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Aristote au mont Saint-Michel : les racines grecques de l'Europe chrétienne PDF

277 Pages·2008·8.742 MB·French
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SYLVAIN GOUGUENHEIM STOTE AU MONT-S T-MICHEL Les racines grecques de l'Europe chrétienne ÉDITIONS DU SEUIL 27, rite Jacob, Paris VI• Ce livre est publié dans la collection L'UNIVERS HISTORIQUE dirigée par Laurence Devillairs 978-2-02-096541-5 ISBN , © Editions du Seuil, mars 2008 Le Code de la propriété intellectueUe interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collecti\•e. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que cc soit, S2ns le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constirue une conttefaçon sanctionnée par les articles L. 335·2 et suivancs du Code de la propriété intcllecruelle. www.seuil.com Les Grecs nous ont, en grande partie, << inventés. Notamment en définissant un type de vie collective, un type d'attitude religieuse et aussi une forme de pensée, d'intelligence, des techniques intellec tuelles, dont nous leur sommes en grande partie redevables. L'histoire de l'Occident commence avec eux. >> Jean-Pierre VERNANT Le livre en chrétienté est comme << l'eau, comme le sang: il irrigue la vie de ,. 1ame. >> Monique DOSDAT AVANT-PROPOS Dark Ages ... A Les âges sombres>> du Moyen Age sont de retour. L'his- << toire culturelle de l'Europe, pourtant éclairée depuis plu sieurs déce11nies par les travaux de nombreux médiévistes, fait l'objet d'une révision. S'impose désorn1ais l'image biai sée d'une chrétienté à la traîne d'un Islam des Lumières>>, << auquel elle devrait son essor, grâce à la transmission d'un savoir grec dont l'époque médiévale avait perdu les clés. On parle d'un héritage oublié>>, dont il faudrait rendre << conscients les Européens 1 • La thèse n'aurait en soi rien de scandaleux, si elle était vraie. Il reste qu'elle repose sur un certain nombre de raccourcis ou d'approxi1nations, et qu'elle fait l'économie d'une série d'élé ments historiques pourtant bien établis. Elle relève ainsi, mal gré les apparences, plus du parti pris idéologique que de 2 l'analyse scientifique On oublie en effet la pe1111anence • de l'attrait pol!r la Grèce antique au cours des premiers siècles du Moyen Age, ainsi que les composantes culturelles grecques de la religion chrétienne. On oublie aussi que la Grèce survivait en partie au sein de la vaste construction politique et civilisationnelle qu'était l'Empire byzantin, empire que l'on évacue de l'histoire européenne. De la sorte, on laisse sous silence les échanges culturels, la circulation des manuscrits et des lettrés entre Byzance et l'Occident, ainsi que le rôle des traducteurs du grec en latin, authentiques passeurs de savoir. Au cœur de ces divers processus se situe l'œuvre immense réalisée au début du XIIe siècle par Jacques 9 ARISTOTE AU MONT-SAINT-MICHEL de Venise et les moines du Mont-Saint-Michel, encore trop , ignorée - ou occultée. Egalement absents de nombreux livres ou publications, les chrétiens d'Orient, les savants nestoriens, qui, par un immense et séculaire effort de traduction du grec au syriaque puis du syriaque en arabe, conservèrent le savoir grec, pour finir par le transmettre à leurs conquérants musul mans. En somme, l'histoire du développement culturel de l'Europe médiévale, et en particulier de sa réappropriation du savoir grec, histoire dense et complexe, n'obéit pas au schéma trop simple et trop linéaire qui tend de nos jours à s'imposer. C'est donc à une tentative de rééquilibrage scien tifique d'une vision unilatérale et orientée que je me suis ici attelé, en voulant donner à un public aussi large que pos sible, en dépit de leurs aspects techniques ou érudits, des éléments d'info1111ation et de comparaison issus des travaux de spécialiste, souvent peu médiatisés. Mon intention n'est pas polémique, sauf à considérer comme tel le souci de