Laboratoire FORELL Formes et représentations U.F.R LETTRES ET LANGUES en linguistique et littérature E.A. 3816 APPRENTISSAGE, APPROPRIATION ET UTILISATION DU FRANÇAIS ET DES LANGUES NATIONALES PAR LES JEUNES LETTRÉS DU BURKINA FASO : LE CAS DES ÉLÈVES-MAÎTRES (Thèse de doctorat nouveau régime, mention linguistique) Sous la co-direction de : Monsieur Jean-Louis DUCHET, Professeur des Universités et Monsieur Paul CAPPEAU, Maître de Conférences HDR Présentée et soutenue publiquement Par Bangré Yamba PITROIPA Membres du jury : Monsieur Rodrigue LANDRY, Professeur à l’Université de Moncton Monsieur Abou NAPON, Professeur à l’Université de Ouagadougou Madame Sylvie PLANE, Professeur à l’IUFM de Paris Monsieur Jean-Louis DUCHET, Professeur à l'Université de Poitiers Monsieur Paul CAPPEAU, Maître de Conférences HDR à l'Université de Poitiers Poitiers, le 04 décembre 2008 Résumé : À partir de questionnaires et entretiens semi-directifs, cette thèse se propose d’analyser le profil linguistique, les représentations culturelles et identitaires des jeunes Burkinabè lettrés. 453 élèves-maîtres des ENEP de Loumbila, Fada N’gourma, Bobo- Dioulasso, Ouahigouya et Gaoua ont pris part à cette étude. Ces jeunes lettrés (hommes et femmes), âgés de 19 à 33 ans, et de niveaux d’études variés (BEPC, 2nde, 1ère, terminale, études universitaires) ont été retenus comme échantillon de l’ensemble des jeunes lettrés du pays. Dans son développement, cette thèse dresse un panorama inédit sur le vécu langagier, le développement psycholangagier et les représentations culturelles et identitaires de ceux qui auront en charge d’assurer l’éducation de base au Burkina. S’appuyant sur cet échantillon, ce travail livre la perception de la vitalité actuelle, future et légitime du français et des langues nationales du Burkina. Cette thèse livre aussi une analyse du degré d’engagement de ces jeunes futurs pédagogues pour promouvoir l’éducation de base à l’école en langue française et dans leur langue maternelle au Burkina Faso, pays d’Afrique francophone subsaharienne. Mots clés : Langue nationale, français, vitalité ethnolinguistique, vécu langagier, vécu enculturant, vécu autonomisant, vécu conscientisant, identité ethnolinguistique, vitalité subjective, désir d’intégration communautaire, sentiment d’autonomie, sentiment de compétence, motivation langagière, compétence langagière, comportement langagier, comportement engagé. __________________________________________________________________________ Abstract : Based on questionnaires and semi-guided interviews, this thesis sets out to analyse the linguistic profile, as well as the representations of culture and identity among young literate Burkinabes. 453 student-teachers from the ENEPs of Loumbila, Fada N’gourma, Bobo-Dioulasso, Ouahigouya and Gaoua participated in this study. These literate youths (male and female) ranging from 19 to 33 years of age, with varying academic backgrounds (BEPC, 1st, 2nd, final High School Year, University level) were selected as a population sample of the country’s educated youth. This dissertation presents an original overview of actual language use, psycholinguistic development as well as cultural and identity representations of those who will be responsible for imparting basic education in Burkina. On the basis of this sample, this work demonstrates how the present, future and legitimate vitality of French and of the national languages is perceived in Burkina. This dissertation also offers an analysis of these future teachers’ level of commitment in enhancing basic education at primary school in the French language as well as in their mother tongues in Burkina Faso, a country in Sub-Saharan Francophone Africa. Key Words: National Language, French, ethnolinguistic vitality, actual language use, cultural setting experience, independent use, conscientious use, ethnolinguistic identity, subjective vitality, desire for community integration, feeling of autonomy, feeling of competence, language motivation, language competence, language behaviour, committed behaviour. REMERCIEMENTS Au terme de cette recherche, je tiens vivement à remercier du fond du cœur mes deux directeurs de recherche : M. Jean-Louis DUCHET et M. Paul CAPPEAU qui ont bien voulu diriger ce travail. J’ai pu