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Apprendre à penser par soi-même en CRP PDF

13 Pages·2014·0.1 MB·French
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Actes du colloque Autour de l’adulte de demain : développer l’enfant philosophe et critique par la littérature jeunesse dans la société du savoir 2-3 avril 2012 BAnQ – UQAM Apprendre à penser par soi-même en Communautés de Recherche Philosophique Nancy Allen Doctorante en éducation, Université du Québec en Outaouais Anne Brel-Cloutier Candidate à la maîtrise en philosophie, Université du Québec à Montréal Notice biographique Nancy Allen Nancy Allen est doctorante en éducation à l’Université du Québec en Outaouais (cohorte 2012). Elle s’intéresse à la didactique du français et plus particulièrement à la didactique de l’oral (stratégies métacognitives de compréhension). Nancy Allen est chargée de cours à l’Université McGill et à l’Université du Québec en Outaouais. Elle est également membre du comité de lecture pour la section didactique de la revue Québec français. Elle a de plus fait partie du comité organisateur du colloque Autour de l'adulte de demain. Développer l'enfant philosophe et critique par la littérature jeunesse dans la société du savoir qui s'est déroulé en avril 2012 à la Grande bibliothèque de Montréal (BAnQ), en partenariat avec l'UQAM. Anne Brel-Cloutier Anne Brel-Cloutier est étudiante à la maîtrise en philosophie à l’Université du Québec à Montréal (UQAM) et se penche sur l’importance de la métacognition dans le développement du raisonnement et sur le rôle des communautés de recherche philosophique (CRP). Elle a complété un baccalauréat en philosophie à l’UQAM, ainsi qu’un certificat en philosophie pour les enfants à l’Université Laval, à Québec, où on enseigne la méthode Lipman, afin de former des animateur-trices de communautés de recherche philosophique. Elle a également animé une communauté de recherche philosophique dans le cadre de l’événement UPop Montréal, à l’automne 2011. Résumé L’apprentissage d’une pensée critique chez l’enfant ne s’opèrerait pas à travers la transmission du savoir du maître, mais bien à travers le questionnement et les échanges d’idées, forgeant ainsi une co-construction de connaissances (Moshman, 1998, 2004 ; Piaget, 1985, 2000). En ce sens, il est souhaitable de laisser à l’enfant l’autonomie nécessaire pour penser par lui- même afin d’éveiller chez lui une pensée rationnelle et créative (Lipman 1980). C’est précisément ce que permettent les CRP. 1 Notre contribution soutient l’alliance entre les objets d’enseignement variés, entre autres, l’album pour la jeunesse, et la pédagogie de Lipman, pour faciliter le développement de stratégies de raisonnement chez l’enfant philosophe. Puisque la philosophie chez les enfants en CRP se veut un outil de perfectionnement de la pensée par et pour soi-même, l’adulte devient un guide aidant dans ce processus (Sasseville, 2009) et des pistes à utiliser en salle de classe sont, à cet effet, offertes. L’importance de la lecture et de la prise de parole dans les Communautés de Recherche Philosophique (désormais CRP) n’est plus à démontrer et peut prendre de multiples formes. Nous ferons ici référence à des extraits vidéos d’une CRP japonaise1 dans laquelle de jeunes élèves de quatrième année sont amenés à lire des réflexions personnelles qu’ils ont écrites au sujet de thématiques plus dures de la vie, tel la mort et l’intimidation, à leur classe, puis à réfléchir collectivement sur ces dernières. Nous exposerons également le fonctionnement d’une CRP et sa contribution dans le développement du raisonnement et de l’esprit critique des enfants. Enfin, nous vous proposerons un album pour la jeunesse à utiliser dans différents niveaux et différentes matières scolaires, album qui est susceptible de faciliter la discussion autour de thématiques universelles. 1 Extrait tiré du site Internet Youtube http://www.youtube.com/watch?v=armP8TfS9Is consulté le 16 août 2012. 