réfuter des discours faux. Au seuil de cet essai, il m'est agréable de remercier toutes les personnes qui ont répondu à mes fréquentes sollicitations et m'ont beaucoup aidé par leurs encouragements et leurs conseils, voire leurs relectures attentives et leurs suggestions : Nicolas Champoux, Jacqueline Desloy, Markus EgeuI1eyer, , Eric Levaillant, Christian Levasseur, Djamel Manar, Roland Mauri, René Marchand, François-Olivier Touati ont droit à toute ma gratitude. INTRODUCTION Histoire d'une transmission Que les <<Arabes>> aient joué un rôle déterminant dans la formation de l'identité culturelle de l'Europe [est une chose] qu'il n'est pas possible de discuter, à moins de nier l'évidence 1. C'est cette <<évidence>> que je crois pourtant possible de discuter, notamment en raison de l'ambiguïté du ti::11nc «Arabes>> - que révèle d'ailleurs l'emploi de guillemets par l'auteur. S'exprime ici une vision de l'histoire qui tend à deve nir une opinion commune, formulée sous la for111e de deux thèses complémentaires. La première est celle de la dette de l'Europe envers le monde arabo-musulman de l'époque abbasside (à partir de 751): l'Islam aurait repris l'essentiel du savoir grec, l'aurait ensuite transmis aux Européens, et serait donc à l'origine du ~ réveil culturel et scientifique du Moyen Age, puis de la Renaissance. La deuxième thèse est celle des racines musul manes de la culture européenne: la pensée, la culture et l'art européens auraient été engendrés, au moins en partie, par la civilisation islamique des Abbassides. L'ensemble donne de l'histoire de l'Europe et de son iden tité une image qui contredit la vision classique, celle des << racines grecques>> et de l'identité chrétienne du monde occidental. Ces deux thèses opposées s'appuient sur des lec tures contradictoires d'une même période où tout semble ~ s'être joué, c'est-à-dire la première partie du Moyen Age, entre les et siècles. C'est sur eux que va porter notre vie XIIe 11 ARISTOTE AU MONT-SAINT-MICHEL étude; à partir du x siècle, les faits sont trop bien établis 111c pour qu'il vaille la peine de les reprendre. LUMIÈRES DE L'ISLAM, ÂGES SOMBRES DE LA CHRÉTIENTÉ? La lumière vient de l'Orient. .. De l' << intern1édiaire arabe>> à I' << Islam des Lumières>> Reprenons l'argument de la dette. Tout commencerait avec l'arrivée en Occident des écrits venus du monde arabo musulman. Celui-ci, animé, à partir de l'époque abbasside, par une << fébrilité de savoir2 >>, une immense soif de connaissances, aurait découvert et assimilé l'ensemble de la pensée grecque. Grâce aux traductions en arabe, les œuvres des philosophes, des médecins et des mathématiciens antiques auraient, dans un premier temps, fécondé l'Empire musulman, puis, lentement traduites de l'arabe en latin, auraient ensuite, à partir du xne siècle, irrigué le monde médiéval. C'est donc grâce à l' << extraordinaire développement intellectuel et scientifique>>, à un<< bouillonnement considérable dans les domaines privilé giés : philosophie, médecine, sciences >>3 survenus aux et , VIIIe IX" siècles, que, trois à quatre cents ans plus tard, l'Europe aurait à son tour pris son essor scientifique. On place donc au cœur de la dynamique européenne cet immense mouvement de traduction des œuvres grecques, consécutif à la découverte des versions arabes de ces mêmes œuvres. Ainsi que l'exprime un manuel universitaire, pris par111Ï d'autres: La science grecque se transmet principalement aux Latins par l'intermédiaire de l'Islam et la plus grande partie de ce retour aux sources s'opère dans l'Espagne redevenue chrétienne grâce à la Recrmqitista. C'est là que des clercs de toute l'Europe, y compris d'Italie, viennent à partir du XII" siècle puiser aux sources arabes, et, en les traduisant, contribuent à la redécouverte de la science grecque 4. 