ANNÉE 2015 THÈSE /UNIVERSITÉ DE RENNES 1 sous le sceau de l’Université Européenne de Bretagne pour le grade de DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE RENNES 1 Mention : Droit Ecole doctorale SHOS présentée par Jacques HEMON Préparée à l’unité de recherche IODE-‐CEDRE UMR CNRS 62-‐62 Institut de l’Ouest : Droit et Europe IODE Thèse soutenue à Rennes le 26 juin 2015 Intitulé de la thèse devant le jury composé de : Yves PETIT Le rôle de la Cour de Justice de Professeur, Université de Lorraine, rapporteur. l’Union Européenne dans le Florence AUBRY-‐CAILLAUD Professeur, Université de Bordeaux, processus de constitution et rapporteur. Danielle CHARLES LE BIHAN Professeur, Université de Rennes 1, d’évolution du marché intérieur membre. Daniel GADBIN des marchandises. Directeur de thèse, Université de Rennes 1 1 à Viviane, Maïwenn, Sterenn 2 SOMMAIRE Sommaire 3 Introduction 5 Première partie : L’élaboration d’un mode d’emploi du marché intérieur à l’interface du traité et des législations communautaires et nationales 39 Titre 1 – La jurisprudence constructive de la Cour de Justice 41 Chapitre 1 – L’effet « Big-‐Bang » de « l’arrêt Cassis de Dijon » 42 Chapitre 2 – Une jurisprudence constructive bornée par le respect des compétences étatiques et l’état de la législation de l’Union Européenne 60 Titre 2 : Le difficile compromis entre l’efficacité de l’action de la Cour et sa légitimité 124 Chapitre 1- Un pouvoir d’influence de la CJCE/CJUE potentiellement défavorable aux valeurs non économiques 126 Chapitre 2- Une conciliation nécessaire mais difficile entre l’objectif d’ un marché unique et la nature complexe du marché et des mar- chandises 164 Seconde partie : La recherche laborieuse d’une cohérence jurisprudentielle pour concilier le marché intérieur et les nouvelles politiques de l’Union 235 Titre 1 – Une jurisprudence soucieuse d’adaptation à l’évolution du système des politiques de l’Union 236 Chapitre 1 – Une jurisprudence pragmatique illustrée, en amont, par une interprétation évolutive du champs d’application des articles 34 et 36 TFUE 236 Chapitre 2-‐ Une jurisprudence pragmatique illustrée, en aval, par une interprétation évolutive des conditions et des motifs de dérogation à l’interdiction des entraves aux échanges : l’exemple du principe de précaution 292 Titre 2 : Les clés d’une jurisprudence légitime 316 Chapitre 1 – Une jurisprudence légitimée grâce aux critères combinés des compétences étatiques et des valeurs non économiques 317 Chapitre 2 – Une évolution souhaitable vers l’unité jurisprudentielle fondée sur le critère revisité de l’accès au marché 348 3 Conclusion générale 434 Bibliographie 455 Table des matières 466 4 LE RÔLE DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE DANS LE PROCESSUS DE CONSTITUTION ET D’EVOLUTION DU MARCHE INTERIEUR DES MARCHANDISES Jacques HEMON Introduction Le 25 juillet 2012, le ministre français du Redressement Productif annonçait le lancement d’une campagne de publicité financée par l’État et destinée à promouvoir le « made in France ».1 On ne fera pas l’injure à un membre du gouvernement français, avocat de surcroit, d’imaginer un instant qu’il ait pu ignorer un principe du droit communautaire aussi fondamental que celui de la libre circulation des marchandises. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)2 condamne les mesures protectionnistes auxquelles il convient sans équivoque d’associer les dispositions incitant au chauvinisme économique.3 Au delà de son caractère politique,4 une telle déclaration provenant du gouvernement d’un État membre fondateur de la CEE ne raisonne-t-il pas comme l’aveu d’un échec ? A tout le moins ne révèle-t-il pas le caractère inachevé du marché intérieur (A) plus d’un demi siècle après la signature du Traité de Rome, alors même que la réalisation dudit marché demeure l’une des fondations du projet politique de l’Union européenne ? La réponse à cette question passe inévitablement par l’observation du rôle fondamental exercé en ce domaine par l’organe juridictionnel de l’UE qui se situe à l’interface du traité, du droit communautaire et des 1 « Le gouvernement engagera une campagne de mise en valeur du « Made in France » de l’automobile française et nous avons demandé avec (la ministre de la Culture) Aurélie Filipetti, à des cinéastes engagés de signer grâce à leur rayonnment international, leur talent, les publicités en faveur de l’automobile française et du fabriqué en France ». (Extrait du discours de Monsieur Arnaud Montebourg, à l’issue du Conseil des ministres, le 25 juillet 2012). Les encouragements à acheter français étaient repris par la ministre du Commerce extérieur, Madame Nicole Bricq lors d’une allocution en début d’année 2013. 