Analyse théologique de la règle de saint Benoît

176 Pages·1961·34.245 MB·French

by  Marie-Dominique Philippe

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ANALYSE THÉOLOGIQUE
DE LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
DU MÊME AUTEUR
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
Initiation à la philosophie d’Aristote. Paris, ig56.
Mystère de Marie. Croissance de la Vie chrétienne (a volu­
mes). Paris, ig58.
chez d’autres éditeurs
Le Mystère de l’Amitié divine. Luf, Fribourg, ig4g.
Saint Thomas, Docteur, témoin de Jésus. Saint-Paul, Fri­
bourg, ig56.
Mystères de Miséricorde :
i. L'Immaculée Conception. Saint-Paul, Fribourg, ig58.
a. La Présentation. Saint-Paul, Fribourg, ig58.
3. L'Annonciation. Saint-Paul, Fribourg, ig6o.
Un seul Dieu tu adoreras (coll. « Je sais, je crois »).
A. Fayard, Paris, ig58.
Nous sommes vivement reconnaissants aux Editions de Maredsous
d’avoir bien voulu nous autoriser à utiliser la traduction française
de La Règle de saint Benoît, de Dom Philibert Scbmitz, dans cet
ouvrage.
M.-D. PHILIPPE. O. P.
ANALYSE
THÉOLOGIQUE
DE LA
RÈGLE
DE
SAINT BENOIT
Collection « La Colombelle »
N° 5
LA COLOMBE
EDITIONS DU VIEUX COLOMBIER
rut Roujjrlet, )
PARIS
Nihil obstat. Imprimi potest.
fr. I. Mennessier, O.P., J. Kopf, O.P.,
lecteur en théologie. prieur provincial
fr. E.-M. Lajeunie, O.P.,
lecteur en théologie.
Imprimatur.
Paris, 30 novembre ig5g·
J. Hottot,
vie. gén.
© 1961 by La Colombe, Éditions du Vieux Colombier.
Tous droits de traduction, reproduction,
adaptation réservés pour tous pays.
Introduction
SAINT BENOIT LÉGISLATEUR
Il serait intéressant de comparer, en les oppo­
sant et en les rapprochant, les deux grands légis­
lateurs de l’Eglise latine : saint Benoît et saint
Thomas. Tous deux sont « législateurs » de la
loi évangélique, bien que de façon très différente.
La loi évangélique achève et transforme ce qui
avait été donné par Moïse. Les préceptes de la Loi
sont assumés par l’unique précepte, celui d’aimer
Dieu et le prochain. Le précepte nouveau est un
précepte intérieur qui, loin d’exclure les préceptes
de la Loi, leur donne leur sens plénier. Mais en
lui-même ce précepte intérieur ne peut être par­
faitement vécu que grâce aux dons de l’Esprit
du Christ. C’est pourquoi la vie évangélique est
d’abord et en premier lieu une vie d’intimité per­
sonnelle avec le Christ au-delà de toute loi, sans
s’y opposer pourtant. Le Christ est l’ami qui nous
donne son Esprit, son Corps en aliment, sa Mère
pour être notre Mère. Dans ce régime de la liberté
de l’Esprit, la seule législation possible doit être
8 ANALYSE THÉOLOGIQUE DE
une législation au niveau de la foi, et non plus
au niveau de la vie morale, pour respecter plei­
nement l’absolu de l’amour divin. Et comme
l’exercice de la foi peut s’orienter d’une manière
spéculative et d’une manière pratique, il pourra
y avoir une double réflexion comportant une cer­
taine organisation, l’une commandée avant tout
par la foi dans ses exigences les plus spéculatives,
l’autre commandée au contraire en premier lieu
par la foi dans ses exigences les plus pratiques.
De cette première réflexion naîtra la Somme de
saint Thomas, de cette seconde réflexion naîtra
la Règle de saint Benoît. L’une est avant tout une
sagesse selon un mode spéculatif, l’autre une pru­
dence de sagesse. L’une utilise les données les
plus purifiées, les plus profondes de la philosophie
pour expliciter l’intelligibilité du donné révélé,
l’autre utilise les données les plus concrètes de
l’expérience prudentielle et de la connaissance des