bénéficier de leur grande disponibilité, de leurs expériences et de précieux conseils durant cette entreprise de recherche. Sans oublier le soutien inconditionnel de M. André Magord, directeur de l'Institut d'études acadiennes et québécoises (Université de Poitiers). Je voudrais aussi traduire toute ma gratitude aux élus du Conseil général de la Vienne qui ont bien voulu financer mes premières années d’études universitaires au 3e cycle à l’Université de Poitiers, puis, à l’Ambassade de France au Burkina pour son soutien dans le cadre de la coopération entre les deux pays pour la réalisation de cette étude. Je réserve une mention spéciale au professeur Rodrigue Landry, directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques et à son collaborateur Donald Long du Centre de recherche et de développement en éducation qui m’ont apporté leurs soutiens théoriques et logistiques durant mes deux séjours de recherche en 2005 et 2007 à l’Université de Moncton (Canada). Je tiens enfin, à remercier tous mes collègues et amis du laboratoire FORELL de l’Université de Poitiers, le directeur du laboratoire, M. Jean Chuquet pour leur sympathie et leur encouragement renouvelé. DÉDICACE À la mémoire de mon père (feu PITROIPA Tinzoudou), à ma mère KABORE Tibo, à mes frères et sœurs, à tous ceux qui ont guidé mes pas vers le chemin de l’école occidentale, à mes enseignants et amis vivant en Afrique, en France, au Canada et ailleurs dans le monde, je dédie cette thèse. Que chacun trouve ici, à travers la réalisation de ce projet, le fruit de son soutien moral et matériel ainsi que le témoignage d’un devoir accompli. Sigles et abréviations (cid:190) ENEP: École nationale des enseignants du primaire (cid:190) QA1: Question A1 (cid:190) QG1a: Question Ga1 (cid:190) QB1: Question B1 (cid:190) QGb1: Question Gb1 (cid:190) O1: Objectif 1 (cid:190) O2: Objectif 2 (cid:190) H1: Hypothèse 1 (cid:190) VE: Vécu enculturant (cid:190) VA: Vécu autonomisant (cid:190) VC: Vécu conscientisant (cid:190) LOUMBI-L2-G. : Loumbila, enregistrement libre 2, garçon (cid:190) OUAHI- 3b-G. : Ouahigouya, enregistrement 3b, garçon (cid:190) BOBO-2c-G. : Bobo-Dioulasso, enregistrement 2c, garçon (cid:190) FADA-4a-F. : Fada, enregistrement 4a, fille (cid:190) GAOUA-1b-F. : Gaoua, enregistrement 1b, fille Introduction générale ____________________________________________________________________ INTRODUCTION GENERALE Cette étude a pour objet d’analyser sur un plan micro-sociolinguistique l’apprentissage, l’appropriation et l’utilisation du français et des langues nationales par les jeunes Burkinabè1 lettrés. Le but de la présente recherche est de mieux connaître la relation que ces jeunes lettrés établissent entre le français et leur langue maternelle2. Au Burkina, le français et les langues nationales n’ont pas le même poids sur le plan démographique et fonctionnel. La langue française, en situation minoritaire, occupe des fonctions prestigieuses au détriment des langues nationales qui sont majoritairement parlées sur l’étendue du territoire. Les langues nationales, elles, n’assument réellement que des fonctions de communication intra-ethniques, identitaires et intégratives. Le thème de cette recherche, en rapport avec le développement psycholangagier des jeunes Burkinabè lettrés, se situe dans un domaine complexe, vu le nombre important de langues qui couvrent le champ d’investigation de cette étude. Nous avons donc été conscient au départ de la complexité et de l’ampleur de cette tâche, de même que des exigences méthodologiques liées à l’immense travail de terrain auquel il fallait faire face pour aborder un tel sujet. En dépit de toutes ces contraintes, nous avons été inspiré par l’ambition personnelle d’apporter notre contribution à la connaissance du patrimoine sociolinguistique de notre pays, le Burkina Faso. Bien que de nombreuses recherches aient été menées en sociolinguistique au Burkina Faso, nous avons estimé que bien de choses restent 1 Nom des habitants du Burkina Faso, ce mot est invariable. La graphie "burkinabais" est aussi utilisée dans la Constitution du pays. 2 Les langues maternelles des répondants représentent dans ce contexte, les langues nationales du Burkina Faso. 1 Introduction générale ____________________________________________________________________ encore à découvrir, à analyser et à quantifier dans ce domaine, vu la complexité et l’étendue de ce champ de recherche. Nous n’avons pas la prétention de couvrir tous les aspects liés à la sociolinguistique au Burkina Faso car un tel travail nécessiterait tout un programme de recherche et le cadre d’une seule thèse n’y suffirait pas. Pour notre part, nous avons travaillé à circonscrire ce sujet dans le domaine de la sociolinguistique "scolaire". La sociolinguistique "scolaire" s’intéresse aux rapports entre le langage et la culture vécue à la maison et ceux que l’école inculque ainsi qu’aux représentations qu’ont les maîtres de leur propre langage, du langage des enfants, du langage à enseigner, etc. Cette recherche se focalise principalement sur le vécu langagier, les représentations culturelles et identitaires des élèves-maîtres en rapport avec leur langue maternelle et le français, langue de scolarisation. Ces différentes langues, de par leur vitalité dans les différents milieux d’expression, auront des influences diverses sur la socialisation langagière et culturelle des élèves-maîtres. Ces derniers vivent dans un contexte sociolinguistique qui est censé leur procurer un bagage social, identitaire, linguistique et culturel émanant de leur langue maternelle, du français et éventuellement d’autres langues nationales du Burkina qui feraient partie de leur répertoire linguistique. L’utilisation de ces langues par les répondants se fera dans des contextes variés, selon les milieux et en fonction de leurs interlocuteurs. La langue française étant la langue d’enseignement, l’apprentissage et l’appropriation de cette langue restent une priorité pour les études. Langue influente aussi bien à l’école que dans les administrations, le français est la langue de l’État burkinabè. Il est donc difficile aujourd’hui pour tous ceux qui savent lire et écrire en 2 Introduction générale ____________________________________________________________________ français de se passer de cette langue, que ce soit au niveau de leur service ou dans leur réseau social. En revanche, l’apprentissage, l’appropriation et la pratique de la langue maternelle s’avèrent nécessaires pour le besoin de communication avec le reste de la société, notamment avec ceux qui ne s’expriment pas en français. Cet usage de la langue maternelle serait aussi essentiel pour toute personne qui tient à sauvegarder sa langue maternelle, à connaître sa culture originelle et à revendiquer son identité de base. Ce sont là des facteurs essentiels qui caractérisent chaque individu aux yeux de sa famille, de sa communauté, des autres communautés et de sa tradition. C’est dans ce contexte que nous avons jugé utile de déterminer le rapport que les élèves-maîtres établissent entre l’apprentissage, l'appropriation et la pratique du français et leur langue maternelle au vu de leurs vécus enculturants, de leurs vécus autonomisants et de leurs vécus conscientisants3. Pour y parvenir, notre réflexion s’est développée autour des deux questions suivantes : 1 - Quel est le profil linguistique, identitaire et culturel des élèves-maîtres burkinabè ? 2- Comment les élèves-maîtres déterminent-ils leurs vécus enculturants, leurs vécus autonomisants et leurs vécus conscientisants en français et dans leur langue maternelle ? Nous proposons des éléments de réponses à ces interrogations sous forme d’hypothèses que nous vérifierons au fur et à mesure avec d’autres hypothèses, dans le développement de cette étude. 3 Ces trois vécus langagiers sont des concepts utilisés par Landry, Allard, Deveau et Bourgeois (2005). Le vécu enculturant, le vécu autonomisant et le vécu conscientisant déterminent la socialisation langagière et culturelle d’un individu dans son environnement social et linguistique. Cf. p. 34-36 pour les définitions détaillées de ces concepts. 