Archives et nations dans l’Europe du XIXe siècle Bruno Delmas et Christine Nougaret (dir.) DOI : 10.4000/books.enc.640 Éditeur : Publications de l’École nationale des chartes Année d'édition : 2004 Date de mise en ligne : 26 septembre 2018 Collection : Études et rencontres ISBN électronique : 9782357231191 http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782900791653 Nombre de pages : 262 Référence électronique DELMAS, Bruno (dir.) ; NOUGARET, Christine (dir.). Archives et nations dans l’Europe du XIXe siècle. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Publications de l’École nationale des chartes, 2004 (généré le 03 mai 2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/enc/640>. ISBN : 9782357231191. DOI : 10.4000/books.enc.640. Ce document a été généré automatiquement le 3 mai 2019. Il est issu d'une numérisation par reconnaissance optique de caractères. © Publications de l’École nationale des chartes, 2004 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 1 Dans l'Europe du XIXe siècle, des virtualités nationales s'affirment et aspirent à une consécration étatique. Chaque instance nationale, reconnue ou émergente, voulait alors se fonder sur une tradition d'histoire, sur une inscription monumentale dans les annales politiques. Cette prétention de mémoire comportait des aspects archivistiques singuliers. La constitution d'archives nationales pouvait ainsi devenir un enjeu politique puissant, représenter une sorte d'attribut de la souveraineté. Les travaux des érudits et des historiens cherchaient à appuyer les écrits des poètes et des politiques. Plus trivialement, les réalités des archives, leur caractère massif ou résiduel, les nécessités de l'administration courante se conjuguaient avec la culture politique pour justifier l'érection de nouveaux lieux du savoir. Cette carte des nouveaux dépôts nationaux pouvait, ou non, se confondre avec celle des États. Chaque projet archivistique suscitait sans doute sa part de transferts, de démembrements, de destructions ou de sauvegardes de fonds d'archives. Des bâtiments médiocres ou solennels, plus ou moins fonctionnels, pouvaient être les traductions architecturales de ces choix. Des conséquences historiographiques en résultaient certainement. L'interaction des enjeux politiques et des évidences matérielles des fonds offraient sans doute plusieurs modèles possibles, selon les conjonctures propres à chaque nation. De nombreuses pistes de recherche sont donc ouvertes : rapports de la chronique archivistique et des histoires politiques nationales, comparaison avec les évolutions contemporaines des autres lieux de savoir (musées, bibliothèques), liens avec d'autres mouvements culturels, influences sur l'écriture de l'histoire et son enseignement, etc. 2 SOMMAIRE Préface Yves-Marie Bercé Présentation Bruno Delmas Introduction Pierre Nora Modèles européens d'Archives nationales Un pays, deux traditions. Les archives du Royaume-Uni Patrick Cadell Les Archives nationales de Suède : un cas atypique dans l’Europe du XIXe siècle ? Alain Droguet LES DÉBUTS (XVIIe-XVIIIe SIÈCLES) LES ARCHIVES NATIONALES DEVIENNENT UNE INSTITUTION DE RECHERCHE HISTORIQUE (XIXe SIÈCLE) QUELQUES RÉFLEXIONS GÉNÉRALES SUR LA PARTICULARITÉ DU CAS SUÉDOIS UNE RAPIDE TENTATIVE DE COMPARAISON AVEC LES AUTRES PAYS NORDIQUES La protection du patrimoine écrit, miroir de l’histoire polonaise au XIXe siècle Daria Nałecz Les archives du Royaume de Bohême et le nationalisme tchèque au XIXe siècle Bernard Michel L’institutionnalisation des archives et la quête de l’identité nationale en Croatie dans la seconde moitié du XIXe siècle Josip Kolanovic LES DÉBUTS LA PÉRIODE DE LA RÉVOLUTION ET DE LA CONSTITUTION ACCORDÉE (1848 À 1861) RÉGLEMENTATION DES ARCHIVES NATIONALES RÈGLEMENT SUR LA CONSULTATION DES DOCUMENTS D’ARCHIVES L’ORGANISATION ET L’ACCROISSEMENT DES ARCHIVES Les archives italiennes et l’unification nationale Marco Carassi Origine et mémoire du Grand-Duché de Luxembourg Frédéric Laux 1. — 1815-1839 : VERS LA CRÉATION D’UN SERVICE D’ARCHIVES PROVINCIALES ? 