2 L’importance de la lecture La lecture permet de créer des univers nouveaux ou imaginaires et est un point de départ judicieux pour développer la pensée et l’argumentation des enfants. Pour parvenir à susciter leur intérêt, plusieurs projets sont instaurés, que ce soit dans les bibliothèques publiques2, dans les bibliothèques gouvernementales ou directement dans les classes du primaire et du secondaire. Les enfants éveillés à la lecture et auxquels sont présentées des oeuvres adaptées à leur réalité, qui les touchent directement, deviendront souvent de meilleurs compreneurs (Allen, 2012), car ils trouveront du plaisir à jouer avec les sons et les lettres et à inventer des histoires (Ouellet, Chapleau et Despeignes, 2009). Qui sait? Si l’histoire présente des enfants de leur âge et qu’ils s’y identifient, ils tenteront peut-être aussi d’en imiter les protagonistes. Un peu comme une histoire de princesse donnerait l’envie à une petite fille d’en devenir une, des enfants auxquels on raconte une histoire ou les héros réfléchissent par eux-mêmes seront peut-être incités à en faire autant (Daunay, 2007; Jouve, 1993). La lecture est nécessaire au développement cognitif et imaginaire de l’enfant (Jorro, 1999; Tauveron, 1999, 2002, 2012). Elle contribue aussi au développement de son raisonnement et de sa culture (Zakhartchouk, 1999) et lui offre la possibilité de donner un sens à son éducation. En outre, en liant la lecture au médium de la recherche philosophique en communauté, on contribue de manière importante à la formation de citoyens avertis, capables de se poser comme des êtres critiques face aux informations qui leur sont présentées (Bouchard et Gagnon, 2012). Les communautés de recherche philosophique Il y a plusieurs manières de pratiquer la philosophie avec les enfants. L’approche des CRP préconise une méthodologie qui s’appuie sur l’autonomie de l’enfant et sur le dialogue. Cette idée a été pensée originellement par le psychologue, philosophe et pédagogue américain John Dewey (1916), puis appliquée dans des écoles laboratoires, en 1896. C’est dans ces écoles qu’il mettait à l’épreuve sa vision de l’éducation selon laquelle l’enfant prend part à son éducation. Au cœur de la vision de Dewey, l’enseignant tient un rôle clé en prenant soin de préserver la nature de l’enfant et de lui fournir les connaissances et les outils nécessaires afin qu’il poursuive son cheminement en respectant ses orientations personnelles (Dewey, 1916). Ce concept a plus récemment été repris par les philosophes et pédagogues Matthew Lipman et Ann-Margaret Sharp (1980). Ensemble, ils créèrent plusieurs nouvelles littéraires s’adressant à des enfants de tous les âges et mettant en contexte des protagonistes enfants pratiquant l’acte de réfléchir. Au fil des actions et des dialogues de ces protagonistes, les étapes d’une recherche intellectuelle efficace sont modélisées afin d’encourager les jeunes lecteurs à activer leur réflexion philosophique et leur pensée créative3. En effet, les 2 Pensons aux activités de lecture de contes ou de rencontre avec les auteurs à Espace Jeunes de la Grande B i b l i o t h è q u e B i b l i o t h è q u e e t A r c h i v es nationales du Québec ou aux projets Bibliojeunes (http://bibliomontreal.com/bibliojeunes/) des bibliothèques de la ville de Montréal. 3 La découverte de Harry (1974), Lisa (1983) et Pixie (1984) ne sont que quelques unes des 19 nouvelles conçues pour la pratique de communautés de recherche philosophique par l’Association Québécoise de Philosophie pour Enfants (AQPE). 