AANNNNUUAAIIRREE FFRRAANNÇÇAAIISS DDEE DDRROOIITT IINNTTEERRNNAATTIIOONNAALL LLXXII –– 22001155 –– CCNNRRSS ÉÉddiittiioonnss,, PPaarriiss T R A P À ARBITRAGE TRANSNATIONAL S ET DROIT INTERNATIONAL GÉNÉRAL (2015) É R TI Patrick JacOB* S - Franck LATTY** N arnaud de nanteuiL*** O TI DI É S R N C En dépit des critiques dont il est régulièrement l’objet, l’arbitrage transnational T • relatif à l’investissement continue de connaître des développements nombreux, R dont l’intérêt dépasse largement le cercle des spécialistes de la matière. Au titre A de l’année 2015, une trentaine de décisions ont été rendues publiques, qui se répar- P À tissent, outre plusieurs ordonnances procédurales, en douze décisions au fond 1 et S trois sur le quantum 2, dix décisions portant exclusivement sur la compétence et É la recevabilité 3, six décisions sur des demandes d’annulation 4, auxquelles il faut R TI - S (*) Professeur à l’Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines. N (**) Professeur à l’Université Paris Ouest, Nanterre La Défense, directeur du CEDIN. O (***) Professeur à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne. TI 1. CIRDI, Hassan Awdi e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du 2 mars 2015 ; CPA (CNUDCI), DI Khan Resources Inc., e.a. c. Mongolie, n° 2011-09, sentence du 2 mars 2015 ; CIRDI, OI European Group É BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015 ; CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, S n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015 ; CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009-04, R sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015 ; CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum N Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015 ; CIRDI, Lao Holdings NV c. C Laos, n° ARB(AF)/12/6, décision sur le fond, 10 juin 2015 ; CIRDI, Bernhard von Pezold, e.a. c. Zimbabwe, • n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015 ; CIRDI, Dan Cake SA c. Hongrie, n° ARB/12/9, décision sur T la compétence et la responsabilité, 24 août 2015 ; CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA R c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015 ; CIRDI, Adel a Hamadi Al Tamimi c. Oman, A n° ARB/11/33, sentence du 3 novembre 2015 ; CIRDI, Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence P du 25 novembre 2015. À 2. CIRDI, Mobil Investments Canada Inc. et Murphy Oil Corporation c. Canada, n° ARB(AF)/074, S sentence du 20 février 2015 ; CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona SA et Vivendi Universal É SA c. Argentine, n° ARB/03/19 et CNUDCI, AWG Group Ltd. c. Argentine, sentences du 9 avril 2015 ; CIRDI, R Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du 17 décembre 2015. TI 3. CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence du 9 janvier 2015 ; CIRDI, - Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur S l’exception d’incompétence, 13 février 2015 ; CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, N sentence du 3 avril 2015 ; CPA (CNUDCI), Detroit International Bridge Company c. Canada, n° 2012-25, O sentence sur la compétence, 2 avril 2015 ; CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, TI sentence du 9 avril 2015 ; CIRDI, Accession Mezzanine Capital LP et Danubius Kereskedöház Vagyon- DI kezelö Zrt c. Hongrie, n° ARB/12/3, sentence du 17 avril 2015 ; CIRDI, Ping An Life Insurance Company É of China c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015 ; CIRDI, Guardian Fiduciary Trust Ltd c. S Macédoine, n° ARB/12/31, sentence du 22 septembre 2015 ; CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras R SL c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015 ; CIRDI, Société N civile immobilière de Gaëta c. Guinée, n° ARB/12/36, sentence du 21 décembre 2015. C 4. Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur la demande d’annulation, 7 janvier 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Iberdrola Energia, SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, décision sur la demande d’annulation, 13 janvier 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, n° ARB/07/6, décision sur la demande d’annulation, 12 février 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’annulation, 14 juillet 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 857 20/10/2016 14:53:00 858 arbitrage transnational et droit international général ajouter trois décisions sur des demandes de réexamen ou de révision 5, et cinq T décisions sur des demandes de récusation 6. Rapporté aux cinquante-trois nouvelles R affaires enregistrées par le CIRDI dans l’année, ce bilan quantitatif confirme la A P vitalité de l’arbitrage d’investissement. À Parmi ces décisions, certaines retiendront l’attention d’un large public. Les S contempteurs du système se rassureront quelque peu en constatant que les É R demandeurs se heurtent bien souvent aux obstacles de la compétence et de la TI recevabilité. Tel fut le cas, même si la décision du tribunal n’avait pas encore été - publiée à l’heure où ces lignes étaient écrites, dans l’affaire Philipp Morris, alors S N que la mise en cause par l’industrie du tabac des mesures australiennes visant à O « neutraliser » les paquets de cigarettes pour des motifs de santé publique avait TI provoqué de vives inquiétudes 7. De même, les décisions d’incompétence rendues DI dans les affaires Postová Banka 8 ou Ping An 9 soulageront les États européens (et É l’Union européenne) qui craignaient que les mesures adoptées pour faire face à la S R crise économique et financière qui les a frappés à partir de 2008 soient passées au N crible de leurs engagements au titre des traités d’investissement. À l’inverse, des C décisions telles que celle rendue en l’affaire Clayton, que l’arbitre dissident n’a pas T • hésité à qualifier d’« intrusion into the