12 HISTOIRE D'UNE TRANSMISSION Corollaire de cette proposition: l'Islam aurait fait fructi fier ce savoir grec et se serait ainsi profondément hellénisé, constituant de la sorte le trait d'union entre les civilisations de l'Antiquité et de la Renaissance. Au-delà de la dette que représente cette transmission, l'Europe serait également redevable envers l'Islam d'une part essentielle de son identité. L'idée du rôle d'interrnédiaire 5 joué par les Arabes a ainsi été englobée dans une thèse plus large, celle du rayonnement d'un << Islam des Lumières>>. Il ne s'agit plus seulement de dire qu'un peuple et sa langue ont transmis un savoir mais d'attribuer à une civilisation et à une religion une supériorité culturelle sur ses voisines et un rôle de matrice. L'empire des Abbassides aurait non seulement été un <<pont>> entre !'Antiquité et l'Occident latin, mais aurait de surcroît, durant près de quatre siècles, constitué un univers créatif, à l'origine d'une révolution scientifique6 On . se réfère souvent, pour illustrer cet âge d'or, à la célèbre << Maison de la Sagesse>> de Bagdad. Là, juifs, chrétiens et musulmans auraient échangé leurs connaissances dans les do111aines scientifique et philosophique, à une époque où l'Occident latin demeurait en retard, avant d'être bientôt gagné par le <<fanatisme>> des croisades. Nombreux sont les intellectuels, historiens, islamologues, écrivains, de toutes origines, qui ont repris et diffusé cette thèse 7 Récemment, le 19 avril 2007, dans un article intitulé • << Les vraies racines de l'Europe>>, Mme Zeinab Abdel Aziz, professeur de civilisation française à l'université Al-Azhar du Caire, parlait des << huit siècles de la présence fondatrice de l'islam en Europe>>: Tout l'Occident dans son ense1nble a été édifié sur l'apport indéniable de l'islam [. ..] . C'est grâce aux penseurs arabes que l'Europe a connu le rationalisme8 • Du côté européen, J.-P. Roux, spécialiste du monde turco-mongol, écrivait en 1983 : 13 ARISTOTE AU MONT-SAINT-MICHEL L'Europe ne serait pas ce qu'elle est si elle n'avait connu l'islam. Il appartient à son patrimoine 9. Des nuances sont parfois proposées, ainsi de la part d'uni versitaires arabes chrétiens qui mettent l'accent sur la nature plus arabe que musulmane de la civilisation abbasside (où, pourtant, les Persans jouèrent un rôle essentiel). Enfin, au sein des islamologues occidentaux, les jugements sont par 10 tagés, allant de l'adhésion totale à une profonde réserve • Mais la thèse la plus médiatisée est bien celle qui confère à l'Islam médiéval la paternité de l'essor de la civilisation euro- , péenne. A cette présentation s'ajoute une vision spécifique du monde européen: sans l'entregent de l'Islam, l'Europe ne A serait pas sortie des âges sombres>> du Moyen Age. << Dark Ages: débat scientifique et enjeu politique La théorie de la dette de l'Europe implique celle de la prééminence du monde musulman sur la chrétienté médié- , vale. Une sorte de légende noire du Moyen Age semble de vne nouveau prendre le dessus ; elle donne de l'Europe des siècles l'image réductrice d'un continent arriéré, enfermé Xlle dans les Dark Ages - cliché que des historiens médiévistes avaient pourtant cru réfuter. Ce contraste entre les deux civilisations est attribué à la nature même du Dar al-Islam, présenté sous les séduisantes couleurs d'un univers de tolérance religieuse, d'ouverture culturelle, d'essor scientifique rationaliste, bref une civilisa tion supérieure à ses homologues chrétiennes, byzantine ou latine, et somme toute fort proche de la civilisation idéale, du moins telle qu'on se la figure de nos jours en Occident. Sous l'influence de l'actualité, le sujet a pris une dimension politique. Les enjeux, on le devine, ne sont pas minces en ce début de siècle. Ils s'inscrivent dans le long face-à-face XXIe entre l'Islam et l'Occident (la remarque vaut également pour la confrontation entre l'Islam et le monde hindou). C'est pourquoi, à l'heure où l'on se propose de rectifier les manuels 14

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