3 protagonistes deviennent des exemples de cohérence que les lecteurs peuvent être tentés d’imiter lors de leurs discussions. Des histoires dans lesquelles des enfants et des adultes philosophent et s’interrogent sur la manière dont ils arrivent à tirer une conclusion « ont pour but d’encourager les enfants à penser philosophiquement » (Sasseville, 2009 : 31). Pour parvenir à encourager la prise de parole des enfants, ces derniers sont placés en cercle afin de leur permettre de s’adresser les uns aux autres. La dynamique maître-élève, où ce dernier doit trouver les bonnes réponses à la demande de l’enseignant, est transformée par une dynamique dans laquelle le dialogue avec les pairs participe au développement intellectuel (Moshman, 2004) et devient tout aussi important que la réponse elle-même. Des lieux de discussion et d’écoute métacognitives Penser d’une manière métacognitive, c’est faire un retour critique sur la manière dont nous avons réfléchi à nos processus de pensée, à notre manière d’utiliser des stratégies cognitives et à notre manière de résoudre un problème ou de tirer des conclusions. La métacognition et la compréhension des stratégies sont cruciales dans le développement du raisonnement chez l’enfant. Cependant, ce ne sont pas toutes les interactions qui encouragent cette rationalité; il faut que les interactions se produisent entre individus qui se considèrent au même niveau de rationalité, d’autorité et de pouvoir (Moshman, 2004). Autrement, un enseignant qui, par exemple, fournit un contrexemple ou qui examine l’envers d’une position risque de la faire accepter par l’élève sans que celui-ci soit passé par un réel processus de réflexion et uniquement parce qu’il croit que l’enseignant sait plus de choses que lui et que, conséquemment, il doit avoir raison. Mais quelle place occupe la lecture dans le développement de la rationalité de l’enfant? La lecture doit, entre autres, permettre aux enfants de se dépasser sur le plan cognitif, les porter à approfondir une recherche collective au sujet d’enjeux culturels et sociaux et les amener à poser un regard critique. Pour cela, d’autres matériels littéraires que les nouvelles de Lipman et Sharp peuvent être utilisés en CRP, notamment des albums pour la jeunesse ou des collections telles que « Les goûters philo »4, par exemple, publiés par les éditions Milan. Quelle que soit la lecture qui leur est imposée ou suggérée, il est important d’offrir aux enfants le temps et le lieu d’y réfléchir et d’en discuter en groupe. Une CRP est avant tout un travail collaboratif dans lequel sont favorisés les échanges entre les enfants et où ces derniers sont amenés à mettre en doute leur processus de réflexion et les stratégies qu’ils peuvent utiliser pour faire avancer la recherche philosophique. La socialisation joue un rôle majeur dans ce processus, car elle amène les enfants à se responsabiliser devant les justifications qu’ils font de leurs opinions. Cela les mènera aussi plus facilement à prendre en compte et à accepter le point de vue de l’autre, s’il s’avère mieux argumenté. Réfléchir à voix haute lors d’une argumentation leur permet également de prendre conscience de leurs propres inférences, c’est- à-dire de leur cheminement mental logique pour arriver à une conclusion (Moshman, 2004) et de détecter des erreurs de raisonnement en cours de justification. Moshman (1996) suggère que le passage d’un stade de raisonnement à un niveau plus complexe se fait par la 4 On y aborde entre autres des thèmes philosophiques tels que l’être et l’avoir, la dictature et la démocratie, le p o s s i b l e e t l ’ i m p o s s i b l e , c r o i r e e t s a v oir, le normal et l’anormal, etc. Pour la collection complète, voir: http://www.lesgoutersphilo.com/ouvrages/ 4 métacognition. La prise de conscience progressive des inférences est une condition nécessaire pour le passage d’une forme de compréhension à l’autre: en rendant explicite le chemin inférentiel d’un raisonnement, on parvient à mieux le comprendre, à mieux le soutenir et à le corriger au besoin. La construction d’un jugement rationnel, c’est-à-dire d’opinions bien fondées et justifiées, s’effectue par nos interactions sociales. Ces dernières nous encouragent à justifier nos conclusions et ainsi, à reconnaître nos propres inférences et les chemins inférentiels qui mènent les autres