environmental public policy of the State » 10, R ne manqueront pas de continuer à animer les débats. A P Les critiques parfois sévères portées contre l’arbitrage d’investissement ne À sont d’ailleurs pas sans influence. Elles peuvent être endossées par les arbitres, S comme ceux de l’affaire Giovanni Alemanni, pour qui « at a time at which the system É of investment arbitration is under sustained criticism, both from inside and from R TI outside (even though much of this criticism is unjustified or exaggerated), tribunals - are under a duty to keep under regard the cost efficiency of the proceedings before S them » 11. Mais elles peuvent également être entendues par les États, à l’heure de N O négocier de nouveaux traités d’investissement. C’est ainsi que la nouvelle approche TI proposée par l’Union européenne continue de faire son chemin. Celle-ci consiste à DI substituer progressivement au mécanisme d’arbitrage un tribunal doté de juges É permanents et d’un mécanisme d’appel. Présentée par la Commission aux négocia- S teurs américains dans le cadre des discussions sur le Partenariat transatlantique R N C • T Equateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, R Tulip real Estate Netherlands development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, décision sur la demande d’annu- A lation, 30 décembre 2015. P 5. CIRDI, Perenco Ecuador Ltd. c. Équateur, n° ARB/08/6, décision sur la demande de réexamen, À 10 avril 2015 ; CIRDI, Venezuela Holdings, BV, e.a. c. Venezuela, n° ARB/07/27, décision sur la demande S de révision, 12 juin 2015 ; CIRDI, Tidewater Inc., Tidewater Investment SRL, Tidewater Caribe, CA, et al. É c. Venezuela, n° ARB/10/5, décision sur la demande de révision, 7 juillet 2015. R 6. CIRDI, Highbury International AVV, Compañía Minera de Bajo Caroní AVV, et Ramstein Trading TI Inc. c. Venezuela, n° ARB/14/10, décision sur la demande de disqualification de B. Stern, 9 juin 2015 ; - CIRDI, Fábrica de Vidrios Los Andes, CA et Owens-Illinois de Venezuela, CA c. Venezuela, n° ARB/12/21, S décision sur la demande de disqualification de la majorité du tribunal, 16 juin 2015 ; CIRDI, ConocoPhillips N Petrozuata BV, et al. c. Venezuela, n° ARB/07/30, décision sur la demande de disqualification de la majorité O du tribunal, 1er juillet 2015 ; Comité ad hoc CIRDI, Total SA c. Argentine n° ARB/04/01, décision sur la TI demande de récusation de T. Cheng, 26 août 2015 ; CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV, ConocoPhillips DI Hamaca BV, ConocoPhillips Gulf of Paria BV c. Venezuela, n° ARB/07/30, décision sur la demande de É disqualification de M. Yves Fortier, QC, 15 décembre 2015. S 7. CPA (CNUDCI), Philipp Morris c. Australie, n° 2012-12, sentence sur la compétence et la receva- R bilité du 17 décembre 2015 (http://www.pcacases.com/web/view/5). N 8. CIRDI, Postová banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015. C 9. CIRDI, Ping An Life Insurance Company of China c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015. 10. Opinion dissidente de D. McRae, jointe à CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009- 04, sentence sur la compétence et la responsabilité du 17 mars 2015, § 49. 11. CIRDI, Giovanni Alemanni et autres c. Argentine, n° ARB/07/8, ordonnance sur la cessation de la procédure, 14 décembre 2015, § 19. 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 858 10/10/2016 13:26:13 arbitrage transnational et droit international général 859 sur le commerce et l’investissement, cette proposition a déjà trouvé sa voie dans T l’Accord de libre-échange Canada-Union européenne, amendé en février 2016 pour R l’intégrer 12. A P Cette nouvelle approche indique tout à la fois une certaine défiance vis-à-vis À de l’arbitrage d’investissement et la volonté de maintenir un système interna- S tional de règlement des différends permettant à un investisseur de se plaindre É R d’une violation par l’État d’accueil de ses engagements internationaux. Le droit des TI investissements ne devrait donc pas cesser d’apporter son obole au développement - du droit international général, dont cette chronique s’efforce de rendre compte 13. S N Comme chaque année, les décisions rendues en 2015 seront envisagées à travers O le prisme des sources du droit international (I), du droit de la responsabilité (II) et TI du droit du contentieux (III) 14. DI É S R I. – ARBITRAGE TRANSNATIONAL N ET SOURCES DU DROIT INTERNATIONAL C • T R L’arbitrage pour les litiges opposant investisseurs étrangers et États repose A P très majoritairement sur des instruments tirés de la source conventionnelle (traités À bilatéraux ou plurilatéraux de protection des investissements ; accords de libre- S échange comportant un chapitre y relatif). Il n’est dès lors guère surprenant que É ce contentieux intéresse le droit des traités. À vrai dire, hormis des questions R TI ponctuelles touchant, en 2015, à l’adoption des traités 15, à leur entrée en vigueur - provisoire 16 et à leur dénonciation 17, ce sont surtout les règles d’interprétation des S articles 31 et suivants de la Convention de Vienne qui font l’objet de développe- N O ments récurrents dans les décisions arbitrales 18. Cette chronique s’en fait chaque TI DI É 12. La proposition du 12 novembre 2015 est accessible sur le site de la direction du commerce de la S Commission européenne (http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2015/november/tradoc_153955.pdf). Pour R son insertion dans l’Accord économique et commercial global Union Européenne/Canada, voir Commission N européenne, AECG : l’Union européenne et le Canada s’entendent sur une nouvelle approche en matière C d’investissements dans l’accord commercial, communiqué de presse du 29 février 2016 (http://europa.eu/ • rapid/press-release_IP-16-399_fr.htm). T 13. Pour une présentation de l’objet de la présente