2 Nouvelle dénomination de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) depuis le traité de Lisbonne. 3 Arrêt du 24 novembre 1982, « Commission des Communautés européennes contre Irlande », affaire 249/81, Rec. 1982, p. 4005. Voir également les conclusions de l’avocat général M. M. Poiares Maduro dans l’arrêt du 14 septembre 2006, « Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour-Mrinopoulos » affaires C-158/04 et C-159/04, Rec. 2006, p. I-8135, point 43 : « Toute discrimination à raison de la nationalité, qu’elle soit directe ou indirecte est prohibée. Il est évident, par exemple qu’un programme de campagne publicitaire faisant la promotion de l’achat de produits nationaux au détriment des échanges intracommunautaires constitue une infraction aux règles du traité. » 4 …dont l’analyse se trouve en dehors du sujet de notre étude. 5 législations nationales (B) et contribue à l’élaboration d’un véritable mode d’emploi du marché intérieur (C). Celui-ci se matérialise dans des arrêts fondateurs dont on appréciera le caractère interventionniste et téléologique dans le domaine de la libre circulation des marchandises (D). Notre introduction est également l’occasion de préciser l’objet de notre réflexion et la méthodologie employée (E). A- Le marché intérieur, une œuvre inachevée Selon la lettre du traité, le marché intérieur est largement conditionné par une économie compétitive gage d’un « développement harmonieux et équilibré des activités économiques dans l’ensemble de la Communauté, d’une croissance durable … d’un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, d’un relèvement du niveau et de la qualité de la vie … ».5 C’est pourquoi, l’article 2 du traité CE accorde à l’établissement du marché commun une place prééminente, tandis que l’article 26-2 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne précise que « le marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions du traité ». La première de ces libertés constitue l’ « un des fondements de la Communauté »6 et correspond logiquement à la liberté économique la plus aboutie en tant que « première étape du marché intérieur ».7 Les premières étapes de la construction du marché intérieur des marchandises sont inscrites dans les traités originels.8 Cependant, grâce au nombre restreint des États fondateurs et à une conjoncture économique favorable, l’Union douanière a été réalisée dès le mois de juillet 5 Ces vertus attribuées au marché unique sont soulignées par le Président de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso dans sa lettre de mission à M. Mario Monti, le 20 octobre 2009 : « Un affaiblissement du marché unique éroderait la base de l’intégration économique et de la croissance et de l’emploi dans l’Union européenne à un moment où l’émergence de nouvelles puissances mondiales et de grands défis environnementaux rendent la cohésion communautaire plus nécessaire que jamais dans l’intérêt des citoyens européens et de la gouvernance mondiale. » Rapport au Président de la Commission européenne José Manuel Barroso, présenté par M. Mario Monti le 9 mai 2010. 6 Voir notamment les arrêts du 9 décembre 1997, « Commission contre France », Rec. 1997, p. I-‐6959, point 24; du 30 avril 1996, « CIA Security International », affaire C-‐194/94, point 40; du 12 juin 2003, « Schmidberger », affaire C-‐ 112/00, Rec. 2003, p. I-‐5659, point 78 ; du 15 novembre 2005, « Commission contre République d’Autriche », affaire C-‐320/03, Rec. 2005, p. I-‐9871, point 63 ; du 14 septembre 2006, « Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour-‐Marinopoulos affaires », C-‐158/04 et C-‐159/04, Rec. p. I-‐8135, point 14. 