à de différentes conclusions. Voici un exemple de jugement rationnel. Combien de fois nous est-il arrivé, en discutant avec un collègue, de nous apercevoir d’une erreur qui nous avait échappé ou de surmonter un problème que nous n’arrivions pas à résoudre? C’est en ce sens que, inspirées par les travaux de Lipman (1980), Moshman (2004) et Sasseville et Gagnon (2007), nous pensons que notre connaissance sur le monde est en partie déterminée par nos interactions sociales. La confrontation d’idées devient alors un partage d’idées où l’apport de notre interlocuteur fait avancer notre propre réflexion et a un impact direct sur la justification de nos inférences. Ainsi, la pratique des CRP constitue, pour les participants, un exercice de coconstruction du savoir (Sasseville et Gagnon, 2007). Participer à une CRP ne se réduit pas à la prise de parole, mais consiste aussi à pratiquer l’écoute active et attentive. Ainsi, les participants apprennent graduellement quand et comment être efficaces dans leurs interventions. Ils travaillent à mettre en pratique des stratégies d’écoute et de compréhension orale, par exemple en prenant des notes ou en reformulant les propos de l’autre (Hébert, 2004). L’exercice dialogique dans lequel les enfants s’engagent les mène à se questionner sur leur manière de penser, de raisonner et d’argumenter. Participer à une CRP, c’est pratiquer une multiplicité d'actes de pensée qui, à travers les interactions, se perfectionnent et deviennent de plus en plus nuancés (Sasseville et Gagnon, 2007). Effectivement, confrontés à divers points de vue, lorsqu’un argument semble plus raisonnable, les membres doivent parfois nuancer leurs propos et s’autocorriger. Cela peut sembler être beaucoup à demander à un jeune enfant, mais il en est capable s’il est guidé lors d’un enseignement explicite (Rosenshine, 2002) des étapes d’une CRP et s’il comprend la motivation et les objectifs qui entourent un tel travail intellectuel. Le résultat qui découle du processus des CRP ne se trouve pas dans une seule réponse bien définie, mais dans l’accomplissement d’avoir pensé par et pour soi-même (Sasseville, 2009). Comme dans tout apprentissage, plus on pratique ses aptitudes, plus on les intériorise et mieux on les exploite. Ainsi, en s’entraînant à fournir des argumentations solides, les participants d’une CRP se forment une pensée rigoureuse, cohérente et critique. Dans cette activité, une grande importance doit être accordée aux processus métacognitifs des enfants. Ces derniers doivent non seulement penser par eux-mêmes, mais aussi être amenés à penser à la manière dont ils pensent, afin de comprendre leur réflexion et de tisser des liens judicieux entre leurs arguments et ceux des autres membres de la communauté. La participation à une CRP est donc un exercice de démocratie participative où chaque contribution aura une incidence sur le résultat. Lors d’une CRP, l’élève est guidé dans la gestion de sa compréhension, de même que lorsqu’il énonce la raison pour laquelle il a mobilisé une stratégie plutôt qu’une autre. Puisque cette 5 réflexion sur la stratégie utilisée s’effectue rarement spontanément (Blanche-Benveniste, 2010), on pourrait penser que les enfants sont paresseux lorsqu’ils nous disent qu’ils ne savent pas comment résoudre un problème ou qu’ils ne comprennent pas un passage du texte. C’est peut-être le cas, mais c’est peut-être aussi qu’ils ne savent pas comment faire. Les enfants ne s'interrogent généralement pas sans y être invités sur leurs stratégies d'apprentissage, et c’est notamment pour cette raison qu’il importe de les amener à se rendre compte des bénéfices qu’ils retireront d’une activité de réflexion métacognitive (Bianco et Bressoux, 2009; Rémond, 2003). Ils apprennent alors l’importance de leur apport à l’intérieur d’une communauté, les encourageant ainsi à devenir des citoyens responsables (Lipman, Sharp et Oscanyan, 1980; Sasseville et Gagnon, 2007), le but de l’exercice