chronique, voir cet Annuaire, 2008, pp. 467 et s. R 14. La première partie de cette chronique a été rédigée par Franck Latty, la deuxième par Patrick A JacOB et la troisième par Arnaud de nanteuiL. Les décisions arbitrales citées ci-après sont toutes dispo- P nibles sur le précieux site « Investment Treaty Arbitration » [http://www.italaw.com]. À 15. Voir CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, S n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015, §§ 224 et s., qui illustre le caractère É expéditif de la procédure d’adoption de nombre de traités d’investissement (conclusion sans négociations R à l’occasion d’une courte visite diplomatique du premier ministre…). TI 16. CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, - §§ 327-343. S 17. Au sujet de la dénonciation de la convention de Washington par le Venezuela, régie par la lex N specialis de cet instrument, voir CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du O 3 avril 2015, §§ 56 et s., § 64, et le commentaire de Benjamin RÉMY in JDI, 2016, pp. 215 et s. TI 18. CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence DI du 30 mars 2015, §§ 602 et s., § 819 ; CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, É sentence du 9 janvier 2015, §§ 142 et s. ; CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence S du 3 avril 2015, §§ 155-156 ; CIRDI, Venezuela Holdings, BV, et al c. Venezuela, n° ARB/07/27, décision R sur la demande de révision, 12 juin 2015, §§ 3.1.2 et s. ; CIRDI, Grupo Fransisco Hernando Contreras SL N c. Guinée équatoriale, n° ARB(AF)/12/2, sentence sur la compétence, 4 décembre 2015, § 136. Plus spéci- C fiquement, sur la mise en œuvre des articles 31 et suivants en cas de contradiction entre les différentes versions linguistiques d’un traité, voir CIRDI, Muhammet Çap et Sehil Inşaat Endustri ve Ticaret Ltd. Sti. c. Turkménistan, n° ARB/12/6, décision sur l’exception d’incompétence, 13 février 2015, §§ 93 et s., §§ 134 et s. et §§ 210 et s. ; Comité ad hoc CIRDI, Daimler Financial Services AG c. Argentine, n° ARB/05/1, décision sur l’annulation, 7 janvier 2015, §§ 84 et s. ; CIRDI, OI European Group BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 476 et s. ; et sentence Renée Rose Lévy précitée, §§ 164 et s. Sur la prise en 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 859 10/10/2016 13:26:13 860 arbitrage transnational et droit international général année l’écho, au risque d’une certaine répétition 19. Le millésime 2015 n’étant T guère révolutionnaire en ce domaine 20, l’accent sera ici mis sur des questions plus R i nsolites découlant de sources un peu moins routinières du droit international. A P Pour cette même raison la coutume 21 et les principes généraux de droit 22 ne feront À l’objet que de développements incidents dans les lignes qui suivent 23. Le choix a S été fait pour cette livraison d’insister sur une certaine spécificité du contentieux É transnational par rapport au contentieux classique de droit international public, R TI qui s’exprime à travers la manière dont les tribunaux se saisissent des actes unila- - téraux étatiques (A), des actes institutionnels de diverses natures (B) et des normes S issues de sources censées être « auxiliaires » mais qui ne le sont pas tant, à savoir N O la jurisprudence et la doctrine (C). TI DI É S R compte de la pratique subséquente des parties au traité, voir CIRDI, Bernhard von Pezold e.a. c. Zimbabwe, N n° ARB/10/15, sentence du 28 juillet 2015, §§ 407-410. Sur l’interprétation authentique provenant de la C Commission de libre-échange de l’ALENA, voir CPA (CNUDCI), William Clayton e.a. c. Canada, n° 2009- RT • 04, se1n9t.e Vncoeir s auur slsai cl’oomuvpréatgeen creé ceetm lam reenstp ponusbalibéi lditeé t, 1r7in mh aHrsa i2 Y0e1n5,, T§§h e4 2In9 teetr psr.etation of Investment Trea- A ties, Leiden, Martinus Nijhoff, 2014, 384 p. P 20. Au titre de la mise en œuvre de l’article 31 de la Convention de Vienne, deux sentences d’incom- À pétence retiennent tout de même l’attention en raison du soin apporté par les tribunaux à la motivation S de leur raisonnement, en référence aux principes d’interprétation des traités, toutes deux insistant sur le É fait que l’opération d’interprétation ne se limite pas à un simple exercice linguistique : voir CIRDI, Postová R banka, a.s. et Istrokapital c. Grèce, n° ARB/13/8, sentence du 9 avril 2015, §§ 281 et s., l’insistance sur TI l’article 31 s’expliquant sans doute par le résultat inédit, mais fort convaincant, auquel le Tribunal aboutit - au sujet d’une disposition conventionnelle sur la définition de l’investissement pourtant très classique S (pour le Tribunal, une liste non exhaustive d’opérations économiques constitutives d’un investissement N reste limitée par la teneur des différentes catégories qu’elle contient). Voir aussi CIRDI, Ping An Life O Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril 2015, §§ 164 et s. et §§ 203 et s., où se posait TI la question de la compétence temporelle du Tribunal dans le contexte de la succession de deux traités DI d’investissement entre la Chine et la Belgique, la clause de règlement des différends du second ayant un É champ d’application plus étendu que celle du premier, sous l’empire duquel le différend avait émergé. Le S Tribunal a interprété la clause du second traité comme ne s’étendant pas au différend de l’espèce (voir le R commentaire Benjamin RÉMY précité, pp. 208 et s., pour qui le Tribunal « a conforté sa lecture de la lettre N de la disposition à l’aide [de la] présomption selon laquelle l’auteur d’une règle est un être rationnel »). C 21. Concernant le droit international coutumier des investissements étrangers, voir CIRDI, Tidewater • Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, §§ 104 et 152 ; CIRDI, OI European Group T BV c. Venezuela, n° ARB/11/25, sentence du 10 