3 Introduction générale ____________________________________________________________________ Hypothèse 1 : Les élèves-maîtres ont des profils linguistiques, identitaires et culturels qui sont fortement influencés par deux langues : - la langue française dont l’influence est fortement liée à la scolarisation dans les écoles modernes et aux divers contacts langagiers avec le français à travers les médias, le réseau social et le paysage linguistique ; - la langue maternelle dont l’environnement familial représente le réseau d’apprentissage et d’utilisation le plus influent par rapport aux autres réseaux de socialisation langagière du milieu. Hypothèse 2 : Compte tenu de la forte influence de l’école dans la socialisation langagière en français des élèves-maîtres, ces derniers déterminent plus fortement leurs vécus enculturants, leurs vécus autonomisants et leurs vécus conscientisants en français par rapport à leurs vécus dans leur propre langue maternelle. Pour vérifier ces hypothèses, une enquête sociolinguistique a été menée successivement dans les cinq Écoles nationales des enseignants du primaire (ENEP) du Burkina Faso. Il s’agit respectivement des ENEP de Loumbila (au centre), de Bobo-Dioulasso (à l’ouest), de Fada N’gourma (à l’est), de Ouahigouya (au nord) et de Gaoua (au sud-ouest). Au Burkina, de nombreuses réformes sont envisagées pour rendre plus efficace le système éducatif actuel qui utilise essentiellement le français comme langue d’enseignement. Les résultats de ce système éducatif ne sont pas à la hauteur des attentes, vu l’importance de l’échec scolaire constaté ces derniers temps dans le pays. C’est ce qui est à l’origine de nombreuses recherches en politique éducative, en vue de diagnostiquer les maux du système éducatif actuel et de faire des propositions éclairantes pour renforcer l’efficacité de l’école burkinabè. Dans cette perspective, des études précédentes ont examiné les niveaux de compétence en français des 4 Introduction générale ____________________________________________________________________ élèves4 et d’autres ont porté sur l’endogénéité lexicale5 du français au Burkina Faso en vue d’une intégration de la norme endogène dans l’enseignement du français dans ce pays. Des expériences concluantes en matière d’éducation qui tiennent compte des langues nationales ont été observées dans les Écoles satellites (ES), dans les Centres d’éducation de base non formelle (CEBNF), dans les Écoles bilingues et à travers le projet ALFAA6, ce qui a permis à certains linguistes burkinabè de prôner une complémentarité entre le français et les langues nationales dans l’éducation de base formelle7. À notre connaissance, aucune étude de terrain n’a évalué simultanément les points suivants : 1- le développement psycholangagier des futurs pédagogues du pays en charge d’assurer l’enseignement dans les écoles primaires ; 2- les dispositions ou les souhaits de ces futurs pédagogues à enseigner en français et en langues nationales. Au cours de cette étude, après avoir établi un diagnostic sur la vitalité actuelle, future et légitime des langues nationales et du français à partir de la vitalité subjective des répondants de notre échantillon, nous analyserons de manière intégrée, toutes les variables en rapport avec le développement psycholangagier des répondants. Ces principales variables englobent le profil linguistique, le vécu langagier et les souhaits des élèves-maîtres à enseigner le français et les langues 4 Cf. thèse d’Anselme Yaro (2004). 5 Cf. thèse de Luc Diarra (2004). 6 Apprentissage de la langue française à partir des acquis de l’alphabétisation. « Mise au point dans les années 1991-1992 par une équipe de (4) chercheurs burkinabè, la méthode ALFAA est une approche méthodologique propre au Burkina qui permet à des adultes alphabétisés d'apprendre rapidement un français fondamental et fonctionnel. Formule d'apprentissage accéléré du français, la méthode ALFAA offre les avantages de ne pas perturber les activités de développement des apprenants, tout en développant en eux, dans un temps limité, des compétences de communication, textuelles et cognitives dans cette seconde langue à la grammaire et au vocabulaire très éloignés de leurs langues premières. Avec cette méthode, il faut entre 90 et 150 jours de cours effectifs pour atteindre le niveau du CM2 au lieu de 6 années scolaires d'au moins 8 500 heures que les élèves doivent effectuer pour atteindre des résultats comparables. La méthode AALFA est à la phase de vulgarisation » in L’opinion, no 331 du 04 mars au 10 février 2004. 7 Education de base classique en vigueur où l’enseignement se fait principalement en français. 5
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