étant, encore une fois, de leur laisser l’espace nécessaire pour qu’ils apprennent à penser par et pour eux-mêmes (Sasseville, 2009). L’animation en CRP Le rôle de l’animateur en CRP consiste à faire découvrir aux enfants les outils cognitifs qui sont à leur disposition afin qu’un travail de réflexion soit entamé. L’animateur tient lieu de modèle de cohérence et d’humilité et, à travers son attitude à vouloir poser des questions et à faire avancer la recherche, il devient un exemple que l’enfant aura envie d’imiter. Son comportement sera celui de quelqu’un qui sait écouter et qui reconnaît sa faillibilité devant le savoir philosophique (Sasseville et Gagnon, 2007). En CRP, l’importance ne repose donc pas uniquement sur la lecture, mais aussi sur le rôle de l’animateur et surtout sur l’importance qu’il accorde à la réflexion de l’enfant. Il s’agit certes de laisser à ce dernier l’autonomie dont il a besoin pour parvenir à penser par lui-même, mais l’animateur peut également modéliser pour lui les attentes et exemplifier une logique de pensée. Puisque les discussions dépendent des enfants, elles peuvent prendre plusieurs directions. La méthode de Lipman et Sharp (1980) comprend des guides qui sont mis à la disposition des animateurs pour les outiller de manière à faire en sorte que le dialogue conserve une orientation philosophique et à ce que les enfants intériorisent certains concepts. La modélisation peut aussi s’effectuer par les pairs, comme nous l’avons vu dans l’extrait présenté lors de notre communication5. Dans cet extrait, un élève lisait un passage d’expérience qu’il a écrit précédemment, au sujet du décès d’un proche. Cela donne le ton aux autres enfants qui s’expriment ensuite à leur tour sur le thème de la mort. Il faut, ici, noter le rôle de l’enseignant qui reste en retrait et qui accompagne sa classe plutôt que de lui tracer la marche à suivre, jusqu’au retour en groupe-classe sur la situation qui vient de se produire. L’enseignant demande alors aux élèves de se prononcer sur ce qu’ils ont vécu et ressenti, de même que sur ce qu’ils ont pensé de ces partages entre enfants et sur la manière dont ces derniers ont eu lieu. Des stratégies d’écoute sont ainsi développées, de même que des stratégies de reformulation, qui sont fort importantes dans le développement d’une pensée critique et articulée (Bissonnette, 2008), puisqu’elles permettent aux enfants de s’approprier les paroles de l’autre, de les internaliser et de mieux les saisir. 5 L’extrait dont il est fait mention est tiré du site Internet Youtube h t t p : / / w w w . y o u t u b e . c o m / w a t c h ? v = a rmP8TfS9Is. Nous encourageons le lecteur à s’y référer afin de mieux comprendre la suite de cet article. 6 Ce qui nous a paru intéressant dans cet exemple, c’est tout le travail de vie en société et de développement citoyen qui s’est joué sous nos yeux, à travers la parole et l’écoute active. Il y a certainement un rapprochement possible à faire avec les cours d’éthique et culture religieuse, qui posent parfois problème et qu’on ne sait trop comment aborder (Bouchard et Gagnon, 2012). Nous verrons un peu plus loin un exemple d’album pour la jeunesse qui pourrait judicieusement servir de point de départ à une discussion autour de thématiques jugées difficiles pour des enfants ou peu adaptées pour eux. En fait, en CRP, il est possible d’aborder toutes les thématiques, bien qu’elles puissent être difficiles ou jugées taboues : c’est l’accompagnement qui les entoure qui facilitera les échanges entre les participants et qui fera de la discussion une réussite. Laisser libre cours à l’interprétation des enfants : la voie de l’oral Demander à l’élève de s’engager dans un processus réflexif et lui donner la chance de s’exprimer sur celui-ci demande temps et patience, car les activités de CRP peuvent, au premier abord, ne pas apporter de bénéfices tangibles. Dans l’extrait que nous vous avons présenté lors de notre communication6, nous