mars 2015, §§ 484 et s. ; CPA (CNUDCI), William Clayton R e.a. c. Canada, n° 2009-04, sentence sur la compétence et la responsabilité, 17 mars 2015, §§ 433 et s. A Pour des études récentes de la question, voir Gérard cahin, « Droit international coutumier et traités P d’investissement – Aspects méthodologiques », in Mélanges offerts à Charles Leben. Droit international À et culture juridique, Paris, Pedone, 2015, pp. 17-44 ; Patrick dumBerry, The Formation and Identifica- S tion of Rules of Customary International Law in International Investment Law, Cambridge, Cambridge É University Press, 2016. R 22. S’agissant des principes généraux de droit au sens de l’article 38 du Statut de la Cour inter- TI nationale de Justice, voir CIRDI, Hrvatska Elektroprivreda DD c. Slovénie, n° ARB/05/24, sentence du - 17 décembre 2015, §§ 192 et s., §§ 231 et s. (obligation de limiter le dommage) et plus implicitement CIRDI, S Electrabel SA c. Hongrie, n° ARB/07/19, sentence du 25 novembre 2015, § 179 (proportionnalité). De N nombreuses sentences se réfèrent à des « principes » dont la source (principe général de droit, coutume… ou O autre) demeure incertaine. Voir CIRDI, Renée Rose Lévy et Gremcitel SA c. Pérou, n° ARB/11/17, sentence TI du 9 janvier 2015, § 147 et CIRDI, Ping An Life Insurance c. Belgique, n° ARB/12/29, sentence du 30 avril DI 2015, §§ 167 et s. (non rétroactivité) ; CIRDI, Hassan Awdi, e.a. c. Roumanie, n° ARB/10/13, sentence du É 2 mars 2015, § 29 (présomption d’innocence) ; CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA S c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015, §§ 469 et s. (estoppel) ; CIRDI, Venoklim Holding BV R c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015, §§ 63-65 (sécurité juridique) ; CIRDI, Niko Resources N Bangladesh Ltd. c. Bangladesh Petroleum Exploration and Production Company Limited et Bangladesh C Oil Gas and Mineral Corporation, n° ARB/10/11 et ARB/10/18, décision sur la mise en œuvre de la décision sur la demande de paiement, 14 septembre 2015, § 115 (intérêts composés) ; CIRDI, Occidental Petroleum Corporation et Occidental Exploration and Production Company c. Equateur, n° ARB/06/11, décision sur la demande d’annulation, 2 novembre 2015, §§ 262 (absence de réclamation pour autrui) et 272 (protection des investissements). 23. Sur le droit coutumier en matière de responsabilité internationale de l’État, voir infra, II. 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 860 10/10/2016 13:26:13 arbitrage transnational et droit international général 861 A. Actes unilatéraux des États T R De nombreux États ont adopté des codes ou des lois de promotion de l’inves- A P tissement étranger dans lesquels sont insérées des dispositions prévoyant le règle- À ment par l’arbitrage des litiges entre l’État concerné et les investisseurs. Depuis la S fameuse affaire SPP c. Égypte 24, plusieurs tribunaux se sont reconnus compétents É R sur le fondement de ce qui a été considéré comme une offre d’arbitrage contenue TI dans le droit interne. S - Formellement interne, la norme (généralement législative) qui contient le N consentement de l’État à l’arbitrage est fonctionnellement internationale, ce qui a O conduit plusieurs tribunaux à ranger ces dispositions dans la catégorie des actes TI unilatéraux internationaux, quand d’autres ont paru plus réticents à accepter cette DI idée 25. L’intérêt de la classification n’est pas académique. Elle répond en premier É S lieu au besoin d’identifier les règles que les arbitres emploieront pour interpréter ces R dispositions dont la rédaction est parfois ambiguë : règles d’interprétation de l’ordre N juridique national d’ancrage de la disposition interne (l’interprétation faite par les C tribunaux nationaux ayant alors un poids significatif), ou règles d’interprétation • T des actes unilatéraux tirées du droit international général, qui n’excluent pas la R prise en compte de certaines données internes. La jurisprudence en la matière est A P loin d’être fixée 26, tant il est vrai que la question brouille la ligne de séparation À entre l’ordre juridique international et l’ordre interne. S La sentence Venoklim, dans laquelle est examiné le désormais fameux article 22 É R de la loi vénézuélienne sur l’investissement, ne s’est guère encombrée de ces subti- TI lités. Le Tribunal s’est contenté de qualifier la loi d’acte unilatéral de l’État (sans - préciser sa nature interne ou international), qu’il a entendu interpréter selon des S techniques (interprétation de la disposition dans son contexte, au vu des circons- N O tances de son adoption et sa finalité) dont la généalogie est passée sous silence 27. TI Le Tribunal s’est contenté de puiser dans les décisions d’autres tribunaux rendues DI au sujet de la même disposition ce qu’il a jugé pertinent pour parvenir à son tour à É la conclusion selon laquelle le texte ne suffisant pas à fonder sa compétence. En ce S sens, la sentence n’apporte rien à la théorie des actes unilatéraux internationaux ; R N elle renseigne au mieux sur le poids des précédents 28, voire sur l’œcuménisme des C techniques interprétatives. • T Cette solution très fonctionnelle est peut-être finalement préférable à celle de R la sentence PNG, qui, à trop vouloir justifier son interprétation, a emprunté des A chemins qu’on pourra juger accidentés. La société requérante prétendait fonder P À la compétence du Tribunal arbitral sur la loi sur la promotion de l’investissement S adoptée en 1993 par la Papouasie Nouvelle-Guinée, dont l’article 39 renvoie, en cas É de différend relatif à un investissement étranger, à l’application de la loi d’incor- R TI poration dans l’ordre national de la convention de Washington sur le CIRDI. Afin - de déterminer si la disposition comportait l’offre d’arbitrage de l’État (la réponse S sera négative in fine), le Tribunal s’est attaché à définir la nature de la norme, N qu’il a qualifiée d’« hybride » en ce qu’elle trouve ses racines dans l’ordre juridique O TI national de l’État mais produit potentiellement ses effets en droit international 29. DI Le Tribunal en a déduit qu’un régime interprétatif lui-même hybride y était associé : É S R 24. CIRDI, SPP c. Égypte, n° ARB/83/4, décision sur la compétence, 14 avril 1988. N 25. Voir l’état de la question dans cette chronique, cet Annuaire, 2010, p. 626 ; 2011, p. 433 ; 2012, C p. 618 ; 2013, p. 439 ; 2014, p. 562. 