7 Malcom Jarvis, “The application of EC Law by National Courts -‐ The free Movement of Goods” Malcolm Jarvis, Clarendon Press-‐Oxford, 1988, p. 3. A noter également la place particulière de la liberté de circulation des marchandises par rapport aux autres libertés dans le traité sur le fonctionnement de l’UE. Le régime applicable à la première liberté figure dans le titre II de la troisième partie du traité intitulé « Les politiques et actions internes de l’Union » tandis que les règles applicables aux secondes sont regroupées dans le titre IV de la même partie. Les principales sources du droit primaire de la libre circulation des marchandises sont inscrites dans les articles 34 et suivants du TFUE. 8 Article 12 et suivants du traité de Rome. 6 1968, soit avec 18 mois d’avance sur l’échéance fixée. Quant aux obstacles non tarifaires, ils se sont alors révélés comme de redoutables instruments protectionnistes, plus encore que les droits de douane. En effet, à l’importation ces derniers pénalisent le produit originaire des autres États membres mais sans toutefois pouvoir l’exclure totalement du marché d’importation. En revanche, des normes techniques imposées par l’État d’importation peuvent conduire à en interdire l’accès à des produits provenant d’États membres plus « laxistes ». La production à l’échelle de la Communauté requiert alors la mise aux normes des pays d’exportation, avec pour conséquence une nécessaire diversification de cette production et un coût unitaire plus élevé.9 Sans aller jusqu’à présenter la réalisation du marché intérieur comme une sorte d’idéal inaccessible, il faut bien reconnaître que l’œuvre reste inachevée et le restera pour longtemps encore,10 même si la lettre du traité pouvait laisser croire le contraire. L’article 7 A du traité CE n’affichait-il pas la prétention d’établir progressivement le marché intérieur à l’échéance du 31 décembre 1992 ?11 La réalité s’est cruellement révélée aux autorités communautaires. La nature de la tâche n’est pas étrangère à cet état de fait. Le rapport Monti précité explique cette situation par le constat que les produits évoluent constamment en fonction des goûts des consommateurs et des nouvelles technologies. Il relève également que les obstacles liés aux pratiques et aux réglementations nationales perdurent.12 Les décideurs et les acteurs de la réalisation du marché intérieur l’ont bien compris. La prise de conscience des premiers apparaît à la lecture des modifications apportées par le traité de Lisbonne. La version consolidée du traité sur l’Union européenne dispose en effet dans son article 3 que « L’Union établit un marché intérieur » tandis qu’une version plus modeste et réaliste dispose dans son article 26 que « l’Union adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur …». Face à la crise, le marché intérieur 9 Dans un tel contexte inégal de concurrence, les PME sont particulièrement pénalisées. Voir Nicolas Moussis, « Accès à l’Union européenne : droit, économie, politique », Rixensart, European Study Service, 13ème édition révisée). 10 « Le marché unique est à l’origine une idée de l’Europe, il est aussi son œuvre inachevée. …Par chaînons manquants et blocages, on entend que, dans de nombreux domaines, le marché unique existe en théorie, mais que, dans la pratique de multiples barrières et obstacles réglementaires fragmentent les échanges commerciaux à l’intérieur de l’UE et compromettent l’initiative économique et l’innovation. » (extrait du rapport Monti précité, p. 43). Voir également les conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire du 9 février 1995, « Leclerc-Siplec », affaire C- 412/93, Rec. 1995, p. I-179.point 21 : « Dans des marchés qui, malgré le processus d’intégration économique amorcé par le traité, sont toujours dans une large mesure divisés et cloisonnés en suivant le tracé des frontières nationales, il est probable que les marques connues appartiennent de manière prédominante à des producteurs nationaux. » 11 « La communauté arrête les mesures destinées à établir progressivement le marché intérieur au cours d’une période expirant le 31 décembre 1992… » 12 Rapport Monti : L’auteur du rapport explique que pour les raisons précitées, ce serait une erreur de croire que le processus est achevé. 