avons pu constater que l’enseignant avait un but et qu’il cherchait à amener ses élèves à s’exprimer sur un sujet bien précis. Nous émettons un bémol : on peut douter, au premier abord, des pratiques enflammées que l’on peut voir, mais ce qu’il importe de comprendre, ici, est vraiment tout le processus mental que les élèves explorent ensemble et leur prise de position sur une situation bien réelle et quotidienne pour certains. Ces situations d’oral, que l’on vient de voir et dans lesquelles les enfants s’expriment à propos de l’intimidation, sont importantes, car elles les aident à développer leur argumentation et à prendre position sur des situations de la vie ordinaire. Elles peuvent sembler difficilement évaluables parce qu’elles concernent des aspects subjectifs, mais on a bien vu les élèves noter, dans un cahier, des impressions au sujet des discussions, ainsi que des idées de discussions à partager à la classe ou des moments qui les ont particulièrement touchés. Ces cahiers sont une variante des journaux de bord que l’on utilise souvent en classe et dans lesquels on évaluerait les progrès des enfants selon un objectif précis. Ici, ce ne serait probablement pas une évaluation d’un point de vue scriptural ou de la forme, mais plutôt une évaluation selon leur habileté à bien développer leurs idées, à faire des liens avec les commentaires des autres, car rappelons-nous que ces entrées sont ensuite partagées avec les autres élèves de la classe. En salle de classe, de manière plus générale, on cherche plutôt des évaluations et des progrès que l’on voit rapidement et la voie de la pensée, c’est-à-dire la métacognition, n’en fait souvent pas partie. L'enseignement de la communication orale à l'école et tel que préconisé par les CRP est souvent perçu comme un dévoreur de temps et on l’associe généralement au préscolaire, comme étant un aspect majeur du développement du langage. Son enjeu, au primaire et au secondaire, s'exprime plutôt par la démonstration de la capacité des enfants à 6 Cet extrait est tiré du site Internet Youtube http://www.youtube.com/watch?v=Oc7S8HAfDzk consulté le 16 a o û t 2 0 1 2 . 7 faire des exposés oraux dans lesquels ils récitent souvent un texte mémorisé. Dans les extraits que nous vous avons présentés, on voit des enfants lire des textes qu’ils ont investis. Si certains peuvent s’interroger sur l’enseignement explicite de l’oral au sens de mécanisme de la parole, notez les regards des autres enfants, tous les éléments paraverbaux qui font également partie de l’oral : tout cela s’enseigne aussi et des situations authentiques y contribuent. Enfin, la validité du savoir des enfants sera déterminée par la confrontation et la justification qu’ils en font en groupe. Ainsi, l’élève dépasse la mémorisation pour faire place au processus de recherche « conscient et volontaire » avec ses pairs. Ces questionnements stimulent les enfants sur le plan cognitif et leur permettent d’avoir un dialogue critique sur ce qu’ils apprennent. Enfin, cette discussion active rendra possible le fait de garder en mémoire leur apprentissage, car ils y auront activement participé. L’observation de critères pour une rigueur intellectuelle et un retour métacognitif L’évaluation du progrès des enfants en CRP peut aussi s’effectuer à l’aide de grilles d’observation. Près d’une centaine de critères observables ont été répertoriés par les professeurs Michel Sasseville et Mathieu Gagnon (2007). Ces critères serviront d’outils cognitifs pour les enfants, afin qu’ils dépassent la simple opinion et qu’ils développent leur pensée en travaillant la cohérence. Ces critères sont progressivement compris par les participants, puisque l’animateur les modélise explicitement dans ses interventions et lorsqu’il explique la démarche à suivre pour la CRP. L’enseignant constatera aussi plus facilement le progrès de l’élève à l’aide de ces grilles. Il pourra s’en charger seul, mais il est intéressant d’impliquer les