du XIX siècle – photographie, affiche, cinéma, vidéo… – devant laquelle les lettres font, malgré leurs registres variés –du poème au traité philosophique –, presque figure de parents pauvres? Toujours est-il que les relations décelables entre les images et les mots, avec leur structure propre, et que régissent des logiques respectives forgées au fil du temps, offrent un champ d’inves- tigation extrêmement vaste, régulièrement objet de recherches scienti- fiques plus ou moins pointues1. Face aux innombrables points de vue que l’on peut développer en com- parant ce qui appartient aux arts visuels avec ce qui appartient à la littérature2, la finalité du présent corpus d’études se veut délibérément 1 - Des recherches si fréquentes d’ailleurs que des redondances sont inévitables. Citons comme exemple de la diversité des approches les trois épais volumes, car touchant à tous les domaines artistiques, de Literature and the other arts(Innsbruck, 1979), le cor- pus de textes de De la palette à l’écritoire(Nantes, 1997) ou plus récemment celui d’inspiration avant tout littéraire de L’art du roman, l’art dans le roman(Berne, 2000). 2 - Il va de soi que l’opposition entre “art”et “littérature”ne fait que refléter un état des choses culturellement établi. Cela mènerait trop loin, et serait hors de propos comptetenu du sujet traité ici, que de développer les nombreuses infiltrations de la dimension scrip- turale dans les démarches plastiques modernes dont les débuts remontent aux caractères d’imprimerie que Georges Braque peignit dès 1911 dans ses tableaux, et qui prirent ensuite les formes les plus diverses (peinture gestuelle d’un Hans Hartung, banderoles critiques d’une artiste conceptuelle comme Barbara Krüger e.a.), sans parler du phéno- mène très fort depuis une quinzaine d’année du livre d’artistes. S’agissant de nos limites, il en va de même et inversement pour l’insistance sur le caractère “plastique”dans le domaine de l’écriture, tant du point de vue de la manipulation des mots (comme chez les représentants de l’Internationale situationniste ou chez Pierre Guyotat) que du point de vue de l’esthétique littéraire (l’écriture automatique des surréalistes par exemple). 8 “ARTETLITTÉRATURE: LEVOYAGEENTRETEXTEETIMAGE” simple et… double: d’une part, écriture et création artistique sont abor- dées en parallèle, sans hiérarchisation, ni direction de lecture fixées à l’avance; d’autre part, et dans un deuxième temps, la réflexion sur le rapport texte et image se nourrit de l’échange se produisant entre eux. Il s’agit donc de ne pas se laisser guider par une conception déjà toute faite de la singularité du champ artistique en le délimitant du champ lit- téraire, ou vice versa. Notre propos est de les appréhender conjointe- ment ou du moins dans leur ordre d’apparition contextuelle, à l’aide de faits marquants et variés, sans partir de postulats théoriques qui, au regard de l’étendue de la problématique, ne sauraient être vraiment satisfaisants et ne le seront sans doute jamais. En effet, si le rapport texte-image soulève tant de questionnements épistémologiques, c’est qu’ils s’enracinent, comme on l’a dit, dans des découpages fondamentaux de la culture occidentale – le logosimmatériel étant depuis Platon et Aristote préféré à l’eikon fabriqué –, et que les interrelations multiples, ou perçues comme telles, entre l’image et le mot ne parviendront en principe jamais à combler ce clivage conceptuel initial. De surcroît, même poser la question du rapport texte-image – ce qui sous-entend le principe d’une interaction se produisant entre les deux modes d’expression – soulève quantité d’interrogations plus épi- neuses les unes que les autres. Malgré l’intérêt que cela représenterait, et à l’instar des observations faites quant aux contraintes matérielles et scientifiques restreignant dans le présent volume comme ailleurs l’approche de la problématique, la validité, l’historicité