7 redevient pour l’exécutif communautaire un axe majeur qualifié d’« objectif stratégique ». Nul doute que la Cour de justice de l’Union européenne se trouve au cœur du dispositif qui doit conduire à sa réalisation. B- La CJUE à l’interface du traité, du droit communautaire dérivé et des législations nationales Aux termes de l’article 4 du traité de Rome, la Cour devait contribuer à la réalisation des tâches confiées à la Communauté.13 Cette phrase lapidaire traduit mal l’influence de sa jurisprudence sur l’interprétation et la mise en œuvre du principe de libre circulation des marchandises. D’une manière générale, l’influence de la CJCE/CJUE s’explique d’abord par le cadre original, pour ne pas dire exceptionnel dans lequel elle est appelée à intervenir. Le renoncement par les États membres à une partie significative de leur souveraineté au profit de la Communauté dans un processus d’intégration, impliquait l’existence de règles impératives et la présence d’un organe juridictionnel de contrôle. Or, le niveau ou la qualité de l’intégration d’un ensemble régional se reflète dans la nature et le fonctionnement de ses institutions. Précisément, le rôle dévolu au juge communautaire constitue à cet égard un révélateur du degré d’intégration institutionnelle et normative de l’Union européenne. Naturellement, ce constat vaut également pour les autres ensembles régionaux, même si l’observation de différents modèles d’intégration régionale révèle une grande diversité. En effet, si la Cour de justice des communautés européennes a longtemps servi de modèle (au point d’être parfois citée expressément dans les décisions d’autres juridictions),14 l’Union européenne n’est plus aujourd’hui le seul ensemble régional disposant d’une juridiction permanente et indépendante des États membres et soumis à son autorité. Observons le continent africain qui compte une douzaine de juridictions régionales,15 mais aussi l’Amérique latine,16 sans oublier l’Europe.17 13 Article 4 du traité de Rome : « La réalisation des tâches confiées à la Communauté est assurée par : un Parlement européen ; un Conseil ; une Commission ; une Cour de justice... ». 14 Cour de justice SICA, du 27 novembre 2001, Nicaragua vs Honduras (La Cour SICA se réfère expressément aux arrêts Costa / Enel ( CJCE, 15 juillet 1964, « Costat contre E.N.E.L. », affaire 6/64, Rec. 1964, p. 1141) et Van Gend en Loos (5 février 1963, « Van Gend & Loos », affaire 26/62, Rec. 1963, p. 3) de la CJCE. Voir Eric Carpano, « Le règlement des litiges dans les intégrations régionales internationales – Essai de typologie, in « Les intégrations régionales, une approche comparative », p. 45, sous la direction de Jacques Hémon, Edition Octares (2013). 15 Cour africaine des droits de l’homme, Cour de l’Union africaine et de la Communauté économique africaine, Instance judiciaire de l’Union du Magrheb Arabe (UMA), Cour de la Communauté d’Afrique de l’est (EAC), Cour du Marché commun d’Afrique orientale et centrale (COMESA), Tribunal de la Communauté pour le développement de l’Afrique 8 De plus, une étude comparative des organes judiciaires ou juridictionnels des intégrations régionales démontre que le modèle de la CJCE/CJUE est parfois dépassé par des juridictions cumulant des fonctions internes et régionales.18 Ainsi le rôle et le fonctionnement de ces institutions permettent une distinction et un classement parmi les juridictions « communautaires » ou les juridictions internationales classiques. Les premières partagent plusieurs traits communs témoignant du degré d’intégration des organisations auxquelles elles appartiennent. Le premier de ces traits tient à la compétence obligatoire et exclusive de la Cour dans les cas prévus par les traités. Sur ce dernier point, on reproche parfois à la CJCE/CJUE de dépasser son rôle de juridiction en imposant des solutions aux États membres dans le cadre du recours en constatation de manquement, concernant des domaines où les États membres ne disposent que de pouvoirs limités.19 Peut-on craindre une forme de détournement de pouvoirs ? Il appartient en réalité à la Cour d’encadrer l’exercice par les États membres de leur compétence réservée, en veillant notamment à ce que les mesures nationales