2. — 1839-1867 : LES DÉBUTS DE L’ÉTAT : LES ARCHIVES, PROBLÈME ET ENJEU 3. — 1867-1918 : ARCHIVES ET ÉMERGENCE DE LA CONSCIENCE NATIONALE CONCLUSION Les documents au service de la Nation Le partage des archives de l’État pontifical Bernard Barbiche 3 Les « monuments de l’histoire nationale », documents d’archives ou manuscrits de bibliothèques ? Françoise Hildesheimer 1. — LA GENÈSE 2. — LA NON-APPLICATION 3. — LE TEMPS DES CONFLITS ET DÉBATS Nation, archives et bibliothèques au XIXe siècle Claude Jolly Les grandes entreprises européennes d’édition de sources historiques des années 1810 aux années 1860 Olivier Guyotjeannin 1. — L’EUROPE DES ÉDITEURS 2. — QUOI ET COMMENT ? Un monument de papier à la gloire du Premier Empire : l’édition de la correspondance de Napoléon Ier sous le second empire Jacques-Olivier Boudon LA PREMIÈRE COMMISSION DE LA CORRESPONDANCE LA PRISE DE CONTRÔLE DE L’ÉDITION PAR LES ARCHIVES DE L’EMPIRE LA CRÉATION DE LA SECONDE COMMISSION L’EXALTATION DE L’EMPIRE Musées et conscience nationale Les musées d’histoire et la conscience nationale : le cas de la France au XIXe siècle Dominique Poulot LE « MUSÉE » D’HISTOIRE DISCRIMINATOIRE : LE WESTMINSTER FRANÇAIS LE MUSÉE D’HISTOIRE SOUS LA RÉVOLUTION : UNE RUPTURE SANS VÉRITABLE AVANCÉE LE TRADITIONNALISME OU L’INVENTION D’UN SYSTÈME DE LA MÉMOIRE FRANÇAISE L’INVENTION DU MUSÉE D’HISTOIRE : CONTINUER LES ANNALES DE LA FRANCE LE MUSÉE D’HISTOIRE DEVIENT UN ÉLÉMENT LÉGITIME DU CHAMP MUSÉOGRAPHIQUE « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante » : 1867, le marquis de Laborde et le Musée des Archives Ariane James-Sarazin Remarques finales Krzysztof Pomian Bibliographie relative aux archives nationales de France au XIXe siècle Résumés/Abstracts Résumés Abstracts 4 NOTE DE L’ÉDITEUR Actes du colloque organisé par l'École nationale des chartes (Paris, 27-28 avril 2001) 5 Préface Yves-Marie Bercé 1 Le XIXe siècle, selon un dire commun, serait par excellence l’époque d’affirmation des États nationaux et, de façon aussi incontestable, le moment de la plus forte croyance aux mérites d’une histoire scientifique, qui se croyait capable de comprendre le cours des temps et de lui prescrire des lois. Cette apparence de rencontre entre les prestiges des institutions nationales et les écrits des historiens est à l’origine de ce colloque et de son projet de recherche. Deux institutions avaient une vocation native pour coopérer à cette étude. Les Archives nationales de la France qui avaient reçu leur sanction administrative en ce siècle et l’École nationale des chartes qui compte à peu près la même ancienneté et dont une des démarches érudites essentielles est la connaissance des domaines de la documentation. Cet exemple de collaboration intellectuelle résultant ici d’une sorte de fortune chronologique, trouvera, j’en suis sûr, constamment dans l’avenir de nombreuses autres occasions d’exercice. 2 En ce moment de fascination des destins nationaux, quelle place, quels rôles étaient dévolus aux savoirs et techniques qui servaient à l’écriture de l’histoire ? Quelles influences les archives, considérées comme auxiliaires de cette science, pouvaient-elles exercer sur le train des connaissances et sur les cheminements des politiques ? 3 Le modèle français de constitution d’un dépôt national d’archives à Paris et de réseaux de dépôts départementaux à travers le territoire est sans doute le mieux connu des systèmes archivistiques ; il a été proclamé, expliqué ; il a convaincu, il a duré ; il s’est révélé avec le temps puissant et efficace. Son organisation est contemporaine de la croissance de la forme républicaine de l’État ; son histoire se confond plus ou moins avec celle de l’instauration d’une légitimité républicaine ; de ce fait, les convenances d’une histoire politique militante se sont appliquées pendant deux siècles à fixer cette liaison, à valoriser cette image. Le modèle français a été diffusé dans d’autres pays. Cette imitation résultait de la conviction de jeunes élites s’éblouissant des événements parisiens, elle était parfois une réforme imposée par les succès des armes napoléoniennes ; ou, plus simplement, le système était adopté du fait de sa valeur opérationnelle. Le modèle français n’était cependant pas unique. On ne peut pas ne pas noter qu’avec d’autres contextes politiques, au cœur d’autres chroniques nationales, des organisations d’archives apparaissaient à peu près au cours des mêmes décennies dans toutes les 6 nations de l’Europe. La nécessité d’une étude comparatiste est ainsi introduite. Quelles ressemblances ou divergences avec le cas français pourrait-on ici ou là reconnaître ? Quelles circonstances, quels principes et quels motifs immédiats, quelles références pratiques, quels rattachements ministériels étaient envisagés dans les différents pays ? 