enfants dans le processus d’observation. Le nombre de participants à une CRP peut varier, mais afin de s’assurer que chacun ait le temps d’intervenir, il est préférable de ne pas dépasser la quinzaine d’enfants. Si le nombre d’enfants le permet, déjà à partir de dix enfants, on pourra diviser la CRP en deux groupes : les participants et les observateurs. Ces derniers doivent alors garder le silence et vérifier si les critères sont respectés. On leur demandera seulement de faire part au groupe de leurs observations lorsque la discussion sera terminée. C’est là qu’encore une fois un processus métacognitif est enclenché : en écoutant les observations à propos de la discussion qui vient d’avoir lieu, les enfants sont amenés à réfléchir sur la manière dont ils ont réfléchi. En mettant une grille de critères à observer à leur disposition, ils peuvent consigner par écrit leurs forces argumentatives et les stratégies à travailler. Ainsi, l’observation de la communauté augmente la conscience à propos des réflexions et motive les élèves à les approfondir. Dans une CRP, les participants émettent des doutes à propos de ce dont ils discutent, puis ils font avancer la recherche à l’aide de critères d’observation, dont quelques exemples sont cités ci-dessous (Sasseville et Gagnon, 2007). Présenter les idées sous forme d’hypothèses Dépasser l’opinion en apportant des raisons Évaluer les raisons apportées Donner des exemples et des contrexemples 8 Définir les termes employés Faire des distinctions Formuler des analogies ou des comparaisons Reformuler les propos des autres Clarifier les concepts Examiner l’envers d’une position Tenir compte du contexte Identifier les conséquences de ce qui est dit Intervenir en lien avec les idées des autres Réfléchir sur l’acte de réfléchir L’un des critères consiste à présenter les interventions sous forme d’hypothèses et non d’affirmations. Chaque hypothèse devra ainsi être soutenue par des raisons que le groupe devra évaluer. Les participants devront fournir des exemples pour appuyer les hypothèses et des contrexemples pour les mettre à l’épreuve. Lorsqu’une hypothèse est réfutée par le groupe, les participants travaillent alors à en formuler une nouvelle. Dans une CRP, un critère important repose également sur la compréhension du sujet de recherche à travers les analogies et les comparaisons, notamment avec d’autres sujets. La communauté travaille aussi à définir et à faire des distinctions entre les concepts, afin de se défaire des idées préconçues. Dans le cadre de la recherche, cela consiste aussi à travailler ensemble et à expliciter ce qui peut sembler flou. Pour ce faire, on pourrait reformuler et clarifier les propos d’un pair émis en CRP. En cherchant à conserver un regard objectif à l’intérieur de la discussion, on tente d’examiner l’envers des positions, de contextualiser, d’identifier les conséquences des affirmations et de dégager les présupposés dans les hypothèses émises. Tous ces critères font en sorte que les enfants s’engagent activement dans la discussion et développent un souci de rigueur intellectuelle. La grille d’observation des critères permet ainsi aux participants de se conscientiser à propos des outils cognitifs qu’ils utilisent et parfois même au moment où ils le font. En CRP, le développement métacognitif prend tout son sens, puisque l’élève doit réagir ou rebondir sur le commentaire d’un autre élève. Il doit comprendre et approfondir sa pensée, justifier son point de vue au moyen d’une argumentation solide. Or, argumenter s’apprend, tout comme les mathématiques ou le texte d’opinion. Il faut suivre une structure, respecter les tours de parole, réagir, laisser parler l’autre... On apprend à penser, mais on apprend aussi à communiquer en société. Et il ne faut pas oublier que cela peut parfois être ardu et nécessiter un entraînement assidu. 