26. Voir CIRDI, PNG Sustainable Development Program Ltd. c. Papouasie Nouvelle-Guinée, n° ARB/13/33, sentence du 5 mai 2015, §§ 259 et s. 27. CIRDI, Venoklim Holding BV c. Venezuela, n° ARB/12/22, sentence du 3 avril 2015, § 91. 28. Voir infra, C. 29. Sentence PNG, §§ 264-265. 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 861 10/10/2016 13:26:13 862 arbitrage transnational et droit international général « interpretation of those provisions must also be approached from a hybrid perspec- T tive, taking into account both that State’s domestic law on statutory construction and R international law. Where the principles of interpretation under the State’s domestic A P law conflict with international law principles, international law principles will ordi- À narily prevail, although this is an issue that must be resolved on a case-by-case basis, S in light of the nature of the conflict. In general, the relevant rules of international É law would be sui generis, reflecting the character of unilateral acts, but the Vienna R TI Convention’s provisions will often be applicable by analogy. » 30 S - Cette sentence constitue une nouvelle manifestation de « l’amour des N hybrides » 31 qui s’épanouit dans le contentieux transnational d’investissement ; O elle témoigne de manière splendide que « du point de vue de son office », le juge TI CIRDI se sent à la fois juge interne et juge international, au point de s’arroger ici DI le pouvoir de brasser les normes et les techniques interprétatives provenant d’hori- É S zons différents 32. La sentence est de nature à raviver les plaies à peine fermées R du débat sur la nature des contrats d’État, dans la mesure où elle interroge sur N l’ordre juridique d’ancrage de ces actes hybrides, et partant sur l’existence d’un C • ordre juridique transnational lui-même hybride comportant, en sus de techniques T interprétatives propres, des règles relatives à la validité ou aux conséquences de la R violation des normes mixtes du droit des investissements. « Ne recourt-on pas trop A P vite à la facilité du sui generis parce que l’on saisit mal toute l’extension des concepts À dont on dispose, ainsi que leur capacité à couvrir des champs nouveaux au fur et à S mesure qu’ils se présentent ? », s’est interrogé, non sans raison, Charles Leben 33. É Plutôt que de concevoir un zébrâne, le Tribunal aurait été mieux inspiré de mettre R TI à profit l’élasticité du droit international, en distinguant parmi la vaste catégorie - des actes unilatéraux internationaux ceux dont la nature législative justifierait que S soit pris en considération, à des fins d’interprétation, leur écosystème national 34. Sa N O solution eût été la même ; son fondement peut-être un tantinet moins fantaisiste. TI DI B. Actes unilatéraux institutionnels É S R Si les actes des organisations internationales ne sont pas mentionnés dans N la nomenclature quasi officielle que constitue l’article 38 du Statut de la CIJ, nul C • ne conteste qu’ils font bien partie des « sources du droit international » contem- T porain. L’arbitrage transnational en matière d’investissement y recourt d’ailleurs R à certaines occasions (1). Il est toutefois d’autres types d’actes institutionnels, A P À S É R 30. Ibid., § 265. TI 31. Charles LeBen, « La responsabilité de l’État sur le fondement des traités de promotion et de - protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 693, au sujet de la perception qu’a une partie de S la doctrine de la nature des contrats d’État ou de la responsabilité de l’État sur le fondement des traités N d’investissement. O 32. Voir Mathias FOrteau, « Le juge CIRDI envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge TI international, ou l’un et l’autre à la fois ? », in Le procès international : liber amicorum Jean-Pierre Cot, DI Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 95 et s. É 33. Charles LeBen, op. cit., p. 693. S 34. Voir CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, aff. n° ARB/10/5, décision sur la compétence, 8 février R 2013, §§ 82-86 (cette chronique, cet Annuaire, 2013, p. 439), où le Tribunal voit dans les offres d’arbitrage N contenues dans les lois nationales un nouveau type d’acte unilatéral international : l’acte unilatéral adopté C librement mais dans le cadre d’un traité (la Convention de Washington) prévoyant cette liberté d’action. Cf. la distinction opérée par la CDI entre les actes unilatéraux selon qu’ils sont adoptés « dans le cadre et sur le fondement d’une habilitation expresse du droit international » ou bien « dans l’exercice de la liberté des États d’agir au plan international » (CDI, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de créer des obligations juridiques, Ann. CDI, 2006, A/61/10, § 176, et cette chronique, cet Annuaire, 2009, pp. 626 et s.). 