ne constituent pas des restrictions déguisées à la libre circulation des marchandises. Cantonnée dans ce rôle, l’action de la Cour ne peut être assimilée à l’exercice d’un pouvoir normatif.20 orientale (SADC), Cour de la Communauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Cour de l’Union économique et monétaire Ouest Africaine (UEMOA), Cour de la Communauté économique des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC), Cour commune de Justice et d’arbitrage de l’Organisation de l’harmonisation du droit des affaires en Afrique (OHADA). Voir Eric Carpano, « Le règlement des litiges dans les intégrations régionales internationales – Essai de typologie (précité). 16 La Cour de justice de la Caraïbe (CARICOM), la Cour de justice andine (SAI) ou la Cour de justice du marché commun d’Amérique centrale (SICA). 17 Les Cours du BENELUX et de l’AELE et la Cour européenne des droits de l’homme. 18 Notamment en Amérique centrale et dans la Caraïbe. Voir Eric Carpano, « Le règlement des litiges dans les intégrations régionales internationales – Essai de typologie (précité). 19 Conformément à l’article 258 TFUE, « Si la Commission estime qu’un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités, elle émet un avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet état en mesure de présenter ses observations. Si l’Etat en cause ne se conforme pas à cet avis dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne. » L’article 259 du traité ajoute que « chacun des Etats membres peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne s’il estime qu’un autre Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent en vertu des traités. Avant qu’un Etat membre n’introduise, contre un autre Etat membre, un recours fondé sur une prétendue violation des obligations qui lui incombent en vertu des traités, il doit en saisir la Commission. La Commission émet un avis motivé après que les Etats intéressés ont été mis en mesure de présenter contradictoirement leurs observations écrites et orales. Si la Commission n’a pas émis l’avis dans un délai de trois mois à compter de la demande, l’absence d’avis ne fait pas obstacle à la saisine de la Cour. » En cas d’inexécution de l’arrêt, la Cour peut en vertu de l’article 260 TFUE, infliger à l’Etat récalcitrant, le paiement d’une somme forfaitaire ou d’une astreinte. Ajoutons que le rapport Monti (précité) propose que la décision de la Commission constatant une infraction créée, pour l’Etat membre destinataire, une obligation immédiate de se mettre en conformité, sans préjudice de son droit de contester la décision devant la CJUE. 20 « Une telle action ne constitue pas un détournement de l’article 152 CE parce qu’elle ne permet pas à la Commission, ni à la Cour de se substituer à l’Etat membre concerné et d’imposer à celui-ci, une solution plutôt qu’une autre. Elle n’est donc pas assimilable à un pouvoir normatif. Elle a seulement pour effet d’encadrer l’exercice, par cet Etat membre, de sa compétence réservée, …, en précisant les limites qui découlent des libertés de circulation que tous les Etats membres se sont engagés à respecter, en concluant puis en ratifiant le traité. (Conclusions de l’Avocat général Yves Bot, point 91 dans l’ 9 Le second trait se traduit par l’accessibilité des particuliers à la Cour (bien que ces derniers ne soient pas considérés comme des requérants privilégiés devant la CJUE 21), soit directement, soit indirectement en se prévalant de dispositions du droit primaire ou dérivé à effet direct devant leurs juridictions nationales.22. Précisément, la Cour a reconnu l’effet direct des règles du marché intérieur, facteur d’efficacité dans la lutte contre les obstacles aux échanges inter étatiques, dans la mesure où elle permet une collaboration des agents économiques au contrôle du respect des règles concernées.23 Toutefois la reconnaissance explicite de l’effet direct de l’article 30 CE (article 34 TFUE) n’a été explicitement confirmée que tardivement.24 Quant au droit dérivé, l’applicabilité directe des règlements25 génère logiquement un effet direct au profit des particuliers. Pour autant, la Cour n’exclut pas que les directives, alors même qu’elles ne sont pas directement applicables, puissent également conférer aux particuliers des droits dont ils peuvent se prévaloir devant les juridictions nationales. Un tel effet suppose que le délai de transposition de la directive en question soit écoulé et qu’elle soit suffisamment précise et inconditionnelle.26 Arrêt du 11 septembre 2008, « Commission des Communautés européennes contre République Fédérale d’Allemagne », affaire C-141/07, Rec. 2008 p. 6935). 