9 Expliciter un point de vue au moyen de l’album pour la jeunesse Nous l’avons vu plus tôt, la méthode de Lipman et Sharp comprend des nouvelles écrites précisément pour des enfants et abordent des thématiques signifiantes pour eux. Pour un enseignant qui aurait peu de temps et qui ne saurait pas trop de quelle manière instaurer une CRP dans sa classe, un moyen efficace, inspirant et rassurant serait d’utiliser un album qui aborde un thème universel, justement parce que l’album pour la jeunesse est connu et répandu dans les classes du primaire. Nous vous en présentons ici un extrait. Peut-être nous est-il utile de rappeler que, plus un texte est chargé d’implicite, plus il sera évocateur pour les enfants et même pour les enseignants. Au primaire, on utilise souvent des albums pour la jeunesse afin d’éveiller les sens des enfants, de piquer leur curiosité et parfois même pour les récompenser et les amener à se détendre. Ces albums sont tout indiqués pour travailler les stratégies métacognitives7 et particulièrement celles liées à l’interprétation, car au contraire d’un texte écrit dans lequel les mots peuvent avoir plus d’une signification, les illustrations sont fixes et, même liées entre elles, ne peuvent pas signifier plus que ce qu’elles présentent, en contexte. Autrement dit, l’interprétation est régie par les images dans un album pour la jeunesse et c’est là un bon moyen de déjouer les mésinterprétations des enfants. L’image est, par ailleurs, « un puissant stimulant pour entrer dans l’univers du récit, et installer des connaissances génériques » (Rabatel, 2001-2002 : 238) et « permet d’augmenter les hypothèses interprétatives » (p. 239). Nous présentons un exemple tiré de l’album Les chaussures (Bigot et Matéo, 2010), qui paraît simple avec un texte court et des illustrations au coup de crayon. Ce dernier, brièvement résumé, aborde l’histoire de chaussures qui cherchent leur maison, mais ces chaussures, au fil de la lecture, cherchent peut-être autre chose qu’une maison physique : pour certains, elles peuvent évoquer le thème du déracinement (pensons aux enfants qui viennent d’un autre pays ou qui viennent de déménager). Ces chaussures soulignent aussi notre place dans le monde : où m’en vais-je? Qui suis-je? Comment me définis-je? Elles peuvent également évoquer le deuil et nous amener à nous questionner sur les manières de nous sortir d’une situation difficile, de surmonter une étape ou une période difficile, que ce soit le départ d’un ami, le divorce des parents, le deuil d’un être cher. Toutes ces possibilités sont évoquées par l’implicite du texte et toutes ces interprétations sont justifiables, selon les éléments que les enfants retiendront. Des thématiques de cet album sont à exploiter globalement en français, évidemment, car il est question de lecture et de compréhension de texte, mais aussi en éthique et culture religieuse et en sciences. Par exemple, il serait possible d’aborder les questions de la mort, de la naissance, des déportations ou encore l’histoire de certaines guerres. La lecture d’un album pour la jeunesse permet, par exemple, d’exploiter une thématique dans différentes disciplines scolaires, « en fonction de critères construits avec les enfants » (Chemla, 2001- 2002 : 259) et donc d’aborder plusieurs albums tout au long de l’année, à titre d’œuvres autonomes ou d’entrée en lecture et d’accompagnement à un texte plus long. Il suffit d’accepter enfin, en tant qu’adulte, d’être surpris par les histoires et les interprétations des enfants, qui vont parfois dans des directions que nous n’aurions pas envisagées (Meurice, 7 Les stratégies métacognitives permettent au participant de comprendre des inférences, d’évaluer sa c o m p r é h e n s i o n o u d ’ é v i t e r c e r t a i n e s erreurs de raisonnement, entre autres choses. 10

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but d'encourager les enfants à penser philosophiquement » (Sasseville, exemple, fournit un contrexemple ou qui examine l'envers d'une position
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