4 Le souci de fonder le discours historique sur des preuves textuelles, remontant aumoins au XVIe siècle, s’imposait désormais sans conteste dans les générations de l’âge romantique. Certes la volonté de conservation de certains documents était pluriséculaire et ne s’inventait pas en cet instant. Mais le statut public de ces documents était une innovation ; les raisons de leur conservation, leurs articulations institutionnelles, leurs destinataires changeaient. Les archives avaient depuis les temps médiévaux fourni des magasins de droits, les preuves des pouvoirs territoriaux ou fiscaux d’un souverain et de sa couronne ; dans les cours et tribunaux, elles offraient la trace certaine d’une pratique judiciaire et administrative, le fondement de la jurisprudence. Elles avaient sous toutes ces formes une fonction mémorielle très utilitaire, évidente, directe, applicable dans l’immédiat pour servir les desseins d’une couronne ou bien pour donner la juste solution d’un procès. Elles n’étaient compréhensibles, accessibles même, que pour de savants greffiers, de grands magistrats qui en conservaient les secrets et les redoutables usages. Cette très ancienne fonction pratique, juridique et polémique des archives est, à vrai dire, intemporelle ; elle se renouvelle à travers les époques ; elle se maintenait fortement à l’âge romantique. Au-delà des grands principes politiques et intellectuels proclamés par les législateurs français, l’ancienne fonction des archives gardait sa validité. On peut reconnaître cette continuité dans l’autonomie que tous les pays accordaient aux archives particulières de deux institutions régaliennes essentielles, l’armée et la diplomatie. Nulle part, les dépôts diplomatiques et militaires n’étaient confondus dans la masse commune des archives administratives. Sans hésitations, les décideurs considéraient que les plans des forteresses ou bien les traces exactes des manœuvres et des batailles passées avaient bel et bien une utilité tactique dans le présent. De même, les collections de traités, de droits et prétentions territoriales ou commerciales d’une nation n’étaient pas regardées comme des curiosités d’antiquaires mais comme les matériaux vivants au service des actions diplomatiques d’aujourd’hui et de demain. Jusque dans les Archives dites nationales, les fonctions probatoires traditionnelles, l’utilité institutionnelle, le recours politique immédiat étaient des motifs essentiels de conservation. Les nouveaux fonds gardaient une pertinence pratique, celle qu’avaient eu en leur temps les premiers parchemins du Trésor des chartes. C’est ainsi que lors des classements par séries, systématisés en France sous la Monarchie de Juillet, les premières lettres, supposées les plus solennelles et les plus utiles, furent réservées aux actes publics, aux lois, aux débats et travaux des assemblées qui représentaient désormais la nouvelle souveraineté. Il s’agissait aux yeux du législateur de donner aux citoyens libre accès aux archives de la souveraineté nationale, puisque selon les nouveaux grands principes fondateurs chacun de ces citoyens en détenait une part et qu’ils n’étaient pas supposés en ignorer les lois. 5 Les dépôts dits nationaux n’étaient pas cependant limités à la vocation utopique de sanctuaire des lois, de documentation politique, de temple de l’instruction civique. La préoccupation supplémentaire qui hâtait la constitution de ces conservatoires, c’était l’histoire. Elle s’affichait savante, et voulait se fonder sur des matériaux de base, des références, des démonstrations, tout comme dans les laboratoires ou les cliniques où s’élaboraient les sciences exactes ; elle voulait ignorer sa charge subjective ; elle se flattait de refuser toute sujétion. La référence nationale pouvait être parfois proclamée, ou le 7 plus souvent elle allait de soi ; en tout cas, elle n’était pas imaginée comme une éventuelle limite. A cette nouvelle vague d’historiens, il fallait des faits, des textes, des cotes d’archives, des appareils critiques et des pièces justificatives. 