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 862 10/10/2016 13:26:13 arbitrage transnational et droit international général 863 d’origine privée, qui trouvent une place tout autant, sinon plus, remarquable dans T ce contentieux (2). R A P 1. Les actes des organisations internationales À S Quelques décisions arbitrales rendues en 2015 font appel à du droit dérivé É R produit par diverses organisations internationales. On aura quelque réticence à TI faire figurer les projets d’articles de la Commission du droit international (CDI) - et leurs commentaires 35 au sein de cette catégorie. Certes, la CDI est un organe S N subsidiaire de l’Assemblée générale de l’ONU. Les textes qu’elle adopte, à plus O forte raison s’ils sont incorporés à une résolution de l’Assemblée 36, constituent TI d’un point de vue formel des normes dérivées de l’Organisation. D’un point de vue DI matériel, ils ressortissent néanmoins davantage à un moyen auxiliaire de détermi- É nation des règles de droit qu’à la catégorie des actes unilatéraux des organisations S R internationales ; c’est d’ailleurs bien à ce titre que les tribunaux d’investissement N y recourent. Dans cette veine, on citera simplement pour mémoire la référence à la C Résolution 1803 (XVII) de 1962 sur la souveraineté permanente sur les ressources T • naturelles, qui permet à l’arbitre dissidente de l’affaire Quiborax de réaffirmer en R ouverture de son opinion, ce qui n’est guère contesté, que les États ont le pouvoir A souverain d’exproprier dès lors qu’ils respectent certaines conditions, dont celle de P À l’« indemnisation adéquate » 37. S On relèvera surtout que divers textes émanant de la Banque mondiale, auquel É le CIRDI est institutionnellement rattaché, viennent ponctuellement nourrir les R TI décisions des tribunaux ou des comités d’annulation. La sentence Electrabel de - 2015 cite par exemple un rapport de la Banque mondiale sur la privatisation du S secteur gazier et électrique en Hongrie et au Kazakhstan, ainsi qu’un rapport de N O l’Agence internationale de l’énergie de 1999 consacré à la Hongrie, afin de montrer TI que lorsque la société requérante s’est implantée dans cet État, elle ne pouvait DI ignorer certains changements qu’emporterait pour les opérateurs l’adhésion de É l’État d’accueil à l’Union européenne. Le comité ad hoc de l’affaire Kiliç Insaat S s’est pour sa part appuyé sur un « background paper » 38 adopté par le Conseil R N administratif du CIRDI pour préciser l’état de la jurisprudence concernant l’excès C manifeste de pouvoir 39. T • Mais le cas le plus intéressant est sans doute celui des Principes directeurs R (« Guidelines ») de la Banque mondiale sur le traitement des investissements A (1992) 40. Ce texte à valeur incitative – les États membres sont invités en préam- P À bule à considérer les Guidelines comme des « paramètres utiles » – contient tout S une série de recommandations concernant l’admission, le traitement des investisse- É R TI 35. Citant par ex. les Articles de 2001 sur la responsabilité de l’État et leurs commentaires sur la ques- - tion de l’attribution, voir CIRDI, Tulip Real Estate Netherlands Development BV c. Turquie, n° ARB/11/28, S décision sur la demande d’annulation, 30 décembre 2015, §§ 184 et s. Voir aussi, parmi de nombreux N autres exemples, CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, § 153 ; O CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, TI §§ 382, 524, 556, et 562. DI 36. Cas de la Résolution A/56/83 du 12 décembre 2001 dans laquelle l’Assemblée « prend note des É articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite présentés par la Commission du S droit international, dont le texte figure en annexe à la présente résolution, et les recommande à l’attention R des gouvernements, sans préjudice de leur adoption éventuelle ou de toute autre mesure appropriée ». N 37. Affaire Quiborax, opinion dissidente de B. Stern, § 8. C 38. Background Paper on Annulment For the Administrative Council of ICSID, 10 août 2012. 39. Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision sur la demande d’an- nulation, 14 juillet 2015, § 54. Voir aussi Comité ad hoc CIRDI, Iberdrola Energia, SA c. Guatemala, n° ARB/09/5, décision sur la demande d’annulation, 13 janvier 2015, opinion dissidente de J. L. Shaw, § 15. 40. Voir la présentation du texte et la traduction en français annexée par Patrick JuiLLard, cet Annuaire, 1992, pp. 779 et s. 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 863 10/10/2016 13:26:13 864 arbitrage transnational et droit international général ments, leur expropriation et le règlement des différends. Vingt-trois ans après son T adoption, les sentences Quiborax et Tidewater se sont toutes deux appuyées sur le R texte, notamment l’article IV relatif à l’expropriation, afin de déterminer le montant A P de l’indemnisation due à l’investisseur. La sentence Tidewater a ainsi reconnu À que les Principes directeurs « provide reasonable guidance as to the content of the S standard chosen by the States Parties to the BIT as the standard of compensation É to be applied in cases of lawful compensation, where the investment constituted a R TI going concern at the time of the taking » 41. Plusieurs extraits de l’article IV sont par - la suite reproduits in extenso concernant le critère de la juste valeur marchande, S le moment et la manière de déterminer cette valeur, ainsi que la définition de N O l’entreprise en activité (« going concern ») et de la méthode des flux de trésorerie TI actualisés (« discounted cash flow ») 42, sur lesquels le Tribunal s’appuiera pour DI déterminer l’indemnisation due à l’investisseur. Plus discrètement, la sentence É Quiborax relève que le texte (invoqué par les deux parties) indique qu’en matière S d’expropriation la valeur du marché d’un investissement peut être déterminée « for R N a going concern with a proven record of profitability, on the basis of the discounted C cash flow value » 43. L’article IV est ainsi mobilisé tantôt pour initier le raisonnement T • des arbitres – avant qu’ils relèvent que plusieurs tribunaux ont retenu une solution R analogue 44, ou inversement pour « renforcer une conclusion » à laquelle le tribunal A est parvenu par d’autres moyens (à l’aide de la jurisprudence et de la doctrine en P À l’occurrence) 45, tantôt de manière autonome, en tant qu’élément du « standard de S compensation » 46. Force est alors de constater que les Principes remplissent bien É l’une des fonctions que leur principal promoteur leur avait assignée : « Les juges R et les arbitres peuvent également s’y référer pour trancher les futurs différends TI relatifs aux investissements », écrivait I. Shihata dès 1993 47. La soft law a donc - S indiscutablement sa place dans l’arbitrage d’investissement, ainsi qu’en témoigne N tout autant l’usage qui y est fait de certains actes privés transnationaux. O TI DI 2. Les actes institutionnels « transnationaux » É S Cela a déjà été relevé : les normes de l’International Bar Association occupent R dans le contentieux arbitral d’investissement une place étonnante pour qui est N C davantage familier du contentieux classique de droit international public 48. Cette • association de droit privé, fondée à New York en 1947 et siégeant aujourd’hui à T Londres, est au sens du droit international une organisation non gouvernementale R A – elle bénéficie du statut consultatif auprès du Conseil économique et social de P l’ONU. Elle regroupe des barreaux, des sociétés de droit et des praticiens du monde À entier. Elle s’est fixé parmi ses missions celle de promouvoir de manière générale S le droit et la justice au niveau international 49, au service de laquelle l’association É R exerce une activité normative importante en proposant diverses directives rela- TI tives à l’arbitrage, à la médiation, ainsi que des bonnes pratiques destinées à ses S - membres institutionnels et tout une série de standards concernant la profession N O TI 41. CIRDI, Tidewater Inc., e.a. c. Venezuela, n° ARB/10/5, sentence du 13 mars 2015, § 152. DI 42. Ibid., §§ 157-158. É 43. Art. IV, § 6, i, des Principes directeurs, cité in CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA S c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du 16 septembre 2015, § 344. R 44. Ibid., et sentence Tidewater, §§ 152-153. N 45. Sentence Tidewater, § 140. C 46. Ibid., § 155. 47. Ibrahim Shihata, Legal Treatment of Foreign Investment, Leiden-Boston, Martinus Nihoff, cité par Dominique carreau et Patrick JuiLLard, Droit international économique, Paris, Dalloz, 2013, p. 445, n° 1182. 48. Voir cette chronique, cet Annuaire, 2011, p. 578, note 333 ; 2013, pp. 477-478 ; 2014, p. 572. 49. Voir l’art. 1er de la Constitution de l’IBA, en ligne sur [www.ibanet.org]. 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 864 10/10/2016 13:26:13 arbitrage transnational et droit international général 865 juridique. Le rattachement de ces normes à la source formelle de la « doctrine » n’est T guère satisfaisant, au vu de leur fonction purement opérationnelle. La catégorie R des « actes unilatéraux transnationaux » 50 identifiée par D. Carreau et F. Marrella A P semble à cet égard davantage pertinente. À Dans l’arbitrage d’investissement, les Directives de l’IBA relatives aux conflits S d’intérêt dans l’arbitrage international sont tout particulièrement mentionnées É R dans les décisions relatives aux demandes de récusation 51, soit parce qu’elles sont TI devenues une « référence » 52, soit parce qu’elles constituent un « instrument très - utile, en tant qu’il reflète un consensus transnational sur la matière » 53. Leur portée S N normative doit toutefois être relativisée. Même si leur respect par les arbitres est O examiné, les Directives ne sont que des standards privés de nature indicative 54 ; TI elles ne sont donc pas obligatoires en tant que telles 55. Leur violation n’aura en DI somme valeur que d’indice du conflit d’intérêt dans lequel se trouve un arbitre, ce É qui n’exclut pas que les critères en soient renforcés, au motif fort convaincant que S R l’arbitrage d’investissement met en jeu des intérêts publics 56, ce qui requiert une N irréprochabilité des arbitres. C • Il faut enfin comprendre que ces règles privées extrêmement sophistiquées T ne sont invoquées et, dans une certaine mesure, mises en œuvre dans l’arbitrage R d’investissement qu’en raison du déficit normatif du système d’arbitrage concerné A P (celui de la Convention de Washington notamment) sur la question des conflits À d’intérêt 57 ou sur d’autres questions régulées minutieusement par l’IBA comme la S production de documents 58. En témoigne le fait que lorsque le Règlement d’arbi- É trage CIRDI régit une question discutée (l’obligation de divulgation dans l’affaire R TI Conoco), l’invocation des Directives de l’IBA est jugée peu pertinente 59. - Quoi qu’il en soit, le rôle des directives de l’IBA dans le contentieux d’inves- S tissement, dont les États eux-mêmes n’hésitent pas à se prévaloir dès lors qu’elles N O servent leurs demandes de récusation d’arbitre 60, montre qu’il y a tout lieu de ne TI pas négliger la place des « actes unilatéraux transnationaux » dans le droit inter- DI national contemporain. Rien n’exclut d’ailleurs que l’arbitrage d’investissement É S R N 50. Voir Dominique carreau et Fabrizio marreLLa, Droit international, Paris, Pedone, 2012, 11e éd., C pp. 287 et s. • 51. Sont également employées dans l’arbitrage d’investissement les règles de l’IBA sur l’administra- T tion de la preuve dans l’arbitrage international. Voir CPA (CNUDCI), South American Silver Limited c. R Bolivie, n° 2013-15, ordonnance procédurale n° 7 sur la production de documents, 21 juillet 2015, passim, A spéc. § 4, où le Tribunal dit qu’il « may refer to the IBA Rules when deciding on document production P requests ». À 52. CIRDI, Highbury International AVV, Compañía Minera de Bajo Caroní AVV, et Ramstein Trading S Inc. c. Venezuela, n° ARB/14/10, décision sur la demande de récusation de B. Stern, 9 juin 2015, § 76. É 53. Comité ad hoc CIRDI, Total SA c. Argentine n° ARB/04/01, décision sur la demande de récusation R de T. Cheng, 26 août 2015, § 98, traduction libre (« un instrumento muy