ou la pertinen- ce d’une telle définition du problème – et en faire un problème implique aussi une série d’a priori théoriques et conceptuels dont nous sommes les dépositaires… – ne peut pas être débattu dans les articles réunis ici. Il convient néanmoins de souligner encore une fois que la question du rapport tient intrinsèquement à notre culture et qu’elle est à ce titre ni neutre ni évidente en soi3. Prenant acte de cette situation, notre propos n’est pas de refaire ce qui a déjà été élaboré par d’autres ni, cela va de soi au regard de l’ampleur des enjeux, de prétendre renouveler les débats en cours. Cependant et en dépit de ces réserves, les modalités d’aborder le sujet ne sont assu- rément pas épuisées pour autant. C’est pourquoi, au lieu de se focaliser comme cela se fait peut-être trop souvent sur l’écart existant entre le 3 - Dans les aires culturelles extrême-orientale et musulmane par exemple l’écriture est intimement associée à la peinture dans la calligraphie. “ARTETLITTÉRATURE: LEVOYAGEENTRETEXTEETIMAGE” 9 textuel et l’iconique – que cet écart soit interprété comme un effet de culture, d’un processus créateur individuel ou d’une démarche intellec- tuelle plus ou moins confirmée –, il a semblé préférable de procéder de manière inverse: textes et images devaient pouvoir être sollicités sans un écran intermédiaire, sans rupture et par des circonstances factuelles à peu près identiques. Un angle d’approche était donc requis grâce auquel on respectait la nature ambivalente et complexe de la problématique. L’approche devait en quelque sorte être menée de biais, de façon indirecte afin d’éviter de poser le rapport texte-image d’emblée comme questionnement au centre des enquêtes. Celles-ci, en revanche, nécessitaient d’être centrées selon une ligne directrice clairement déterminée. Même si ou parce qu’il ne constituait pas l’objet d’étude premier et unique, le rapport texte-image demeurait ainsi un objet de réflexion à part entière, mais second, en retrait et était de ce fait, ou nonobstant ce fait, pas moins clairement mis en exergue. Ainsi se profilait la possibilité réelle, sinon de comprendre, du moins de pouvoir décrire in vivo, à savoir à travers l’analyse d’une série d’exemples parlants, comment l’image et le mot se rapportent l’une à l’autre. Le principe d’assembler des cas dans lesquels la part artistique et la part littéraire s’allient par une chaîne causale se trouvait par ailleurs conforté par le constat qu’il existe quantité de situations créatives pour l’homme dans lesquelles l’ordre plastique et l’ordre scriptural n’apparaissent pas si éloignés l’un de l’autre comme on aurait tendance à le penser au pre- mierabord. Il ne pouvait cependant pas être de nouveau question de s’a- venturer dans des subtilités philosophiques sur “la confrontation (...) du discours et de l’image”4en réfléchissant au “combat inégal”que se livrent nos deux entités sur “le sol du langage”; pas plus que de penser à leur sujet “qu’il doit bien y avoir là plus une réalité profonde qu’une spécu- lation oiseuse”5 et qu’il serait un tant soit peu possible d’élucider “le 4 - Ici et suivantes: Jacqueline Lichtenstein: L’éloquence de la couleur, Paris: coll. Champs Flammarion, 1999, pp.10 et 14. - Apropos des questions soulevées par cet ouvrage, précisons qu’elles ne recoupent qu’en partie notre problématique: l’auteur décrit en effet la relation souvent conflictuelle entre la peinture avec ses “discours”spé- cifiques et, d’une part, la philosophie et, d’autre part, la rhétorique en tant qu’intermé- diaire. L’image est présentée comme prédéterminée dans sa conception par le discours savant du philosophe; au XVIIe siècle, elle tente de s’en dégager (le célèbre Débat sur le coloris). 5 - Ici et suivante: Mario Praz,Mnémosyne, Paris: G.J. Salvy, 1986, p.10. - La position de Praz peut se définir comme humaniste: l’art sous toutes ses formes permet à l’homme