6 Souvent, le souci de conservation relevait de l’urgence. Il faut dire qu’en France, la rupture révolutionnaire s’était traduite avant tout par d’immenses destructions, inspirées d’abord par la logique totalitaire de l’événement puis continuées dans l’inertie et l’indifférence. C’est la confiscation des biens de l’Église qui avait entraîné les disparitions et dispersions les plus massives. Avec moins d’acuité, dans d’autres pays où le fisc de despotes éclairés avait porté la main sur les domaines ecclésiastiques, puis dans les territoires soumis à l’Empire napoléonien, de telles situations de déshérence d’archives inquiétaient les chercheurs les plus avertis. Il y avait donc dans les circonstances politiques des premières décennies du XIXe siècle un éperon pour la sauvegarde des archives et la survie de ces textes vénérables. 7 C’est dans ces contextes intellectuels et politiques que chaque capitale européenne envisageait l’établissement d’un dépôt particulier de documents précieux qui porterait sur un fronton architecture le titre d’Archives nationales. L’érection d’un tel bâtiment prenait la figure avec le passage des années d’une sorte d’attribut de l’État. Tout comme le choix d’un hymne, d’un drapeau ou d’uniformes militaires, l’existence d’un dépôt de documents liés au passé de la nation était dès lors un emblème régalien, c’est-à-dire une conséquence de la souveraineté. Chaque entité nationale voulait se doter d’un tel monument qui témoignerait de l’ancienneté de sa légitimité, c’est-à-dire de sa caution par l’histoire. Clio, nous le savons bien, tient boutique ouverte de faits et de théories, elle en a pour tous les chalands et change allégrement sa marchandise. Pour prendre une métaphore plus scabreuse, on dirait aussi qu’elle est assez bonne fille et a toujours des faveurs en réserve pour ses amoureux. Bref, il n’y avait pas de cause nationale dans le vieux continent qui n’espérât trouver chez elle des arguments, des pièces à conviction, des florilèges de faits vrais. 8 L’institution d’un dépôt d’archives politiques était aussi une des marques de l’originalité d’une nation ; elle avait un aspect sentimental inavoué, qui n’est pas sans analogie avec les recueils de poésies populaires ou bien avec les dessins des costumes pittoresques des campagnards. Les archivistes collectant les fonds des anciennes institutions et les chartriers en perdition ressemblaient beaucoup aux inspecteurs des monuments tentant de préserver de la ruine un monument de pierres ou aux folkloristes allant sur les chemins de campagne recueillir de la bouche de vieux paysans les contes, les chansons et les patois en voie de disparition. Ce souci d’échapper à l’oubli, de sauver de la destruction les traces culturelles du passé avait été peut-être plus précoce et plus vif dans les pays du Nord. Bien avant la France, des érudits de langue allemande, des antiquaires britanniques avaient eu le soin de collecter ces traces qu’ils regardaient comme les preuves du génie originel de leur nation. Prompts à l’enthousiasme, désireux de retrouver les reliques ou plutôt les bases de leur élan national, ils abandonnaient parfois et plus souvent qu’à leur tour les précautions de la critique et les minuties de l’érudition. La postérité a eu beau jeu de dénoncer leurs postulats et de soupçonner leurs forgeries. Les archivistes rassemblant et classant leurs fonds, les historiens coopérant aux grandes collections de textes n’avaient sans doute pas la naïveté des poètes, mais ils appartenaient aux mêmes générations ; leurs parti pris historiographiques n’étaient pas vraiment délibérés, l’apologie de la nation, le cheminement