21 Les possibilités de recours des particuliers devant la juridiction communautaire sont limitées. Voir en ce sens l’arrêt du 5 mai 2011, « MSD Sharp & Dohme GmbH contre Merckle GmbH », affaire C-316/09, Rec. 2011, p. I-3249 dans lequel la Cour précise que « l’article 267 TFUE n’ouvre pas de voie de recours aux parties à un litige pendant devant le juge national de sorte que la Cour ne saurait être tenue d’apprécier la validité du droit de l’Union pour le seul motif que cette question a été invoquée devant elle par l’une des parties dans ses observations écrites» ( point 23). Dans l’arrêt du 12 juillet 2012, « Association Kokopelli contre Graines Baumaux SAS », affaire C-59/11 (non encore publiée), la Cour rappelle que si « des personnes physiques ou morales ne peuvent pas, en raison des conditions de recevabilité visées au quatrième alinéa de l’article 263 TFUE, attaquer directement des actes de l’Union de portée générale, ils ont néanmoins la possibilité, selon les cas, de faire valoir l’invalidité de tels actes soit, de manière incidente en vertu de l’article 277 TFUE, devant le juge de l’Union, soit devant les juridictions nationales et d’amener celles-ci, qui ne sont pas compétentes pour constater elles-mêmes l’invalidité desdits actes, à interroger à cet égard la Cour par la voie de questions préjudicielles » (point 34). 22 Une disposition du droit communautaire primaire ou dérivé produit des effets directs lorsqu’elle confère aux particuliers des droits dont ils peuvent se prévaloir devant leurs juridictions nationales. 23 Arrêt du 24 mars 2009, « Danske Slagterier contre Bundesrepublik Deutschland », affaire C-445/06, Rec.2009, p. I-2119, La Cour en déduit que « les particuliers qui ont été lésés par la transposition et l’application incorrectes des directives peuvent se prévaloir du droit à la libre circulation des marchandises afin de pouvoir engager la responsabilité de l’Etat en raison de la violation du droit communautaire » (point 26). 24 Timmerman Chistian W.A., « La libre circulation des marchandises », in « Trente ans de droit communautaire », Collection Perspectives européennes, Bruxelles, Commission des Communautés européennes, 1982, p. 280. Voir l’arrêt du 22 mars 1977, « Ianelli contre Meroni », affaire 74/76, Rec. 1977, p. 557, point 13 : « Attendu que l’interdiction des restrictions quantitatives et des MEERQ édictée à l’article 30 du traité…ne nécessite, pour sa mise en œuvre, aucune intervention ultérieure des Etats membres ou des institutions. Qu’elle a, dès lors, un effet direct et engendre pour les particuliers des droits que les juridictions nationales doivent sauvegarder… ». Voir également les arrêts du 29 novembre 1978, « Pigs Marketing Board contre Raymond Redmond », affaire 83/78, Rec. 1978, p.2347, point 66 et du 8 novembre 1979, « Denkavit », affaire 251/78, Rec. 1979, p. 3369, point 3. 25 Les dispositions communautaires directement applicables dans les Etats membres ne nécessitent aucune mesure de transposition dans les droits nationaux. 26 Arrêt du 5 avril 1979, « Ministère public contre Tullio Ratti », affaire 148/78, Rec. 1979, p. 1629, points 23 et 24. Le rapport Monti précise que 80% des règles du marché unique sont établies au moyen de directives qui présentent l’avantage de favoriser un meilleur « ajustement » de son contenu aux situations locales. En revanche les règlements présentent de meilleures garanties en terme de clarté, de prévisibilité et d’efficacité. Ils garantissent également une plus grande égalité des citoyens et des entreprises auxquels ils offrent également de plus grandes possibilités de recours (p. 112). A cet égard, M. Monti relève également que 55% des directives ne sont pas transposées dans les délais requis. 10
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