útil, en cuanto reflejan un consenso TI transnacional sobre la materia »). - 54. Voir Régis BiSmuth (dir.), La standardisation internationale privée, Bruxelles, Larcier, 2014, S 248 p. N 55. Affaire Total SA, § 98. Sur la mise en œuvre du standard, voir §§ 118 et s. O 56. CIRDI, Highbury International AVV, Compañía Minera de Bajo Caroní AVV, et Ramstein Trading TI Inc. c. Venezuela, n° ARB/14/10, décision sur la demande de récusation de B. Stern, 9 juin 2015, § 84. DI 57. Ibid., § 76, où il est précisé que les directives de l’IBA ont prospéré en l’absence de normes juri- É diques allant au-delà de l’énonciation de principes généraux. S 58. CPA (CNUDCI), South American Silver Limited c. Bolivie, n° 2013-15, ordonnance procédurale R n° 7 sur la production de documents, 21 juillet 2015, passim. Voir aussi l’ordonnance n° 8, § 23 et CIRDI, N Churchill Mining PLC et Planet Mining Pty Ltd c. Indonésie, n° ARB/12/14 et 12/40, ordonnance procédurale C n° 17, 2 juin 2015, § 7 et ordonnance procédurale n° 18, 6 juillet 2015, § 7. 59. CIRDI, ConocoPhillips Petrozuata BV, ConocoPhillips Hamaca BV, ConocoPhillips Gulf of Paria BV c. Venezuela, n° ARB/07/30, décision sur la demande de récusation de M. Yves Fortier, QC, 15 décembre 2015, § 37 (« More relevant in this context is the continuing obligation of arbitrators in ICSID cases under Rule 6(2) of the ICSID Arbitration Rules »). 60. Ibid. 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 865 10/10/2016 13:26:13 866 arbitrage transnational et droit international général continue de s’ouvrir à la production normative d’autres associations profession- T nelles 61 ou scientifiques issues de la « société civile » 62. Plusieurs d’entre-elles R se sont d’ailleurs saisies de questions de droit des investissements, à l’image de A P l’Institut de droit international 63 ou de l’International Law Association 64. Ces À organisations privées à vocation « législative » n’ont certes pas le pouvoir de faire S le droit international ; la qualité et l’adéquation au contentieux d’investissement É des normes qu’elles sécrètent sont néanmoins susceptibles de faire évoluer la disci- R TI pline. On peut en tout état de cause s’interroger sur la pertinence, en ce début du - XXIe siècle, de la théorie classique des sources du droit international qui ne laisse S aucune place aux sources privées hors leur intégration trompeuse dans la catégorie N O de la doctrine 65. TI DI C. Des sources pas si auxiliaires : la jurisprudence et la doctrine É S R Si, selon le fameux article 38 du Statut de la CIJ, elles sont censées constituer N des « moyens auxiliaires de détermination des règles de droit », force est de constater C • que dans le contentieux transnational d’investissement la jurisprudence (1) T et la doctrine (2) concourent à la fixation de la norme de manière sans doute plus R A déterminante (dans ce qu’en révèle en tout cas la motivation des décisions) que P dans le contentieux interétatique classique 66. À S 1. La jurisprudence É R TI La production arbitrale de 2015 – mais cela n’a rien de spécifique à ce millésime – S - fourmille de références à des décisions juridictionnelles antérieures, qui dans la N plupart des affaires ne manquent pas d’influer sur les réponses apportées par les O arbitres. La mesure précise de l’autorité de la source jurisprudentielle demeure TI cependant un exercice très délicat. La distinction entre la jurisprudence d’investis- DI sement (a) et la jurisprudence internationale qui lui est exogène (b), toutes deux à É S l’œuvre dans l’arbitrage transnational, est un moyen de décomposer le problème. R N C a) Jurisprudence arbitrale en matière d’investissement • T Le principe rappelé encore en 2015 est celui de l’absence de rule of precedent : R les arbitres ou les membres de comités d’annulation du CIRDI ne sont pas tenus A P de suivre les décisions antérieures 67. Néanmoins, dans l’arbitrage transnational, À S É 61. Voir CIRDI, Quiborax SA et Non Metallic Minerals SA c. Bolivie, n° ARB/06/2, sentence du R 16 septembre 2015, § 393, où le Tribunal se réfère aux « Definition Standards for Mineral Resources and TI Mineral Reserves » publié par le Canadian Institute of Mining, Metallurgy and Petroleum pour identifier - la pratique en matière d’indemnisation dans le secteur minier. S 62. Voir Catherine keSSedJian, Le droit international collaboratif, Paris, Pedone, 2016, pp. 17 et s. N 63. Voir la Résolution de Tokyo de 2013 intitulée « Aspects juridiques du recours à l’arbitrage par un O investisseur contre les autorités de l’État hôte en vertu d’un traité interétatique ». TI 64. L’ILA a créé, en 2015, un comité international chargé de travailler sur le thème « Rule of Law and DI International Investment Law », dont la direction est assurée par August Reinisch. À noter qu’un groupe É de travail de l’ILA sur la pratique et la procédure des tribunaux internationaux (2002-2010) a adopté des S principes dont les tribunaux arbitraux d’investissement pourraient utilement faire usage (Principes de R Burgh House « on the independence of the international judiciary » ; Principes de La Haye « on ethical N standards for counsel appearing before international courts and tribunals »). C 65. Voir, dans un autre domaine, Franck Latty, « La diversité des sources du droit de l’Internet », in SFDI, Internet et le droit international, colloque de Rouen, Paris Pedone, 2014, pp. 49-64. 66. En ce sens, au sujet de la jurisprudence, voir Arnaud de nanteuiL, Droit international de l’inves- tissement, Paris, Pedone, 2014, p. 126. 67. Voir par ex. CIRDI, Mamidoil Jetoil Greek Petroleum Products Societe SA c. Albanie, n° ARB/11/24, sentence du 30 mars 2015, § 565 ; Comité ad hoc CIRDI, Kiliç Insaat c. Turkménistan, n° ARB/10/1, décision 28-Jacob-Latty-Nanteuil.indd 866 10/10/2016 13:26:13
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