de cette instance à travers les siècles s’imposaient à leurs yeux comme une évidence. La référence à la nation, qu’elle fût volontaire ou 8 implicite, s’accordait avec l’institution archivistique ; les deux démarches allaient de pair et se confortaient l’une l’autre. C’était en l’honneur d’une nation qu’on construisait à grands frais un dépôt d’archives et de ces archives sortiraient des œuvres illustrant les fastes de cette nation. L’écriture de l’histoire savante devait se faire, ne pouvait mieux se faire que dans le cadre de ce nouveau dépôt dit national, dans le confort des salles de ce moderne monument. Cette écriture suivait des directives puissantes et invisibles, imposées par le choix des documents proposés aux chercheurs, ensemble immense et inédit et pourtant aussi bien spécifique et conditionné. 9 Comme en tout temps, les annales politiques de ce siècle ne sont pas univoques. L’adéquation entre une tradition historique, un peuple ou pays, une nation et enfin un État souverain peut connaître bien des avatars. Il n’est jamais dit que la conjonction d’un territoire et d’une certaine population doive engendrer une couronne et que si cette consécration politique advient elle soit éternelle. L’édifice impérial napoléonien, sa dislocation et la redistribution des frontières et juridictions en 1815, les changements apportés par les révoltes, guerres et congrès au-delà de 1848 ont bouleversé le découpage politique du continent. Ces résultats répondent assurément à des logiques et à des concours de forces historiques, mais un observateur lointain, ambassadeur persan, espion turc ou voyageur extraterrestre, serait tenté de les comparer au brassage d’un jeu de cartes. Les entités politiques qui émergeaient et prétendaient au statut envié d’État souverain se décoraient du nom de nation. En se dotant d’un dépôt dit national, elles accordaient rétrospectivement aux chroniques de leur passé une fonction de précurseur ; elles leur imposaient une mutation magique qui à partir des titres d’une principauté vassale, d’un archiduché satellite, d’une liberté citadine, voulait identifier l’origine, le berceau, la préfiguration de leur destin national. L’innovation pouvait se ramener à un changement de titulature sur le fronton d’un monument, ou bien s’étendre à de longs transferts de charretées d’archives entre des capitales déchues ou promues ; elle prenait toujours plus ou moins la forme secrète d’un remodelage du passé. 10 D’autres questions se posent encore. Ici et là, à travers l’Europe s’étaient formées des traditions administratives fort diverses ; elles entraînaient pour les nouvelles installations d’archives des situations incertaines dans l’appareil des institutions. L’aspect politique essentiel des documents conservés pouvait provoquer un rattachement au cœur même de l’État, à la personne du prince, aux organes les plus centraux du pouvoir. Il y avait une seconde hypothèse, l’accent mis plutôt sur l’authenticité, la fiabilité des textes pouvait les orienter vers un statut judiciaire. La fonction de mémoire des administrations indiquait une troisième dévolution possible, dans le cadre de quelque ministère des affaires de l’intérieur. Il était enfin envisageable de rapprocher la science du passé des autres connaissances répandues par un département de l’instruction publique. Quant à l’avatar français contemporain où un ministère dit de la culture a été lors de sa création étoffé grâce à l’adjonction de l’administration des archives, il n’entrait pas alors dans le champ des possibles. Pour le justifier en 1958, le législateur français a peut-être trouvé une ressemblance entre l’écriture de l’histoire et l’inutilité fondamentale des beaux arts. Ou bien encore les responsables ont-ils assimilé le soin des vieux papiers au luxe qu’encourageait le très ancien mécénat des rois, attirant les artistes à la suite des cours princières et suggérant à HenriIV le logis d’artistes au rez de chaussée de son palais du Louvre. Le cadre d’un colloque historique peut être l’occasion de s’interroger avec un peu d’impertinence sur la validité du modèle français, qui devient aujourd’hui assez