hommes pour préciser et déterminer la manière
évangélique de vivre qui soit la plus pratique et
la plus efficace possible.
Si on considère de l’extérieur la Règle de saint
Benoît et la Somme théologique de saint Thomas,
on est tenté de dire qu’il n’y a pas deux oeuvres
aussi différentes et que vouloir établir un parallé­
lisme entre saint Benoît et saint Thomas est tout
à fait artificiel.
Il est bien évident que, considérées d’une façon
superficielle, rien n’est plus éloigné l’un de l’au­
LA RÈGLE DE SAINT BENOIT
9
tre que la Règle de saint Benoît et la Somme de
saint Thomas, car l’une apparaît comme le résultat
d’une longue expérience de la prudence chré­
tienne, l’autre comme le résultat d’un long travail
théologique, de plus en plus scientifique et rigou­
reux. Rien n’est plus loin d’un jugement pruden­
tiel que celui de la métaphysique dans toute sa pu­
reté spéculative! De ce point de vue là, saint Be­
noît et saint Thomas sont des hommes qui ont eu
un tempérament et une orientation de vie tout
à fait différente, sans parler du moment historique
où ils ont vécu.
Mais si, au-delà de l’aspect extérieur, on essaie
de pénétrer un aspect plus profond, on décèle dans
ces deux œuvres une organisation — pour ne pas
dire une « législation » — géniale des deux gran­
des orientations du mystère de notre foi chré­
tienne. On devine aisément chez ces deux saints
une parenté profonde dans une tâche analogue à
remplir pour l’Eglise, la tâche de celui qui ordonne
et édifie d’une manière architecturale une véri­
table « maison de Dieu »; l’une c’est l’ordre mo­
nastique, l’autre c’est la doctrina sacra. Tous deux
sont de grands serviteurs de Dieu, ayant reçu cette
tâche si importante de poser les bases solides pour
permettre à ceux qui les suivront de continuer
l’œuvre commencée. Saint Thomas et saint Be­
noît savent bien ce que Dieu leur demande. Ils
ont tous deux conscience très nette de poser des
fondements. Saint Benoît terminera sa Règle en pré­
ΙΟ ANALYSE THÉOLOGIQUE DE
cisant que cette règle est écrite pour les commen­
çants \ — on ne peut donner de règles que pour
les commençants, — saint Thomas, au début de
sa Somme théologique, note avec soin que sa
Somme est pour les débutants. Voilà l’humilité du
serviteur, il sait que Dieu demande plus. Le légis­
lateur de la loi évangélique est tout entier au ser­
vice de l’amour; il sait que l’amour ne peut être
codifié et exprimé d’une manière scientifique, et
il sait aussi que l’amour pour s’épanouir doit être
enraciné dans la vérité; celle-ci on peut l’exprimer
quand il s’agit de la vérité spéculative, on peut
s’y disposer par certains exercices quand il s’agit
de la vérité pratique.
Un signe de la parenté de ces deux oeuvres et
de leur rôle analogue dans la formation de l’Eglise
se manifeste dans des dangers communs :
Si on considère matériellement la Règle de saint
Benoît ainsi que la Somme théologique de saint
Thomas, on tombe très vite dans des erreurs assez
semblables. Les conclusions théologiques, au lieu
de vivifier la foi et de permettre une contemplation
plus profonde et plus vraie du mystère de Dieu,
l'humanisent en l’intellectualisant et en le forma-
i. Dans le dernier chapitre de la Règle, saint Benoît ter­
mine de cette manière : « Qui donc que tu sois, qui te hâtes
vers la patrie céleste, accomplis avec l’aide du Christ cette
toute petite règle écrite pour les commençants. Cela fait, tu
parviendras, avec la protection de Dieu, aux plus hautes
cimes de la doctrine et des vertus. » (R. 73, 22-26, p. 207).